www.librettidopera.it

Thesée

THESÉE

Tragedie en musique ornée d'entrées de ballet, de machines et de changements de théâtre.

Version synthétique édité par www.operalib.eu.

D'ici on accède à la version étendu du livret .
D'ici on accède à la version en PDF du livret .

QR code:
QR code

Livret de Philippe QUINAULT.
Musique de Jean-Baptiste LULLY.

Première représentation: 11 janvier 1675, Saint-Germain-en-Laye.


Personnages:

Acteurs du prologue

BACCHUS

contralto

VENUS

soprano

CERÉS

soprano

MARS

basse

BELLONE

inconnu

Acteurs de la tragedie

ÆGLÉ princesse eslevée sous la tutele d'Ægée roy d'Athenes

soprano

CLEONE confidente d'Æglé

soprano

ARCAS confident d'Ægée roy d'Athenes

basse

LA GRANDE PRESTRESSE de Minerve

soprano

Ægée, LE ROY d'Athenes

basse

MEDÉE princesse magicienne

soprano

DORINE confidente de Medée

soprano

THESÉE fils inconnu d'Ægée roy d'Athenes

ténor

MINERVE

soprano


Chœur d'Amours, de Graces, de Plaisirs, et de Jeux, deux Graces, deus Amours, les Plaisirs chantants, les Jeux chantants.

Suivans d'Ægée, roy d'Athenes, Chœur de prestresses de Minerve, Troupe de sacrificateurs de Minervetutte, Chœur et Troupe de la populace d'Athenes, La rage, Le desespoir, Troupe de lutins, Chœur des habitants des Enfers, Un fantosme, Les Furies, Chœur et Troupe d'habitans heureux de l'Isle enchantée, Chœur et Troupe d'atheniens, Chœur de divinitez qui accompagnent Minerve, Un grand seigneur de la cour d'Ægé, Troupe des plus considerables courtisans du roy d'Athenes, Troupe d'esclaves.

La scène du prologue est dans les jardins de Versailles.

La scène est à Athenes.


Prologue
Scene unique

La scène du prologue est dans les jardins de Versailles.
Le thèâtre represente les jardins et la façade du palais de Versailles.

CHŒUR D'AMOURS, DE GRACES, DE PLAISIRS ET DE JEUX

Fuyons, la Guerre est de retour.

Fuyons ses fureurs inhumaines.

UN PLAISIR

C'estoit dans ces jardins, au bord de ces fontaines,

que l'amable mere d'Amour

esperoit d'establir sa bien-heureuse cour,

mais ses esperances sont vaine.

LE CHŒUR

Fuyons, la Guerre est de retour.

Fuyons ses fureurs inhumaines.

UN PLAISIR

Le bruit chasse la Paix de ces charmates plaines,

et l'on entend gemir les Echos d'alentour.

LES PLAISIRS ET LES JEUX

Ah! quelles peines

de quitter un si beau sejour !

LE CHŒUR

Fuyons, la Guerre est de retour.

Fuyons ses fureurs inhumaines.

Les Amours s'enfuyent avec les Graces, les Plaisirs et le Jeux.

VENUS

Revenez, Amours, revenez;

pourquoy me laissez-vous au milieu des allarmes ?

La beauté perd ses plus doux charmes,

si-tost que vous l'abandonnez:

revenez, Amours, revenez.

Beaux lieux, où les plaisirs suivoient par tout mes pas,

que sont devenus vos appas ?

Qu'un si charmant sejour est triste et solitaire !

helas ! helas !

les Amours n'y sont pas,

sans les Amours, rien ne peut plaire.

Revenez, amours, revenez.

Mais luy-mesme est icy, cessez d'estre estonnez;

est-il quelque danger dont il ne vous délivre ?

Il chasse les fureurs de ces lieux fortunez,

à la seule victoire il permet de le suivre.

Revenez, amours, revenez.

On entend des trompettes et des tambours dont le bruit se mesle au son de plusieurs instruments champestres. Cependant Mars paroist sur son char avec Bellone.

MARS

(sur son char)

Que rien ne trouble icy Venus et les Amours.

Que sous d'aymables loix, dans ces douces retraites,

on passe en repos d'heureux jours;

que les haut-bois, que les musettes

l'emportent sur les trompettes,

et sur les tambours.

Que rien ne trouble icy Venus et les Amours.

On n'entend plus le bruit des trompettes et des tambours: et plusieurs instrumens champestres joüent dans le temps que Mars descend.

Partez, allez, volez, redoutable Bellone.

Laissez en paix icy les Amours et les Jeux;

que Cerés, que Bachus, s'avancent avec eux;

esloignez ce qui les estonne.

Portez aux ennemis de cét empire heureux

tout ce que la guerre a d'affreux:

Venus le veut, Mars vous l'ordonne.

Partez, allez, volez, redoutable Bellone.

Bellone obeït, et s'envole.

VENUS

Inexorable Mars, pourquoy deschaînez-vous

contre un heros vainqueur tant d'ennemis jaloux ?

Faut-il que l'univers avec fureur conspire

contre ce glorieux empire

dont le sejour nous est si doux ?

Sans une aimable paix peut-on jamais attendre

de beaux jours ny d'heureux moments ?

La plainte la plus tendre,

les plus doux soupirs des amants,

sont le seul bruit qu'on doit entendre

en des lieux si charmants.

MARS

Que dans ce beau sejour rien ne vous épouvante,

un nouveau Mars rendra la France triomphante.

Le destin de la guerre en ses mains est remis;

et si j'augmente

le nombre de ses ennemis,

c'est pour rendre sa gloire encor plus éclatante.

Le dieu de la valeur doit toujours l'animer.

VENUS

Venus répand sur luy tout ce qui peut charmer.

MARS

Malheur, malheur à qui voudra contraindre

un si grand heros à s'armer.

VENUS

Tout doit l'aimer.

MARS

Tout doit le craindre.

VENUS ET MARS

Tout doit le craindre,

tout doit l'aimer.

MARS ET VENUS

Qu'il passe, au gré de ses desirs,

de la gloire aux plaisirs,

des plaisirs à la gloire.

Venez, aimables dieux, venez tous dans sa cour.

Meslez aux chants de victoire

les douces chansons d'amour.

Bacchus et Cerés suivis de Moissonneurs, de Silvains et de Bacchantes, rameinent les Amours, les Graces, les Plaisirs, et les Jeux.

LE CHŒUR

Meslons aux chants de victoire

les douces chansons d'amour.

BACCHUS ET CERÉS

Que tout le reste de la terre

porte envie au bonheur de ces lieux pleins d'attraits.

LE CHŒUR

Que tout le reste de la terre

porte envie au bonheur de ces lieux pleins d'attraits.

MARS ET VENUS

Au milieu de la guerre

goustons les plaisirs de la paix.

LE CHŒUR

Au milieu de la guerre

goustons les plaisirs de la paix.

La troupe des moissonneurs commence une dançe agreable, et environne Cerés dans le temps qu'elle chante.

CERÉS

Trop heureux qui moissonne

dans les champs des amours !

Amants que rien ne vous estonne,

l'esperance est un grand secours:

quand on vient à cueïllir les fruits que l'amour donne,

on est riche à jamais, et content pour toujours,

trop heureux qui moissonne

dans les champs des amours.

Bacchus chante au milieu des silvains et des bacchantes qui dançent.

BACCHUS

Pour les plus fortunez, pour les plus malheureux,

dans l'empire amoureux,

le dieu du vin est necessaire:

s'il prend part aux plaisirs c'est pour les redoubler;

il charme les chagrins des cœurs qu'on desespere:

Bacchus a dequoy consoler

de tous les maux qu'amour peut faire.

La troupe qui suit Cerés, et la troupe des suivans de Bacchus se réünissent, et expriment ensemble leur joye par une dançe, que les autres dieux accompagnent de leurs chants; et tous enfin se retirent pour faire place, et pour prendre part au magnifique divertissement qui va paroistre.

MARS ET VENUS

Qu'il passe au gré de ses desirs

de la gloire aux plaisirs,

des plaisirs à la gloire;

venez, aimables dieux, venez tous, dans sa cour:

meslez aux chants de victoire

les douces chansons d'amour.

LE CHŒUR

Meslons aux chants de victoire

les douces chansons d'amour.

BACCHUS ET CERÉS

Que tout le reste de la terre

porte envie au bonheur de ces lieux pleins d'attraits.

LE CHŒUR

Que tout le reste de la terre

porte envie au bonheur de ces lieux pleins d'attraits.

MARS ET VENUS

Au milieu de la guerre,

goustons les plaisirs de la paix.

LE CHŒUR

Au milieu de la guerre,

goustons les plaisirs de la paix.

