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Scène premiere |
Æglé, Medée. |
Medée, Æglé
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ÆGLÉ |
Cruelle, ne voulez-vous pas
faire cesser ma peine ?
Au moins achevez, inhumaine,
achevez mon trespas.
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MEDÉE |
Satisfaites le roy, contentez mon envie,
si vous voulez sortir de cét affreux sejour.
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ÆGLÉ |
Helas ! laissez-moy mon amour,
prenez plûtost ma vie.
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MEDÉE |
Ma rage en vous perdant ne peut estre assouvie,
c'est grace, c'est pitié de vous oster le jour.
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ÆGLÉ |
Vous aurez beau me poursuivre,
vous aurez beau m'allarmer,
ce n'est qu'en cessant de vivre
que je puis cesser d'aimer.
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MEDÉE |
Achevez de sçavoir dequoy je suis capable;
la plus horrible mort n'a rien de comparable
au coup qui vous menace en ce fatal instant:
moy-méme j'en fremis tant il est effroyable.
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ÆGLÉ |
Est-ce un crime si punissable
d'avoir un cœur tendre et constant ?
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MEDÉE |
Il n'est que trop aisé de percer un cœur tendre:
toute ma rage enfin va paroistre à vos yeux.
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ÆGLÉ |
Quel spectacle vient me surprendre ?
C'est Thesée endormy qu'on transporte en ces lieux.
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Thesée endormy descend conduit par des spectres volants. | <- Thesée
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Scène seconde |
Medée, Æglé, Thesée endormy. |
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MEDÉE |
Venez à mon secours implacables furies.
Que le sang innocent recommence à couler;
il faut encor nous signaler
par de nouvelles barbaries,
venez à mon secours implacables furies.
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Les furies sortent tenant un tison ardent d'une main, et un cousteau de l'autre. | <- Les furies
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Scène troisiesme |
Medée, Æglé, Thesée endormy, Les furies. |
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ÆGLÉ |
Faut-il voir contre moy tous les enfers armez ?
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MEDÉE |
Tremblez en aprenant quel est vostre suplice.
Vostre amant va perir, c'est vous qui m'animez
à m'en faire à vos yeux un affreux sacrifice.
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ÆGLÉ |
Vous pouvez vouloir qu'il perisse ?
Et vous dites que vous l'aimez ?
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MEDÉE |
Il faut voir qui des deux l'aimera davantage,
plûtost que le cedder, j'aime mieux que la mort
en fasse entre nous le partage,
et l'amour n'en est que plus fort
quand il passe jusqu'à la rage.
Elle parle aux furies.
Dépechez, achevez vostre sanglant ouvrage.
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ÆGLÉ |
Arrestez, retenez leurs coups,
j'espouseray le roy, je suivray vostre envie:
je cedde ce heros, que son cœur soit à vous,
rien ne m'est si cher que sa vie.
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MEDÉE |
Mais aurez-vous bien le pouvoir
de luy paroistre ingrate, insensible, volage ?
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ÆGLÉ |
C'est luy faire un cruel outrage,
j'aimerois mieux ne le point voir.
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MEDÉE |
Non il faut luy montrer une ame desloyale
qui l'immole sans peine à la grandeur royale
tandis que je feindray d'agir en sa faveur:
enfin je veux gagner son cœur
par le secours de ma rivale.
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ÆGLÉ |
Dieux ! quelle contrainte fatale !
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MEDÉE |
Pour le prix de ses jours attirez ses mépris,
ou je vais...
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ÆGLÉ |
Non, qu'il vive, il n'importe à quel prix:
je veux tout, je puis tout pour sauver ce que j'aime;
mon amour vous promet de se trahir luy-mesme.
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MEDÉE |
Cessez donc de trembler: voyez en un moment
changer ces lieux affreux en un sejour charmant.
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Les furies rentrent dans les enfers, le thèâtre change, et represente une isle enchantée. | Les furies ->
Q
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Scène quatriesme |
Medée, Thesée, Æglé |
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MEDÉE |
(touchant Thesée de sa baguette magique)
Voyez ce que j'ay soin de faire
pour un trop malheureux amant.
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THESÉE |
(éveillé et regardant un habit magnifique et galant dont il est paré)
Où suis-je ? Et d'où me vient ce nouvel ornement ?
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MEDÉE |
J'ay voulu vous aider à plaire.
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THESÉE |
(se voyant sans espée)
Mon espée ! ah rendez-la moy.
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MEDÉE |
On va vous l'apporter. Si vous craignez le roy,
je seray vos plus fortes armes.
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THESÉE |
Apres tout ce que je vous doy...
(Il aperçoit Æglé.)
Est-ce vous ? ma princesse, est-ce vous que je voy ?
Mais où détournez-vous vos regards pleins de charmes ?
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MEDÉE |
Quoy ? vous ne tournez pas les yeux
sur un amant si glorieux ?
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THESÉE |
Belle Æglé, dites-moy, quel crime ay-je pû faire ?
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MEDÉE |
N'aprehendez vous point qu'on ose se vanger ?
