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Scène première |
Le thèâtre représente l'intérieur de l'appartament d'Astasie. C'est un sallon superbe, garni de sophas et autres meubles orientaux. Astasie, Spinette. |
Q
Spinette
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| (Astasie entre, en grand désordre.) | <- Astasie
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ASTASIE |
Spinette, comment fuir de cette horrible enceinte ?
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SPINETTE |
Calmez le désespoir dont votre âme est atteinte.
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ASTASIE |
(égarée, les bras élevés)
Ô mort ! termine mes douleurs;
le crime se prépare.
Arrache au plus grand des malheurs,
l'épouse de Tarare.
Il semblait que je pressentais
leur entreprise infâme !
Quand il partit, je répétais,
hélas ! l'effroi dans l'âme !
Cruel ! pour qui j'ai tant souffert,
c'est trop que ton absence
laisse Astasie en un désert,
sans joie et sans défense !
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L'imprudent n'a pas écouté
sa compagne éplorée:
aux mains d'un brigand détesté
des brigands l'ont livrée,
ô mort ! termine mes douleurs:
le crime se prépare.
Arrache au plus grand des malheurs,
l'épouse de Tarare.
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SPINETTE |
Un grand roi vous invite à faire son bonheur.
L'amour met à vos pieds le maître de la terre.
Que de beautés ici brigueraient cet honneur !
Loin de s'en alarmer, on peut en être fière.
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ASTASIE |
(pleurant)
Ah ! vous n'avez pas eu Tarare pour amant !
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SPINETTE |
Je ne le connais point; j'aime sa renommée;
mais, pour lui, comme vous, si j'étais enflammée,
avec le dur Atar je feindrais un moment;
et j'instruirais mon époux au moins de ma souffrance.
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ASTASIE |
A la plus légère espérance
le cœur de malheureux s'ouvre facilement.
J'aime ton noble attachement:
hé bien ! fais-lui savoir qu'en cette enceinte horrible...
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SPINETTE |
Cachez vos pleurs, s'il est possible.
Des secrets plaisirs du sultan
je vois le ministre insolent.
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| (Astasie essuie ses yeux, et se remet de son mieux.) | |
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Scène deuxième |
Calpigi, Spinette, Astasie. |
<- Calpigi
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CALPIGI |
(d'un ton dur)
Belle Irza, l'empereur ordonne
qu'en ce moment vous receviez la foi
d'un nouvel époux qu'il vous donne.
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ASTASIE |
Un époux ! un époux à moi ?
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SPINETTE |
(le contrefait)
Commandant d'un corps ridicule !
Abrège-nous ton grave préambule.
Ce nouvel époux, quel est-il ?
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CALPIGI |
C'est du serrail le muet le plus vil.
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ASTASIE |
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SPINETTE |
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ASTASIE |
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CALPIGI |
L'ordre est que chacun se retire.
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SPINETTE |
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CALPIGI |
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SPINETTE |
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CALPIGI |
Vous; vous, Spinette; il y va des jours
de qui troublerait leurs amours.
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ASTASIE |
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SPINETTE |
(raillant)
Dis à ton maître
que le grand-prêtre
sera sans doute assez surpris,
qu'à la pluralité des femmes,
on ose ajouter, chez les Brames,
la pluralité des maris.
| (♦)
(♦)
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CALPIGI |
(ironiquement)
Votre conseil au roi paraîtra d'un grand prix.
J'en ferai votre cour.
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SPINETTE |
(du même ton)
Vous l'oublierez peut-être ?
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CALPIGI |
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SPINETTE |
Vous le rendrez mieux, l'ayant deux fois appris.
(elle répete:)
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|
Dis à ton maître,
que le grand-prêtre
sera sans doute assez surpris,
qu'à la pluralité des femmes,
on ose ajouter, chez les Brames,
la pluralité des maris.
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| (Calpigi sort.) | Calpigi ->
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Scène troisième |
Astasie, Spinette. |
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ASTASIE |
(au désespoir)
Ô ma compagne ! ô mon amie !
Sauve-moi de cette infamie.
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SPINETTE |
Hé ! comment vous prouver ma foi ?
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ASTASIE |
Prends mes diamants, ma parure:
je te les donne, ils sont à toi.
(Elle le détache.)
Ah ! dans cette horrible aventure,
sois Irza, représente-moi;
tu le réprimeras sans peine.
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SPINETTE |
Si c'est Calpigi qui l'amène,
madame, il me reconnaîtra.
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ASTASIE |
(ôte son manteau royal)
Ce long manteau te couvrira.
Souviens-toi de Tarare, et nomme-le sans cesse;
son nom seul te garantira.
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SPINETTE
(pendant qu'on l'habille)
Je partage votre détresse.
Hélas ! que ne ferais-je pas,
pour sauver d'un dangereux pas,
mon incomparable maîtresse !
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| (Astasie sort.) | Astasie ->
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Scène quatrième |
Spinette seule. |
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Spinette, allons, point de faiblesse !
Le roi dans peu te sera gré,
d'avoir adroitement paré
le coup qu'il porte à sa maîtresse.
(Elle s'assied sur un sopha.)
Surcroît d'honneur et de richesse !
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Scène cinquième |
Calpigi, Tarare en muet, Spinette assise, voilée, son mouchoir sur les yeux. |
<- Calpigi, Tarare
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CALPIGI |
(à Tarare d'un ton sévère)
Cette femme est à toi, muet !
(Il sort.)
| Calpigi ->
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Scène sixième |
Tarare, Spinette. |
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SPINETTE |
(à part, voilée)
Comme il est laid !...
Cependant il n'est point mal fait.
(Tarare se met à genoux à six pas d'elle.)
