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Scène première |
Le thèâtre représente les jardins du serrail; l'appartament d'Irza est aà droite; à gauche, et sur le devant, est un grand sopha sous un dais supérbe, au milieu d'un parterre illuminé. Il est nuit. Calpigi, entre d'un coté; Atar, Urson entrent de l'autre; Jardiniers ou Bostangis qui allument. |
Q
Bostangis
<- Calpigi, Atar, Urson
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CALPIGI |
(sans voir Atar)
Les jardins éclairés ! des bostangis ! pourquoi ?
Quel autre ose au serrail donner des ordres ?...
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ATAR |
(lui frappant sur l'époule)
Moi.
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CALPIGI |
(troublé)
Seigneur... puis-je savoir ?...
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ATAR |
Ma fête à ce que j'aime ?
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CALPIGI |
Est fixée à demain; seigneur, c'est votre loi.
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ATAR |
(brusquement)
Moi, je la veux à l'instant même.
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CALPIGI |
Tous mes acteurs sont dispersés.
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ATAR |
(plus brusquement)
Du bruit autour d'Irza; qu'on danse, est c'est assez.
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CALPIGI (à part, avec douleur) |
Ô l'affreux contre-temps ! De cet ordre bizarre,
il n'est aucun moyen de prévenir Tarare !
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ATAR |
(l'examinant)
Quel est donc ce murmure inquiet et profond ?
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CALPIGI |
(affecte un air gai)
Je dis... qu'on croira voir ces spectacles de France,
où tout va bien, pourvu qu'on danse.
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ATAR |
(en colère)
Vil chrétien ! obéis; ou ta tête en répond.
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CALPIGI (à part, en s'en allant) |
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| (Les bostangis se retirent.) | Calpigi, Bostangis ->
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Scène deuxième |
Atar, Urson. |
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ATAR |
Avant que ma fête commence,
Urson, conte-moi promptement
le détail et l'événement
de leur combat à toute outrance.
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URSON |
Tarare seul arrive au rendez-vous:
par quelques passes dans la plaine,
il met son cheval en haleine,
et vient converser avec nous.
Sa contenance est noble et fière.
Un long nuage de poussière
s'avance du côté du nord;
on croit voir une armée entière.
C'est l'impétueux Altamort.
D'esclaves armés un grand nombre,
au galop à peine le suit.
Son aspect est farouche et sombre,
comme les spectres de la nuit.
D'un œil ardent mesurant l'adversaire;
du vaincu décidons le sort.
« Ma loi », dit Tarare, « est la mort ».
L'un sur l'autre à l'instant fond comme le tonnerre.
Altamort pare le premier.
Un coup affreux de cimeterre
fait voler au loin son cimier.
L'acier étincelle,
le casque est brisé,
un noir sang ruisselle.
Dieux ! je suis blessé.
Plus furieux que la tempête,
a plomb sur la tête,
le coup est rendu,
Tarare
pare...
et tient en l'air le trépas suspendu.
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ATAR |
Je vois qu'Altamort est perdu.
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URSON |
Aveuglé par le sang, il s'agite, il chancelle.
Tarare, courbé sur sa selle,
pique en avant. Son fier coursier,
sentant l'aiguillon qui le perce,
s'élance, et du poitrail renverse
et le cheval et le guerrier.
Tarare à l'instant saute à terre,
court à l'ennemi terrassé.
Chacun frémi, le cœur glacé
du terrible droit de la guerre...
Ô d'un noble ennemi saint et sublime effort !
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ATAR |
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URSON |
Ne crains rien, superbe Altamort:
entre nous la guerre est finie.
Si le droit de donner la mort
est celui d'accorder la vie,
je te la laisse de grand cœur.
Pleure long-temps ta perfidie.
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ATAR |
| |
URSON |
Il s'en éloigne avec douleur
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ATAR |
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URSON |
Inutile et vaine faveur !
Celui dont les armes trop sures,
ne firent jamais deux blessures,
a peine, hélas ! se retirait,
que son adversaire expirait.
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ATAR |
Par-tout il a donc l'avantage !
