| |
| Nouvelle ouverture, d'un genre absolument différent de la première. | |
|
|
Scène première |
Les nuages qui couvrent le thèâtre s'élèvent; on voit une salle du palais d'Atar. Atar, Calpigi. |
Q
<- Atar, Calpigi
|
| |
ATAR |
(en entrant, violemment)
Laisse-moi, Calpigi !
| |
CALPIGI |
La fureur vous égare.
Mon maître ! ô roi d'Ormus ! grâce, grâce à Tarare !
| |
ATAR |
Tarare ! encor Tarare ! Un nom abject et bas,
pour ton organe impur, a donc bien des appas !
| |
CALPIGI |
Quand sa troupe nous prit, au fond d'un antre sombre,
je défendais mes jours contre ces inhumains,
blessé, prêt à périr, accablé par le nombre;
cet homme généreux m'arracha de leurs mains.
Je lui dois d'être à vous, seigneur, faites-lui grâce.
| |
ATAR |
Qui, moi, je souffrirai qu'un soldat eût l'audace
d'être toujours heureux, quand son roi ne l'est pas !
| |
CALPIGI |
A travers le torrent d'Arsace,
il vous a sauvé du trépas;
et vous l'avez nommé chef de votre milice.
| |
ATAR |
Ah ! combien je l'ai regretté !
Son orgueilleuse humilité,
le respect d'un peuple hébété,
son air, jusqu'à son nom... Cet homme est mon supplice.
Où trouve-t-il, dis-moi, cette félicité ?
Est-ce dans le travail, ou dans la pauvreté ?
| |
CALPIGI |
Dans son devoir. Il sert avec simplicité
le ciel, les malheureux, la patrie et son maître.
| |
ATAR |
Lui ? c'est un humble fastueux,
dont l'orgueil est de le paraître:
l'honneur d'être cru vertueux
lui tient lieu du bonheur de l'être:
il n'a jamais trompé mes yeux.
| |
CALPIGI |
Vous tromper, lui, Tarare !
| |
ATAR |
Ici la loi des Brames,
permet à tous un grand nombre de femmes;
il n'en a qu'une, et s'en croit plus heureux,
mais nous l'aurons cet objet de ses vœux;
en la perdant il gémira peut-être.
| |
CALPIGI |
| |
ATAR |
Tant mieux. Oui, le fils du grand-prêtre,
Altamort a reçu mon ordre cette nuit.
Il vole à la rive opposée,
avec sa troupe déguisée:
en son absence il va dévaster son réduit.
Il ravira sur-tout son Astasie,
ce miracle, dit-on, des beautés de l'Asie.
| |
CALPIGI |
Eh ! quel est donc son crime, hélas !
| |
ATAR |
D'être heureux, Calpigi, quand son roi ne l'est pas,
de faire partout ses conquêtes
des cœurs que j'avais autrefois...
| |
CALPIGI |
Ah ! pour tourner toutes les têtes,
il faut si peu de choses aux rois !
| |
ATAR |
D'avoir, par un manège habile,
entraîné le peuple imbécile.
| |
CALPIGI |
Il est vrai, son nom adoré,
dans la bouche de tout le monde,
est un proverbe révéré.
Parle-t-on des fureurs de l'onde,
ou du fléau le plus fatal;
Tarare ! est l'écho général:
comme si ce nom secourable
eloignait, rendait incroyable
le mal, hélas ! le plus certain...
| |
ATAR |
(en colère)
Finiras-tu, méprisable chrétien ?
Eunuque vil et détestable;
la mort devrait...
| |
CALPIGI |
La mort, la mort, toujours la mort !
Ce mot éternel me désole:
terminez une fois mon sort;
et puis cherchez qui vous console
du triste ennui de la satiété,
de l'oisiveté,
de la royauté.
(Il s'eloigne.)
| |
ATAR |
(furieux)
Je punirai cet excès d'arrogance.
| |
|
|
Scène deuxième |
Les précédents, Altamort. |
<- Altamort
|
| |
ATAR |
Mais qu'annonce Altamort, à mon impatience ?
| |
ALTAMORT |
Mon maître est obéi; tout est fait, rien n'est su.
| |
ATAR |
| |
ALTAMORT |
Est à toi, sans qu'on m'ait apperçu,
sans qu'elle ait deviné qui la veut, qui l'enlève.
| |
ATAR |
Au rang de mes vizirs, Altamort, je t'élève.
