Acte deuxième

 

Scène première

Le thèâtre représente la place publique. Le palais d'Atar est sur le côté; le temple de Brama, dans le fond. Atar sort de son palais avec toute sa suite. Urson sort du temple, suivi d'Arthenée en habits pontificaux.
Urson, Atar.

 Q 

<- Atar, Suite, Urson

 

URSON

Seigneur, le grand-prêtre Arthénée  

demande un entretien secret.

ATAR
(à sa suite)

Eloignez-vous... Qu'il vienne. Urson, que nul sujet,

dans cette agréable journée,

d'un seul refus d'Atar n'emporte le regret.

 

Scène deuxième

Arthénée, Atar. Tout le monde s'eloigne du roi.

<- Arthénée

 

ARTHÉNÉE

(s'avance)  

Les sauvages d'un autre monde,

menacent d'envahir ces lieux;

au loin déjà la foudre gronde;

ton peuple superstitieux,

pressé comme les flots, inonde

le parvis sacré de nos dieux.

ATAR

De vils brigands une poignée,

sortant d'une terre éloignée,

pourrait-elle envahir ces lieux ?

Pontife, votre âme étonnée...

cependant, parlez, Arthénée,

que dit l'interprète des dieux ?

 

ARTHÉNÉE

(vivement)  

Qu'il faut combattre,

qu'il faut abattre

un ennemi présomptueux:

le sol aride

de la torride

a soif de sang odieux.

Par des mesures

promptes et sûres,

que l'armée ait un commandant,

vaillant, fidèle,

rempli de zèle:

mais sur ce devoir important,

que le caprice

de ta milice

ne règle point le choix d'Atar:

que le murmure,

comme une injure,

soit puni d'un coup de poignard.

 

ATAR

Apprends-moi donc, ô chef des Brames !  

ce qu'Atar doit penser de toi.

Ardent zélateur de la foi

du passage éternel des âmes !

Le plus vil animal est nourri de ta main;

tu craindrais d'en purger la terre !

et cependant, tu brûles, dans la guerre,

de voir couler des flots de sang humain !

 

ARTHÉNÉE

Ah ! d'une antique absurdité,  

laissons à l'indou les chimères.

Brame et Soudan doivent en frères

soutenir leur autorité.

Tant qu'ils s'accordent bien ensemble,

que l'esclave ainsi garrotté,

souffre, obéit, et croit, et tremble,

le pouvoir est en sûreté.

 

ATAR

Dans ta politique nouvelle,  

comment mes intérêts sont-ils unis aux tiens ?

ARTHÉNÉE

Ah ! si ta couronne chancelle,

mon temple, à moi, tombe avec elle.

Atar, ces farouches chrétiens

auront des dieux jaloux des miens:

ainsi qu'au trône, tout partage,

en fait de culte, est un outrage.

Pour les dompter, fais que nos Indiens

pensent que le ciel même a conduit nos mesures:

le nom du chef dont nous serons d'accord,

je l'insinue aux enfants des augures.

Qui veux tu nommer ?

ATAR

Altamort.

ARTHÉNÉE

Mon fils !

ATAR

J'acquitte un grand service.

ARTHÉNÉE

Que devient Tarare ?

ATAR

Il est mort.

ARTHÉNÉE

Il est mort !

ATAR

Oui, demain, j'ordonne qu'il périsse.

ARTHÉNÉE

Juste ciel ! crains, Atar...

ATAR

Quoi craindre ? mes remords ?

 

ARTHÉNÉE

Crains de payer de ta couronne,  

un attentat sur sa personne.

Ses soldats seraient les plus forts.

Si, sur un prétexte frivole,

tu les prives de leur idole,

cette milice, en sa fureur,

peut, oubliant ton rang et ta naissance...

ATAR

J'ai tout prévu; Tarare, dans l'erreur,

court à sa perte en cherchant la vengeance.

Qu'une grande solennité

rassemble ce peuple agité;

de ses cris et de ses murmures

montre-lui le ciel irrité.

Prépare ensuite les augures;

et par d'utiles impostures

consacrons notre autorité.

(Il sort.)

Atar, Urson, Suite ->

 

Scène troisième

Arthénée seul.

 

Ô politique consommée !    

Je tiens le secret de l'état;

je fais mon fils chef de l'armée;

a mon temple je rend l'éclat,

aux augures leur renommée.

Pontifes, pontifes adroits !

Remuez le cœur de vos rois.

