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Thétis et Pélée

THÉTIS ET PÉLÉE

Tragédie en musique.

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Livret de Bernard LE BOUYER DE FONTENELLE.
Musique de Pascal COLLASSE.

Première représentation: 11 janvier 1689, Paris.


Personnages:

Acteurs du Prologue

LA NUIT

inconnu

LA VICTOIRE

inconnu

LE SOLEIL

inconnu

Acteurs de la tragédie

JUPITER

basse

NEPTUNE

basse

MERCURE

inconnu

THÉTIS déesse de la mer

soprano

DORIS nimphe de la mer

soprano

CIDIPPE autre nimphe

soprano

PROTÉE

inconnu

PÉLÉE

ténor

FLORE

inconnu


Suite de La Victoire, Les Heures, Trois sirènes, Un triton, Les ministres du Destin, Une Grecque, Un Grec, L'Oracle, Les trois Euménides, Les Nereïdes, Les tritons et les fleuves, Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens,
Troupe de Scithes, Les Vents, Troupe de dieux celestes, Troup de dieux terrestres, Vertumne, Flore, Pan, Palés, Bacchus.



Prologue
Scène première

Le théâtre represente une nuit.
La Nuit.

(dans son char)

Achevons nôtre cours paisible,

achevons de verser nos tranquilles pavots;

mortels, dans vôtre sort pénible,

le plus grand bien est le repos.

Goutez ce calme heureux que le Destin vous laisse,

le jour ne reviendra qu'avec trop de vitesse,

et mille soins divers

s'empareront de l'univers.

On entend un bruit de guerre.

Quel bruit interrompt le silence

de la terre et des cieux ?

D'où vient que dans ces lieux

la Victoire s'avance ?

Scène deuxième

La Nuit, La Victoire, Suite de La Victoire.

CHŒUR DE LA SUITE DE LA VICTOIRE

Allons, allons, ne tardons pas,

un jeune heros nous appelle;

allons le courronner dans l'horreur des combats,

La Victoire à jamais luy veut être fidelle,

elle suivra toûjours ses pas.

On commence à voir un peu de clarté

LA VICTOIRE

Ô Nuit ! précipitez vôtre sombre carrière,

deja du dieu du jour un foible éclat nous luit;

cedez à la lumière,

fuyez, fuyez, obscure Nuit.

LA NUIT

II n'est pas temps encore que le Soleil me chasse,

ô ciel ! par quelle nouveauté

vient-il si-tôt prendre ma place,

et faire briller sa clarté ?

La clarté augmente peu à peu.

CHŒUR

Ô Nuit ! précipitez vôtre sombre carrière,

voyez quel est déja cet éclat qui nous luit.

Cedez à la lumière,

fuyez, fuyez, obscure Nuit.

LA NUIT

Il faut céder, je ne puis m'en défendre,

un trop grand éclat m'y réduit.

Quel prodige doit-on attendre

dans le jour qui me fuit ?

LA VICTOIRE

Le temps vous presse trop, vous ne pouvez l'apprendre.

CHŒUR

Fuyez, fuyez, obscure Nuit.

La Nuit se retire.

Scène troisième

La Victoire, Suite de la Victoire.
On voit le palais du Soleil qui commence à s'òuvrir.

LA VICTOIRE

Du palais du Soleil la barrière éclatante

s'ouvre de moment en moment.

Marquons au dieu du jour qui remplit nôtre attente,

combien à nos regards ce spectacle est charmant.

Pendant que le palais du Soleil acheve de s'ouvrir, la suite de La Victoire en marque sa joye par des danses.

Scène quatrième

Le Soleil, Les Heures, La Victoire et La suite.

LE SOLEIL

Victoire, tu le vois, j'accomplis ma promesse,

à suivre tés desirs tu vois que je m'empresse,

l'ordre de l'univers, et d'éternelles loix

n'ont point de pouvoir qui m'arrête,

je vais partir plutôt que je ne dois,

pour éclairer la première conquête

du fils du plus puissant des rois.

LA VICTOIRE

Je ne puis te marquer trop de reconnoissance,

Soleil, quand tu répons à mon impatience.

Un grand roi m'a prescrit de voler en des lieux

où son auguste fils, d'un courage intrepide,

expose des jours précieux.

Ma course n'est jamais plus prompte et plus rapide

que quand je suis les loix d'un roi si glorieux.

LE SOLEIL

Pendant quelques momens encore

laissons briller l'Aurore,

et j'entre en ma carrière avec la même ardeur

qui possède ton cœur.

Quel destin aujourd'hui commence !

Quelle brillante gloire aujourd'huy prend naissance !

