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Scène première |
Le théâtre représente un rivage de la mer. Doris, Cidippe. |
Q
Doris, Cidippe
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CIDIPPE |
Vous suivez un penchant trop flateur et trop doux,
je doute que Pélée ait de l'amour pour vous.
Son feu, s'il vous aimoit, craindroit moins de paroître,
ses soins seroient plus empressez,
il vous tient des discours douteux, embarassez,
l'amour par ses regards ne se fait point connoître;
on l'aperçoit bien mieux
dans vôtre bouche, et dans vos yeux.
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DORIS |
Non, j'aime trop pour m'y pouvoir méprendre.
Des soins toûjours craintifs, un timide embaras,
sont les effets de l'amour le plus tendre;
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c'est en soûpirant tout bas
qu'il se fait le mieux entendre.
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CIDIPPE |
On croit facilement qu'on inspire les feux
que l'on ressent soy-même,
on se flate si-tôt qu'on aime,
et tout paroît amour à des yeux amoureux.
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DORIS |
Pélée aime en secret, tout marque sa tendresse,
à quel objet ses vœux pourroient-ils être offerts ?
Il voit sauvent Thétis, mais le soin qui le presse
est de servir le dieu des mers,
il n'est pas son rival auprès dune déesse.
Tout semble déclarer
que c'est moy qu'il adore;
mais j'en croy mieux encore
mon cœur qui m'en ose assûrer.
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CIDIPPE |
Ne seray-je point trop sincère,
si je vous avertis
d'un secret qui doit vous déplaire ?
J'ay veu dans un lieu solitaire
Pélée entretenir Thétis,
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le hazard seul n'eût pû les y conduire,
sans entendre leurs voix, je sçeus assez m'instruire
de leurs mutuelles amours,
par leur regards j'entendis leurs discours.
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DORIS |
Il aimeroit Thétis ? Ciel ! cet affreux supplice
seroit-il réservé pour ma secrette ardeur ?
Mais je la voy, pour lire dans son cœur
je veux employer l'artifice.
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Scène deuxième |
Thétis, Doris, Cidippe. |
<- Thétis
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DORIS |
Déesse, venez-vous sur ce bord écarté
rêver aux conquêtes brillantes
que fait vôtre beauté ?
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THÉTIS |
Ce qui peut les rendre charmantes
n'est que la seule vanité.
Les dieux ont peu d'amour, on ne doit point attendre
que leur cœur tout entier s'en laisse posseder,
ces amans son aisez à prendre,
et difficiles à garder.
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DORIS ET CIDIPPE |
Un tendre amour doit avoir l'avantage
sur un rang éclatant,
le plus glorieux hommage
est celuy d'un cœur constant.
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DORIS |
Quelque fois un mortel me jure
qu'il est touché du pouvoir de mes yeux;
si j'en étois bien sûre,
je le préfererois aux dieux.
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THÉTIS |
Et quel est cét amant ? l'amitié vous engage
à me laisser entrer dans un secret si doux.
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DORIS |
Pélée a pris des soins... Vous changez de visage ?
Pourquoy vous troublez-vous ?
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THÉTIS |
J'ignorois qu'il fût dans vos chaînes,
avec bien du mystere il a conduit ses feux.
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DORIS |
L'amour discret cache ses peines,
à l'objet même de ses vœux.
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Mais je voy Mercure descendre,
je croy que sans témoins vous le voulez entendre.
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| Doris, Cidippe ->
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Scène troisième |
Thétis, Mercure. |
<- Mercure
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MERCURE |
Jupiter attiré par vos divins appas
va paroître icy bas.
Quand Neptune vous rend les armes,
ce triomphe pour vous est trop peu glorieux;
l'amour devoit à tant de charmes
la conquête d'un dieu maître des autres dieux.
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THÉTIS |
Je sçay que Jupiter tient tout sous son empire,
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que les dieux révèrent ses loix;
Mercure, on n'a rien à me dire
sur le respect que je luy dois.
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| Mercure ->
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Scène quatrième |
Thétis. |
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Tristes honneurs, gloire cruelle,
ah ! que vous me gênez !
Tristes honneurs, gloire cruelle,
pourquoy m'êtes-vous destinez ?
Mon amant n'est qu'un infidelle !
Dieux ! quel trouble saisit tous mes sens étonnéz
le perfide trahit une flame si belle !
Hélas ! mes jours infortunez
vont couler dans l'horreur d'une peine éternelle.
| S
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Tristes honneurs, gloire cruelle,
pourquoy m'êtes-vous destinez ?
Vous qu'en ces lieux l'amour appelle,
retournez dans le ciel que vous abandonnez,
laissez-moy m'occuper de ma douleur mortelle;
à de trop justes pleurs mes yeux sont condamnez.
Tristes honneurs, gloire cruelle,
pourquoy m êtes-vous destinez ?
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Scène cinquième |
Thétis, Pélée. |
<- Pélée
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PÉLÉE |
Enfin je vous revoy, quel bonheur pour ma flame !
