Le poême de Tarare était fini depuis longtemps, sa musique était achevée, ma doctrine sur l'opéra, même était imprimée; j'allais la publier pendant qu'on répétait la pièce; car je voulais qu'on arrivât instruit de l'intention qui me l'avait fait faire; lorsque deux méchants obscurs ont exprès jeté dans le publique un libelle atroce, où vingt personnes sont déchirées, où je suis injurié sans nul ménagement.
Forcé de répondre à l'instant; craignant de ne pouvoir suffire à tout, et que mes ennemis ne saisissent un moment de crise pour troubler l'effet d'un spectable qui, plein de nouveautés dramatiques, avait besoin d'être écouté sans prévention; j'ai suspendu les répétitions de Tarare, pour rendre plainte, et suivre au criminel le prompt châtiment des coupables.
Mes efforts pour obtenir la suspension de l'ouvrage onte été inutiles; et quoique j'aie porté ma suplique au point d'offrir le remboursement des dépenses, le ministre a cru devoir préférer les intérêts d'un grand spectacle aux miens, et l'impatience du public à mes justes répugnances. Il m'a fallu céder à l'autorité souveraine, qui, dans cette occasion, n'a mis qu'une volonté forte; mais rien qui ne fût très-honorable au citoyen, et flatteur pour l'homme de lettres. Je n'ai donc pu que m'affliger, sans avoir le droit de me plaindre.
L'obligation de présenter la poême à la famille royale, le jour de la première représentation, a fait passer deux nuits à l'imprimeur, et rend la première edition très-fautive.
Le voici tel qu'il fut adopté par l'Académie de Musique, il y a trois ans; et mon discours préliminaire, un peu badin, je l'avoue, pour la gravité du moment. Quand je le fis, j'etais nonchalamment heureux; je n'avais pas encore l'oreille rebattue des cris de mille forcennés. Ce discours serait d'un autre ton, s'il était à faire aujourd'hui.
Apprenez seulement, etrangers qui n'habitez pas cette ville, qu'en ce moment d'un très-léger succès, et sans doute pour m'en punir, cent dégoûtants libelles manuscrits, imprimés, courent la capitale, et sont vivre mille affamés du triste produit de leur vente, en attendant que les auteurs aient la retraite qu'ils méritent.