Que de fameux exploits l'un à l'autre enchaînez

s'offrent dans l'avenir à mes yeux étonnez !

À ce vainqueur nouveau mille ennemis se rendent,

mille superbes murs tombent sous son effort.

Que vois-je? quel illustre sort !

II satisfait à tout ce que demandent

et l'exemple qu'il suit, et le sang dont il sort.

Danses de la Suite de la Victoire et des Heures.

CHŒUR DE LA SUITE DE LA VICTOIRE

Préparons, préparons nos palmes immortelles

pour tant d'exploits guerriers,

pour des conquêtes si belles

préparons tous nos lauriers.

CHŒUR DES HEURES ET DE LA VICTOIRE

Hâtez-vous , ô Soleil ! hâtez vous de paroître,

partez, partez, il en est temps.

Que de jours glorieux, que de jours éclatans,

suivront le beau jour qui va naître !

Hâtez-vous, ô Soleil ! hâtez-vous de paroître.

LE SOLEIL

(dans son char)

Je commence mon cours, va, pars ainsi que moi;

Victoire, accordons-nous à servir un grand roi.

Le Soleil part, et La Victoire s'envole.

Fin du Prologue.

Acte premier
Scène première

Le thèâtre représente le palais de Thétis.
Pélée.

PÉLÉE

Que mon destin est déplorable !

En vain à mes soûpirs Thétis est favorable,

helas ! Neptune en est charmé.

La crainte que nous cause un dieu si redoutable

tient toûjours dans nos cœurs ce beau feu renfermé.

Quelle sont tes rigueurs, amour impitoyable !

Il est encor des maux pour un amant aimé.

Scène deuxième

Pélée, Doris, Cidippe.

DORIS

Quoy ? je vous trouve seul ? Thétis attend Neptune;

lorsqu'il vient à ses yeux faire briller sa cour,

il semble que d'un si beau jour

l'éclat vous importune:

la retraite ne plaist qu'à des cœurs pleinsd'amour.

PÉLÉE

Moy, nymphe, j'aimerois ? non, mon cœur est paisible,

non, mon cœur n'est point enflâmé.

DORIS

On dit d'un air moins animé

que l'on est insensible.

PÉLÉE

Par le seul mot d'amour vous m'avez allarmé.

DORIS

C'est en vain qu'un amant tâche de se contraindre,

en vain il cache son ardeur,

les effortsqu'il se fait pour feindre

trahissent malgré luy le fecret de son cœur,

j'ignore quel objet dans vôtre ame a fait naître

des feux qui n'osent éclater;

mais vous aimez, j'ay sçu le reconnoître,

ne cherchez point à m'en-faire douter.

PÉLÉE

J'aimerois si l'amour sincère

pouvoit s'assûrer d'être heureux;

mais souvent les plus beaux feux

trouvent un objet sévère;

souvent on préfère

l'mant le moins amoureux.

Neptune aime Thétis, c'est à moy qu'il confie

ses secrets sentimens;

mais ses tourmens

me font voir sans envie

le destin des amans.

DORIS

Dequoy peut vous servir une feinte éternelle ?

Roy des Tessaliens, fameux par vos exploits,

vous aimez, vous serez fidelle;

d'où vient que vous n'osez découvrir vôtre choix ?

Avec une gloire éclatante,

vous flaterez la vanité

d'une fiere beauté;

avec une flame constante

vous pourrez d'une indifferente

vaincre la cruauté.

Avec une gloire éclatante,

avec une flame constante,

on est aisément écouté.

PÉLÉE

Vous tâchez vainement d'animer mon courage,

quand je serois amant, croirois-je vos discours ?

La crainte est toûjours

la cruel partage

des tendres amours.

DORIS

L'espoir est toûjours

le charmant partage

des tendres amours.

Ensemble

PÉLÉE

La crainte est toûjours

la cruel partage

des tendres amours.

DORIS

L'espoir est toûjours

le charmant partage

des tendres amours.

Scène troisième

Thétis, Doris, Pélée, Cidippe, Nymphes de la suite de Thétis.

DORIS

Déesse, avec plaisir nous allons voir la fête

que le dieu des eaux vous apprête.

THÉTIS

J'espère qu'en ce jour vôtre amitié pour moy

vous fera partager l'honneur que je reçoy.

On voit venir de loin les Sirènes, et on entend leur musique.

Mais nous voyons déja les Sirènes paroître,

nous entendons leurs doux concerts,

préparons-nous à voir bien-tôt le maître des vastes mers.