Ah ! mon cœur en frémit de rage !
Quand, par le combat, Altamort
voulut hier régler leur sort,
Urson, je sentais bien d'avance,
qu'il allait de sa mort
payer cette imprudence.
Sans les clameurs d'un père épouvanté,
le temple était ensanglanté;
mais son pouvoir força le nôtre
d'arrêter un crime opportun,
qui m'offrait, dans le mort de l'un,
un prétexte pour perdre l'autre.
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| (Il voit entrer les esclaves.) | <- Esclaves
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Tout le serrail ici porte ses pas.
Retire-toi; que cette affreuse image,
se dissipant comme un nuage,
fasse place aux plaisirs, et ne les trouble pas.
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| (Urson sort.) | Urson ->
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Scène troisième |
Atar, Astasie en habit de sultane, soutenue par des esclaves, son mouchoir sur les yeux; Spinette, Calpigi, Eunuques, Esclaves de deux sexes. |
<- Astasie, Spinette, Calpigi, Eunuques
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| (Atar fait asseoir Astasie sur le grand sopha, près de lui, et dit au chef des eunuques:) | |
ATAR |
Calpigi, quel spectacle ai-je pour ma sultane ?
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CALPIGI |
C'est une fête européane.
Ainsi, quand l'un des rois de ces puissants etats,
ordonne qu'on amuse une reine adorée;
des jeux brillants, des mœurs de vos climats,
sa noble fête à l'instant est parée.
(à part)
Tarare n'est point prévenu;
s'il arrivait, il est perdu.
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Scène quatrième |
Les acteurs précédents, Bergèrs européans de cour, vêtus galemment en habits de taffetas, avec des plumes, ainsi que leurs bergères, ayant des houlettes dorées. Paysans grossiers, vêtus à l'européane, ainsi que leurs paysannes, mais très-simplement, tenant des instruments aratoires. Marche, dont le dessus léger peint de la caratère des bergers de cour qui la dansent, et dont la basse peint la lourde gaîté des paysans qui la sautent. |
<- Bergèrs, Paysans, Une bergère, Un paysan
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| Marche. | |
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CHŒUR D'EUROPÉANS
Peuple léger mais généreux,
nous blâmons les mœurs de l'Asie:
jamais, dans nos climats heureux,
la beauté ne tremble asservie.
Chez nos maris, presqu'à leurs yeux,
un galant en fait son amie;
la prend, la rend, rit avec eux,
et porte ailleurs sa douce envie.
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Deux jeunes seugneur et dame de la cour commencent une dance assez vive; deux jeunes berger et bergère de la campagne, commencent en même temps un pas assaiz simple. Leur danse est interrompue par une bergère coquette et une bergère sensible. | |
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SPINETTE |
(en Bergère coquette, aux danseurs)
Galants qui courtisez les belles,
sachez brusquer un doux moment.
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UNE BERGÈRE |
(sensible)
Amants qui soupirez pour elles,
espérez tout du sentiment.
(coquette)
Toute occasion non saisie,
s'échappe et se perd sans retour.
(sensible)
Sans retour pour la fantaisie;
mais elle renaît pour l'amour.
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Le pas des quatre danseurs reprend et s'achève. | |
De vieux seigneurs dansent vivement devant des bergères modestes, en leur présentant des bouquets; des jeunes gens fatigués, appuyés sur leur houlettes, se meuvent à peine devant de vieilles coquettes qui dansent à perdre haleine. Atar se lève, et erre parmi les danseurs. | |
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SPINETTE |
(en bergère de cour)
Dans nos vergers délicieux,
le mal, le mieux,
tout se balance;
et si nos jeunes gens sont vieux,
tous nos vieillards sont dans l'enfance.
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UN PAYSAN |
(grossier)
Chez nous point d'imposture;
enfants de la nature,
nos tendres soins
sont pour les foins,
et notre amour pour la pâture.
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| (On danse.) | |
SPINETTE |
(en bergère de cour)
Quand l'époux devient indolent,
contre un galant
l'amour l'échange;
et de ses volages désirs,
par des plaisirs,
l'hymen se venge.