(à Calpigi)
Pour la bien recevoir sont-ils tous préparés ?
Le serrail est-il prêt, les jardins décorés,
Calpigi ?
| |
CALPIGI |
| |
ATAR |
Qu'une superbe fête,
demain, de ma grandeur enivre ma conquête.
| |
CALPIGI |
Demain ? Le terme est court.
| |
ATAR |
| |
CALPIGI |
| |
ATAR |
J'ai parlé: tu m'entends ? S'il manque quelque chose...
| |
CALPIGI |
Manquer ! chacun sait trop à quel mal il s'expose.
| |
|
|
Scène troisième |
Tous les acteurs précédents, Spinette, Odalisques, Esclaves du serrail des deux sexes. Tout le serrail entre et se range en haie; quatre esclaves noir portent Astasie couverte d'un grand voile noir, de la tête aux pieds. |
<- Spinette, Odalisques, Esclaves, Un esclave, Esclaves noirs, Astasie
|
| |
|
CHŒUR D'ESCLAVES DU SERRAIL
(On dance pendant le chœur.)
Dans les plus beaux lieux de l'Asie,
avec la suprême grandeur,
l'amour met aux pieds d'Astasie,
tout ce qui donne le bonheur.
Ce n'est point dans l'humble retraite,
qu'un cœur généreux le ressent;
et la beauté la plus parfaite,
doit régner sur le plus puissant.
| |
| |
ATAR |
(On la dévoile.)
Que tout s'abaisse devant elle.
| |
| |
ASTASIE |
(On se prosterne.)
O sort affreux, dont l'horreur me poursuit !
Du sein d'une profonde nuit,
quelle clarté triste et nouvelle...
Où suis-je ? Tout mon corps chancelle.
| |
SPINETTE |
| |
ATAR |
Calpigi, qu'elle est belle !
| |
ASTASIE |
(se levant)
Dans le palais d'Atar ! Ah ! quelle indignité !
| |
ATAR |
(s'approche)
D'Atar qui vous adore.
| |
ASTASIE |
Et c'est la récompense,
ô mon époux, de ta fidélité !
| |
ATAR |
Mes bienfaits laveront cette légère offense.
| |
ASTASIE |
Quoi, cruel ! par cet attentat,
vous payez la foi d'un soldat
qui vous a conservé la vie !
Vous lui ravissez Astasie !
(Levant les mains au ciel.)
Grand Dieu ! ton pouvoir infini,
laissera-t-il donc impuni
ce crime atroce d'un parjure,
et la plus odieuse injure !
Ô Brama ! Dieu vengeur !...
| |
| (Elle s'évanouit. Des femmes la soutiennent. On l'assied.) | |
CALPIGI |
Quel effrayant transport !
| |
UN ESCLAVE |
(accourant)
Le voile de la mort a couvert sa paupière.
| |
ATAR |
Quoi ! malheureux ! tu m'annonces sa mort !
Meurs, toi-même.
(Il le poignard. Courant vers Astasie.)
Et vous tous, rendez à la lumière
l'objet de mon funeste amour.
A sa douleur tremblez qu'il ne succombe;
répondez-moi de son retour,
ou je lui fais de tous une horrible hécatombe.
| |
| (Revenant à elle apperçoit l'esclave renversè, qu'on enlève.) | |
ASTASIE |
Dieux ! quel spectacle a glacé mes esprits !
| |
| |
|
ATAR
Je suis heureux, vous êtes ranimée.
Un lâche esclave par ses cris,
m'alarmait sur ma bien-aimée;
de son vil sang la terre est arrosée:
un coup de poignard est le prix
de la frayeur qu'il m'a causée.
| (♦)
(♦)
|
| |
ASTASIE |
(joignant les maines)
Ô Tarare ! ô Brama ! Brama !
| |
| (Elle retombe, on l'assied.) | |
ATAR |
Dans le serrail qu'on la transporte:
que cent eunuques, à sa porte,
attendent les ordres d'Irza.
| |
| (Le nom d'Irza signifie: « La plus belle fleur des plus belles fleurs ècloses aux premiers soleils du primtems de l'Orient de l'Asie ». Tant les langues orientales ont d'avantages sur les nôtres. Lisez les Mille et une nuit, et tous le contes arabes.) | |
| |
|
C'est le doux nom qu'à ma belle j'impose;
c'est mon Irza, plus fraîche que la rose
que je tenais lorqu'elle m'embrasa.
