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Scène premiere |
Le thèâtre change et represente le palais d'Ægée roy d'Athenes. Medée, Dorine. |
Q
Medée, Dorine
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MEDÉE |
Doux repos, innocente paix,
heureux, heureux un cœur qui ne vous pert jamais !
L'impitoyable amour m'a toujours poursuivie;
n'estoit-ce point assez des maux qu'il m'avoit faits !
Pourquoy ce dieu cruel avec de nouveaux traits
vient-il encor troubler le reste de ma vie ?
Doux repos, innocente paix,
heureux, heureux un cœur qui ne vous pert jamais !
| S
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DORINE |
Recommencez d'aimer, reprenez l'esperance;
Thesée est un heros charmant,
méprisez en l'aimant
l'ingrat Jason qui vous offence.
Il faut par le changement
punir l'inconstance,
c'est une douce vengeance
de faire un nouvel amant.
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MEDÉE |
La gloire de Thesée à mes yeux paroist belle,
on l'a veu triompher dés qu'il a combattu;
le destin de Medée est d'estre criminelle,
mais son cœur estoit fait pour aimer la vertu.
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DORINE |
Le dépit veut que l'on s'engage
sous de nouvelles loix,
quand on s'abuse au premier choix;
on n'est pas volage
pour ne changer qu'une fois.
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MEDÉE |
Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense;
on ne voit pas, lors qu'il commence,
tout ce qu'il doit couster un jour:
mon cœur auroit encor sa premiere innocence
s'il n'avoit jamais eu d'amour.
Mon frere et mes deux fils ont esté les victimes
de mon implacable fureur;
j'ay remply l'univers d'horreur,
mais le cruel amour a fait seul tous mes crimes.
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DORINE |
Esperez de former de plus aimables nœuds.
Une cruelle experience
vous aprend que l'amour est un mal dangereux;
mais l'ennuyeuse indifference
ne rend pas un cœur plus heureux.
Aimez, aimez Thesée, aimez sa gloire extréme.
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MEDÉE |
Mais qui me répondra qu'il m'aime ?
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DORINE |
Peut-il trouver un sort plus beau ?
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MEDÉE |
Peut-estre que mon cœur cherche un malheur nouveau.
Mon depit, tu le sçais, dédaigne de se plaindre:
il est difficile à calmer,
s'il venoit à se rallumer,
il faudroit du sang pour l'éteindre.
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DORINE |
Que ne peut point Medée avec l'art de charmer ?
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MEDÉE |
Que puis-je ? helas ! parlons sans feindre.
Les enfers quand je veux sont contrains à s'armer,
mais on ne force point un cœur à s'enflamer;
mes charmes les plus forts ne sçauroient l'y contraindre,
ah je n'en ay que trop pour forcer à me craindre,
et trop peu pour me faire aimer.
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Scène seconde |
Le roy, Medée, Dorine, Suivans du roy. |
<- Le roy, Suivans du roy
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LE ROY |
Je voy le succez favorable
des soins que vous m'avez promis,
Medée et son art redoutable
ont gardé ce palais contre mes ennemis.
J'ay differé long-temps de tenir ma promesse,
je devrois estre vostre epoux.
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MEDÉE |
L'hymen n'a rien qui presse
ny pour moy, ny pour vous.
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LE ROY |
Vous pouvez sans chagrin souffrir que je differe.
Avec un epoux plein d'appas
l'hymen a de la peine à plaire;
quelle peur ne doit-il pas faire
quand l'epoux ne plaist pas ?
Desormais sans peril je puis faire paraistre
un fils que dans ma cour je n'osois reconnaistre.
Il peut venir dans peu de temps.
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MEDÉE |
Laissons-là vostre fils seigneur, je vous entends.
La jeune Æglé vous paroist belle,
chaque jour, je m'en aperçoy;
si vous m'abandonnez pour elle,
Thesée est seul digne de moy.
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LE ROY ET MEDÉE |
Ne nous piquons point de constance;
consentons à nous dégager.
