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La prise de Troie | |
première partie du poème liryque des Troyens. | |
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Tableau unique |
L’emplacement du camp abandonné des Grecs dans la plaine de Troie. À gauche du spectateur et à quelque distance dans l’intérieur de Troie, la Citadelle. À droite, le Simoïs, et sur l’un des bords un tumulus, le tombeau d’Achille. Au loin les sommets du mont Ida. Un autel champêtre sur l’avant-scène et près de l’autel un trône élevé. |
Q
Soldats, citoyens, femmes, enfants, Un soldat
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[N. 1 - Chœur de la populace troyenne] | N
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Le peuple troyen se répandant joyeusement dans la plaine. Soldats, citoyens, femmes, et enfants. Danses, jeux divers. Trois bergers jouent de la double flûte au sommet du tombeau d’Achille. | |
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CHŒUR |
Ha ! ha !
Après dix ans passés dans nos murailles,
ah! quel bonheur de respirer
l’air pur des champs, que le cri des batailles
ne va plus déchirer.
(Jeunes garçons et enfants accourant avec des débris d’armes à la main.)
Que de débris ! ~ Un fer de lance !
Je trouve un casque ! ~ Et moi, deux javelots !
Voyez, ce bouclier immense !
Il porterait un homme sur les flots.
Quels poltrons que ces Grecs !
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UN SOLDAT |
Savez-vous quelle tente
en ce lieu même s’élevait ?
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CHŒUR |
Non ! Dites-le... C’était ?
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UN SOLDAT |
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CHŒUR |
(se reculant avec terreur)
Dieux !
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UN SOLDAT |
Restez, troupe vaillante !
Achille est mort, vous pouvez voir ici
sa tombe, la voici.
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CHŒUR |
C’est vrai ; de ce monstre homicide
Pâris nous délivra. ~ Connais-tu le cheval
de bois, qu’avant de partir pour l’Aulide
construisirent les Grecs ? ~ Ce cheval colossal,
leur offrande à Pallas, dans ses vastes entrailles
tiendrait un bataillon. On abat les murailles.
Dans la ville, ce soir, nous allons le traîner;
on dit que le roi vient tantôt l’examiner !
Où donc est-il ? ~ Sur le bord du Scamandre !
Il faut le voir sans plus attendre !
Courons! courons ! Le cheval! le cheval !
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| (Ils sortent en tumulte.) | Soldats, citoyens, femmes, enfants, Un soldat ->
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Pendant la fin de la scène précédente, Cassandre a paru au milieu des groupes, parcourant la plaine avec agitation. Son regard est inquiet et égaré. | <- Cassandre
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[N. 2 - Récitatif et air] | N
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CASSANDRE |
Les Grecs ont disparu !... mais quel dessein fatal
cache de ce départ l’étrange promptitude ?
Tout vient justifier ma sombre inquiétude !
J’ai vu l’ombre d’Hector parcourir nos remparts
comme un veilleur de nuit, j’ai vu ses noirs regards
interroger au loin le détroit de Sigée...
Malheur! dans la folie et l’ivresse plongée
la foule sort des murs, et Priam la conduit !
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Malheureux roi ! dans l’éternelle nuit,
c’en est donc fait, tu vas descendre !
Tu ne m’écoutes pas, tu ne veux rien comprendre,
malheureux peuple, à l’horreur qui me suit !
Chorèbe, hélas, oui, Chorèbe lui-même
croit ma raison perdue !... A ce nom mon effroi
redouble ! Ô dieux ! Chorèbe! il m’aime !
Il est aimé ! mais plus d’hymen pour moi.
Plus d’amour, de chants d’allégresse,
plus de doux rêves de tendresse !
De l’affreux destin qui m’oppresse
il faut subir l’inexorable loi !
(Elle tombe dans une tendre rêverie.)
| (♦)
(♦)
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Chorèbe !... il faut qu’il parte et quitte la Troade.
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Chorèbe s’avance vivement. | <- Chorèbe
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[N. 3 - Duo] | N
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CASSANDRE |
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CHORÈBE |
Quand Troie éclate en transports jusqu’aux cieux
vous fuyez les palais joyeux
pour les bois et les champs, pensive hamadryade !
De vous on s’inquiète...
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CASSANDRE |
Ah ! je cache à vos yeux
le trouble affreux dont mon âme est remplie !