| |
| |
| (Les esclaves noirs portent Astasie dans le serrail; tous la suivent.) | Odalisques, Astasie, Esclaves noirs, Esclaves, Un esclave ->
|
|
|
Scène quatrième |
Atar, Calpigi, Altamort, Spinette. |
|
| |
CALPIGI |
Qui voulez-vous, Seigneur, auprès d'elle qu'on mette ?
| |
ATAR |
| |
CALPIGI |
| |
ATAR |
| |
CALPIGI |
En effet, nulle ici ne sait mieux
comment il faut réduire un cœur né scrupuleux.
| |
| |
|
SPINETTE
Oui, Seigneur, je veux la réduire,
vous livrer son cœur, et l'instruire
du respect, du retour qu'elle doit à vos feux.
(Montrant Calpigi.)
Et... si ce grand succès consterne
le chef... puissant qui nous gouverne,
mon maître apprécîra le zèle de tous deux.
| |
| |
ATAR |
Je l'enchaîne à tes pieds, si tu remplis mes vœux.
| |
| |
| (Spinette et Calpigi sortent en se menaçant.) | Spinette, Calpigi ->
|
|
|
Scène cinquième |
Urson, Atar, Altamort, Esclaves. |
<- Urson, Esclaves
|
| |
URSON |
Seigneur, c'est ce guerrier, du peuple la merveille...
| |
ATAR |
Garde-toi que son nom offense mon oreille !
| |
URSON |
Il pleure; autour de lui tout le peuple empressé
dit tout haut, qu'en ses vœux il doit être exaucé
| |
ATAR |
Tu dis qu'il pleure, qu'il soupire ?
| |
URSON |
Ses traits en sont presque effacés.
| |
ATAR |
Urson, qu'il entre; c'est assez.
(à Altamort)
Il est malheureux... Je respire.
| Urson, Esclaves ->
|
|
|
Scène sixième |
Tarare, Altamort, Atar. |
<- Tarare
|
| |
ATAR |
Que me veux-tu, brave soldat ?
| |
TARARE |
(avec un grande trouble)
Ô mon roi ! prends pitié de mon affreux état.
En pleine paix, un avare corsaire
comble sur moi les horreurs de la guerre.
Tous mes jardins sont ravagés,
mes esclaves sont égorgés,
l'humble toit de mon Astasie
est consumé par l'incendie...
| |
ATAR |
Grâce au Ciel, mes serments vont être dégagés !
| |
| |
|
Soldat qui m'as sauvé la vie,
reçois en pur don ce palais
que dix mille esclaves malais
ont construit d'ivoire et d'ébène:
ce palais, dont l'aspect riant
domine la fertile plaine,
et la vaste mer d'orient.
Là, cent femmes de Circassie,
pleines d'attraits et de pudeur,
attendront l'ordre de ton cœur,
pour t'enivrer des trésors de l'Asie.
Puisse de ton bonheur l'envieux s'irriter !
Puisse l'infame calomnie,
pour te perdre, en vain s'agiter !...
| |
| |
ALTAMORT |
(bas)
Mais, seigneur, ta hautesse oublie...
| |
ATAR |
(bas)
Je l'élève, Altamort, pour le précipiter.
(haut)
Allez, vizir, que l'on publie...
| |
TARARE |
Ô mon roi ! ta bonté doit se faire adorer.
Des maux du sort mon âme est peu saisie;
mais celui de mon cœur ne peut se réparer,
le barbare emmène Astasie.
| |
ATAR |
(avec un signe d'intelligence)
Quelle est cette femme, Altamort ?
| |
ALTAMORT |
Seigneur, si j'en crois son transport,
quelque esclave jeune et jolie.
| |
TARARE |
Une esclave ! une esclave ! excuse, ô roi d'Ormus !
A ce nom odieux tous mes sens sont émus.
| |
| |
|
Astasie est une déesse.
Dans mon cœur souvent combattu,
sa voix sensible, enchanteresse,
faisait triompher la vertu.
D'une ardeur toujours renaissante,
j'offrais sans cesse à sa beauté,
sans cesse à sa beauté touchante,
l'encens pur de la volupté.
Elle tenait mon âme active
jusque dans le sein du repos:
ah ! faut-il que ma voix plaintive
en vain la demande aux échos ?
| |
| |
ATAR |
Quoi ! soldat ! pleurer une femme !
Ton roi ne te reconnaît pas.