Goustons d'intelligence
la douceur de changer.
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MEDÉE |
Quand on suit une amour nouvelle,
c'est une trahison cruelle
de laisser dans l'engagement
un cœur tendre et fidelle;
mais rien n'est si charmant
qu'une inconstance mutuelle.
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LE ROY ET MEDÉE |
Heureux deux amants inconstants,
quand ils le sont en mesme temps.
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Scène troisiesme |
Arcas, Le roy, Medée, Dorine, Suivans du roy. |
<- Arcas
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ARCAS |
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LE ROY |
Quel malheur nous menace ?
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ARCAS |
Thesée est si puissant qu'il peut vous allarmer,
ses glorieux exploits charment la populace,
au lieu d'un heritier qui manque à vostre race,
pour vostre successeur on le veut proclamer.
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LE ROY |
Il faut arrester cet audace.
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| Le roy, Medée, Suivans du roy ->
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Scène quatriesme |
Dorine, Arcas |
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DORINE |
Demeure, escoute un mot, Arcas.
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ARCAS |
Mon devoir prés du roy m'appelle,
il faut que je suive ses pas.
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DORINE |
Autrefois tu m'estois fidelle,
tu jurois de m'aimer d'une ardeur éternelle.
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ARCAS |
Nous sommes dans un temps de trouble et de combats.
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DORINE |
Cleone a des appas,
on te voit souvent avec elle,
n'est-ce point une amour nouvelle
qui fait ton embarras ?
Tu rougis ? Tu ne réponds pas ?
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ARCAS |
Mon devoir prés du roy m'appelle,
il faut que je suive ses pas.
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| Arcas ->
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Scène cinquiesme |
Dorine seule. |
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C'est donc la tout le prix d'une amour trop sincere.
N'aimons jamais, ou n'aimons guere:
il est dangereux d'aimer tant,
ce n'est pas le plus seur pour plaire.
Bien souvent on croit faire
un amant heureux et content,
et l'on ne fait qu'un inconstant.
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Scène sixiesme |
Dorine. Peuples qu'on entend crier. |
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PEUPLES |
Regnez, heros indomptable;
regnez rendez nous heureux.
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DORINE |
Le peuple vient icy. Sa faveur est semblable
au transport des cœurs amoureux;
l'ardeur des plus grands feux
n'est pas la plus durable.
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PEUPLES |
Regnez, heros indomptable,
rendez, rendez nous heureux.
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| Dorine ->
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Scène septiesme |
Thesée. Quatre esclaves qui portent Thesée. La populace d'Athenes chantante. Populace d'Athenes dançante. Quatre hommes grecs. Quatre femmes grecques. Deux vieillards dançants. Deux vieilles dançantes. La populace d'Athenes se réjoüit de la victoire que la valeur de Thesée vient de remporter, et le veut proclamer pour successeur d'Aegée. |
<- Thesée, Quatre esclaves, Populace d'Athenes, Quatre hommes grecs, Quatre femmes grecques, Deux vieillards, Deux vieilles
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LE CHŒUR
Que l'on doit estre
content d'avoir un maistre
vainqueur des plus grands roys !
Que l'on entende
chanter par tout ses exploits:
joignons nos voix.
Que toujours il nous deffende,
qu'il triomphe, qu'il commande,
qu'il joüisse des douceurs
de regner sur tous les cœurs.
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DEUX VIEILLARDS ATHENIENS
Pour le peu de bon temps qui nous reste
rien n'est si funeste
qu'un noir chagrin.
Le plaisir se presente,
chantons quand on chante,
vivons au gré du destin.
L'affreuse vieillesse
qui doit voir sans cesse
la mort s'aprocher,
trouve assez la tristesse
sans la chercher.
Achevons nos vieux ans sans allarmes;
la vie a des charmes
jusqu'à la fin.
Le plaisir se presente,
chantons quand on chante,
vivons au gré du destin.