Acte premier
Scène premiere

La scène est à Athenes. Le thèâtre represente le temple de Minerve.

COMBATTANS

(que l'on entend et que l'on ne voit point)

Avançons, avançons; que rien ne nous estonne;

frappons, perçons, frappons; qu'on n'épargne personne;

il faut perir, il faut perir;

il faut vaincre, ou mourir.

Scène seconde

Æglé, combattans que l'on entend et que l'on ne voit point.

ÆGLÉ

Quel que soit mon destin, il faut icy l'attendre,

Minerve, c'est à vous que je viens recourir.

Divinité qui devez prendre

le soin de nous deffendre,

hastez-vous de nous secourir.

COMBATTANS

Il faut vaincre, ou mourir.

ÆGLÉ

Ô ciel ! ô juste ciel ! vous est-il doux d'entendre

ces cris pleins de fureur que je ne puis souffrir ?

Dieux ! aimez vous à voir tant de sang se repandre ?

COMBATTANS

Il faut perir, il faut perir,

il faut vaincre ou mourir.

Scène troisiesme

Cleone, Æglé, combattans que l'on entend et que l'on ne voit point.

ÆGLÉ

Est-ce aux atheniens, est-ce au party contraire,

que l'avantage est demeuré ?

Dy moy pour qui le sort s'est enfin declaré.

Ton silence me desespere.

CLEONE

Pardonnez à la peur qui me force à me taire.

Mes yeux troublez d'effroy n'ont rien consideré:

Thesée est le dieu tutelaire

qui me donne en ce temple un refuge assûré:

je ne sçais rien de plus, et j'ay creu beaucoup faire

de gagner en tremblant cét azile sacré.

ÆGLÉ

Au milieu des clameurs, au travers du carnage,

Thesée a jusqu'icy conduit mes pas errants:

son genereux courage

a fait ses premiers soins de m'ouvrir un passage

entre deux effroyables rangs

de morts et de mourants.

N'as-tu point admiré l'ardeur noble et guerriere

dont il court au peril et s'expose au trespas ?

Ah qu'un jeune heros dans l'horreur des combats

couvert de sang, et de poussiere,

aux yeux d'une princesse fiere

a de charmans appas !

CLEONE

Thesée est aimable, il vous aime;

tout cede à sa valeur extresme;

vous pouvez sans rougir souffrir à vostre tour

que jusqu'à vostre cœur il porte sa victoire.

Il n'est rien de si beau que les nœuds de l'amour

quand ils sont formez par la gloire.

ÆGLÉ ET CLEONE

Il n'est rien de si beau que les nœuds de l'amour

quand ils sont formez par la gloire.

COMBATTANS

Il faut perir, il faut perir,

il faut vaincre, ou mourir.

Scène quatriesme

Arcas, Æglé, Cleone

ÆGLÉ

Le ciel ne veut-il point mettre fin à nos peines ?

Esclaircy nous, Arcas, quel est le sort d'Athenes ?

ARCAS

Le combat dure encor, il est sanglant, affreux,

et le succez en est douteux.

Le roy m'a commandé de prendre

le soin de l'avertir s'il falloit vous deffendre,

et ce n'est que pour vous qu'il est touché d'effroy...

ÆGLÉ

Thesée est-il avec le roy ?

ARCAS

Des plus fiers ennemis il écarte la foule,

on reconnoit sa trace aux flots du sang qui coule:

une gresle de traits ne l'a point retenu.

ÆGLÉ

Ô dieux !...

(Elle dit ce qui suit à Cleone.)

mon secret est connu;

je crains devant Arcas d'en faire trop entendre,

Cleone, s'il se peut, obtien qu'il aille aprendre

ce que Thesée est devenu.

Scène cinquiesme

Cleone, Arcas, combattans que l'on entend et que l'on ne voit point.

CLEONE

Laissons aller la princesse,

prier en paix la déesse.

Arcas, je veux voir en ce jour

jusqu'où va pour moy ton amour.

ARCAS

Peux-tu douter de ma tendresse ?

CLEONE

J'en doute encor, je le confesse.

Tu m'as fait des serments cent fois

que tu suivrois toujours mes loix,

et qu'il te seroit doux de mourir pour me plaire;

mais la pluspart des amants

sont sujets à faire

bien des faux serments.

ARCAS

Tu n'as qu'à commander, tu seras satisfaite.

CLEONE

Cherche Thesée, et suy ses pas

jusqu'à sa victoire parfaite,

ou jusqu'à son trépas.

ARCAS

D'où vient qu'en sa faveur ton ame s'inquiéte ?

CLEONE

Si tu veux que je t'aime, Arcas,

fay ce que je souhaite,

et ne replique pas.

ARCAS

Pour un autre que moy Cleone s'interesse ?

Pretens-tu que je sois un amant qui me presse

de me charger d'un soin à mon amour fatal ?

C'est un plaisir charmant de servir sa maistresse,

mais c'est un chagrin sans égal

de servir son rival.

L'ordre du roy m'engage

à prendre soin de vous.

CLEONE

L'ennemy jusqu'icy n'ose porter sa rage.

Tout le monde est aux mains, veux-tu seul fuïr les coups ?

ARCAS

Ce grand empressement me donne de l'ombrage.

CLEONE

La valeur à mes yeux a des charmes bien doux,

et le moindre soupçon m'outrage:

je ne veux point avoir d'epoux

qui soit jaloux,

ny d'amant qui soit sans courage.

ARCAS

Faut-il qu'un estranger ait pour toy tant d'appas ?

CLEONE

Je te l'ay déja dit, et je te le repete,

si tu veux que je t'aime, Arcas

fay ce que je souhaite,

et ne replique pas.

ARCAS

Hé bien, je suivray ton envie,

j'en veux faire toujours ma loy;

la peur de te déplaire est mon plus grand effroy:

je crains peu d'exposer ma vie,

je ne puis hazarder rien qui ne soit à toy.

COMBATTANS

Avançons, avançons; que rien ne nous estonne;

frappons, perçons, frappons, qu'on n'épargne personne;

il faut perir, il faut perir,

il faut vaincre, ou mourir.

Scène sixiesme

La Grande prestresse de Minerve, Æglé, Cleone, Combattans que l'on entend et que l'on ne voit
point.

LA GRANDE PRESTRESSE

Prions, prions la déesse

de nous dégager

du danger

qui nous presse

prions, prions la déesse.

LA GRANDE PRESTRESSE, ÆGLÉ, CLEONE

Prions, prions, la déesse.

COMBATTANS

Mourez, mourez, perfides cœurs,

tombez sous les coups des vainqueurs.

LA GRANDE PRESTRESSE

Dieux ! quelle barbarie !

ÆGLÉ

Entendrons-nous toujours ces horribles clameurs ?

LA GRANDE PRESTRESSE, ÆGLÉ, CLEONE

Dieux ! Quelle barbarie !

COMBATTANS

Mourez, mourez, perfides cœurs,

tombez sous les coups des vainqueurs.

UN COMBATTANT

Sauve un malheureux qui te prie.

Ah je meurs ! ah je meurs !

LA GRANDE PRESTRESSE, ÆGLÉ, CLEONE

Dieux ! quelle barbarie !

UN COMBATTANT

Ah je meurs ! ah je meurs !

sauve un malheureux qui te prie.

COMBATTANS

Mourez, mourez, perfides cœurs,

tombez sous les coups des vainqueurs.

LA GRANDE PRESTRESSE

Ô Minerve ! arrestez la cruelle furie

qui desole nostre patrie:

ecartez loin de nous la guerre et ses horreurs;

ciel ! espargnez le sang, contentez-vous de pleurs,

LA GRANDE PRESTRESSE, ÆGLÉ, CLEONE

Ciel ! espargnez le sang, contentez-vous de pleurs.

COMBATTANS

Liberté, liberté.

Victoire, victoire, victoire.

Courons, courons tous à la gloire.

Combattons avec fermeté.

Deffendons nostre liberté.

Liberté, liberté.

Emportons la victoire.

Victoire, victoire, victoire.

Liberté, liberté.

Victoire, victoire, victoire.

Scène septiesme

Ægée roy d'Athènes, La grande prestresse, Æglé, Cleone, Suivans du roy d'Athenes.

LE ROY

Les mutins sont vaincus, leurs chefs sont immolez;

leur vaine esperance est destruite.

Tous les peuples voisins qu'ils avoient appellez

sont dans nos fers, ou sont en fuite.

LA GRANDE PRESTRESSE

Rendons graces aux dieux.

TOUS ENSEMBLE

Rendons graces aux dieux.