Si tu perds l'objet de ta flamme,
tout un serrail t'ouvre ses bras.
Faut-il regretter quelques charmes,
quand on retrouve mille attraits ?
Mais l'honneur qu'on perd dans les larmes,
on ne le retrouve jamais !
| |
TARARE |
| |
| |
|
ATAR
Qu'as-tu donc fait de ton mâle courage ?
Toi qu'on voyait rugir dans les combats,
toi qui forças un torrent à la nage,
en transportant ton maître dans tes bras !
Le fer, le feu, le sang et le carnage
n'ont jamais pu t'arracher un soupir;
et l'abandon d'une esclave volage
abat ton âme et la force à gémir !
| |
| |
TARARE |
(vivement)
Seigneur, si j'ai sauvé ta vie,
si tu daignes t'en souvenir,
laisse-moi venger Astasie
du traître qui l'osa ravir.
Permets que, déployant ses ailes,
un léger vaisseau de transport
me mène vers ces infidèles,
chercher Astasie ou la mort.
| |
|
|
Scène septième |
Calpigi, Atar, Altamort, Tarare. |
<- Calpigi
|
| |
ATAR |
Que veux-tu, Calpigi ?
(bas)
Sois inintelligible.
| |
CALPIGI |
Mon maître, cette Irza si chère à ton amour...
| |
ATAR |
| |
CALPIGI |
Elle est rendue à la clarté du jour.
| |
TARARE |
(exalté)
Atar, ta grande âme est sensible,
la joie a brillé dans tes yeux.
(Un genou en terre.)
Par cette Irza, sultan, sois généreux,
a mes maux deviens accessible.
| |
ATAR |
Dis-moi, Tarare, es-tu bien malheureux ?
| |
TARARE |
Si je le suis ! ah ! peut-être elle expire !
| |
ATAR |
Souhaite devant moi qu'Irza cède à mes vœux:
je fais ce que ton cœur désire.
| |
CALPIGI (à part) |
Grand dieux ! je sers un homme affreux !
| |
| |
TARARE |
(se levant, dit avec feu)
Charmante Irza, qu'est-ce donc qui t'arrêtes ?
Le fils des dieux n'est-il pas ta conquête ?
Puisse-t-il trouver dans tes yeux
ce pur feu dont il étincelle !
Rends, Irza, rends mon maître heureux...
| |
| (Calpigi lui fait un signe négatif pou qu'il n'achève pas son vœu.) | |
|
...si tu le peux sans etre criminelle.
| |
| |
ATAR |
Brave Altamort, avant le point du jour,
demain qu'une escadre soit prête
a partir du pied de la tour.
Suis mon soldat, sers son amour
dans les combats, dans la tempête.
(Bas à Altamort.)
S'il revoit jamais ce séjour,
tu m'en répondras sur ta tete.
(à Tarare.)
Et toi, jusqu'à cette conquete,
de tout service envers ton roi,
soldat, je dégage ta foi;
j'en jure par Brama.
| |
TARARE |
(la main au sabre)
Je jure en sa présence,
de ne poser ce fer sanglant,
qu'après avoir, du plus lâche brigand,
puni le crime, et vengé mon offense.
| |
ATAR (à Atamort) |
Tu viens d'entendre son serment;
il touche a plus d'une existence:
vole, Altamort, et plus prompt que le vent,
reviens jouir de ma reconnaissance.
| |
CALPIGI |
Qui sert mon maître, et le sert prudemment,
peut bien compter sur sa munificence.
| |
ALTAMORT |
Noble roi, reçois le serment
de ma plus prompte obéissance.
Commande, Atar, je cours aveuglément
servir l'amour, la haine ou la vengeance.
| |
| (Atar le regarde. Calpigi dit d'un ton courtisan.) | |
CALPIGI |
Qui sert mon maître, et le sert prudemment,
peut bien compter sur sa munificence.
| |
| |
| (Ils sortent tous.) | Tarare, Altamort, Calpigi ->
|
|
|
Scène huitième |
Atar seul. |
|
| |
|
Vertu farouche et fière,
qui jetait trop d'éclat,
rentre dans la poussière,
faite pour un soldat.
Du crime d'Altamort je vois la mer chargée,
rendre à ton corps sanglant les funèbres honneurs.
Et nous, heureux Atar, de ma belle affligée,
dans la joie et l'amour, nous sécherons les pleurs.
(Il sort.)
| Atar ->
|
| |