Acte seconde

 

Scène premiere

Le thèâtre change et represente le palais d'Ægée roy d'Athenes.
Medée, Dorine.

 Q 

Medée, Dorine

 

MEDÉE

Doux repos, innocente paix,    

heureux, heureux un cœur qui ne vous pert jamais !

L'impitoyable amour m'a toujours poursuivie;

n'estoit-ce point assez des maux qu'il m'avoit faits !

Pourquoy ce dieu cruel avec de nouveaux traits

vient-il encor troubler le reste de ma vie ?

Doux repos, innocente paix,

heureux, heureux un cœur qui ne vous pert jamais !

S

 

DORINE

Recommencez d'aimer, reprenez l'esperance;

Thesée est un heros charmant,

méprisez en l'aimant

l'ingrat Jason qui vous offence.

Il faut par le changement

punir l'inconstance,

c'est une douce vengeance

de faire un nouvel amant.

MEDÉE

La gloire de Thesée à mes yeux paroist belle,

on l'a veu triompher dés qu'il a combattu;

le destin de Medée est d'estre criminelle,

mais son cœur estoit fait pour aimer la vertu.

DORINE

Le dépit veut que l'on s'engage

sous de nouvelles loix,

quand on s'abuse au premier choix;

on n'est pas volage

pour ne changer qu'une fois.

MEDÉE

Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense;

on ne voit pas, lors qu'il commence,

tout ce qu'il doit couster un jour:

mon cœur auroit encor sa premiere innocence

s'il n'avoit jamais eu d'amour.

Mon frere et mes deux fils ont esté les victimes

de mon implacable fureur;

j'ay remply l'univers d'horreur,

mais le cruel amour a fait seul tous mes crimes.

DORINE

Esperez de former de plus aimables nœuds.

Une cruelle experience

vous aprend que l'amour est un mal dangereux;

mais l'ennuyeuse indifference

ne rend pas un cœur plus heureux.

Aimez, aimez Thesée, aimez sa gloire extréme.

MEDÉE

Mais qui me répondra qu'il m'aime ?

DORINE

Peut-il trouver un sort plus beau ?

MEDÉE

Peut-estre que mon cœur cherche un malheur nouveau.

Mon depit, tu le sçais, dédaigne de se plaindre:

il est difficile à calmer,

s'il venoit à se rallumer,

il faudroit du sang pour l'éteindre.

DORINE

Que ne peut point Medée avec l'art de charmer ?

MEDÉE

Que puis-je ? helas ! parlons sans feindre.

Les enfers quand je veux sont contrains à s'armer,

mais on ne force point un cœur à s'enflamer;

mes charmes les plus forts ne sçauroient l'y contraindre,

ah je n'en ay que trop pour forcer à me craindre,

et trop peu pour me faire aimer.

 

Scène seconde

Le roy, Medée, Dorine, Suivans du roy.

<- Le roy, Suivans du roy

 

LE ROY

Je voy le succez favorable  

des soins que vous m'avez promis,

Medée et son art redoutable

ont gardé ce palais contre mes ennemis.

J'ay differé long-temps de tenir ma promesse,

je devrois estre vostre epoux.

MEDÉE

L'hymen n'a rien qui presse

ny pour moy, ny pour vous.

LE ROY

Vous pouvez sans chagrin souffrir que je differe.

Avec un epoux plein d'appas

l'hymen a de la peine à plaire;

quelle peur ne doit-il pas faire

quand l'epoux ne plaist pas ?

Desormais sans peril je puis faire paraistre

un fils que dans ma cour je n'osois reconnaistre.

Il peut venir dans peu de temps.

MEDÉE

Laissons-là vostre fils seigneur, je vous entends.

La jeune Æglé vous paroist belle,

chaque jour, je m'en aperçoy;

si vous m'abandonnez pour elle,

Thesée est seul digne de moy.

 

LE ROY ET MEDÉE

Ne nous piquons point de constance;  

consentons à nous dégager.

Goustons d'intelligence

la douceur de changer.

 

MEDÉE

Quand on suit une amour nouvelle,  

c'est une trahison cruelle

de laisser dans l'engagement

un cœur tendre et fidelle;

mais rien n'est si charmant

qu'une inconstance mutuelle.

 

LE ROY ET MEDÉE

Heureux deux amants inconstants,

quand ils le sont en mesme temps.

 

Scène troisiesme

Arcas, Le roy, Medée, Dorine, Suivans du roy.

<- Arcas

 

ARCAS

Seigneur, songez à vous.  