LA GRANDE PRESTRESSE

Puisque le juste ciel à nos vœux est propice,

allons, empressons-nous d'offrir un sacrifice

à la divinité qui protege ces lieux.

Rendons graces aux dieux.

TOUS ENSEMBLE

Rendons graces aux dieux.

Scène huitiesme

Le roy, Æglé

LE ROY

Cessez, charmante, Æglé, de répandre des larmes,

commençons aprés tant d'allarmes

à joüir d'un destin plus doux:

puisque je voy mon thrône affermy par les armes,

j'y veux joindre de nouveaux charmes

en le partageant avec vous.

ÆGLÉ

Avec moy ! vous ! seigneur !

LE ROY

Que vostre trouble cesse.

C'est peut-estre, un peu tard vouloir plaire à vos yeux,

je ne suis plus au temps de l'aimable jeunesse,

mais je suis roy, belle princesse,

et roy victorieux.

Faites grace à mon âge en faveur de ma gloire,

voyez le prix du rang qui vous est destiné:

la vieillesse sied bien sur un front couronné,

quand on y voit briller l'éclat de la victoire.

Parlez charmante Æglé, parlez à vostre tour.

ÆGLÉ

Depuis que j'ay perdu mon pere

vos soins ont prevenu mes vœux dans vostre cour.

Je doy vous respecter, seigneur, je vous revere...

LE ROY

Vous parlez de respect quand je parle d'amour.

ÆGLÉ

Mais vostre foy, seigneur, à Medée est promise ?

LE ROY

Je sçay que lors qu'on la méprise

on s'expose aux fureurs de ses ressentiments.

Toute la nature est soûmise

à ses affreux commandements,

l'enfer la favorise,

elle confond les elements,

le ciel mesme est troublé par ses enchantements.

Mais j'ay fait élever en secret dans Trœzene

un fils qui peut m'oster de peine:

je veux qu'en espousant Medée au lieu de moy,

il dégage ma foy.

ÆGLÉ

Mais si malgré vos soins, Medée ambitieuse,

ne s'attache qu'au rang que vous me presentez ?

LE ROY

Que vous estes ingenieuse

à trouver des difficultez !

Que Medée en fureur, s'arme, menace, tonne,

il faut que ma main vous couronne

quand il m'en cousteroit et l'empire, et le jour.

Un grand cœur qui se sent animé par l'amour

ne doit jamais trouver de peril qui l'estonne.

J'atteste Minerve à vos yeux,

j'atteste le maistre des cieux,

et sa foudroyante justice...

ÆGLÉ

Tout est prest pour le sacrifice,

chacun s'avance dans ces lieux,

rendons graces aux dieux.

Scène nevfiesme

Le roy, Æglé, Suivans du roy, Cleone, La grande prestresse de Minerve. Quatre prestresses. Six hommes chantants desguisez en prestresses. Six flustes desguisées en femmes. Quatre trompettes.
Deux timballiers.

LA GRANDE PRESTRESSE

Cet empire puissant que vostre soin conserve

vient reconnoistre icy vostre divin secours,

favorable Minerve !

Protegez-nous toujours.

LE CHŒUR DES PRESTRESSES

Favorable Minerve !

protegez-nous toujours.

LA GRANDE PRESTRESSE

Le peril estoit redoutable:

mais vous nous inspirez un courage indomptable

qui de nostre malheur a détourné le cours,

ô Pallas favorable !

protegez-nous toujours.

LE CHŒUR DES PRESTRESSES

Ô Pallas favorable !

protegez-nous toujours.

LA GRANDE PRESTRESSE

Il faut profiter

du bonheur de nos armes.

C'est trop escouter

le bruit des allarmes,

le cours de nos larmes

se doit arrester,

songeons à gouster

un sort plein de charmes;

il faut profiter

du bonheur de nos armes.

LE CHŒUR DES PRESTRESSES

Chantez tous en paix,

chantez la victoire,

et que la memoire

en vive à jamais:

chantez les attrais

dont brille la gloire;

chantez tous en paix,

chantez la victoire.

LA GRANDE PRESTRESSE

Le calme est bien doux

apres un grand orage.

La gloire est pour nous,

la honte et la rage

seront le partage

des voisins jaloux:

tout cedde à nos coups,

tout cedde au courage:

le calme est bien doux

apres un grand orage.

LE CHŒUR DES PRESTRESSES

Chantons tour à tour

dans ces lieux aimables,

des dieux favorables

y font leur sejour:

les seuls traits d'amour

y sont redoutables:

chantons tour à tour

dans ces lieux aimables.

Scène dixiesme

Le roy, Æglé, Cleone, Suivans du roy, La grande prestresse, Chœur des prestresses, Sacrificateurs combattans qui apportent les estendars et les despoüilles des ennemis vaincus.
Dix-huit assistants au sacrifice chantants. Sacrificateurs combatants dançants. Six prestresses dançantes.

LA GRANDE PRESTRESSE

Ô Minerve sçavante !

ô guerriere Pallas !

que par vostre faveur puissante

une felicité charmante

nous offre chaque jour mille nouveaux appas,

ô Minerve sçavante !

ô guerriere Pallas !

LES CHŒURS

Animez nos cœurs, et nos bras,

rendez la victoire constante,

conduisez nos soldats,

par tout, devant leurs pas,

jettez le trouble et l'épouvante;

ô Minerve sçavante !

ô guerriere Pallas !

LA GRANDE PRESTRESSE

Souffrez qu'un feu sacré dans ces lieux vous presente

une image innocente

de guerre et de combas.

LES CHŒURS

Ô guerriere Pallas !

On forme un combat à la maniere des anciens.

LES CHŒURS

Que la guerre sanglante

passe en d'autres estats,

ô Minerve sçavante !

ô guerriere Pallas !

Que la foudre menaçante

porte plus loin ses éclats:

ô Minerve sçavante !

ô guerriere Pallas !

LA GRANDE PRESTRESSE

Puissions-nous voir toujours Athenes triomphante,

puisse son roy vainqueur des plus grands potentats

la rendre heureuse et florissante.

LES CHŒURS

Ô Minerve sçavante !

ô guerriere Pallas !

Fin du premier acte.

Acte seconde
Scène premiere

Le thèâtre change et represente le palais d'Ægée roy d'Athenes.
Medée, Dorine.

MEDÉE

Doux repos, innocente paix,

heureux, heureux un cœur qui ne vous pert jamais !

L'impitoyable amour m'a toujours poursuivie;

n'estoit-ce point assez des maux qu'il m'avoit faits !

Pourquoy ce dieu cruel avec de nouveaux traits

vient-il encor troubler le reste de ma vie ?

Doux repos, innocente paix,

heureux, heureux un cœur qui ne vous pert jamais !

DORINE

Recommencez d'aimer, reprenez l'esperance;

Thesée est un heros charmant,

méprisez en l'aimant

l'ingrat Jason qui vous offence.

Il faut par le changement

punir l'inconstance,

c'est une douce vengeance

de faire un nouvel amant.

MEDÉE

La gloire de Thesée à mes yeux paroist belle,

on l'a veu triompher dés qu'il a combattu;

le destin de Medée est d'estre criminelle,

mais son cœur estoit fait pour aimer la vertu.

DORINE

Le dépit veut que l'on s'engage

sous de nouvelles loix,

quand on s'abuse au premier choix;

on n'est pas volage

pour ne changer qu'une fois.

MEDÉE

Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense;

on ne voit pas, lors qu'il commence,

tout ce qu'il doit couster un jour:

mon cœur auroit encor sa premiere innocence

s'il n'avoit jamais eu d'amour.

Mon frere et mes deux fils ont esté les victimes

de mon implacable fureur;

j'ay remply l'univers d'horreur,

mais le cruel amour a fait seul tous mes crimes.

DORINE

Esperez de former de plus aimables nœuds.

Une cruelle experience

vous aprend que l'amour est un mal dangereux;

mais l'ennuyeuse indifference

ne rend pas un cœur plus heureux.

Aimez, aimez Thesée, aimez sa gloire extréme.

MEDÉE

Mais qui me répondra qu'il m'aime ?

DORINE

Peut-il trouver un sort plus beau ?

MEDÉE

Peut-estre que mon cœur cherche un malheur nouveau.

Mon depit, tu le sçais, dédaigne de se plaindre:

il est difficile à calmer,

s'il venoit à se rallumer,

il faudroit du sang pour l'éteindre.

DORINE

Que ne peut point Medée avec l'art de charmer ?

MEDÉE

Que puis-je ? helas ! parlons sans feindre.

Les enfers quand je veux sont contrains à s'armer,

mais on ne force point un cœur à s'enflamer;

mes charmes les plus forts ne sçauroient l'y contraindre,

ah je n'en ay que trop pour forcer à me craindre,

et trop peu pour me faire aimer.