Scène quatrième

Thétis, Doris, Pélée, Les trois Sirènes, Nymphes de la suite de Thétis, Nereïdes qui accompagnent les Sirènes.

LES SIRÈNES

Nos chants harmonieux forcent tout à se rendre,

nous disposons des cœurs a nôtre gré;

dés que nos voix se font entendre,

nôtre triomphe est assûré.

Danses des Nereïdes.

LES SIRÈNES

(à Thétis)

Prenez d'aimables chaînes,

que nos chansons ne soient pas vaines

pour la première fois;

est-il des rigueurs inhumaines

pour un fidelle amour annoncé par nos voix ?

Scène cinquième

Neptune, Thétis, Pélée, Tritons, et Fleuves de la Suite de Neptune, Doris, Sirènes, Nereïdes.

CHŒUR DE TRITONS ET DE FLEUVES

Empresons-nous à plaire au dieu des ondes,

il adore Thétis, adorons ses beaux yeux,

les Amours descendront dans nos grottes profondes,

ils règnent jusque dans ces lieux.

NEPTUNE

(à Thétis)

Voyez, belle déesse,

voyez toute ma cour vous marquer son transport,

je vous soumets, par ma tendresse,

tout ce qui m'est soûmis par les ordres du Sort.

Jupiter m'enleva le plus noble partage;

mais l'empire des mers où je donne la loy,

sur l'empire dés cieux, doit avoir l'avantage,

quand vous regnerez avec moy.

THÉTIS

Je doute que du sort la suprême puissance

m'ait destinée à cet honneur;

mais je reçoy vos soins avec reconnoissance,

c'est le seul sentiment qui dépend de mon cœur.

NEPTUNE

Je me flate que ma constance

doit m'attirer une autre récompense;

aimez, aimez a vôtre tour,

c'est l'amour seul qui peut payer l'amour.

CHŒUR DE TOUTES LES DIVINITEZ DE LA MER

Aimez, aimez a vôtre tour,

c'est l'amour seul qui peut payer l'amour.

Danse des divinitez de la mer.

CHŒUR DE TOUTES LES DIVINITEZ

Tout reconnoît l'amour, tout se plaît dans ses chaînes,

tout cède a ses loix souveraines;

mais il n'est rien dans l'univers

qui luy soit plus soûmis que l'empire des mers.

UN TRITON

C'est dans nos flots que Venus prit naissance,

nous sûmes les premiers sous son obeïssance,

la mère d'amour fit sur nous

l'essay de ses traits les plus doux.

CHŒUR DE TOUTES LES DIVINITEZ DE LA MER

Rendez-vous à l'amour, cedez-luy la victoire,

Neptune a fait un heureux choix,

commandez sur les flots, accordez-nous la gloire

de vivre sous vos loix.

NEPTUNE

(aux divinitez de la mer)

Je suis content de vôtre zele,

il ne sçauroit mieux éclater.

(à Thétis)

Je vous quitte, aimable immortelle,

songez à la grandeur où vous pouvez monter,

mais songez encor plus à mon amour fidelle.

Neptune sort avec les divinitez de la mer.

Scène sixième

Thétis, Pélée.

PÉLÉE

Je viens de soûtenir le spectacle fatal

des hommages pompeux que vous rend mon rival,

pour me payer d'une peine si dure,

vos plus tendres regards ne me sont-ils pas dûs ?

Parlez, ou que du moins un soûpir me rassûre

contre les soins que l'on vous a rendus.

THÉTIS

Perdez une crainte importune,

je viens d'apprendre encor que mes foibles attraits

vous donnent un rival plus puissant que Neptune,

et mon cœur est à vous, plus qu'il n'y fut jamais.

PÉLÉE

Ah ! Jupiter est ce rival terrible !

THÉTIS

C'est luy qui va m'offrir des soûpirs superflus.

PÉLÉE

Qoy ! Jupiter pour vous est devenu sensible ?

Ma peine étoit trop foible, et rien n'y manque plus.

Daignez me pardonner ma crainte et mes allarmes,

si j'en croyois les troubles que je sens,

je me plaindrois de l'excés de vos charmes,

lorsqu'ils me font des rivaux si puissants.

THÉTIS

Vous remportez des victoires nouvelles,

quand je fais des amants nouveaux;

si mes conquêtes sont trop belles,

vos triomphes en sont plus beaux.

PÉLÉE

Je ne suis qu'un mortel, c'est en vain que j'espère;

ces dieux empressez à vous plaire

me font sentir trop vivement

que je suis un téméraire

d'oser être vôtre amant.