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UN PAYSAN |
(grossier)
Chez nous, jamais légère,
l'active ménagère,
pour favori
n'a qu'un mari;
mais de ses fils chacun est père.
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| (On danse.) | |
SPINETTE |
Chez nous, sans bruit
on se détruit;
on brigue, on nuit;
mais sans scandale.
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UN PAYSAN |
(grossier, achevant le couplet)
Ma foi, chez nous, tout ce qu'autrui
te fait, fais-lui;
c'est la morale.
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| (On danse.) | |
ASTASIE |
(pendant la danse)
Ô mon Tarare, ô mon époux !
dans quel désespoir êtes-vous !
| |
| |
|
CHŒUR D'EUROPÉANS
Aux travaux mêlons la gaîté;
tout mal guérit par ses contraires.
Nos loix ont de l'austérité;
mais nos mœurs sont douces, légères.
Si le dur hymen est chez nous
bien absolu, bien dispotique;
l'amour en secret fait de tous
une charmante république.
| (♦)
(♦)
|
| |
| (On danse.) | |
| |
ASTASIE |
(les bras élevés pendant la danse)
Grands dieux ! que la mort d'Astasie
l'arrache au tyran de l'Asie !
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| (La danse continue.) | |
ATAR |
(revient à Astasie, et dit à tout le serrail)
Saluez tous la belle Irza.
Je la couronne; elle est sultane.
(Il lui attache au front un diadéme de diamants.)
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CHŒUR UNIVERSEL
Saluons tous la belle Irza.
Qu'amour, du fond d'une cabane,
au trône d'Ormus éleva.
Du grand Atar elle est sultane.
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| (On danse.) | |
ASTASIE |
(pendant la danse)
Ô mon Tarare, ô mon époux !
dans quel désespoir êtes-vous !
| |
| (Spinette la masque de sa personne pour que l'empereur ne la voie pas.) | |
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Ballet général, ou les deux genres de danse se mêlent sans se confondre. | |
Le ballet fini, des esclaves apportent des vases de sorbet, des liqueurs et des fruits devant Atar et la sultane. Spinette reste auprès de sa maîtresse, prête à la servir. | |
| |
ATAR |
(avec joie)
Calpigi, ta fête est charmante !
ton esprit fertile m'enchante:
j'aime un talent vainqueur à qui tout obéit.
Apprends-nous quel hasard dans Ormus t'a conduit ?
Mais pour amuser mon amante,
anime ton récit d'une gaîté piquante.
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CALPIGI |
J'y veux mêler un nom qui nous rendra la nuit.
(Il prend une mandoline, et chante sur le tone de la barcarola.)
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| |
| (La danse figurée cesse; tous les danseurs et danseuses se prennent par la main pour danser le refrein da sa chanson.) | |
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1er couplet
Je suis natif de Ferrare;
là, par les soins d'un père avare,
mon chant s'étant fort embelli;
ahi ! povero Calpigi !
Je passai du conservatoire,
premier chanteur à l'oratoire
du souverain di Napoli:
ah ! bravo, caro Calpigi !
| |
| (Le chœur répète le dernier vers. On danse la ritournelle.) | |
| |
| (À la fin de chaque couplet, Calpigi se retourne, et regarde avec inquiétude du côté par où il craint que Tarare n'arrive.) | |
|
2me couplet
La plus célèbre cantatrice,
de moi fit bientôt par caprice,
un simulacre de mari.
Ahi ! povero Calpigi !
Mes fureurs, ni mes jalousies,
n'arrêtant point ses fantaisies,
j'étais chez moi comme un zéro:
ahi ! Calpigi povero !
| |
| (Le chœur répète le dernier vers. On danse la ritournelle.) | |
|
3me couplet
Je résolus, pour m'en défaire,
de la vendre à certain corsaire,
exprès passé de Tripoli:
ah ! bravo, caro Calpigi !
Le jour venu, mon traître d'homme,
au lieu de me compter la somme,
m'enchaîne au pied de leur châlit,
ahi ! povero Calpigi !