Scène seconde

Le roy, Medée, Dorine, Suivans du roy.

LE ROY

Je voy le succez favorable

des soins que vous m'avez promis,

Medée et son art redoutable

ont gardé ce palais contre mes ennemis.

J'ay differé long-temps de tenir ma promesse,

je devrois estre vostre epoux.

MEDÉE

L'hymen n'a rien qui presse

ny pour moy, ny pour vous.

LE ROY

Vous pouvez sans chagrin souffrir que je differe.

Avec un epoux plein d'appas

l'hymen a de la peine à plaire;

quelle peur ne doit-il pas faire

quand l'epoux ne plaist pas ?

Desormais sans peril je puis faire paraistre

un fils que dans ma cour je n'osois reconnaistre.

Il peut venir dans peu de temps.

MEDÉE

Laissons-là vostre fils seigneur, je vous entends.

La jeune Æglé vous paroist belle,

chaque jour, je m'en aperçoy;

si vous m'abandonnez pour elle,

Thesée est seul digne de moy.

LE ROY ET MEDÉE

Ne nous piquons point de constance;

consentons à nous dégager.

Goustons d'intelligence

la douceur de changer.

MEDÉE

Quand on suit une amour nouvelle,

c'est une trahison cruelle

de laisser dans l'engagement

un cœur tendre et fidelle;

mais rien n'est si charmant

qu'une inconstance mutuelle.

LE ROY ET MEDÉE

Heureux deux amants inconstants,

quand ils le sont en mesme temps.

Scène troisiesme

Arcas, Le roy, Medée, Dorine, Suivans du roy.

ARCAS

Seigneur, songez à vous.

LE ROY

Quel malheur nous menace ?

ARCAS

Thesée est si puissant qu'il peut vous allarmer,

ses glorieux exploits charment la populace,

au lieu d'un heritier qui manque à vostre race,

pour vostre successeur on le veut proclamer.

LE ROY

Il faut arrester cet audace.

Scène quatriesme

Dorine, Arcas

DORINE

Demeure, escoute un mot, Arcas.

ARCAS

Mon devoir prés du roy m'appelle,

il faut que je suive ses pas.

DORINE

Autrefois tu m'estois fidelle,

tu jurois de m'aimer d'une ardeur éternelle.

ARCAS

Nous sommes dans un temps de trouble et de combats.

DORINE

Cleone a des appas,

on te voit souvent avec elle,

n'est-ce point une amour nouvelle

qui fait ton embarras ?

Tu rougis ? Tu ne réponds pas ?

ARCAS

Mon devoir prés du roy m'appelle,

il faut que je suive ses pas.

Scène cinquiesme

Dorine seule.

C'est donc la tout le prix d'une amour trop sincere.

N'aimons jamais, ou n'aimons guere:

il est dangereux d'aimer tant,

ce n'est pas le plus seur pour plaire.

Bien souvent on croit faire

un amant heureux et content,

et l'on ne fait qu'un inconstant.

Scène sixiesme

Dorine. Peuples qu'on entend crier.

PEUPLES

Regnez, heros indomptable;

regnez rendez nous heureux.

DORINE

Le peuple vient icy. Sa faveur est semblable

au transport des cœurs amoureux;

l'ardeur des plus grands feux

n'est pas la plus durable.

PEUPLES

Regnez, heros indomptable,

rendez, rendez nous heureux.

Scène septiesme

Thesée. Quatre esclaves qui portent Thesée. La populace d'Athenes chantante. Populace d'Athenes dançante. Quatre hommes grecs. Quatre femmes grecques. Deux vieillards dançants. Deux vieilles dançantes.
La populace d'Athenes se réjoüit de la victoire que la valeur de Thesée vient de remporter, et le veut proclamer pour successeur d'Aegée.

LE CHŒUR

Que l'on doit estre

content d'avoir un maistre

vainqueur des plus grands roys !

Que l'on entende

chanter par tout ses exploits:

joignons nos voix.

Que toujours il nous deffende,

qu'il triomphe, qu'il commande,

qu'il joüisse des douceurs

de regner sur tous les cœurs.

DEUX VIEILLARDS ATHENIENS

Pour le peu de bon temps qui nous reste

rien n'est si funeste

qu'un noir chagrin.

Le plaisir se presente,

chantons quand on chante,

vivons au gré du destin.

L'affreuse vieillesse

qui doit voir sans cesse

la mort s'aprocher,

trouve assez la tristesse

sans la chercher.

Achevons nos vieux ans sans allarmes;

la vie a des charmes

jusqu'à la fin.

Le plaisir se presente,

chantons quand on chante,

vivons au gré du destin.

L'affreuse vieillesse

qui doit voir sans cesse

la mort s'aprocher,

trouve assez la tristesse

sans la chercher.

LE CHŒUR

Que la victoire

le comble icy de gloire;

suivons, aimons ses loix.

Que l'on entende

chanter par tout ses exploits:

joignons nos voix.

Que toujours il nous deffende,

qu'il triomphe, qu'il commande,

qu'il joüisse des douceurs

de regner sur tous les cœurs.

THESÉE

C'est assez, amis, c'est assez,

allez, et que chacun en bon ordre se rende

aux endroits qu'au besoin il faudra qu'il deffende:

allez, je suis content de vos soins empressez,

si vous voulez que je commande,

allez, allez, obeïssez.

Les peuples se retirent. Thesée veut entrer dans l'appartement du roy, Medée en sort qui arreste Thesée.

Scène huitiesme

Medée, Thesée.

MEDÉE

Thesée ou courez-vous ? Que pretendez-vous faire ?

THESÉE

Chercher le roy, le voir, et calmer sa colere.

MEDÉE

Le roy souffrira-til que vous donniez la loy ?

THESÉE

Il n'aura pas lieu de se plaindre,

si l'on a trop d'ardeur pour moy,

c'est un feu que j'ay soin d'esteindre.

MEDÉE

Vous estes de trop bonne foy;

quand on a fait trembler un roy,

aprenez qu'on en doit tout craindre.

THESÉE

Sans un charme puissant qui m'attache à sa cour

j'irois chercher ailleurs une guerre nouvelle.

La gloire m'enflama dez que je vis le jour,

tout mon cœur estoit fait pour elle;

mais dans un jeune cœur, la gloire la plus belle

fait aisément place à l'amour.

MEDÉE

Un peu d'amoureuse tendresse

sied bien aux plus fameux vainqueurs;

si l'amour est une foiblesse,

c'est la foiblesse des grands cœurs.

Parlez, que rien ne vous allarme

j'obligeray le roy de vous tout accorder.

THESÉE

C'est la belle Æglé qui me charme,

elle est l'unique prix que je veux demander.

MEDÉE

C'est Æglé ? Dites-vous, Æglé, qui vous engage ?

THESÉE

Je sçay que la grandeur a pour vous des attraits,

regnez avec le roy, regnez tous deux en paix,

Æglé, l'aimable Æglé, n'est qu'un trop beau partage.

MEDÉE

Je crains pour vostre amour un obstacle fatal.

THESÉE

Si Medée est pour moy qui peut m'estre contraire ?

MEDÉE

Vous avez le roy pour rival.

THESÉE

Malgré sa foy promise, Æglé pourroit luy plaire ?

MEDÉE

Laissez-moy voir Æglé, laissez-moy voir le roy,

vous connoistrez, bien-tost les soins que je vais prendre;

allez, allez, m'attendre,

et fiez-vous à moy.

Thesée passe dans l'appartement de Medée.

Scène nevfiesme

Medée. Seule.

Depit mortel, transport jaloux,

je m'abandonne à vous.

Et toy, meurs pour jamais, tendresse trop fatale;

que le barbare amour, que j'avois creu si doux,

se change dans mon cœur en furie infernale.

Dépit mortel, transport jaloux,

je m'abandonne à vous.

Inventons quelque peine affreuse, et sans égale:

preparons avec soin, nos plus funestes coups.

Ah ! si l'ingrat que j'aime échape à mon couroux,

au moins, n'épargnons pas mon heureuse rivale.

Dépit mortel, transport jaloux,

je m'abandonne à vous.

Fin du second acte.

Acte troisiesme
Scène premiere

Æglé, Cleone.

CLEONE

Vous allez voir bien-tost vostre amant dans ces lieux.

ÆGLÉ

Je le verray victorieux.

Apres de mortelles allarmes

qu'un bien-heureux retour est doux pour les amants !

L'amour s'accroist par les tourments,

les biens qu'il fait payer avec le plus de larmes

n'en deviennent que plus charmants.

CLEONE

Thesée est triomphant, chacun le veut pour maistre.