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CHORÈBE |
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CASSANDRE |
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CHORÈBE |
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CASSANDRE |
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CHORÈBE |
Moi, partir ! Te quitter quand le plus saint des nœuds...
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CASSANDRE |
C’est le temps de mourir et non pas d’être heureux.
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CHORÈBE |
Reviens à toi, vierge adorée !
Cesse de craindre en cessant de prévoir;
lève vers la voûte azurée
l’œil de ton âme rassurée.
Laisse entrer dans ton cœur un doux rayon d’espoir.
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CASSANDRE
Tout est menace au ciel ! Crois en ma voix qu’inspire
le barbare dieu même à nous perdre acharné.
Au livre du destin mon regard a su lire,
je vois l’essaim de maux sur nous tous déchaîné !
Il va tomber sur Troie !
À sa fureur en proie,
le peuple va rugir
et de son sang rougir
le pavé de nos rues;
les vierges demi-nues,
aux bras des ravisseurs,
vont pousser des clameurs
à déchirer les nues !
Déjà le noir vautour,
sur la plus haute tour
à chanté le carnage !
Tout s’écroule ! tout nage
sur un fleuve de sang,
et dans ton flanc
le fer d’un Grec !... Ah !
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| (Chorèbe soutient un instant dans ses bras Cassandre à demi évanouie.) | |
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CHORÈBE |
Pauvre âme égarée !
Reviens à toi, vierge adorée !
Cesse de craindre en cessant de prévoir;
lève vers la voûte azurée
l’œil de ton âme rassurée.
Laisse entrer dans ton cœur un doux rayon d’espoir.
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CASSANDRE |
La mort déjà plane dans l’air...
et j’ai vu le sinistre éclair
de son froid regard homicide !
Si tu m’aimes, va-t’en
pars !... va rendre à ton père
un appui nécessaire
à ses vieux ans,
inutile pour nous.
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CHORÈBE |
Eh, de quel œil, si de tel maux sur nous
devaient tomber, chère insensée,
mon père me reverrait-il
fuyant ma fiancée
au moment du péril ?
Mais le ciel et la terre,
oublieux de la guerre
proclament ton erreur.
Cette tiède douceur
du souffle de la brise
et cette mer qui brise
si mollement ses flots
aux caps de Ténédos;
sur la plaine ondoyante
ces tranquilles troupeaux,
ce pâtre heureux qui chante
et ces joyeux oiseaux
semblent ne faire entendre,
sous le céleste dais,
et partout ne répandre
que l’hymne de la paix.
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CASSANDRE |
Signes trompeurs ! calme perfide !
La mort déjà plane dans l’air,
et j’ai vu le sinistre éclair
de son froid regard homicide !
Quitte-nous dès ce soir,
entends-moi, je t’implore,
dans nos murs que l’aurore
ne puisse te revoir !
D’épouvante j’expire
et mon cœur se déchire !
Pars ce soir, pars ce soir !
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CHORÈBE |
Te quitter, dès ce soir !
Cassandre! et je t’adore !
Sauve-moi, je t’implore,
d’un affreux désespoir.
Tu veux donc que j’expire ?
Sans pitié peux-tu dire:
pars ce soir, pars ce soir !
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CASSANDRE |
Si de ton noble amour, Chorèbe,
tu me crus digne un jour, tu partiras !
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CHORÈBE |
Au nom des dieux du ciel et de l’Érèbe,
Cassandre, tu m’écouteras !
À tes genoux, je tombe
Cassandre !
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CASSANDRE |
À tant de douleurs je succombe !
Ô dieux cruels !
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CHORÈBE |
Te quitter, dès ce soir !
Cassandre ! et je t’adore !
Sauve-moi, je t’implore,
d’un affreux désespoir.
Tu veux donc que j’expire ?
Sans pitié peux-tu dire:
pars ce soir, pars ce soir !
Cassandre ! Ô désespoir !
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CASSANDRE |
Entends-moi, je t’implore
dans nos murs que l’aurore
ne puisse te revoir !
D’épouvante j’expire
et mon cœur se déchire !
Pars ce soir, pars ce soir !
Aveugle et sourd comme eux ! Tu persévères
à t’immoler à ton funeste amour ?
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CHORÈBE |
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CASSANDRE |
L’épouvantable jour
te verra donc combattre avec mes frères ?
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CHORÈBE |
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CASSANDRE |
Eh bien ! voilà ma main
et mon chaste baiser d’épouse !
Reste ! La mort jalouse
prépare notre lit nuptial pour demain.