4me couplet
Le forban en fit sa maîtresse;
de moi, l'argus de sa sagesse;
et j'étais là tout comme ici:
ahi ! povero Calpigi !
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| |
| (Spinette, en cet endroit, fait un grand éclat de rire.) | |
ATAR |
Qu'avez-vous à rire, Spinette ?
| |
CALPIGI |
Vous voyez ma fausse coquette.
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ATAR |
| |
SPINETTE |
| |
| |
CALPIGI |
(acheve l'air)
Ahi ! Calpigi povero !
| |
| (Le chœur répète le dernier vers. On danse la ritournelle.) | |
| |
| (Ici l'on voit dans le fond Tarare descendre par une échelle de soie; Calpigi l'apperçoit.) | <- Tarare
|
|
(à part)
C'est Tarare !
5me couplet, plus vite
Bientôt à travers la Libye,
l'Egypte, l'Isthme et l'Arabie,
il allait nous vendre au Sophi:
ahi ! povero Calpigi !
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|
Nous sommes pris, dit le barbare.
Qui nous prenait ? Ce fut Tarare...
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ASTASIE |
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TOUT LE SERRAIL |
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ATAR |
(furieux)
Tarare !
(Il renverse la table d'un coup de pied.)
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| (Astasie se lève troublée. Spinette la soutient. Au bruit qui se fait, Tarare, à moitié descendu, se jette en bas dans l'obscurité.) | |
SPINETTE (à Astasie) |
Dieux ! que ce nom l'a courroucé !
| |
ATAR |
Que la mort, que l'enfer s'empare
du traïtre qui l'a prononcé !
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| (Il tire son poignard; tout le monde s'en fuit.) | |
SPINETTE |
(soutenant Astasie)
Elle expire !
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| |
Atar rappellé à lui par ce cri, laisse aller Calpigi et les autres esclaves, et revient vers Astasie, que des femmes emportent chez elle. Atar y entre, en jettant à la porte sa simarre et ses brodequins, à la manière des orientaux. | Esclaves, Eunuques, Bergèrs, Paysans, Spinette, Astasie, Atar, Une bergère, Un paysan ->
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Scène cinquième |
Le thèâtre est très-obscur. Calpigi, Tarare, un poignard à la main, prêt à frapper Calpigi qu'il entraîne. |
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CALPIGI |
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TARARE |
(avec un grand trouble)
Ô fureur que j'abhorre !
Mon ami... s'il n'eût pas parlé,
de ma main était immolé !
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CALPIGI |
Tu le devais, Tarare ! il le faudrait encore,
si quelque esclave curieux...
| |
TARARE |
(troublé)
Mille cris de mon nom font retentir ces lieux !
Je me crois découvert, et que la jalousie...
mourir sans la revoir, et si près d'Astasie !...
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CALPIGI |
O mon héros ! tes vêtements mouillés,
d'algues impures et de limon souillés !...
Un grand péril a menacé ta vie !
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TARARE |
Au sein de la profonde mer,
seul dans une barque fragile,
aucun soufle n'agitant l'air,
je sillonnais l'onde tranquille.
Des avirons le monotone bruit,
au loin distingué dans la nuit,
soudain a fait sonner l'alarme;
j'avais ce poignard pour toute arme.
Deux cents rameurs partent du même lieu:
on m'enveloppe, on se croise, on rappelle,
j'étais pris !... D'un grand coup d'épieu,
je m'abîme avec ma nacelle,
et, me frayant sous les vaisseaux,
une route nouvelle et sure;
j'arrive à terre entre les eaux,
dérobé par la nuit obscure.
J'entend la cloche du béfroi.
L'appel bruyant de la trompette,
que le fond du golphe répète,
augmente le trouble et l'effroi.
On court, on crie aux sentinelles,
arrête ! arrête: on fond sur moi:
mais, s'ils couraient, j'avais des ailes.
J'atteins le mur comme un éclair:
on cherche au pié; j'étais dans l'air,
sur l'échelle souple et tendue,
que ton zèle avait suspendue.