ÆGLÉ

Ne verray-je point paraistre

un si glorieux vainqueur ?

Il negligera peut-estre

la conqueste de mon cœur.

CLEONE

On n'est pas inconstant pour aimer la victoire.

Si le passage est beau de l'amour à la gloire,

rien n'est si doux que le retour

de la gloire à l'amour.

ÆGLÉ

Non, son amour n'est point extresme:

faut-il qu'il trouve ailleurs tant de soins importants ?

Il n'ignore pas que je l'aime,

il doit songer que je l'attens.

ÆGLÉ ET CLEONE

La gloire n'est que trop pressante,

un heros doit la suivre avec empressement;

mais déz que la gloire est contente,

l'amour doit promptement

ramener un amant.

Scène seconde

Arcas, Æglé, Cleone.

ARCAS

Le roy m'ordonne de vous dire

qu'il vous fera bien-tost regner:

rien ne trouble plus son empire...

vous tremblez ? Vostre cœur soûpire ?

Le roy tout vieux qu'il est n'est pas à desdaigner.

Lorsque par le feu du bel âge

un jeune cœur se sent pressé,

dans une ardente amour sans effort on l'engage:

on triomphe bien davantage

quand on enflame un cœur que les ans ont glacé.

ÆGLÉ

Si tu connois, Arcas, le trouble qui me presse,

ne va point descouvrir la peine ou tu me vois.

CLEONE

Si tu veux m'obliger oblige la princesse:

fay, s'il se peut par ton adresse

que le roy tourne ailleurs son choix.

ARCAS

Tu me donnes toujours d'assez fascheux emplois.

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Il n'est point de grandeur charmante

sans l'amour et sans ses douceurs:

rien ne plaist, rien n'enchante,

sans l'amour et sans ses douceurs:

rien ne contente

les jeunes cœurs

sans l'amour et sans ses douceurs:

il n'est point de grandeur charmante

sans l'amour et sans ses douceurs.

Scène troisiesme

Medée, Dorine, Æglé, Cleone, Arcas.

MEDÉE

Princesse sçavez-vous ce que peut ma colere

quand on l'oblige d'esclatter ?

ÆGLÉ

Je prétens ne rien faire

qui vous doive irriter.

MEDÉE

Et n'est-ce rien que de trop plaire ?

ÆGLÉ

Je renonce à l'hymen du roy

si je luy plais, c'est malgré moy.

Ce n'est point dans le rang supresme

qu'on trouve les plus doux appas,

et souvent un bonheur extresme

est plus seur dans un rang plus bas.

MEDÉE

Vous aimez donc Thesée ? ah ! n'en rougissez pas,

il n'est que trop digne qu'on l'aime.

Je m'interesse en vostre amour;

parlez, vous connoistrez mon cœur à vostre tour.

ÆGLÉ

J'avois toujours bravé l'amour et sa puissance

avant que d'avoir veu ce glorieux vainqueur;

mais la gloire et l'amour tous deux d'intelligence

ne sont que trop puissans pour vaincre un jeune cœur.

Que vostre soin au mien responde,

j'espere que le roy deviendra vostre espoux:

regnez par son hymen dans une paix profonde,

laissez moy ce heros, mon sort est assez doux;

quand vous possederiez tout l'empire du monde,

mon cœur n'en seroit point jaloux.

MEDÉE

Mais enfin, si le roy commande,

vous estes soûmise à sa loy.

ÆGLÉ

Ma vie est au pouvoir du roy,

et je veux bien qu'elle en despende:

mais c'est en vain qu'il demande

un cœur qui n'est plus à moy.

MEDÉE

Vous m'en avez trop dit, il est temps qu'entre nous

la confidence soit égale.

Il faut vous desgager d'une chaisne fatale.

ÆGLÉ

La mort, la seule mort rompra des nœuds si doux.

MEDÉE

Je veux que dés demain le roy soit vostre espoux:

vous aimez un heros qui ne peut estre à vous,

et Medée est vostre rivale;

prenez soin d'esviter mon funeste couroux.

ÆGLÉ

Nos deux cœurs sont unis par un amour fidelle.

MEDÉE

En dépit de l'amour je les veux diviser.

ÆGLÉ

La chaisne qui nous lie est si forte et si belle.

MEDÉE

J'auray plus de plaisir si je la puis briser.

ÆGLÉ

Non, j'aime mieux la mort qu'une lasche inconstance,

tout l'enfer à mes yeux n'aura rien de si noir;

malgré Medée et sa vengeance,

mon amour fera son devoir.

MEDÉE

Voyons si vostre amour est tel qu'il veut paraistre,

puisque vous le voulez vous allez me connaistre:

je vais vous faire voir

ce que c'est que Medée et quel est son pouvoir.

La scène change, et represente un desert espouventable remply de monstres furieux.

Scène quatriesme

Æglé, Cleone, Arcas, Dorine.

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Dieux ! où sommes nous !

CLEONE

Que d'objets horribles !

ARCAS

Quels monstres terribles !

ÆGLÉ

Quel affreux couroux !

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Dieux ! où sommes nous !

ÆGLÉ

Me laissez-vous, cruelle,

dans cette horreur mortelle ?

Ah cruelle ! où me laissez-vous ?

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Dieux ! où sommes nous ?

Scène cinquiesme

Cleone, Arcas, Dorine

CLEONE

Contre ce monstre qui m'allarme

vien me deffendre Arcas.

ARCAS

Ne crain rien avant mon trespas.

Ô ciel ! on me desarme !

(Un fantosme emporte en volant l'espée d'Arcas.)

Tu peux beaucoup icy, belle Dorine, helas !

ne l'abandonne pas.

Ensemble

CLEONE

Belle, Dorine, helas !

ne m'abandonne pas.

ARCAS

Belle, Dorine, helas !

ne l'abandonne pas.

DORINE

Il est bon d'estre necessaire;

c'est un charme puissant pour plaire

où peu de cœurs ont resisté:

un grand secours qu'on espere

est un grand trait de beauté.

ARCAS

Ce n'est pas d'aujourd'huy que je te trouve belle.

CLEONE

Où pourroit-il voir plus d'attraits ?

DORINE

Je sçais trop vostre amour nouvelle.

ARCAS ET CLEONE

Non, non, je le promets,

non, je ne l'aimeray jamais.

DORINE

Pour se tirer de peine

chacun promet assez;

mais la promesse est vaine

lorsque les perils sont passez.

ARCAS ET CLEONE

Ne doute point de ma promesse.

DORINE

Non, je ne prétens point regagner desormais

d'un si volage amant la trompeuse tendresse;

non, non, je le promets;

non, je ne l'aimeray jamais.

CLEONE, ARCAS ET DORINE

Non, non, je le promets,

non, je ne l'aimeray jamais.

Scène sixiesme

Medée, Cleone, Arcas, Dorine.

MEDÉE

Qu'on ne me trouble point, qu'on leur ouvre un passage.

C'est sur d'autres que vous que doit tomber ma rage,

fuyez de ce funeste lieu.

CLEONE ET ARCAS

Adieu, Dorine, adieu.

Scène septiesme

Medée invoque les habitans des enfers.
La rage. Le desespoir. Vingt-quatre habitants des enfers chantants. Douze lutins dançants.
Un fantosme.

MEDÉE

Sortez, ombres, sortez de la nuit eternelle.

Voyez le jour pour le troubler.

Hastez-vous d'obeïr quand ma voix vous appelle,

que l'affreux desespoir, que la rage cruelle

prennent soin de vous assembler.

Sortez, ombres, sortez de la nuit eternelle.

CHŒUR DES HABITANS DES ENFERS

Sortons de la nuit eternelle.

MEDÉE

Venez peuple infernal, venez,

avancez malheureux coupables,

soyez aujourd'huy deschaisnez:

goustez l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

LE CHŒUR

Goustons l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

MEDÉE

Redoublez en ce jour le soin que vous prenez

de mes vengeances redoutables.

LE CHŒUR

Ordonnez, ordonnez.

MEDÉE

Ma rivale m'expose à des maux effroyables;

qu'elle ait part aux tourments qui vous sont destinez:

tous les enfers impitoyables

auront peine à former des horreurs comparables

aux troubles qu'elle m'a donnez:

goustons l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

LE CHŒUR

Goustons l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

Les habitants des enfers expriment la douceur qu'ils trouvent dans les ordres que Medée leur donne de donner des frayeurs, et de faire de la peine à Æglé.

LE CHŒUR

On nous tourmente

sans cesse aux enfers,

que l'on ressente

nos feux et nos fers.

Tout doit se troubler,

tout doit trembler.