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CHORÈBE |
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| (Il l’entraîne éperdue.) | Cassandre, Chorèbe ->
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Entrent Ascagne à la tête des enfants, Hécube et les princesses, Énée à la tête des Guerriers troyens, Priam et les prêtres. | <- Ascagne, Enfants, Hécube, Princesses, Énée, Guerriers troyens, Priam, Prêtres, Panthée, Helenus
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[N. 4 - Marche et hymne] | N
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CHŒUR
Dieux protecteurs de la ville éternelle,
recevez notre encens;
et du bonheur de son peuple fidèle
entendez les accents !
Ô vous! divins auteurs de notre délivrance.
Dieu de l’Olympe! Dieu des mers !
Régulateurs de l’univers,
acceptez les présents de la reconnaissance.
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[N. 5 - Combat de ceste. Pas de lutteurs] | N
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Danses et jeux populaires. | |
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Andromaque entre à pas lents, tenant par la main Astyanax. Ils sont en deuil - vêtus de blanc - tous les deux. | <- Andromaque, Astyanax
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[N. 6 - Pantomime] | N
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CHŒUR
Andromaque et son fils !
Ô destin !
Ces clameurs de la publique allégresse...
(Astyanax dépose une corbeille de fleurs au pied de l’autel. Andromaque s’agenouille à côté de lui et prie pendant quelques instants.)
Et cette immense tristesse,
ce deuil profond.
(Andromaque se lève et conduit son fils devant le trône de Priam.)
Ces muettes douleurs !
(Elle présente l’enfant au roi et à la reine. Elle attire Astyanax contre son sein et l’embrasse avec une tendresse convulsive.)
Les épouses, les mères pleurent à leur aspect...
(Priam se lève et bénit l’enfant. Hécube le bénit à son tour. Le roi et la reine reprennent place sur leurs trônes.
Astyanax intimidé revient se réfugier auprès de sa mère.
(l’émotion douloureuse d’Andromaque augmente.)
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| <- Cassandre
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CASSANDRE |
(passant au fond du théâtre)
Hélas! garde tes pleurs,
veuve d’Hector...
(Andromaque abaisse son voile.)
à de prochains malheurs
tu dois bien des larmes amères...
(Les larmes la gagnant, Andromaque reprend la main d’Astyanax et passe devant les divers groupes du peuple pour se retirer. La foule s’écarte devant les deux personnages. Plusieurs femmes troyennes pleurant, cachent leur visage sur l’épaule des hommes qui sont auprès d’elles. Les deux personnages s’éloignent à pas lents.)
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CHŒUR |
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| Andromaque, Astyanax, Cassandre ->
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[N. 6 bis - Scène de Sinon] | N
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| <- Sinon
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CHŒUR |
Un traître, un espion ! pour lui, la flagellation !
Sans doute c’est un Grec ! qu’on l’immole à Neptune !
a mort le Grec, à mort le Grec, à mort, à mort !
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PRIAM |
Pour cette humble infortune
ayez plus de pitié !
Laissez jusques à moi
venir ce malheureux.
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CHŒUR |
Oui, qu’il réponde au roi,
qu’il parle !
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PRIAM |
Quel est-tu ? pourquoi dans ces campagnes
te trouvons-nous errant ?
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SINON |
Pardonne au suppliant, grand roi !
Je l’avouerai, je naquis aux montagnes
du royaume d’Ithaque.
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CHŒUR |
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PRIAM |
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CHŒUR |
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SINON |
On me nomme Sinon.
Objet de la haine d’Ulysse
je fus pour être offert en sacrifice
désigné par ce chef d’accord avec Calchas.
Les dieux exigeaient mon trépas
pour nous rendre le vent au retour favorable.
J’allais subir mon sort;
mais l’horreur de la mort
m’ouvrit l’asile impénétrable
d’un fétide marais; j’y dérobai ma fuite,
des sacrificateurs je trompai la poursuite,
caché dans les roseaux
jusqu’au départ de nos vaisseaux.
Depuis ce temps, en proie à la faim dévorante
j’erre éperdu, tremblant à l’idée effrayante,
après m’être soustrait à la haine des miens,
de ne point éviter la fureur des Troyens.
Telle est la vérité.
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| (Depuis quelque temps Cassandre est entrée avec Chorèbe et examine Sinon d’un regard soupçonneux.) | <- Cassandre, Chorèbe
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CASSANDRE |
Tout n’est que perfidie dans la bouche d’un Grec !