Il se prosterne ! il n'a point l'air farouche
des autres monstres de ces lieux.
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Muet, votre aspect me touche;
je lis votre amour dans vos yeux:
un tendre aveu de votre bouche,
ne pourrait me l'exprimer mieux.
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TARARE |
(à part, se relevant)
Grand dieux ! ce n'est point Astasie,
et mon cœur allait s'exhaler !
De m'être abstenu de parler,
ô Brama ! je te remercie.
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SPINETTE |
(à part)
On croirait qu'il se parle bas.
Chaque animal a son langage.
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| (Elle se dévoile; Tarare la regarde.) | |
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De loin, je le veux bien, contemplez mes appas.
Je voudrais pouvoir davantage;
mais un monarque, un calife, un sultan,
le plus parfait, comme le plus puissant,
ne peut rien sur mon cœur, il est tout à Tarare.
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TARARE |
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SPINETTE |
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TARARE |
Ô transport qui m'égare !
etonnement trop indiscret !
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SPINETTE |
Un mot a trahi ton secret !
Tu n'es pas muet ? téméraire !
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| (Elle lui enléve son masque.) | |
TARARE |
(à ses pieds)
Madame, hélas ! calmez une juste colère !
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SPINETTE |
(d'un ton plus doux)
Imprudent ! quel espoir a pu te faire oser...
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TARARE |
(timidement)
Ah ! c'est en m'accusant, que je dois m'excuser.
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Etranger dans Ormus, hier on me vint dire
que le maître de cet empire
donnait à son amante une fête au serrail...
J'ai cru, sous ce vile attirail...
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SPINETTE |
(légèrement)
Ami, ton courage m'éclaire.
Si Tarare aimait à me plaire,
il eût tout bravé comme toi.
J'oublierai qu'il obtint ma foi:
c'en est fait, mon cœur te préfère;
tu seras Tarare pour moi.
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TARARE |
(troublé)
Quoi ! Tarare obtint votre foi !
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SPINETTE |
C'en est fait, mon cœur te préfère.
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TARARE |
C'est moi que votre cœur préfère ?
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SPINETTE |
Tu seras Tarare pour moi.
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TARARE |
Est-ce un songe ! ô Brama, veillé-je ?
tout ce que j'entends me confond.
Atar, toi que la haine assiège,
m'as-tu conduit de piège en piège
dans un abîme aussi profond !
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SPINETTE |
Ce n'est point un piège; non, non:
de son pardon
je te répond.
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| (Elle voit entrer des soldats.) | <- Urson, Soldats, Calpigi, Eunuques
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Ciel ! on vient l'arrêter !
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TARARE |
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| (Elle se voile, et rentre précipitament.) | Spinette ->
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Scène septième |
Tarare démasqué, Urson, Soldats armés de massues, Calpigi, Eunuques entrent de l'autre côté. |
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URSON |
Marchez, soldats,
doublez le pas.
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CALPIGI |
Quoi ! des soldats !
n'avancez pas.
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URSON |
(aux soldats)
Suivez l'ordre que je vous donne.
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CALPIGI |
(aux eunuques)
Ne laissez avancer personne.
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CHŒUR DE SOLDATS |
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CHŒUR D'EUNUQUES |
N'avancez pas.
Pour tous cette enceinte est sacrée.
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CHŒUR DE SOLDATS |
Notre ordre est d'en forcer l'entrée.
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CALPIGI |
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URSON |
Le sultan agité,
sur l'effet d'un courroux qu'il a trop écouté,
veut que l'affreux muet soit massolé, jeté
dans la mer, et pour sépulture,
y serve aux monstres de pâture.
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CALPIGI |
Le voici: de sa mort, Urson, je prend le soin.
Les jardins du serrail sont commis à ma garde;
mes eunuques sont prêts.
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URSON |
Pour que rien ne retarde,
son ordre est que j'en sois témoin.
Marchez soldats, qu'on s'en empare.
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| (Les soldats lèvent la massue.) | |
CALPIGI |
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URSON |
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CALPIGI |
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URSON |
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| (Les Soldats et les Eunuques reculent par respect.) | |
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CHŒUR DE SOLDATS ET D'EUNUQUES |
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CALPIGI |
Un tel coupable, Urson, devient trop important,
pour qu'on l'ose frapper sans l'ordre du sultan.
(A Tarare, à part.)
En suspendant leurs coups, je te sauve peut-être.
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URSON |
(avec douleur)
Tarare infortuné ! qui peut le désarmer ?
Nos larmes contre toi vont encore l'animer !
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CHŒUR |
Tarare infortuné ! qui peut le désarmer ?
Nos larmes, contre toi, vont encore l'animer !
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TARARE |
Ne plaignez point mon sort, respectez votre maître;
puissiez-vous un jour l'estimer !
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| (On emmene Tarare.) | Soldats, Tarare, Eunuques ->
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URSON |
(bas à Calpigi)
Calpigi, songe à toi; la foudre est sur deux têtes.
(Il sort.)
| Urson ->
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Scène huitième |
Calpigi seul, d'un ton décidé. |
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CALPIGI |
Sur deux têtes la foudre, et l'on m'ose nommer !
Elle en menace trois, Atar, et ces tempêtes,
que ta haine alluma, pourront te consumer.
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Vas ! l'abus du pouvoir suprême,
finit toujours par l'ébranler:
le méchant, qui fait tout trembler,
est bien près de trembler lui-même.
Cette nuit, despote inhumain,
Tarare excitait ta furie;
ta haine menaçait sa vie,
quand la tienne était dans sa main !
Vas ! l'abus du pouvoir suprême
finit toujours par l'ébranler:
le méchant qui fait tout trembler
est bien près de trembler lui-même.
(Il sort.)
| Calpigi ->
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