THÉTIS

Dans l'empire d'Amour on tient le rang suprême

des que l'on sçait charmer,

un mortel qui se fait aimer

est égal à Jupiter même;

dans l'empire d'amour on tient le rang suprème

dés que l'on sçait charmer.

PÉLÉE

Lorsque j'obtiens de vous un si doux sacrifice,

ô ciel ! dans quels malheurs il faut que je languisse !

J'espérois que l'hymen finiroit mon tourment,

mais tout s'oppose à cet espoir charmant;

plus vous m'aimez, plus je sens le supplice

d'être aimé vainement.

PÉLÉE ET THÉTIS

Faut-il que tout s'unisse

contre de si beaux feux ?

Helas ! quelle injustice !

Les plus tendres amours sònt les plus malheureux.

THÉTIS

Redoublons, s'il se peut, nôtre ardeur mutuelle,

par nôtre amour, tachons à surmonter

la fortune cruelle.

PÉLÉE ET THÉTIS

Aimons, c'est le seul bien qu'on ne peut nous ôter.

Fin du premier acte.

Acte second
Scène première

Le théâtre représente un rivage de la mer.
Doris, Cidippe.

CIDIPPE

Vous suivez un penchant trop flateur et trop doux,

je doute que Pélée ait de l'amour pour vous.

Son feu, s'il vous aimoit, craindroit moins de paroître,

ses soins seroient plus empressez,

il vous tient des discours douteux, embarassez,

l'amour par ses regards ne se fait point connoître;

on l'aperçoit bien mieux

dans vôtre bouche, et dans vos yeux.

DORIS

Non, j'aime trop pour m'y pouvoir méprendre.

Des soins toûjours craintifs, un timide embaras,

sont les effets de l'amour le plus tendre;

c'est en soûpirant tout bas

qu'il se fait le mieux entendre.

CIDIPPE

On croit facilement qu'on inspire les feux

que l'on ressent soy-même,

on se flate si-tôt qu'on aime,

et tout paroît amour à des yeux amoureux.

DORIS

Pélée aime en secret, tout marque sa tendresse,

à quel objet ses vœux pourroient-ils être offerts ?

Il voit sauvent Thétis, mais le soin qui le presse

est de servir le dieu des mers,

il n'est pas son rival auprès dune déesse.

Tout semble déclarer

que c'est moy qu'il adore;

mais j'en croy mieux encore

mon cœur qui m'en ose assûrer.

CIDIPPE

Ne seray-je point trop sincère,

si je vous avertis

d'un secret qui doit vous déplaire ?

J'ay veu dans un lieu solitaire

Pélée entretenir Thétis,

le hazard seul n'eût pû les y conduire,

sans entendre leurs voix, je sçeus assez m'instruire

de leurs mutuelles amours,

par leur regards j'entendis leurs discours.

DORIS

Il aimeroit Thétis ? Ciel ! cet affreux supplice

seroit-il réservé pour ma secrette ardeur ?

Mais je la voy, pour lire dans son cœur

je veux employer l'artifice.

Scène deuxième

Thétis, Doris, Cidippe.

DORIS

Déesse, venez-vous sur ce bord écarté

rêver aux conquêtes brillantes

que fait vôtre beauté ?

THÉTIS

Ce qui peut les rendre charmantes

n'est que la seule vanité.

Les dieux ont peu d'amour, on ne doit point attendre

que leur cœur tout entier s'en laisse posseder,

ces amans son aisez à prendre,

et difficiles à garder.

DORIS ET CIDIPPE

Un tendre amour doit avoir l'avantage

sur un rang éclatant,

le plus glorieux hommage

est celuy d'un cœur constant.

DORIS

Quelque fois un mortel me jure

qu'il est touché du pouvoir de mes yeux;

si j'en étois bien sûre,

je le préfererois aux dieux.

THÉTIS

Et quel est cét amant ? l'amitié vous engage

à me laisser entrer dans un secret si doux.

DORIS

Pélée a pris des soins... Vous changez de visage ?

Pourquoy vous troublez-vous ?

THÉTIS

J'ignorois qu'il fût dans vos chaînes,

avec bien du mystere il a conduit ses feux.

DORIS

L'amour discret cache ses peines,

à l'objet même de ses vœux.

Mais je voy Mercure descendre,

je croy que sans témoins vous le voulez entendre.

Scène troisième

Thétis, Mercure.

MERCURE

Jupiter attiré par vos divins appas

va paroître icy bas.

Quand Neptune vous rend les armes,

ce triomphe pour vous est trop peu glorieux;

l'amour devoit à tant de charmes

la conquête d'un dieu maître des autres dieux.