(apaisant la foule d’un geste)
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CHŒUR |
Oui, Cassandre a raison ! Entraînons-le !
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PRIAM |
Sinon, je t’accorde la vie
si tu veux me répondre en toute vérité.
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SINON |
Soyez témoins, ô dieux, de ma sincérité !
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PRIAM |
Quel est l’objet de l’œuvre merveilleuse
que l’art des Grecs au bord du Scamandre éleva ?
Fut-ce offrande pieuse
ou machine ?
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SINON |
Ô Priam, Ulysse l’acheva
pour être offerte à Pallas offensée;
et la déesse courroucée
par le sacrilège qu’un jour
Diomède commit sur sa divine image,
a ce prix seul permit notre retour.
Mais Calchas ordonna que d’étage en étage
le cheval s’élevant, devint si monstrueux
que ce présent prodigieux
ne put être introduit dans la ville troyenne.
Car... oui, je l’avouerai pour moi quoi qu’il advienne,
si dans votre Ilion il parvenait jamais,
victorieuse désormais,
la race de Priam ferait trembler la terre
et jusqu’aux murs d’Argos irait porter la guerre.
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CHŒUR |
Quoi! nous irons à notre tour
piller les Argiens ?
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CASSANDRE |
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CHŒUR |
Quelle bataille ! quel incendie!
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CASSANDRE |
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PRIAM |
(descend de son trône)
Qu’on abatte la tour
de la porte de Scée, et qu’un pan de muraille
tombe ! allez ! et malgré la ruse de Calchas
installez dans nos murs cette offrande à Pallas.
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CHŒUR |
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CASSANDRE |
Dieux éternels ! qu’entends-je ?
Par ta fille... par toi... mon père ! quel étrange
dessein ! je crains les Grecs jusques dans leurs présents !
révoque l’ordre ! ô dieux !
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PRIAM |
Reprends tes sens, chère fille !
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CHŒUR |
Elle est folle ! allons !
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PRIAM |
Laisse à ton père
le soin de protéger son peuple et ses états.
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| (Plusieurs hommes sortent comme pour aller exécuter l’ordre de Priam.) | Énée ->
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CASSANDRE |
Ah ! c’est le dernier coup !
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CHORÈBE |
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[N. 7 - Récit] | N
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| <- Énée
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ÉNÉE (accourant) |
Du peuple et des soldats, ô roi ! la foule
s’enfuit et roule
comme un torrent; on ne peut l’arrêter !
Un prodige inouï vient de l’épouvanter:
Laocoon, voyant quelque trame perfide
dans l’ouvrage des Grecs, a d’un bras intrépide
lancé son javelot sur ce bois, excitant
le peuple indécis et flottant
à le brûler. Alors, gonflés de rage,
deux serpents monstrueux s’avancent vers la plage,
s’élancent sur le prêtre, en leurs terribles nœuds
l’enlacent, le brûlant de leur haleine ardente,
et le couvrant d’une bave sanglante,
le dévorent à nos yeux.
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[N. 8 - Ottetto et double Chœur] | N
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PRIAM, PANTHÉE, CHORÈBE, ÉNÉE, HELENUS, CASSANDRE, ASCAGNE, HÉCUBE, LE PEUPLE |
Châtiment effroyable !
Mystérieuse horreur !
À ce récit épouvantable
le sang s’est glacé dans mon cœur.
Un frisson de terreur
ébranle tout mon être !
Laocoon ! un prêtre !
Objet de la fureur des dieux,
dévoré palpitant par ces monstres hideux !
Horreur !
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CASSANDRE |
Ô peuple déplorable !
Mystérieuse horreur !
À ce récit épouvantable
le sang s’est glacé dans mon cœur.
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[N. 9 - Récitatif et Chœur] | N
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ÉNÉE |
Que la déesse nous protège,
conjurons ce nouveau danger !
Il est trop vrai, Pallas vient de venger
un affreux sacrilège.
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PRIAM |
Pour l’apaiser, suivez mes ordres sans retard.
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ÉNÉE |
Déjà sur des rouleaux disposés avec art,
le cheval est placé, que chacun le conduise,
vers le Palladium en pompe l’introduise !
À cet objet sacré formez cortège, enfants,
femmes, guerriers, couvrez de fleurs la voie,
et que jusques dans Troie
la trompette et la lyre accompagnent vos chants !