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THESÉE |
Non, elle aura beau m'outrager,
elle me sera toujours chere.
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MEDÉE |
Tant d'amour ne vous touche pas ?
Ingrate, croyez-vous qu'un thrône ait plus d'appas ?
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THESÉE |
Vous m'aviez tant promis de n'estre point legere ?
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MEDÉE |
Dequoy ne vient point à bout
un roy qui veut plaire ?
La constance ne tient guere
contre un amant qui peut tout.
Le roy doit redouter que mon dépit n'éclate:
pour regagner son cœur, je vais encor le voir.
Essayez, cependant, d'attendrir cette ingrate:
si tous nos soins unis ne peuvent l'émouvoir,
vostre amour seul peut-estre aura plus de pouvoir.
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| Medée ->
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Scène cinquiesme |
Thesée, Æglé. |
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THESÉE |
Æglé ne m'aime plus, et n'a rien à me dire ?
Qu'avez vous fait des nœuds que l'amour fit pour nous ?
Quoy pour les briser tous.
Un jour, un seul jour peut suffire ?
J'aurois abandonné le plus puissant empire
pour garder des liens si doux.
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ÆGLÉ |
Cessez d'aimer une volage;
servez-vous de vostre courage
pour chercher un plus heureux sort.
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THESÉE |
Je ne m'en serviray que pour chercher la mort.
Si la belle Æglé m'est ravie
je ne prétens plus rien:
je pers l'unique bien
qui m'auroit fait aimer la vie.
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ÆGLÉ |
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THESÉE |
Ah ! Quel soûpir échape à vostre cœur !
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ÆGLÉ |
Ce soûpir échapé n'est que pour la grandeur.
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THESÉE |
Vos beaux yeux répandent des larmes ?
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ÆGLÉ |
Non, non, sans m'attendrir je verray vos douleurs.
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THESÉE |
Vous voulez me cacher vos pleurs ?
Pourquoy m'en dérober les charmes ?
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ÆGLÉ |
Ah ! que vous me donnez de mortelles allarmes ?
On vous a peut-estre entendu
Thesée, et vous estes perdu.
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THESÉE |
On ne nous entend point, non, ma belle princesse,
si vous m'aimez toujours ne craignez rien pour moy.
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ÆGLÉ |
Que nous payerons cher l'excez de ma tendresse ?
Il y va de vos jours, j'espouseray le roy.
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THESÉE |
C'est trop aprehender que le roy ne s'irrite.
Il faut vous dire tout, l'amour m'en sollicite;
je suis fils du roy.
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ÆGLÉ |
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THESÉE |
Je n'ay montré d'abord que ma seule valeur,
c'estoit à mon propre merite
que je voulois devoir ma gloire et vostre cœur.
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ÆGLÉ |
Le roy, le monde entier prendroient en vain les armes,
il n'est rien de si fort que Medée, et ses charmes,
nous sommes les objets de ses transports jaloux.
S'ils n'en vouloient qu'à moy je les braverois tous,
mais ils m'ont sçeu fraper par ou je suis sensible.
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THESÉE |
Quoy, le roy sera vostre epoux ?
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ÆGLÉ |
Je ne puis vous sauver sans cét hymen horrible.
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THESÉE |
Laissez armer plûtost tout l'enfer en couroux;
le trépas est cent fois plus doux
qu'un secours si terrible;
vivez pour moy, s'il est possible,
ou laissez moy mourir pour vous.
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ÆGLÉ ET THESÉE
Quelle injustice !
Que de tourments !
Ah quel suplice
de briser des nœuds si charmants !
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Scène sixiesme |
Medée, Thesée, Æglé. |
<- Medée
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MEDÉE |
(sortant tout à coup d'un nüage)
Finissez vos regrets, c'est trop, c'est trop vous plaindre,
je viens d'entendre tout il n'est plus temps de feindre.
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ÆGLÉ |
Pardonnez à l'amour qui ne m'a pas permis
de tenir ce que j'ay promis.
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THESÉE |
Vengez vous sur moy seul de nostre amour extresme.
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ÆGLÉ |
C'est par mon seul trépas qu'il faut nous désunir.
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THESÉE |
Sa vie est la faveur que je veux obtenir.
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ÆGLÉ |
Conservez ce heros, sauvez-le pour vous-mesme.
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THESÉE ET ÆGLÉ |
Epargnez ce que j'aime,
c'est moy, c'est moy qu'il faut punir.
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MEDÉE |
Je vous aime, Thesée, et vous l'allez connaistre,
le crime enfin commence à me paraistre affreux,
je respecte de si beaux nœuds,
ma rage a beau s'armer, vous en estes le maistre;
vostre vertu m'inspire un dépit genereux,
je rendray ce que j'aime heureux
puisque mon amour ne peut l'estre.
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THESÉE ET ÆGLÉ |
Quel bonheur surprenant pour nos cœurs amoureux !
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MEDÉE |
Esperez tout de mon secours.
Vous pouvez reprendre vos armes.