LE ROY

Quel malheur nous menace ?

ARCAS

Thesée est si puissant qu'il peut vous allarmer,

ses glorieux exploits charment la populace,

au lieu d'un heritier qui manque à vostre race,

pour vostre successeur on le veut proclamer.

LE ROY

Il faut arrester cet audace.

 

Le roy, Medée, Suivans du roy ->

 

Scène quatriesme

Dorine, Arcas

 

DORINE

Demeure, escoute un mot, Arcas.  

ARCAS

Mon devoir prés du roy m'appelle,

il faut que je suive ses pas.

DORINE

Autrefois tu m'estois fidelle,

tu jurois de m'aimer d'une ardeur éternelle.

ARCAS

Nous sommes dans un temps de trouble et de combats.

DORINE

Cleone a des appas,

on te voit souvent avec elle,

n'est-ce point une amour nouvelle

qui fait ton embarras ?

Tu rougis ? Tu ne réponds pas ?

ARCAS

Mon devoir prés du roy m'appelle,

il faut que je suive ses pas.

 

Arcas ->

 

Scène cinquiesme

Dorine seule.

 

 

C'est donc la tout le prix d'une amour trop sincere.  

N'aimons jamais, ou n'aimons guere:

il est dangereux d'aimer tant,

ce n'est pas le plus seur pour plaire.

Bien souvent on croit faire

un amant heureux et content,

et l'on ne fait qu'un inconstant.

 

Scène sixiesme

Dorine. Peuples qu'on entend crier.

 

PEUPLES

Regnez, heros indomptable;  

regnez rendez nous heureux.

 

DORINE

Le peuple vient icy. Sa faveur est semblable  

au transport des cœurs amoureux;

l'ardeur des plus grands feux

n'est pas la plus durable.

 

PEUPLES

Regnez, heros indomptable,

rendez, rendez nous heureux.

 

Dorine ->

 

Scène septiesme

Thesée. Quatre esclaves qui portent Thesée. La populace d'Athenes chantante. Populace d'Athenes dançante. Quatre hommes grecs. Quatre femmes grecques. Deux vieillards dançants. Deux vieilles dançantes.
La populace d'Athenes se réjoüit de la victoire que la valeur de Thesée vient de remporter, et le veut proclamer pour successeur d'Aegée.

<- Thesée, Quatre esclaves, Populace d'Athenes, Quatre hommes grecs, Quatre femmes grecques, Deux vieillards, Deux vieilles

 

LE CHŒUR

Que l'on doit estre  

content d'avoir un maistre

vainqueur des plus grands roys !

Que l'on entende

chanter par tout ses exploits:

joignons nos voix.

Que toujours il nous deffende,

qu'il triomphe, qu'il commande,

qu'il joüisse des douceurs

de regner sur tous les cœurs.

 

DEUX VIEILLARDS ATHENIENS

Pour le peu de bon temps qui nous reste

rien n'est si funeste

qu'un noir chagrin.

Le plaisir se presente,

chantons quand on chante,

vivons au gré du destin.

L'affreuse vieillesse

qui doit voir sans cesse

la mort s'aprocher,

trouve assez la tristesse

sans la chercher.

Achevons nos vieux ans sans allarmes;

la vie a des charmes

jusqu'à la fin.

Le plaisir se presente,

chantons quand on chante,

vivons au gré du destin.

L'affreuse vieillesse

qui doit voir sans cesse

la mort s'aprocher,

trouve assez la tristesse

sans la chercher.

 

LE CHŒUR

Que la victoire

le comble icy de gloire;

suivons, aimons ses loix.

Que l'on entende

chanter par tout ses exploits:

joignons nos voix.

Que toujours il nous deffende,

qu'il triomphe, qu'il commande,

qu'il joüisse des douceurs

de regner sur tous les cœurs.

 

THESÉE

C'est assez, amis, c'est assez,  

allez, et que chacun en bon ordre se rende

aux endroits qu'au besoin il faudra qu'il deffende:

allez, je suis content de vos soins empressez,

si vous voulez que je commande,

allez, allez, obeïssez.

 
Les peuples se retirent. Thesée veut entrer dans l'appartement du roy, Medée en sort qui arreste Thesée.

Quatre esclaves, Populace d'Athenes, Quatre hommes grecs, Quatre femmes grecques, Deux vieillards, Deux vieilles ->

 

Scène huitiesme

Medée, Thesée.

<- Medée

 

MEDÉE

Thesée ou courez-vous ? Que pretendez-vous faire ?  