La colere

ne laisse jamais

nos cœurs en paix;

les plaintes qu'on peut faire

nous doivent toujours plaire,

et nous ne plaignons guere

les yeux qui sont en pleurs:

dans la rage,

les maux qu'on partage

ne sont pas sans douceurs.

On nous deschaine,

suivons nos fureurs;

dans nostre peine

troublons tous les cœurs.

Un grand desespoir

est doux à voir.

La colere

ne laisse jamais

nos cœurs en paix;

les plaintes qu'on peut faire

nous doivent toujours plaire,

et nous ne plaignons guere

les yeux qui sont en pleurs:

dans la rage,

les maux qu'on partage

ne sont pas sans douceurs.

Scène huitiesme

Æglé, habitans des enfers.
Les habitans des enfers espouvantent Æglé, elle les fuït, et ils la suivent.

LE CHŒUR

Que tout fremisse:

qu'avec nous tout gemisse:

quelle douceur de voir souffrir !

ÆGLÉ

Ah quel effroyable supplice !

faites moy promptement mourir.

LE CHŒUR

Que tout fremisse:

qu'avec nous tout gemisse:

quelle douceur de voir souffrir !

Fin du troisiesme acte.

Acte quatriesme
Scène premiere

Æglé, Medée.

ÆGLÉ

Cruelle, ne voulez-vous pas

faire cesser ma peine ?

Au moins achevez, inhumaine,

achevez mon trespas.

MEDÉE

Satisfaites le roy, contentez mon envie,

si vous voulez sortir de cét affreux sejour.

ÆGLÉ

Helas ! laissez-moy mon amour,

prenez plûtost ma vie.

MEDÉE

Ma rage en vous perdant ne peut estre assouvie,

c'est grace, c'est pitié de vous oster le jour.

ÆGLÉ

Vous aurez beau me poursuivre,

vous aurez beau m'allarmer,

ce n'est qu'en cessant de vivre

que je puis cesser d'aimer.

MEDÉE

Achevez de sçavoir dequoy je suis capable;

la plus horrible mort n'a rien de comparable

au coup qui vous menace en ce fatal instant:

moy-méme j'en fremis tant il est effroyable.

ÆGLÉ

Est-ce un crime si punissable

d'avoir un cœur tendre et constant ?

MEDÉE

Il n'est que trop aisé de percer un cœur tendre:

toute ma rage enfin va paroistre à vos yeux.

ÆGLÉ

Quel spectacle vient me surprendre ?

C'est Thesée endormy qu'on transporte en ces lieux.

Thesée endormy descend conduit par des spectres volants.

Scène seconde

Medée, Æglé, Thesée endormy.

MEDÉE

Venez à mon secours implacables furies.

Que le sang innocent recommence à couler;

il faut encor nous signaler

par de nouvelles barbaries,

venez à mon secours implacables furies.

Les furies sortent tenant un tison ardent d'une main, et un cousteau de l'autre.

Scène troisiesme

Medée, Æglé, Thesée endormy, Les furies.

ÆGLÉ

Faut-il voir contre moy tous les enfers armez ?

MEDÉE

Tremblez en aprenant quel est vostre suplice.

Vostre amant va perir, c'est vous qui m'animez

à m'en faire à vos yeux un affreux sacrifice.

ÆGLÉ

Vous pouvez vouloir qu'il perisse ?

Et vous dites que vous l'aimez ?

MEDÉE

Il faut voir qui des deux l'aimera davantage,

plûtost que le cedder, j'aime mieux que la mort

en fasse entre nous le partage,

et l'amour n'en est que plus fort

quand il passe jusqu'à la rage.

Elle parle aux furies.

Dépechez, achevez vostre sanglant ouvrage.

ÆGLÉ

Arrestez, retenez leurs coups,

j'espouseray le roy, je suivray vostre envie:

je cedde ce heros, que son cœur soit à vous,

rien ne m'est si cher que sa vie.

MEDÉE

Mais aurez-vous bien le pouvoir

de luy paroistre ingrate, insensible, volage ?

ÆGLÉ

C'est luy faire un cruel outrage,

j'aimerois mieux ne le point voir.

MEDÉE

Non il faut luy montrer une ame desloyale

qui l'immole sans peine à la grandeur royale

tandis que je feindray d'agir en sa faveur:

enfin je veux gagner son cœur

par le secours de ma rivale.

ÆGLÉ

Dieux ! quelle contrainte fatale !

MEDÉE

Pour le prix de ses jours attirez ses mépris,

ou je vais...

ÆGLÉ

Non, qu'il vive, il n'importe à quel prix:

je veux tout, je puis tout pour sauver ce que j'aime;

mon amour vous promet de se trahir luy-mesme.

MEDÉE

Cessez donc de trembler: voyez en un moment

changer ces lieux affreux en un sejour charmant.

Les furies rentrent dans les enfers, le thèâtre change, et represente une isle enchantée.

Scène quatriesme

Medée, Thesée, Æglé

MEDÉE

(touchant Thesée de sa baguette magique)

Voyez ce que j'ay soin de faire

pour un trop malheureux amant.

THESÉE

(éveillé et regardant un habit magnifique et galant dont il est paré)

Où suis-je ? Et d'où me vient ce nouvel ornement ?

MEDÉE

J'ay voulu vous aider à plaire.

THESÉE

(se voyant sans espée)

Mon espée ! ah rendez-la moy.

MEDÉE

On va vous l'apporter. Si vous craignez le roy,

je seray vos plus fortes armes.

THESÉE

Apres tout ce que je vous doy...

(Il aperçoit Æglé.)

Est-ce vous ? ma princesse, est-ce vous que je voy ?

Mais où détournez-vous vos regards pleins de charmes ?

MEDÉE

Quoy ? vous ne tournez pas les yeux

sur un amant si glorieux ?

THESÉE

Belle Æglé, dites-moy, quel crime ay-je pû faire ?

MEDÉE

N'aprehendez vous point qu'on ose se vanger ?

THESÉE

Non, elle aura beau m'outrager,

elle me sera toujours chere.

MEDÉE

Tant d'amour ne vous touche pas ?

Ingrate, croyez-vous qu'un thrône ait plus d'appas ?

THESÉE

Vous m'aviez tant promis de n'estre point legere ?

MEDÉE

Dequoy ne vient point à bout

un roy qui veut plaire ?

La constance ne tient guere

contre un amant qui peut tout.

Le roy doit redouter que mon dépit n'éclate:

pour regagner son cœur, je vais encor le voir.

Essayez, cependant, d'attendrir cette ingrate:

si tous nos soins unis ne peuvent l'émouvoir,

vostre amour seul peut-estre aura plus de pouvoir.

Scène cinquiesme

Thesée, Æglé.

THESÉE

Æglé ne m'aime plus, et n'a rien à me dire ?

Qu'avez vous fait des nœuds que l'amour fit pour nous ?

Quoy pour les briser tous.

Un jour, un seul jour peut suffire ?

J'aurois abandonné le plus puissant empire

pour garder des liens si doux.

ÆGLÉ

Cessez d'aimer une volage;

servez-vous de vostre courage

pour chercher un plus heureux sort.

THESÉE

Je ne m'en serviray que pour chercher la mort.

Si la belle Æglé m'est ravie

je ne prétens plus rien:

je pers l'unique bien

qui m'auroit fait aimer la vie.

ÆGLÉ

Helas !

THESÉE

Ah ! Quel soûpir échape à vostre cœur !

ÆGLÉ

Ce soûpir échapé n'est que pour la grandeur.

THESÉE

Vos beaux yeux répandent des larmes ?

ÆGLÉ

Non, non, sans m'attendrir je verray vos douleurs.

THESÉE

Vous voulez me cacher vos pleurs ?

Pourquoy m'en dérober les charmes ?

ÆGLÉ

Ah ! que vous me donnez de mortelles allarmes ?

On vous a peut-estre entendu

Thesée, et vous estes perdu.

THESÉE

On ne nous entend point, non, ma belle princesse,

si vous m'aimez toujours ne craignez rien pour moy.

ÆGLÉ

Que nous payerons cher l'excez de ma tendresse ?

Il y va de vos jours, j'espouseray le roy.

THESÉE

C'est trop aprehender que le roy ne s'irrite.

Il faut vous dire tout, l'amour m'en sollicite;

je suis fils du roy.

ÆGLÉ

Vous, seigneur !

THESÉE

Je n'ay montré d'abord que ma seule valeur,

c'estoit à mon propre merite

que je voulois devoir ma gloire et vostre cœur.

ÆGLÉ

Le roy, le monde entier prendroient en vain les armes,

il n'est rien de si fort que Medée, et ses charmes,

nous sommes les objets de ses transports jaloux.

S'ils n'en vouloient qu'à moy je les braverois tous,

mais ils m'ont sçeu fraper par ou je suis sensible.