THÉTIS

Je sçay que Jupiter tient tout sous son empire,

que les dieux révèrent ses loix;

Mercure, on n'a rien à me dire

sur le respect que je luy dois.

Scène quatrième

Thétis.

Tristes honneurs, gloire cruelle,

ah ! que vous me gênez !

Tristes honneurs, gloire cruelle,

pourquoy m'êtes-vous destinez ?

Mon amant n'est qu'un infidelle !

Dieux ! quel trouble saisit tous mes sens étonnéz

le perfide trahit une flame si belle !

Hélas ! mes jours infortunez

vont couler dans l'horreur d'une peine éternelle.

Tristes honneurs, gloire cruelle,

pourquoy m'êtes-vous destinez ?

Vous qu'en ces lieux l'amour appelle,

retournez dans le ciel que vous abandonnez,

laissez-moy m'occuper de ma douleur mortelle;

à de trop justes pleurs mes yeux sont condamnez.

Tristes honneurs, gloire cruelle,

pourquoy m êtes-vous destinez ?

Scène cinquième

Thétis, Pélée.

PÉLÉE

Enfin je vous revoy, quel bonheur pour ma flame !

Que ces moments me semblent doux !

THÉTIS

Allez chercher Doris, elle a touché vôtre ame,

je sçay que vôtre cœur se partage entre nous.

PÉLÉE

Ô ciel ! que vous entens-je dire ?

Quoy ? lorsqu'à vôtre hymen vous souffrez que j'aspire...

THÉTIS

Non, ingrat, non perfide, il n'y faut plus penser,

mon hymen t'eût comblé de gloire,

mais il te plaît d'y renoncer

par une trahison si noire.

Non, ingrat, non perfide, il n'y faut plus penser.

PÉLÉE

Ah ! quels noms pleins d'horreur me faites vous entendre ?

Quel traitement, grands dieux ! et l'amour le plus tendre

peut-il se l'être attiré ?

THÉTIS

Ton crime est trop assûré,

tu ne sçaurois t'en defendre.

En vain des plus grands dieux j'avois touché le cœur,

je te sacrifiois leur majesté suprême,

et j'eusse encor voulu que Jupiter luy-même

eût eu plus de grandeur.

Tu me fais cependant la plus cruelle injure,

tu brûles pour d'autres appas;

quel destin est le mien ? hélas !

C'est le sort d'une ardeur trop fidelle et trop pure

de trouver toûjours des ingrats.

PÉLÉE

Le croyezs-vous, belle déesse ?

Quoy? vous m'aimez, et de vôtre tendresse

j'ignorerois le prix ?

Quoy ? vous m'aimez, et j'aimerois Doris ?

Le croyez-vous, belle déesse ?

Ah ! pour vous détromper d'un soupçon qui me blesse,

j'iray, même à vos yeux, l'accabler de mépris.

THÉTIS

Ne croy point m'éblouïr par une fausse adresse.

On voit des éclairs, et on entend le tonnerre.

Mais je puis me vanger, ces éclairs que je voy,

ce tonnerre qui gronde,

m'annoncent le maître du monde,

je sçauray me forcer à recevoir sa foy,

mon cœur s'est engagé sur l'apparence vaine

des feux que tu feignis pour moy,

et je veux l'en punir en m'imposant la peine

d'en aimer un autre que toy.

PÉLÉE

Et moy, jè vais le voir ce rival redoutable,

pour attirer sur moy sa haine impitoyable;

mon amour va se découvrir;

je vous parois coupable,

je ne cherche plus qu'a mourir.

THÉTIS

Ah ! que dis-tu ? fuy sa présence,

quitte des lieux pleins de danger.

PÉLÉE

Si je vous ay pû faire une mortelle offense,

c'est au tonnerre à vous vanger.

THÉTIS

Eloigne-toy, le bruit redouble,

je ne puis plus te voir icy sans trouble.

PÉLÉE

À me chasser vos efforts seront vains,

si je ne voy finir vôtre injustice extrême.

THÉTIS

Va, fuy; te montrer que je crains,

c'est te dire assez, que je t'aime.

Jupiter descend du ciel.

Scène sixième

Jupiter, Thétis.

JUPITER

Déesse, dans ces lieux mon amour me conduit

avec tout l'éclat qui me suit;

pour d'autres beautez moins charmantes

j'ay souvent emprunté des formes différentes,

mais il faut que mes soins soient plus dignes de vous,

il faut qu'à vos attraits mon hommage réponde,

et c'est comme maître du monde

que je veux être a vos genoux.

THÉTIS

Permettez, que mon cœur prenne peu d'assurance

sur des soins trop flateurs que je n'attendois pas,

je sçay quels sont mes appas,

et quelle est vôtre constance.