THESÉE

Chercher le roy, le voir, et calmer sa colere.

MEDÉE

Le roy souffrira-til que vous donniez la loy ?

THESÉE

Il n'aura pas lieu de se plaindre,

si l'on a trop d'ardeur pour moy,

c'est un feu que j'ay soin d'esteindre.

MEDÉE

Vous estes de trop bonne foy;

quand on a fait trembler un roy,

aprenez qu'on en doit tout craindre.

THESÉE

Sans un charme puissant qui m'attache à sa cour

j'irois chercher ailleurs une guerre nouvelle.

La gloire m'enflama dez que je vis le jour,

tout mon cœur estoit fait pour elle;

mais dans un jeune cœur, la gloire la plus belle

fait aisément place à l'amour.

MEDÉE

Un peu d'amoureuse tendresse

sied bien aux plus fameux vainqueurs;

si l'amour est une foiblesse,

c'est la foiblesse des grands cœurs.

Parlez, que rien ne vous allarme

j'obligeray le roy de vous tout accorder.

THESÉE

C'est la belle Æglé qui me charme,

elle est l'unique prix que je veux demander.

MEDÉE

C'est Æglé ? Dites-vous, Æglé, qui vous engage ?

THESÉE

Je sçay que la grandeur a pour vous des attraits,

regnez avec le roy, regnez tous deux en paix,

Æglé, l'aimable Æglé, n'est qu'un trop beau partage.

MEDÉE

Je crains pour vostre amour un obstacle fatal.

THESÉE

Si Medée est pour moy qui peut m'estre contraire ?

MEDÉE

Vous avez le roy pour rival.

THESÉE

Malgré sa foy promise, Æglé pourroit luy plaire ?

MEDÉE

Laissez-moy voir Æglé, laissez-moy voir le roy,

vous connoistrez, bien-tost les soins que je vais prendre;

allez, allez, m'attendre,

et fiez-vous à moy.

 
Thesée passe dans l'appartement de Medée.

Thesée ->

 

Scène nevfiesme

Medée. Seule.

 

Depit mortel, transport jaloux,    

je m'abandonne à vous.

Et toy, meurs pour jamais, tendresse trop fatale;

que le barbare amour, que j'avois creu si doux,

se change dans mon cœur en furie infernale.

Dépit mortel, transport jaloux,

je m'abandonne à vous.

Inventons quelque peine affreuse, et sans égale:

preparons avec soin, nos plus funestes coups.

Ah ! si l'ingrat que j'aime échape à mon couroux,

au moins, n'épargnons pas mon heureuse rivale.

Dépit mortel, transport jaloux,

je m'abandonne à vous.

S

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Fin du second acte.
 

Fin (Acte seconde)

Prologue Acte premier Acte seconde Acte troisiesme Acte quatriesme Acte cinquiesme

Le palais d'Ægée roy d'Athenes.

Medée, Dorine
 

Doux repos, innocente paix

Medée, Dorine
<- Le roy, Suivans du roy

Je voy le succez favorable

Quand on suit une amour nouvelle

 
Medée, Dorine, Le roy, Suivans du roy
<- Arcas

Seigneur, songez à vous. / Quel malheur nous menace ?

Dorine, Arcas
Le roy, Medée, Suivans du roy ->

Demeure, escoute un mot, Arcas

Dorine
Arcas ->

C'est donc la tout le prix d'une amour trop sincere

(On entend crier peuples.)

Le peuple vient icy. Sa faveur est semblable

 
Dorine ->
<- Thesée, Quatre esclaves, Populace d'Athenes, Quatre hommes grecs, Quatre femmes grecques, Deux vieillards, Deux vieilles
Le chœur, Deux vieillards
Que l'on doit estre

C'est assez, amis, c'est assez

Thesée
Quatre esclaves, Populace d'Athenes, Quatre hommes grecs, Quatre femmes grecques, Deux vieillards, Deux vieilles ->
Thesée
<- Medée

Thesée ou courez-vous ? Que pretendez-vous faire ?

Medée
Thesée ->
 
Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Scène huitiesme Scène nevfiesme
Le thèâtre represente les jardins et la façade du palais de Versailles. Le thèâtre represente le temple de Minerve Le palais d'Ægée roy d'Athenes. Le thèâtre change, et represente une isle enchantée Le thèâtre represente un palais, que les enchantements de Medée font paroistre.
Prologue Acte premier Acte troisiesme Acte quatriesme Acte cinquiesme

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