Quand les rois craignent,

les Brames règnent;

la tiare agrandit ses droits.

Eh ! qui sait si mon fils, un jour maître du monde...

(Il voit arriver Tarare; il rentre dans le temple.)

S

Sfondo schermo () ()

Arthénée ->

 

Scène quatrième

Tarare seul (il rêve).

<- Tarare

 

De quel nouveau malheur suis-je encore menacé ?    

Ô Brama ! tire-moi de cette nuit profonde.

S

 

 

Ce matin, quand j'ai prononcé:  

qu'à son amour Irza réponde;

un signe effrayant m'a glacé...

De quel nouveau malheur suis-je encore menacé ?

Ô Brama ! tire-moi de cette nuit profonde.

 

Scène cinquième

Calpigi, Tarare.

<- Calpigi

 

CALPIGI

(déguisé, couvert d'une cape, l'ouvre)  

Tarare ! connais-moi.

TARARE

Calpigi !

CALPIGI

(vivement)

Mon héros !

Je te dois mon bonheur, ma fortune, ma vie.

Que ne puis-je à mon tour te rendre le repos !

Cette belle et tendre Astasie

que tu vas chercher au hasard

sur le vaste océan d'Asie,

elle est dans le serrail d'Atar,

sous le faux nom d'Irza...

TARARE

Qui l'a ravie ?

CALPIGI

C'est Altamort.

TARARE

Ô lâche perfidie !

CALPIGI

Le golfe où nos plongeurs vont chercher le corail,

baigne les jardins du serrail:

si, dans la nuit, ton courage inflexible

ose de cette route affronter le danger,

de soie une échelle invisible,

tendue à l'angle du verger...

TARARE

Ami généreux, secourable...

CALPIGI

Le temple s'ouvre, adieu.

(Il s'enveloppe et s'enfuit.)

Calpigi ->

 

Scène sixième

Tarare seul.

 

J'irai:  

oui, j'oserai:

pour la revoir je franchirai

cette barrière impénétrable.

De ton repaire, affreux vautour !

J'irai l'arracher morte ou vive;

et si je succombe au retour,

ne me plains pas, tyran, quoiqu'il m'arrive:

celui qui te sauva le jour

a bien mérité qu'on l'en prive !

Tarare ->

 
 

Scène septième

Le fond du thèâtre qui représentait le portail du temple de Brama, se retire, et laisse voir l'interieur du temple, qui se forme jusqu'au-devant du thèâtre.
Arthénée, Les Prêtres de Brama, Elamir et les autres enfants des augures.

 Q 

<- Arthénée, Les Prêtres de Brama, Un prêtre, Elamir, Enfants des augures

 

ARTHÉNÉE
(aux Prêtres)

Sur un choix important le ciel est consulté.  

Vous, préparez l'autel; vous, nos saintes armures;

vous, choisissez parmi les enfants des augures,

celui pour qui Brama s'est plus manifesté,

en le douant d'un cœur plein de simplicité.

UN PRÊTRE

C'est le jeune Elamir. Il vient à vous.

ELAMIR

(accourant)

Mon père !

ARTHÉNÉE

(s'assied)

Approchez-vous, mon fils; un grand jour vous éclaire.

Croyez-vous que Brama vous parle par ma voix,

et qu'il parle à moi seul ?

ELAMIR

Mon père, oui, je le crois.

ARTHÉNÉE

(sévèrement)

Le Ciel choisit par vous un vengeur à l'empire:

ne dites rien, mon fils, que ce qu'il vous inspire.

(d'un ton caressant)

Ah ! s'il vous inspirait de nommer Altamort !

L'état serait vainqueur, il vous devrait son sort !

ELAMIR

(les mains croiséès sur sa poitrine)

Je l'en supplierai tant, mon père,

qu'il me l'inspirera, j'espère.

ARTHÉNÉE

Moi je l'espère aussi: priez-le avec transport.

(Elamir se prosterne.)
 

Ainsi qu'une abeille,  

qu'un beau jour éveille,

de la fleur vermeille

attire le miel;

un enfant fidèle,

quand Brama l'appelle,

s'il prie avec zèle,

obtient tout du ciel.

(Il relève l'enfant.)

 

 

Tout le peuple, mon fils, sous nos voûtes arrive.  

Avant de nommer son vengeur,

vous le ferez rougir de sa vaine terreur.

Il croit les chrétiens sur la rive;

assurez-le qu'ils sont bien loin;

et du reste, mon fils, Brama prendra soin.