JUPITER

Il est vray que jusqu'à ce jour

j'ay pris pour cent beautez un inconstant amour;

mais vôtre gloire en deviendra plus belle,

lorsqu'à vos charmes seuls mes vœux seront offerts,

et vous triompherez de tant d'objets divers

en me rendant fidelle.

Rien n'est plus doux que d'arrester

un cœur volage,

c'est un avantage

dont vous devez vous flater.

THÉTIS

Rien n'est capable d'arrester

un cœur volage,

c'est un avantage

dont on ne peut se flater.

Ensemble

JUPITER

Rien n'est plus doux que d'arrester

un cœur volage.

C'est un avantage

dont vous devez vous flater.

THÉTIS

Rien n'est capable d'arrester

un cœur volage.

C'est un avantage

on ne peut se flater.

JUPITER

Vous refusez de croire

que mon cœur pour jamais soit sous vôtre pouvoir,

vous ignorez encor quelle est vôtre victoire,

et bien vous allez le sçavoir.

Changez-vous, lieux rustiques,

en jardins magnifiques,

et vous, peuples divers,

venez en un instant, et traversez les airs.

Aussi-tôt le théâtre change, et représente des jardins; et l'on voit paroître quatre troupes de quatre peuples les plus différents et les plus éloignez les uns des autres qui fussent connus du temps des fables. La première troupe est de Grecs, la seconde de Perses, la troisième d'Ethiopiens, la quatrième de Scithes. Mercure entre.

Scène septième

Jupiter, Thétis, Mercure, Troupes des Grecs, de Perses, d'Ethiopiens, et de Schites.

JUPITER

Vous qui de tous les lieux que le Soleil éclaire

par mes ordres puissans accourez à la fois,

peuples, qui sous diverses loix

n'avez rien de commun que l'ardeur de me plaire,

soyez attentifs à ma voix.

Vos vœux ne seront point désormais légitimes,

je ne recevray point d'encens ny de victimes,

si le nom de Thétis n'estjoint avec le mien,

sans cet aimable nom je n'écoute plus rien.

Thétis a sçû charmer le maître du tonnerre,

et le plus grand des immortels;

il faut que sur toute la Terre

elle partage ses autels.

CHŒUR

Thétis a sçû charmer le maître du tonnerre,

et le plus grand des immortels;

il faut que sur toute la Terre

elle partage ses autels.

Les Grecs et les Perses rendent leurs hommages à Thétis par des danses.

CHŒUR DES GRECS ET DES PERSES

Aimez, déesse,

tout vous en presse,

rendez heureux

Jupiter amoureux.

Un dieu puissant reçoit nos voeux sans cesse,

et de ce dieu vous recevez les vœux.

Aimez, déesse,

tout vous en presse,

rendez heureux

Jupiter amoureux.

De vos desirs si la gloire est maîtresse,

la gloire même approuvera vos feux.

Aimez, déesse,

tout vous en presse,

rendez heureux

Jupiter amoureux.

CHŒUR DES ETHIOPIENS ET DES SCITHES

Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?

Dans nos deserts on ne s’en défend pas.

Fiere beauté, voyez de fiers courages

rendre à l’amour les plus tendres hommages.

Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?

Dans nos deserts on ne s’en défend pas.

N’esperez point braver une puissànce

à qui nos cœurs n’ont pas fait resistance.

Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?

Dans nos deserts on ne s'en défend pas.

Danses des Ethiopiens et des Scithes.

CHŒUR DES QUATRE PEUPLES

Que toutes nos voix se confondent

pour chanter de Thétis les triomphans appas.

Que tout les célèbre icy bas,

que les cieux même nous répondent,

le souverain des dieux veut à tout l'univers

vanter la gloire de ses fers.

On entend une tempête qui s'élève.

CHŒUR DES PEUPLES

Quel bruit soudain nous épouvante;

quelle tempête ! quelle horreur !

Les Vents son déchaînez, et l'onde menaçante

répond aux Vents avec fureur.

Neptune paroît sur la mer.

Scène huitième

Jupiter, Neptune, Mercure, Peuples.

NEPTUNE

De quels chants odieux retentit ce rivage ?

Jupiter sçait-il bien que c'est moy qu'il outrage ?

A-t'il quitté les cieux pour braver mon courroux,

en m'enlevant l'objet de mes vœux les plus doux ?

JUPITER

Oui, j'adore Thétis, et n'en fais point mystere,

vous, si vous m'en croyez, Neptune, épargnez-vous

les impuissants transports d'une vaine colère.

Jupiter sort suivy des Peuples.