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ENSEMBLE |
A cet objet sacré formez cortège, enfants,
femmes, guerriers, couvrez de fleurs la voie,
et que jusques dans Troie
la trompette et la lyre accompagnent vos chants!
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CASSANDRE (parcourant la scène avec égarement) |
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PRIAM, HÉCUBE, ÉNÉE, PANTHÉE, CHORÈBE, HELENUS |
Pallas, pardonne à Troie !
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| (Ils sortent. Cassandre reste seul sur l’avant-scène. Après avoir fait quelques pas pour suivre la foule, elle rentre brusquement.) | Ascagne, Enfants, Hécube, Princesses, Énée, Chorèbe, Guerriers troyens, Priam, Prêtres, Sinon, Panthée, Helenus ->
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[N. 10 - Air] | N
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CASSANDRE
Non, je ne verrai pas la déplorable fête
où s’enivre, en espoir d’un brillant avenir,
ce peuple condamné, que rien, hélas ! n’arrête
sur la pente du gouffre. Ô cruel souvenir !
Gloire de la patrie !... Et voir s’évanouir
du bonheur le plus pur la séduisante image !
Ô Chorèbe ! Ô Priam !... Vains efforts de courage,
des pleurs d’angoisse inondent mon visage !
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[N. 11 - Final: Marche troyenne] | N
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On entend le cortège dans un grand éloignement. | |
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CASSANDRE |
De mes sens éperdus... est-ce une illusion ?
Les chœurs sacrés d’Ilion !
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CHŒUR |
Du roi des dieux, ô fille aimée,
du casque et de la lance armée,
sage guerrière aux regards doux,
à nos destins sois favorable,
rends Ilion inébranlable,
belle Pallas, protège-nous.
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CASSANDRE |
Quoi, déjà le cortège !... Au loin je l’aperçois !
L’ennemi vient et la ville est ouverte !...
Ce peuple fou qui se rue à sa perte
semble avoir devancé les ordres de son Roi !
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| (On entend le cortège plus près.) | |
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CHŒUR |
Du roi des dieux, ô fille aimée,
du casque et de la lance armée,
sage guerrière aux regards doux,
entends nos voix, vierge sublime,
aux sons des flûtes de Dindyme
se mêler au plus haut des airs.
Que la trompette phrygienne
unie à la lyre troyenne
te porte nos pieux concerts !
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CASSANDRE |
L’éclat des chants augmente !
L’énorme machine roulant
s’avance!... la voici!
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| <- Peuple
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CHŒUR |
(entrant en scène)
Du roi des dieux, ô fille aimée,
du casque et de la lance armée,
sage guerrière aux regards doux,
souriante guirlande,
à l’entour de l’offrande
dansez, heureux enfants !
Semez sur la ramée
la neige parfumée
des muguets du printemps.
Pallas ! protège-nous !
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| (Les chants cessent brusquement. Le chœur s’agite en divers sens; quelques femmes sortent comme pour aller voir ce qui se passe hors de la scène et reviennent presque aussitôt.) | |
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QUELQUES HOMMES DU PEUPLE |
Qu’est-ce donc ? et pourquoi ce mouvement d’alarmes ?
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CASSANDRE |
Jupiter ! on hésite !
Et la foule s’agite !
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LES FEMMES |
Dans les flancs du colosse on entend un bruit d’armes...
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CASSANDRE |
On s’arrête... ô dieux! si...
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LES HOMMES |
Présage heureux ! chantez, enfants !
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| (Les chants reprennent avec plus d’éclat qu’auparavant.) | |
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TOUT LE CHŒUR |
Fiers sommets de Pergame,
d’une joyeuse flamme
rayonnez triomphants !
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| (Le chœur reprend la suite du cortège et sort.) | Peuple ->
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CASSANDRE |
Arrêtez ! arrêtez ! Oui, la flamme, la hache !
Fouillez le flanc du monstrueux cheval !
Laocoon !... les Grecs !... il cache
un piège infernal...
Ma voix se perd !... plus d’espérance !
Vous êtes sans pitié, grands dieux,
pour ce peuple en démence !
Ô digne emploi de la toute-puissance,
le conduire à l’abîme en lui fermant les yeux !
(Elle écoute les derniers sons de la marche triomphale qu’on distingue encore et qui s’éteignent tout d’un coup.)
Ils entrent, c’en est fait, le destin tient sa proie !
Sœur d’Hector, va mourir sous les débris de Troie !
(Elle sort.)
| Cassandre ->
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