THESÉE

Quoy, le roy sera vostre epoux ?

ÆGLÉ

Je ne puis vous sauver sans cét hymen horrible.

THESÉE

Laissez armer plûtost tout l'enfer en couroux;

le trépas est cent fois plus doux

qu'un secours si terrible;

vivez pour moy, s'il est possible,

ou laissez moy mourir pour vous.

ÆGLÉ ET THESÉE

Quelle injustice !

Que de tourments !

Ah quel suplice

de briser des nœuds si charmants !

Scène sixiesme

Medée, Thesée, Æglé.

MEDÉE

(sortant tout à coup d'un nüage)

Finissez vos regrets, c'est trop, c'est trop vous plaindre,

je viens d'entendre tout il n'est plus temps de feindre.

ÆGLÉ

Pardonnez à l'amour qui ne m'a pas permis

de tenir ce que j'ay promis.

THESÉE

Vengez vous sur moy seul de nostre amour extresme.

ÆGLÉ

C'est par mon seul trépas qu'il faut nous désunir.

THESÉE

Sa vie est la faveur que je veux obtenir.

ÆGLÉ

Conservez ce heros, sauvez-le pour vous-mesme.

THESÉE ET ÆGLÉ

Epargnez ce que j'aime,

c'est moy, c'est moy qu'il faut punir.

MEDÉE

Je vous aime, Thesée, et vous l'allez connaistre,

le crime enfin commence à me paraistre affreux,

je respecte de si beaux nœuds,

ma rage a beau s'armer, vous en estes le maistre;

vostre vertu m'inspire un dépit genereux,

je rendray ce que j'aime heureux

puisque mon amour ne peut l'estre.

THESÉE ET ÆGLÉ

Quel bonheur surprenant pour nos cœurs amoureux !

MEDÉE

Esperez tout de mon secours.

Vous pouvez reprendre vos armes.

Thesée reprend son espée.

Ensemble

MEDÉE

(continuë)

Gardez vos tendres amours,

goustez-en les charmes,

aimez sans allarmes,

aimez-vous toujours.

THESÉE ET ÆGLÉ

Gardons nos tendres amours,

goustons-en les charmes,

aimons sans allarmes,

aimons-nous toujours.

MEDÉE

Habitans fortunez de ces lieux si charmants;

commencez les plaisirs de ces heureux amants.

Scène septiesme

Thesée, Æglé, Habitans de l'Isle enchantée.
Quatre bergeres de l'Isle enchantée chantantes. Deux habitans de l'Isle enchantée chantants. Un habitant de l'Isle enchantée. Quatorze habitants de l'Isle enchantée chantants. Douze hautbois, flutes et cromones. Six flutes. Quatre hautbois. Deux cromones. Douze habitants de l'Isle enchantée dançants. Six hommes. Six femmes.

DEUX BERGERES

(chantent ensemble)

Que nos prairies

seront fleuries !

Les cœurs glacez

pour jamais en sont chassez.

Ces lieux tranquiles

sont les asiles

des doux plaisirs,

et des heureux loisirs:

la terre est belle,

la fleur nouvelle

rit aux zephirs.

Que nos prairies

seront fleuries !

Les cœurs glacez

pour jamais en sont chassez.

C'est dans nos bois

qu'amour a fait ses loix:

leur vert feüillage

doit toujours durer,

un cœur sauvage

n'y doit point entrer.

Que nos prairies

seront fleuries !

Les cœurs glacez

pour jamais en sont chassez.

La seule affaire

d'une bergere

c'est de songer

à l'amour de son berger.

Lors qu'il la meine,

bien qu'elle prenne

de longs detours,

tous les chemins sont courts:

sa bergerie

est moins cherie

que ses amours.

La seule affaire

d'une bergere

c'est de songer

à l'amour de son berger.

Quand son amant

la quitte un seul moment,

nos champs pour elle

n'ont plus d'autre bien,

elle en querelle

jusques à son chien.

La seule affaire

d'une bergere

c'est de songer

à l'amour de son berger.

Les habitans de l'Isle enchantée forment des dançes galantes sur l'air de la chanson des bergeres.

DEUX AUTRES BERGERES

(chantent ensemble)

Aimons, tout nous y convie,

on aime icy sans danger,

il est permis de changer,

chacun y suit son envie:

mais, heureux, cent, et cent fois,

un amant qui fait un choix

qui dure autant que sa vie !

Fuyons le bruit des villages,

fuyons l'esclat du grand jour,

les fruits charmants de l'amour

sont dans les sombres boccages.

N'ayons point de peur des loups,

ne craignons que les jaloux

qui sont encor plus sauvages.

Les habitans de l'Isle enchantée dançent sur l'air de la chanson des bergeres, qui est joüé par des instruments champestres.

Un des habitans de l'Isle enchantée chante au milieu de tous les autres, qui s'assemblent autour de luy, pour chanter, et pour dançer.

Premiere chanson.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Quel plaisir d'aimer

sans contrainte !

Nous pouvons former

des vœux sans crainte.

LE CHŒUR

Quel plaisir d'aimer

sans contrainte

nous pouvons former

des vœux sans crainte.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Jusques aux langueurs,

et jusqu'aux larmes,

pour les tendres cœurs

tout a des charmes.

LE CHŒUR

Jusques aux langueurs,

et jusqu'aux larmes,

pour les tendres cœurs

tout a des charmes.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Si l'amour paraist

tant à craindre,

c'est que lors qu'il plaist

on veut s'en plaindre.

LE CHŒUR

Si l'amour paraist

tant à craindre,

c'est que lors qu'il plaist

on veut s'en plaindre.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

On dit les rigueurs

de sa bergere,

mais pour les faveurs,

on s'en doit taire.

LE CHŒUR

On dit les rigueurs

de sa bergere,

mais pour les faveurs,

on s'en doit taire.

Seconde chanson.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

L'amour plaist malgré ses peines,

l'amour plaist aux cœurs constants:

LE CHŒUR

L'amour plaist malgré ses peines,

l'amour plaist aux cœurs constants:

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

On ne peut porter ses chaisnes

assez tost, ny trop long-temps.

LE CHŒUR

On ne peut porter ses chaisnes

assez tost, ny trop long-temps.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Sans amour, tout est sans ame,

l'amour seul nous rend contents;

LE CHŒUR

Sans amour, tout est sans ame,

l'amour seul nous rend contents.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

On ne peut sentir sa flame

assez tost, ny trop long-temps.

LE CHŒUR

On ne peut sentir sa flame

assez tost, ny trop long-temps.

Fin du quatriesme acte.

Acte cinquiesme
Scène premiere

Le thèâtre change et represente un palais, que les enchantements de Medée font paroistre, et où l'on voit les aprests d'un superbe festin.
Medée.

Ah faut-il me vanger

en perdant ce que j'aime !

Que fais-tu ma fureur, ou vas-tu m'engager ?

Punir ce cœur ingrat c'est me punir moy-mesme,

j'en mourray de douleur, je tremble d'y songer,

ah faut-il me vanger

en perdant ce que j'aime !

Ma rivale triomphe, et me voit outrager:

quoy, laisser son amour sans peine, et sans danger ?

voir le spectacle affreux de son bonheur extresme ?

non, il faut me vanger

en perdant ce que j'aime.

Scène seconde

Dorine, Medée.

DORINE

Que Thesée est content de son bien-heureux sort !

MEDÉE

Dorine, c'en est fait, tout est prest pour sa mort.

DORINE

Quoy ce grand appareil est sa mort qu'on prepare ?

Le roy le doit choisir icy pour successeur;

vostre soin pour luy se declare.

MEDÉE

J'ay caché mon depit sous ma feinte douceur;

la vengeance ordinaire est trop peu pour mon cœur,

je la veux horrible et barbare.

Je m'esloignois tantost expres pour tout sçavoir.

Du secret de Thesée il faut me prevaloir,

le roy l'ignore encor, et pour me satisfaire

contre un fils inconnu j'arme son propre pere:

j'immolay mes enfants, j'osay les esgorger;

je ne seray pas seule inhumaine, et perfide,

je ne puis me vanger

à moins d'un parricide.

Scène troisiesme

Le roy, Medée.

MEDÉE

Ce vaze par mes soins vient d'estre empoisonné;

vous n'aurez qu'à l'offrir... vous semblez estonné ?

LE ROY

Ce heros m'a servy, malgré moy je l'estime,

puis-je luy preparer un injuste trespas ?

MEDÉE

L'espoir de vostre amour, la paix de vos estats,

tout despend d'immoler cette grande victime.

Contre un rival heureux faut-il qu'on vous anime ?