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Thesée reprend son espée. | |
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MEDÉE (continuë)
Gardez vos tendres amours,
goustez-en les charmes,
aimez sans allarmes,
aimez-vous toujours.
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Ensemble
THESÉE ET ÆGLÉ
Gardons nos tendres amours,
goustons-en les charmes,
aimons sans allarmes,
aimons-nous toujours.
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MEDÉE |
Habitans fortunez de ces lieux si charmants;
commencez les plaisirs de ces heureux amants.
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| Medée ->
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Scène septiesme |
Thesée, Æglé, Habitans de l'Isle enchantée. Quatre bergeres de l'Isle enchantée chantantes. Deux habitans de l'Isle enchantée chantants. Un habitant de l'Isle enchantée. Quatorze habitants de l'Isle enchantée chantants. Douze hautbois, flutes et cromones. Six flutes. Quatre hautbois. Deux cromones. Douze habitants de l'Isle enchantée dançants. Six hommes. Six femmes. |
<- Habitans de l'Isle enchantée, Deux bergeres, Deux autres bergeres, Un des habitans de l'Isle enchantée
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DEUX BERGERES (chantent ensemble)
Que nos prairies
seront fleuries !
Les cœurs glacez
pour jamais en sont chassez.
Ces lieux tranquiles
sont les asiles
des doux plaisirs,
et des heureux loisirs:
la terre est belle,
la fleur nouvelle
rit aux zephirs.
Que nos prairies
seront fleuries !
Les cœurs glacez
pour jamais en sont chassez.
C'est dans nos bois
qu'amour a fait ses loix:
leur vert feüillage
doit toujours durer,
un cœur sauvage
n'y doit point entrer.
Que nos prairies
seront fleuries !
Les cœurs glacez
pour jamais en sont chassez.
La seule affaire
d'une bergere
c'est de songer
à l'amour de son berger.
Lors qu'il la meine,
bien qu'elle prenne
de longs detours,
tous les chemins sont courts:
sa bergerie
est moins cherie
que ses amours.
La seule affaire
d'une bergere
c'est de songer
à l'amour de son berger.
Quand son amant
la quitte un seul moment,
nos champs pour elle
n'ont plus d'autre bien,
elle en querelle
jusques à son chien.
La seule affaire
d'une bergere
c'est de songer
à l'amour de son berger.
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Les habitans de l'Isle enchantée forment des dançes galantes sur l'air de la chanson des bergeres. | |
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DEUX AUTRES BERGERES (chantent ensemble)
Aimons, tout nous y convie,
on aime icy sans danger,
il est permis de changer,
chacun y suit son envie:
mais, heureux, cent, et cent fois,
un amant qui fait un choix
qui dure autant que sa vie !
Fuyons le bruit des villages,
fuyons l'esclat du grand jour,
les fruits charmants de l'amour
sont dans les sombres boccages.
N'ayons point de peur des loups,
ne craignons que les jaloux
qui sont encor plus sauvages.
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Les habitans de l'Isle enchantée dançent sur l'air de la chanson des bergeres, qui est joüé par des instruments champestres. | |
Un des habitans de l'Isle enchantée chante au milieu de tous les autres, qui s'assemblent autour de luy, pour chanter, et pour dançer. | |
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Premiere chanson. | |
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
Quel plaisir d'aimer
sans contrainte !
Nous pouvons former
des vœux sans crainte.
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LE CHŒUR |
Quel plaisir d'aimer
sans contrainte
nous pouvons former
des vœux sans crainte.
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
Jusques aux langueurs,
et jusqu'aux larmes,
pour les tendres cœurs
tout a des charmes.
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LE CHŒUR |
Jusques aux langueurs,
et jusqu'aux larmes,
pour les tendres cœurs
tout a des charmes.
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
Si l'amour paraist
tant à craindre,
c'est que lors qu'il plaist
on veut s'en plaindre.
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LE CHŒUR |
Si l'amour paraist
tant à craindre,
c'est que lors qu'il plaist
on veut s'en plaindre.
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
On dit les rigueurs
de sa bergere,
mais pour les faveurs,
on s'en doit taire.
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LE CHŒUR |
On dit les rigueurs
de sa bergere,
mais pour les faveurs,
on s'en doit taire.
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Seconde chanson. | |
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
L'amour plaist malgré ses peines,
l'amour plaist aux cœurs constants:
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LE CHŒUR |
L'amour plaist malgré ses peines,
l'amour plaist aux cœurs constants:
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
On ne peut porter ses chaisnes
assez tost, ny trop long-temps.
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LE CHŒUR |
On ne peut porter ses chaisnes
assez tost, ny trop long-temps.
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
Sans amour, tout est sans ame,
l'amour seul nous rend contents;
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LE CHŒUR |
Sans amour, tout est sans ame,
l'amour seul nous rend contents.
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UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE |
On ne peut sentir sa flame
assez tost, ny trop long-temps.
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LE CHŒUR |
On ne peut sentir sa flame
assez tost, ny trop long-temps.
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Fin du quatriesme acte. | |
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