 

Scène huitième

Atar, Altamort, Tarare, Urson, Arthénée, Elamir, Prètres, Enfants, Visirs, Emirs, Suite, Peuple, Saldats, Esclaves.

<- Atar, Altamort, Tarare, Urson, Visirs, Emirs, Suite, Peuple, Soldats, Esclaves

 
Grande marche.
 

ARTHÉNÉE

(majestueusement)  

Prêtres du grand Brama ! roi du Golfe Persique !

Grands de l'empire ! peuple inondant le portique !

La nation, l'armée attend un général.

 

CHŒUR UNIVERSEL

Pour nous préserver d'un grand mal,  

que le choix de Brama s'explique !

 

ARTHÉNÉE

Vous promettez tous d'obéir  

au chef que Brama va choisir ?

 

CHŒUR UNIVERSEL

Nous le jurons sur cet autel antique.

 

ARTHÉNÉE

(d'un ton inspiré)  

Dieu sublime dans le repos,

magnifique dans la tempête,

soit que ton souffle élève aux cieux les flots,

soit que ton regard les arrête;

permets que le nom d'un héros,

sortant d'une bouche innocente,

devienne cher à ses rivaux;

et porte à l'ennemi le trouble et l'épouvante !

(à Elamir.)

Et vous, enfant, par le ciel inspiré !

nommez, nommez sans crainte un héros préféré

(On élève Elamir sur des pavois.)

ELAMIR

(avec enthusiasme)

Peuple que la terreur égare,

qui vous fait redouter ces sauvages chrétiens ?

L'état manque-t-il de soutiens ?

Comptez, aux pieds du roi, vos défenseurs, Tarare...

 

CHŒUR

(subit du peuple e des soldats)  

Tarare ! Tarare ! Tarare !

Ah ! pour nous Brama se déclare:

l'enfant vient de nommer Tarare.

Tarare ! Tarare ! Tarare !

 

ALTAMORT

(en colère)  

Arrêtez ce fougueux transport !

ARTHÉNÉE

Peuple, c'est une erreur !

(à Elamir)

Mon fils, que dieu vous touche !

ELAMIR

Le ciel m'inspirait Altamort;

Tarare est sorti de ma bouche.

 

DEUX CORYPHÉES DE SOLDATS

Par l'enfant, Tarare indiqué,  

n'est point un hasard sans mystère.

Plus son choix est involontaire,

plus le vœu du ciel est marqué.

Oui, pour nous Brama se déclare;

l'enfant vient de nommer Tarare.

CHŒUR DU PEUPLE ET DES SOLDATS

Tarare ! Tarare ! Tarare !

 
(On redescend Elamir.)

ATAR

(se lève)  

Tarare est retenu par un premier serment:

son grand cœur s'est lié d'avance

a suivre une juste vengeance.

TARARE

(la main sur sa poitrine)

Seigneur, je remplirai le double engagement

de la vengeance et du commandement.

 

(au peuple)

Qui veut la gloire,  

a la victoire

vole avec moi.

TOUS

C'est moi, c'est moi.

TARARE

Sujets, esclaves,

que les plus braves

donnent leur foi.

TOUS

C'est moi, c'est moi.

TARARE

Ni paix, ni trêve,

l'horreur du glaive

fera la loi.

TOUS

C'est moi, c'est moi.

TARARE

Qui veut la gloire,

a la victoire

vole avec moi.

TOUS

C'est moi, c'est moi.

 

ATAR
(à part)

Je ne puis soutenir la clameur importune;  

d'un peuple entier sourd à ma voix.

(Il veut descendre.)

ALTAMORT

(l'arrête)

Ce choix est une injure à tous tes chefs commune;

il attaque nos premiers droits.

L'arrogant soldat de fortune

doit-il aux grands dicter des lois ?

 

TARARE

(fièrement)  

Apprends, fils orgueilleux des prêtres !

qu'élevé parmi les soldats,

Tarare avait, au lieu d'ancêtres,

déjà vaincu dans cent combats;

(avec un grand dédain.)

qu'Altamort enfant, dans la plaine,

poursuivait les fleurs des chardons,

que les zéphyrs, de leur haleine,

font voler au sommet des monts.

 

ALTAMORT

(la main au sabre)  

Sans le respect d'Atar, vil objet de ma haine...

TARARE

(bien dédaigneux)

Du destin de l'état tu prétends décider !