La vengeance a bien des appas,

est-ce trop la payer s'il vous en couste un crime ?

LE ROY

Je n'ay rien fait jusqu'à ce jour

qui puisse ternir ma memoire;

si prés de mon tombeau faut-il trahir ma gloire ?

Ne vaudroit-il pas mieux estouffer mon amour ?

MEDÉE

Vous avez un fils à Trœzene,

il faudra toujours l'esloigner:

vostre peuple pour luy n'aura que de la haine,

il adore Thesée, il veut le voir regner.

Laisserez-vous un fils sans nom, et sans empire,

tandis qu'un estranger joüira de son sort,

et peut-estre osera s'assûrer par sa mort...

LE ROY

Je cedde aux sentimens que la nature inspire,

je me rends, l'amour seul n'estoit pas assez fort.

MEDÉE ET LE ROY

Que la vengeance

à d'attrais pour des cœurs jaloux !

N'espargnons point qui nous offence,

vangeons-nous, vangeons-nous,

l'amour mesme, n'est pas plus doux

que la vengeance.

Scène quatriesme

Thesée, Æglé, Le roy, Medée, Cleone, Arcas, Chœur, et Troupe d'atheniens.

LE ROY ET MEDÉE

Ne craignez rien parfaits amants

les plaisirs suivront vos tourments.

LE CHŒUR

Ne craignez rien parfaits amants

les plaisirs suivront vos tourments.

LE ROY ET MEDÉE

Recevez la recompence

de vostre constance.

LE CHŒUR

Ne craignez rien parfaits amants

les plaisirs suivront vos tourments.

LE ROY

Oublions le passé, ma colere est finie;

puis qu'Athenes le veut je consens qu'apres moy

ce heros soit un jour son legitime roy.

Commençons la ceremonie.

Qu'on apprenne à servir Thesée en souverain.

Prenez ce vaze de ma main.

THESÉE

(prenant le vaze d'une main, et tirant son espée de l'autre)

Je jure sur ce fer qui m'a comblé de gloire,

que je vous serviray contre vos ennemis,

et que vous n'aurez point de sujet plus soûmis...

Le roy considere avec estonnement l'espée de Thesée, et la reconnoist pour estre celle qu'i la laissée pour servir un jour à la reconnoissance de son fils.

LE ROY

(empeschant Thesée de porter le vaze à sa bouche)

Que voy-je ? quelle espée ! ah qui l'auroit pû croire !

ô ciel ! j'allois perdre mon fils !

j'avois laissé ce fer pour ta reconnoissance,

mon fils, ah mon cher fils, où nous exposois-tu ?

THESÉE

Ce fer eust dans mes mains trahy vostre esperance

en vous montrant un fils qui n'eust point combattu,

sans prendre aucun secours d'une illustre naissance

je voulois esprouver jusqu'où va la vertu.

Medée s'enfuït voyant Thesée reconnu par son pere.

Scène cinquiesme

Le roy, Thesée, Æglé, Cleone, Arcas, Chœur, et Troupe d'atheniens.

LE ROY

Ah ! perfide Medée ! ... elle fuït l'inhumaine,

qu'on la poursuive, allez, ne la respectez plus;

mais la poursuite en sera vaine,

elle sçait des chemins qui nous sont inconnus !

THESÉE

C'est assez d'esviter sa haine;

soyons heureux, seigneur:

nostre parfait bonheur

suffira pour sa peine.

LE ROY, THESÉE ET ÆGLÉ

Nostre parfait bonheur

suffira pour sa peine.

LE ROY

Je suis charmé de vos appas,

je ne m'en deffens pas,

trop aimable Æglé, je vous aime;

mais je veux estre heureux dans un autre moy-mesme;

mon rival m'est trop cher pour en estre jaloux,

je reconnoy mon fils à son amour extresme,

c'est le sort de mon sang de s'enflamer pour vous.

Que l'hymen prepare

des nœuds pleins d'attraits

soyez unis à jamais,

que l'amour repare

tous les maux qu'il vous a faits

soyez unis à jamais.

LE CHŒUR

Soyez unis à jamais.

THESÉE ET ÆGLÉ

Les plus belles chaisnes

coustent des soûpirs;

il faut passer par les peines

pour arriver aux plaisirs.

LE ROY, CLEONE ET ARCAS

Que l'hymen prepare

des nœuds pleins d'attraits.

LE CHŒUR

Soyez unis à jamais.

LE ROY, CLEONE ET ARCAS

Que l'amour repare

tous les maux qu'il vous a faits.

LE CHŒUR

Soyez unis à jamais.

Scène sixiesme

Medée, Le roy, Thesée, Æglé, Cleone, Arcas, Chœur, et Troupe d'atheniens.

MEDÉE

(sur un char tiré par des dragons volans)

Vous n'estes pas encor délivrez de ma rage:

je n'ay point preparé la pompe de ces lieux

pour servir au bonheur d'un amour qui m'outrage;

je veux que les enfers destruisent mon ouvrage,

c'est ainsi qu'en partant je vous fais mes adieux.

Dans le temps que Medée fuït, le palais paroist embrasé, et les mets du festin preparé se convertissent en des animaux horribles.

Scène septiesme

Le roy, Thesée, Æglé, Cleone, Arcas, Chœur, et Troupe d'atheniens.

LE CHŒUR

Secourez-nous, justes dieux !

quelle flame espouventable !

quels ennemis furieux !

Secourez-nous, justes dieux !

une mort inévitable

s'offre par tout à nos yeux !

Secourez-nous, justes dieux !

Scène huitiesme

Minerve, Chœur de divinitez qui accompagnent Minerve, Le roy, Thesée, Æglé, Cleone, Arcas,
Chœur, et Troupe d'atheniens.
Six flutes. Deux basses de violon. Deux theorbes. Quatre trompettes. Cinq déesses chantantes. Quatre dieux chantants. Vingt-six musiciens de la suite des dieux.

MINERVE

(dans la gloire)

Le ciel veut escarter tout ce qui peut vous nuire:

voyez par mon pouvoir eslever à l'instant

un palais esclattant

que l'enfer n'osera détruire.

Le thèâtre change et represente un palais magnifique et brillant.

MINERVE ET LE CHŒUR DES DIVINITEZ

(dans la gloire)

Vivez, vivez contents dans ces aimables lieux.

CHŒUR D'ATHENIENS

(dans le palais)

Vivons, vivons contents dans ces aimables lieux.

Ensemble

MINERVE

Bien-heureux qui peut naistre

sous un regne si glorieux !

Vivez, vivez contents dans ces aimables lieux.

Un roy digne de l'estre

est le don le plus grand des cieux.

Vivez, vivez contents dans ces aimables lieux.

LES CHŒURS

Bien-heureux qui peut naistre

sous un regne si glorieux !

Vivons, vivons contents dans ces aimables lieux.

Un roy digne de l'estre

est le don le plus grand des cieux.

Vivons, vivons contents dans ces aimables lieux.

Scène nevfiesme et derniere

Toutes les voix, et tous les instrumens des deux chœurs se réünissent. Les plus considerables courtisans du roy d'Athenes, environnez d'une troupe d'esclaves, forment une espece de feste galante pour se réjoüir de la reconnoissance de Thesée; Arcas et Cleone chantent au milieu de leur dançe. Un grand seigneur de la cour d'Aegée. Quatre courtisants. Douze esclaves de la suite.

ARCAS ET CLEONE

Le plus sage

s'enflame, et s'engage,

sans sçavoir comment,

la fierté se desment,

le cœur le plus sauvage

soûpire aisément

dans un fatal moment.

Le plus sage

s'enflame, et s'engage,

sans sçavoir comment.

Contre un mal si doux, et si charmant

le plus grand courage

combat foiblement.

Le plus sage

s'enflame, et s'engage,

sans sçavoir comment.

Quel dommage,

si l'on ne mesnage

les moments heureux !

Formons d'aimables nœuds;

faisons un doux usage

du temps où les jeux

suivront par tout nos vœux.

Quel dommage

si l'on ne mesnage

les moments heureux !

Qui n'est point dans l'empire amoureux

n'aura pour partage

que des soins fascheux.

Quel dommage

si l'on ne mesnage

les moments heureux !

Fin du cinquiesme, et dernier acte.

Fin du livret.

Generazione pagina: 17/12/2017
Pagina: ridotto, rid
Versione H: 3.00.40 (D)

Locandina Prologue Scene unique Acte premier Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Scène huitiesme Scène nevfiesme Scène dixiesme Acte seconde Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Scène huitiesme Scène nevfiesme Acte troisiesme Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Scène huitiesme Acte quatriesme Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Acte cinquiesme Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Scène huitiesme Scène nevfiesme et derniere