Que ces moments me semblent doux !
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THÉTIS |
Allez chercher Doris, elle a touché vôtre ame,
je sçay que vôtre cœur se partage entre nous.
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PÉLÉE |
Ô ciel ! que vous entens-je dire ?
Quoy ? lorsqu'à vôtre hymen vous souffrez que j'aspire...
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THÉTIS |
Non, ingrat, non perfide, il n'y faut plus penser,
mon hymen t'eût comblé de gloire,
mais il te plaît d'y renoncer
par une trahison si noire.
Non, ingrat, non perfide, il n'y faut plus penser.
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PÉLÉE |
Ah ! quels noms pleins d'horreur me faites vous entendre ?
Quel traitement, grands dieux ! et l'amour le plus tendre
peut-il se l'être attiré ?
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THÉTIS |
Ton crime est trop assûré,
tu ne sçaurois t'en defendre.
En vain des plus grands dieux j'avois touché le cœur,
je te sacrifiois leur majesté suprême,
et j'eusse encor voulu que Jupiter luy-même
eût eu plus de grandeur.
Tu me fais cependant la plus cruelle injure,
tu brûles pour d'autres appas;
quel destin est le mien ? hélas !
C'est le sort d'une ardeur trop fidelle et trop pure
de trouver toûjours des ingrats.
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PÉLÉE |
Le croyezs-vous, belle déesse ?
Quoy? vous m'aimez, et de vôtre tendresse
j'ignorerois le prix ?
Quoy ? vous m'aimez, et j'aimerois Doris ?
Le croyez-vous, belle déesse ?
Ah ! pour vous détromper d'un soupçon qui me blesse,
j'iray, même à vos yeux, l'accabler de mépris.
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THÉTIS |
Ne croy point m'éblouïr par une fausse adresse.
On voit des éclairs, et on entend le tonnerre.
Mais je puis me vanger, ces éclairs que je voy,
ce tonnerre qui gronde,
m'annoncent le maître du monde,
je sçauray me forcer à recevoir sa foy,
mon cœur s'est engagé sur l'apparence vaine
des feux que tu feignis pour moy,
et je veux l'en punir en m'imposant la peine
d'en aimer un autre que toy.
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PÉLÉE |
Et moy, jè vais le voir ce rival redoutable,
pour attirer sur moy sa haine impitoyable;
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mon amour va se découvrir;
je vous parois coupable,
je ne cherche plus qu'a mourir.
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THÉTIS |
Ah ! que dis-tu ? fuy sa présence,
quitte des lieux pleins de danger.
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PÉLÉE |
Si je vous ay pû faire une mortelle offense,
c'est au tonnerre à vous vanger.
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THÉTIS |
Eloigne-toy, le bruit redouble,
je ne puis plus te voir icy sans trouble.
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PÉLÉE |
À me chasser vos efforts seront vains,
si je ne voy finir vôtre injustice extrême.
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THÉTIS |
Va, fuy; te montrer que je crains,
c'est te dire assez, que je t'aime.
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Jupiter descend du ciel. | Pélée ->
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Scène sixième |
Jupiter, Thétis. |
<- Jupiter
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JUPITER |
Déesse, dans ces lieux mon amour me conduit
avec tout l'éclat qui me suit;
pour d'autres beautez moins charmantes
j'ay souvent emprunté des formes différentes,
mais il faut que mes soins soient plus dignes de vous,
il faut qu'à vos attraits mon hommage réponde,
et c'est comme maître du monde
que je veux être a vos genoux.
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THÉTIS |
Permettez, que mon cœur prenne peu d'assurance
sur des soins trop flateurs que je n'attendois pas,
je sçay quels sont mes appas,
et quelle est vôtre constance.
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JUPITER |
Il est vray que jusqu'à ce jour
j'ay pris pour cent beautez un inconstant amour;
mais vôtre gloire en deviendra plus belle,
lorsqu'à vos charmes seuls mes vœux seront offerts,
et vous triompherez de tant d'objets divers
en me rendant fidelle.
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Rien n'est plus doux que d'arrester
un cœur volage,
c'est un avantage
dont vous devez vous flater.
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THÉTIS |
Rien n'est capable d'arrester
un cœur volage,
c'est un avantage
dont on ne peut se flater.
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JUPITER
Rien n'est plus doux que d'arrester
un cœur volage.
C'est un avantage
dont vous devez vous flater.
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Ensemble
THÉTIS
Rien n'est capable d'arrester
un cœur volage.
C'est un avantage
on ne peut se flater.
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JUPITER
Vous refusez de croire
que mon cœur pour jamais soit sous vôtre pouvoir,
vous ignorez encor quelle est vôtre victoire,
et bien vous allez le sçavoir.
Changez-vous, lieux rustiques,
en jardins magnifiques,
et vous, peuples divers,
venez en un instant, et traversez les airs.