Fougueux adolescent, qui veux nous commander !

pour titre ici n'as-tu que des injures ?

quels ennemis t'a-t-on vu terrasser ?

quels torrents osas-tu passer ?

où son tes exploits, tes blessures ?

ALTAMORT

(en fureur)

Toi, qui de ce haut rang brûles de t'approcher,

apprends que sur mon corps il te faudra marcher.

(Il tire son sabre.)

ARTHÉNÉE

(troublé)

Ô désespoir ! ô frénésie !

Mon fils !...

ALTAMORT

(plus furieux)

A ce brigand j'arracherai la vie.

TARARE

(froidement)

Calme ta fureur, Altamort.

Ce sombre feu, quand il s'allume,

détruit les forces, nous consume:

le guerrier, en colère, est mort.

(Il tire son sabre)

ARTHÉNÉE

(s'écrie)

Le temple de nos dieux est-il donc une arène ?

ATAR

(se lève)

Arrêtez.

TARARE

J'obéis...

(à Altamort, lui prenent la main.)

Toi, ce soir, à la plaine.

(à Calpigi, à part, pendant qu'Atar descend de son trône)

Et toi, fidèle ami, sans fanal et sans bruit,

au verger du serrail attends-moi cette nuit.

 
Atar lui remet le bâton de commandement, au bruit d'une fanfare.
 
Grande Marche pour sortir.

CHŒUR GÉNÉRAL
(sur le chant de la marche)

Brama ! si la vertu t'es chère,  

si la voix du peuple est ta voix,

par des succès soutiens le choix

que le peuple entier vient de faire !

Que sur tes pas

tous nos soldats

marchent d'une audace plus fière !

Que l'ennemi, triste, abattu,

par son aspect déjà vaincu,

sous nos coups morde la poussière !

Atar, Arthénée, Les Prêtres de Brama, Un prêtre, Enfants des augures, Altamort, Elamir, Tarare, Urson, Visirs, Emirs, Suite, Peuple, Soldats, Esclaves ->

 

Fin (Acte deuxième)

Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

Place publique. Le palais d'Atar est sur le côté; le temple de Brama, dans le fond.

<- Atar, Suite, Urson

Seigneur, le grand-prêtre Arthénée

Atar, Suite, Urson
<- Arthénée

Les sauvages d'un autre monde

Apprends-moi donc, ô chef des Brames!

Dans ta politique nouvelle

Arthénée
Atar, Urson, Suite ->
Arthénée ->
<- Tarare

Ce matin, quand j'ai prononcé

Tarare
<- Calpigi

Tarare! connais-moi. / Calpigi! / Mon héros!

Tarare
Calpigi ->
Tarare ->

(Le fond du thèâtre qui représentait le portail du temple de Brama, se retire.)

L'interieur du temple de Brama.

<- Arthénée, Les Prêtres de Brama, Un prêtre, Elamir, Enfants des augures

Sur un choix important le ciel est consulté

Tout le peuple, mon fils, sous nos voûtes arrive

Arthénée, Les Prêtres de Brama, Un prêtre, Elamir, Enfants des augures
<- Atar, Altamort, Tarare, Urson, Visirs, Emirs, Suite, Peuple, Soldats, Esclaves

Prêtres du grand Brama! roi du Golfe Persique!

Vous promettez tous d'obéir

 

Dieu sublime dans le repos

Arrêtez ce fougueux transport!

Tarare est retenu par un premier serment

Tarare, Tous
Qui veut la gloir

Je ne puis soutenir la clameur importune

Sans le respect d'Atar, vil objet de ma haine...

Atar, Arthénée, Les Prêtres de Brama, Un prêtre, Enfants des augures, Altamort, Elamir, Tarare, Urson, Visirs, Emirs, Suite, Peuple, Soldats, Esclaves ->
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième
Nuages qui roulent, se déchirent, et laissent voir les Vents déchainés Une campagne superbe. Une salle du palais d'Atar. Place publique. Le palais d'Atar est sur le côté; le temple de Brama, dans le fond. L'interieur du temple de Brama. Les jardins du serrail; l'appartament d'Irza est aà droite; à gauche, et sur le devant, est un grand sopha... L'intérieur de l'appartament d'Astasie. C'est un sallon superbe, garni de sophas et autres meubles orientaux. Une cour intérieur du palais d'Atar. Au milieu est un bûcher; au pied du bûcher, un billot, des chaînes, des...
Prologue Acte premier Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

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