Je suis sauvé, grâce à ton cœur;
et pour payer tant de faveur,
ô douleur ! ô crime exécrable !
trompé par une aveugle erreur,
j'allais, d'une main misérable,
assassiner son bienfaiteur !
Pardonne, ami, ce crime involontaire.
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CALPIGI |
Ô mon héros ! que me dois-tu ?
Sans force, hélas ! sans caractère,
le faible Calpigi, de tous les vents battu,
serait moins que rien sur la terre,
s'il n'était pas épris de ta mâle vertu !
Ne perdons point un instant salutaire:
au serrail, la tranquillité
renaît avec l'obscurité.
(Il prend un paquet dans une touffe d'arbres.)
Sous cet habit d'un noir esclave,
cachons des guerriers le plus brave.
D'homme éloquent, deviens un vil muet.
(Il l'habille en muet.)
Que mon héros, sur-tout, jamais n'oublie
que sous ce masque, un mot est un forfait;
(Il lui met un masque noir.)
et qu'en ce lieu de jalousie,
le moindre est payé de la vie.
(Ils s'avancent vers l'appartement d'Astasie. L'arrête et recule.)
N'avançons pas ! j'apperçois la simarre,
les brodequins de l'empereur.
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TARARE |
(égaré, criant)
Atar chez elle ! Ah ! malheureux Tarare !
Rien ne retiendra ma fureur:
Brama ! Brama !
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CALPIGI |
(lui fermant la bouche)
Renferme donc ta peine !
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TARARE |
(criant plus fort)
Brama ! Brama !
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CALPIGI |
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Scène sixième |
Atar sort de chez Astasie. Tarare, Calpigi. |
<- Atar
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CALPIGI |
(crie, effrayé)
On vient; c'est le sultan.
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| (Tarare tombe la face contre terre.) | |
ATAR |
(d'un ton terrible)
Quel insolent ici ?...
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CALPIGI |
(troublé)
Un insolent !... C'est Calpigi !
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ATAR |
D'où vient cette voix déplorable ?
| |
CALPIGI |
(troublé)
Seigneur, c'est... c'est ce misérable.
Croyant entendre quelque bruit,
nous faisions la ronde de nuit.
D'une soudaine frénésie
cette brute à l'instant saisie...
Peut-être a-t-il perdu l'esprit !
Mais il pleure, il crie, il s'agite,
parle, parle, parle si vite,
qu'on n'entend rien de ce qu'il dit.
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ATAR |
(d'un ton terrible)
Il parle, ce muet ?
| |
CALPIGI |
(plus troublé)
Que dis-je !
Parler serait un beau prodige !
D'affreux sons inarticulés...
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| (Atar lui prend les bras. Tarare est sans mouvement, prosterné.) | |
ATAR |
O bizarre sort de ton maître !
Tu maudis quelquefois ton être...
je venais, les sens agités,
l'honorer de quelques bontés,
soupirer d'amour auprès d'elle.
A peine étais-je à ses côtés,
elle s'échappe, la rebelle !
Je l'arrête et saisis sa main:
tu n'as vu chez nulle mortelle
l'exemple d'un pareil dédain !
« Farouche Atar ! quelle est donc ton envie ?
« Avant de me ravir l'honneur,
« il faudra m'arracher la vie... »
Ses yeux pétillaient de fureur.
Farouche Atar !... son honneur !... la sauvage,
appelant la mort à grands cris...
Atar, enfin, a connu le mépris.
(Il tire son poignard.)
Vingt fois j'ai voulu, dans ma rage,
épargner moi-même à son bras...
allons, Calpigi, suis mes pas.
| |
CALPIGI |
(lui présente sa simarre)
Seigneur, prenez votre simarre.
| |
ATAR |
Rattache avant, mon brodequin,
sur le corps de cet africain...
(Il met son pied sur le corps de Tarare.)
Je sens que la fureur m'égare !...
(Il regarde Tarare.)
Malheureux nègre, abject et nu,
au lieu d'un reptile inconnu,
que du néant rien ne sépare,
que n'es-tu l'odieux Tarare !
Avec quel plaisir, de ce flanc,
ma main épuiserait le sang !...