Scène neuvième

Neptune, Mercure.
Neptune sort de la mer, et la tempête continue.

NEPTUNE

Me croit-il donc soûmis à ses commandemens ?

Quoy ? me croit-il sous son obeïssance ?

Ah ! dans le juste éclat de mes ressentimens,

mon bras se servira de toute sa puissance,

je confondray les elemens,

j'exciteray mes flots et par leur violence

je causeray par tout d'affreux débordemens,

et sur la Terre entière exerçant ma vangeance

j'ébranleray ses fondemens.

MERCURE

S'il faut que Jupiter s'obstine

dans l'amour dont il est blessé,

je voy d'une affreuse ruine

l'unìvers menacé.

Songez à prévenir les maux que j'appréhende,

l'interêt commun le demande.

NEPTUNE

Ne croyez point m'intimider,

non, non, que Jupiter se rende,

j'ay prévenu ses feux, c'est à luy de céder.

MERCURE

Une puissance plus grande

entre vous peut décider,

consultez le Destin, le Destin vous commande,

son arrêt doit vous accorder.

La fin de vos débats ne peut être plus prompte,

vous sçauréz qui des deux doit obtenir Thétis.

NEPTUNE

J'y consens, au Destin nous nous rendons sans honte,

il nous tient tous assujettis.

Fin du second acte.

Acte troisième
Scène première

Le théâtre représente le temple du Destin.
Les ministres du Destin.

UN DES MINISTRES

Ô Destin ! quelle puissance

ne se soûmet pas à toy ?

Tout fléchit sous ta loy,

tes ordres n'ont jamais trouvé de resistance.

Ô Destin ! quelle puissance

ne se soûmet pas à toy ?

UN AUTRE DES MINISTRES

Malgré nous tu nous entraînes

où tu veux,

c'est toy qui nous amènes

tous les événemens heureux ou malheureux,

tu les as liez entr'eux

avec d'invisibles chaîne;

par des moyens secrets

ton pouvoir les prépare,

et chaque instant déclare

quelqu'un de tes arrêts.

CHŒUR

Ô Destin ! quelle puissance

ne se soûmet pas à toy ?

Tout fléchit sous ta loy,

tes ordres n'ont jamais trouvé de résistance.

Ô Destin ! quelle puissance

ne se soûmet pas à toy ?

UN DES MINISTRES

C'est en vain qu'un mortel pleure, gemit, soûpire,

un dieu voudroit en vain t'opposer sa fierté,

rien ne change les loix qu'il te plaist de prescrire,

ton inflexible dureté

fait la grandeur de ton empire,

ton inflexible dureté

en fait la majesté.

Scène deuxième

Les ministres du destin, Pélée.

PÉLÉE

Ministres du Destin, je viens pour vous apprendre

que dans ces lieux Neptune va se rendre,

Neptune vient vous consulter,

quel spectacle plus doux peut jamais vous flater ?

CHŒUR

Ô Destin ! quelle puissance

ne se soûmet pas à toy ?

Tout fléchit sous ta loy,

tes ordres n'ont jamais trouvé de résistance.

Ô Destin ! quelle puissance

ne se soûmet pas à toy ?

UN DES MINISTRES

Les dieux ont partagé le monde,

et leur pouvoir est différent;

mais ton vaste empire comprend

les cieux, l'enfer, la terre et l'onde.

Les dieux ont partagé le monde,

mais tu réunis tout sous un pouvoir plus grand.

PÉLÉE

Daignez aussi sur mes peines secrettes

des arrêts du Destin être les interprètes.

CHŒUR

Nous ne répondons point aux mortels curieux,

l'oracle du Destin n'est que pour les grands dieux.

Les ministres sortent.

Scène troisième

Pélée.

Ciel ! en voyant ce temple redoutable,

de quel frémissement je me sens agité !

C'est icy qu'il est arrêté

si je dois être heureux ou misérable;

cet ordre, quel qu'il soit, doit être exécuté;

mais l'avenir impénétrable

le cache encor dans son obscurité;

quel doute insupportable !

qu'un amant en est tourmenté !

Inflexìble Destin, dans tes loix éternelles,

n'as-tu sùivy qu'un aveugle hazard ?

Helas ! n'as-tu point eu d'égard

pour les amans fidelles ?

Non, non, je tâche en vain à flater mes ennuis,

par l'êtat où tu me reduis,

je reconnois déja l'effet de tes caprices,

et n'éxerces-tu pas toûjours

tes plus cruelles injustices

sur les plus fidelles amours ?

Scène quatrième

Pélée, Doris.