L'affreuse vieillesse
qui doit voir sans cesse
la mort s'aprocher,
trouve assez la tristesse
sans la chercher.
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LE CHŒUR
Que la victoire
le comble icy de gloire;
suivons, aimons ses loix.
Que l'on entende
chanter par tout ses exploits:
joignons nos voix.
Que toujours il nous deffende,
qu'il triomphe, qu'il commande,
qu'il joüisse des douceurs
de regner sur tous les cœurs.
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THESÉE |
C'est assez, amis, c'est assez,
allez, et que chacun en bon ordre se rende
aux endroits qu'au besoin il faudra qu'il deffende:
allez, je suis content de vos soins empressez,
si vous voulez que je commande,
allez, allez, obeïssez.
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Les peuples se retirent. Thesée veut entrer dans l'appartement du roy, Medée en sort qui arreste Thesée. | Quatre esclaves, Populace d'Athenes, Quatre hommes grecs, Quatre femmes grecques, Deux vieillards, Deux vieilles ->
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Scène huitiesme |
Medée, Thesée. |
<- Medée
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MEDÉE |
Thesée ou courez-vous ? Que pretendez-vous faire ?
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THESÉE |
Chercher le roy, le voir, et calmer sa colere.
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MEDÉE |
Le roy souffrira-til que vous donniez la loy ?
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THESÉE |
Il n'aura pas lieu de se plaindre,
si l'on a trop d'ardeur pour moy,
c'est un feu que j'ay soin d'esteindre.
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MEDÉE |
Vous estes de trop bonne foy;
quand on a fait trembler un roy,
aprenez qu'on en doit tout craindre.
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THESÉE |
Sans un charme puissant qui m'attache à sa cour
j'irois chercher ailleurs une guerre nouvelle.
La gloire m'enflama dez que je vis le jour,
tout mon cœur estoit fait pour elle;
mais dans un jeune cœur, la gloire la plus belle
fait aisément place à l'amour.
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MEDÉE |
Un peu d'amoureuse tendresse
sied bien aux plus fameux vainqueurs;
si l'amour est une foiblesse,
c'est la foiblesse des grands cœurs.
Parlez, que rien ne vous allarme
j'obligeray le roy de vous tout accorder.
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THESÉE |
C'est la belle Æglé qui me charme,
elle est l'unique prix que je veux demander.
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MEDÉE |
C'est Æglé ? Dites-vous, Æglé, qui vous engage ?
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THESÉE |
Je sçay que la grandeur a pour vous des attraits,
regnez avec le roy, regnez tous deux en paix,
Æglé, l'aimable Æglé, n'est qu'un trop beau partage.
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MEDÉE |
Je crains pour vostre amour un obstacle fatal.
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THESÉE |
Si Medée est pour moy qui peut m'estre contraire ?
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MEDÉE |
Vous avez le roy pour rival.
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THESÉE |
Malgré sa foy promise, Æglé pourroit luy plaire ?
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MEDÉE |
Laissez-moy voir Æglé, laissez-moy voir le roy,
vous connoistrez, bien-tost les soins que je vais prendre;
allez, allez, m'attendre,
et fiez-vous à moy.
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Thesée passe dans l'appartement de Medée. | Thesée ->
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Scène nevfiesme |
Medée. Seule. |
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Depit mortel, transport jaloux,
je m'abandonne à vous.
Et toy, meurs pour jamais, tendresse trop fatale;
que le barbare amour, que j'avois creu si doux,
se change dans mon cœur en furie infernale.
Dépit mortel, transport jaloux,
je m'abandonne à vous.
Inventons quelque peine affreuse, et sans égale:
preparons avec soin, nos plus funestes coups.
Ah ! si l'ingrat que j'aime échape à mon couroux,
au moins, n'épargnons pas mon heureuse rivale.
Dépit mortel, transport jaloux,
je m'abandonne à vous.
| S
(♦)
(♦)
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Fin du second acte. | |
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