Si l'insolent pouvait jamais connaître
quels dédains il vaut à son maître !...
Et c'est pour cet indigne objet;
c'est pour lui seul qu'elle me brave !...
Calpigi, je forme un projet:
coupons la tête à cet esclave;
défigure-la tout-à-fait;
porte-la de ma part toi-même.
Dis-lui qu'en mes transports jaloux,
surprenant ici son époux...
(Il tire le sabre de Calpigi.)
| |
CALPIGI |
(l'arréte et l'eloigne de son ami)
De cet horrible stratagème,
ah ! mon maître, qu'espérez-vous ?
Quand elle pourrait s'y méprendre,
en deviendrait-elle plus tendre ?
En l'inquiétant sur ses jours,
vous la ramènerez toujours.
| |
ATAR |
(furieux)
La ramener !... j'adopte une autre idée.
Elle me croit l'âme enchantée:
montrons-lui bien le peu de cas
que je fais de ses vains appas.
Cette orgueilleuse a dédaigné son maître !
Ô le plus charmant des projet !
Je punis l'audace d'un traître
qui m'enleva le cœur de mes sujets;
et j'avilis la superbe à jamais.
Calpigi ?...
| |
CALPIGI |
(troublé)
Quoi ! Seigneur !
| |
ATAR |
Jure-moi sur ton âme,
d'obéir.
| |
CALPIGI |
(plus troublé)
Oui, seigneur.
| |
ATAR |
Point de zèle indiscret;
tout à l'heure.
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CALPIGI |
(presqu'égaré)
A l'instant.
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ATAR |
Prends-mois ce vil muet;
conduis-le chez elle en secret;
apprends-lui que ma tendre flamme
la donne à ce monstre pour femme.
Dis-lui bien que j'ai fait serment
qu'elle n'aura jamais d'autre époux, d'autre amant.
Je veux que l'hymen s'accomplisse;
et si l'orgueilleuse prétend
s'y dérober, prompte justice.
Qu'à son lit à l'instant conduit,
avec elle il passe la nuit;
et qu'à tous les yeux exposée,
demain, de mon serrail elle soit la risée !
A présent, Calpigi, de moi je suis content.
Toi, par tes signes, fais que cette brute apprenne
le sort fortuné qui l'attend.
| |
CALPIGI |
(tranquilisé)
Ah ! seigneur, ce n'est pas la peine;
s'il ne parle pas, il entend.
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ATAR |
Accompagne ton maître à la garde prochaine.
(Il se retourne pour sortir.)
| Atar ->
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CALPIGI |
(en se baissant pour ramasser la simarre de l'empereur, dit tout bas à Tarare)
Qeul heureux dénoûment !
(Il suit Atar.)
| Calpigi ->
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TARARE |
(se relève à genoux)
Mais quelle horrible scène !
(Il relève son masque, qui tombe à terre loin de lui.)
Ah ! respirons.
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| (Atar revient à l'appartament d'Astasie, d'un air menaçant, et dit avec une joie féroce.) | <- Atar
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ATAR |
Je pense au plaisir que j'aurai,
superbe ! quand je te verrai
au sort d'un vieux nègre liée,
et par cent cris humiliée !
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| <- Calpigi
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(Il imite le chant trivial des esclaves.)
Saluons tous la fière Irza,
qui, regrettant une cabane,
aux vœux d'un roi se refusa:
d'un vil muet elle est sultane.
Hein ? Calpigi ?
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CALPIGI |
Ah ! quel plaisir mon maître aura !
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ATAR |
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CALPIGI |
Quand le serrail retentira...
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ATAR, CALPIGI |
Saluons tous la fière Irza,
qui, regrettant une cabane,
aux vœux d'un roi se refusa:
d'un vil muet elle est sultane.
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| (Le même jeu de scène continue; il sortent.) | Atar, Calpigi ->
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Scène septième |
Tarare seul, levant les mains au ciel. |
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Dieu tout-puissant ! tu ne trompas jamais
l'infortuné qui croit à tes bienfaits.
(Il remet son masque, et suit de loin l'empereur.)
| Tarare ->
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