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Aussi-tôt le théâtre change, et représente des jardins; et l'on voit paroître quatre troupes de quatre peuples les plus différents et les plus éloignez les uns des autres qui fussent connus du temps des fables. La première troupe est de Grecs, la seconde de Perses, la troisième d'Ethiopiens, la quatrième de Scithes. Mercure entre. | Q
<- Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Mercure
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Scène septième |
Jupiter, Thétis, Mercure, Troupes des Grecs, de Perses, d'Ethiopiens, et de Schites. |
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JUPITER |
Vous qui de tous les lieux que le Soleil éclaire
par mes ordres puissans accourez à la fois,
peuples, qui sous diverses loix
n'avez rien de commun que l'ardeur de me plaire,
soyez attentifs à ma voix.
Vos vœux ne seront point désormais légitimes,
je ne recevray point d'encens ny de victimes,
si le nom de Thétis n'estjoint avec le mien,
sans cet aimable nom je n'écoute plus rien.
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Thétis a sçû charmer le maître du tonnerre,
et le plus grand des immortels;
il faut que sur toute la Terre
elle partage ses autels.
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CHŒUR |
Thétis a sçû charmer le maître du tonnerre,
et le plus grand des immortels;
il faut que sur toute la Terre
elle partage ses autels.
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Les Grecs et les Perses rendent leurs hommages à Thétis par des danses. | |
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CHŒUR DES GRECS ET DES PERSES
Aimez, déesse,
tout vous en presse,
rendez heureux
Jupiter amoureux.
Un dieu puissant reçoit nos voeux sans cesse,
et de ce dieu vous recevez les vœux.
Aimez, déesse,
tout vous en presse,
rendez heureux
Jupiter amoureux.
De vos desirs si la gloire est maîtresse,
la gloire même approuvera vos feux.
Aimez, déesse,
tout vous en presse,
rendez heureux
Jupiter amoureux.
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CHŒUR DES ETHIOPIENS ET DES SCITHES
Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?
Dans nos deserts on ne s’en défend pas.
Fiere beauté, voyez de fiers courages
rendre à l’amour les plus tendres hommages.
Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?
Dans nos deserts on ne s’en défend pas.
N’esperez point braver une puissànce
à qui nos cœurs n’ont pas fait resistance.
Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?
Dans nos deserts on ne s'en défend pas.
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Danses des Ethiopiens et des Scithes. | |
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CHŒUR DES QUATRE PEUPLES |
Que toutes nos voix se confondent
pour chanter de Thétis les triomphans appas.
Que tout les célèbre icy bas,
que les cieux même nous répondent,
le souverain des dieux veut à tout l'univers
vanter la gloire de ses fers.
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On entend une tempête qui s'élève. | |
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CHŒUR DES PEUPLES |
Quel bruit soudain nous épouvante;
quelle tempête ! quelle horreur !
Les Vents son déchaînez, et l'onde menaçante
répond aux Vents avec fureur.
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Neptune paroît sur la mer. | |
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Scène huitième |
Jupiter, Neptune, Mercure, Peuples. |
<- Neptune
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NEPTUNE |
De quels chants odieux retentit ce rivage ?
Jupiter sçait-il bien que c'est moy qu'il outrage ?
A-t'il quitté les cieux pour braver mon courroux,
en m'enlevant l'objet de mes vœux les plus doux ?
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JUPITER |
Oui, j'adore Thétis, et n'en fais point mystere,
vous, si vous m'en croyez, Neptune, épargnez-vous
les impuissants transports d'une vaine colère.
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Jupiter sort suivy des Peuples. | Jupiter, Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Thétis ->
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Scène neuvième |
Neptune, Mercure. Neptune sort de la mer, et la tempête continue. |
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NEPTUNE |
Me croit-il donc soûmis à ses commandemens ?
Quoy ? me croit-il sous son obeïssance ?
Ah ! dans le juste éclat de mes ressentimens,
mon bras se servira de toute sa puissance,
je confondray les elemens,
j'exciteray mes flots et par leur violence
je causeray par tout d'affreux débordemens,
et sur la Terre entière exerçant ma vangeance
j'ébranleray ses fondemens.
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MERCURE |
S'il faut que Jupiter s'obstine
dans l'amour dont il est blessé,
je voy d'une affreuse ruine
l'unìvers menacé.
Songez à prévenir les maux que j'appréhende,
l'interêt commun le demande.
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NEPTUNE
Ne croyez point m'intimider,
non, non, que Jupiter se rende,
j'ay prévenu ses feux, c'est à luy de céder.
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MERCURE |
Une puissance plus grande
entre vous peut décider,
consultez le Destin, le Destin vous commande,
son arrêt doit vous accorder.
La fin de vos débats ne peut être plus prompte,
vous sçauréz qui des deux doit obtenir Thétis.
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NEPTUNE |
J'y consens, au Destin nous nous rendons sans honte,
il nous tient tous assujettis.
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Fin du second acte. | |
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