DORIS

Ou je me trompe, ou c'est vôtre tendresse

qui dans ces lieux vous amène avec nous,

à l'arrêt du Destin vôtre cœur s'ínteresse,

mais je crains qu'il ne donne une aimable déesse

à quelque dieu, plûtôt qu'à vous.

PÉLÉE

Je ne crains, ny n'espère.

L'avenir qui m'est préparé

sçaura toûjours me plaire,

et le Destin peut faire

ses arrêts à son gré.

DORIS

Je connois vôtre flame,

c'est en vain que vous déguisez.

PÉLÉE

Plus vous voulez pénétrer dans mon ame,

plus vous vous abusez.

Cidippe vient, je vous laisse avec elle.

Scène cinquième

Doris, Cidippe.

DORIS

Vous m’aviez fait un récit trop fidelle.

Ils s'aiment en secret, mes feux sont méprisez.

J'ay cru que l'on m'aimoit, j'ay pris des espérances

sur de trop foibles apparences;

ciel ! quel honte pour mon cœur

d'être tombé dans une erreur si vaine !

Et quelle peine

de renoncer à cette douce erreur !

CIDIPPE

C’est quelquefois un avantage

d'ignorer de l'amour les biens les plus charmans;

quand il faut que l’on se dégage,

heureux qui n’a jamais senti que des tourmens !

Vôtre douleur seroit bien plus cruelle,

si Pélée eût long-temps vécu sous vôtre loy,

et qu’il vînt à manquer de foy.

DORIS

Ah ! que ne m’est-il infidelle !

Il auroit soûpiré pour moy.

CIDIPPE

Vôtre amour malheureux cherche trop à se plaindre,

cessez d’entretenir d’inutiles douleurs.

DORIS

Je suivrai vos conseils, ma flâme va s’éteindre,

je ne songerai plus qu'à vanger mes malheurs.

CIDIPPE

L’amour que l’on offence

ne devroit récourir

qu’à la paisible indifference.

L’ardeur de la vengeance

est un nouveau mal à souffrir.

DORIS

Sans ce triste secours je ne me puis guérir,

j'abandonnois mon cœur à sa foiblesse extrême,

et les yeux d'un ingrat en étoient les témoins.

Que ne m'apprenoit-il quel est l’objet qu’il aime ?

Pour me desabuser il n’en faloit pas moins;

ah ! je le punirai des soins

que je prenois à me tromper moy-même.

CIDIPPE

N’écoutez point l’amour jaloux,

il n'inspire jamais de transports legitimes,

n’écoutez point l'amour jaloux,

il invente des crimes

pour en charger l'objet de son courroux.

DORIS

Une douleur pressante

a toûjours droit de se vanger,

la cause de nos maux ne peut être innocente,

tous les secours que la fureur presente,

sont permis pour se soulager.

Scène sixième

Neptune, Doris, Suite de Neptune.

NEPTUNE

Qu'on ne me suive plus, allez, que l'on m'attende,

je veux que sans témoins cet oracle se rende.

Scène septième

Neptune.

Cedez pour quelque temps, importune grandeur,

cedez au tendre amour qui règne dans mon cœur,

moy que les vastes mers reconnoissent pour maistre,

je viens en tremblant reconnoître

un plus grand pouvoir dans ces lieux,

l'amour qui m'y réduit sçait abaisser les dieux,

sa force contre nous affecte de paroître.

Cedez, pour quelque temps, importune grandeur,

cédez au tendre amour qui règne dans mon cœur.

Scène huitième

Neptune, Ministres du Destin.

UN DES MINISTRES

Dieu de la mer, quel sujet vous amène ?

NEPTUNE

Mon amour pour Thétis cause toute ma peine,

Jupiter vient troubler mes feux,

prononcez qui de nous verra remplir ses vœux.

UN DES MINISTRES

Destin, un grand dieu demande

quel succès tu veux qu'il attende,

dans tes secrets il cherche à pénétrer,

daigneras-tu les déclarer ?

(Le ministre est saisi tout à coup d'une espèce d'entousiasme, et il continue.)

Qu'un respect plein d'épouvante

fasse tout trembler.

L'avenir va se révéler.

Que tout l'univers ressente

un respect plein d'épouvante,

le Destin est prest à parler.

CHŒUR

Qu'un respect plein d'épouvante

fasse tout trembler,

l'avenir va se révéler.

Que tout l'univers ressente

un respect plein d'épouvante,

le Destin est prest à parler.

On entend une voix qui sort du fond du temple.

ORACLE

Écoutez, dieu de l'onde,

tout ce que le Destin permet qu'on vous réponde;

l'époux de la belle Thétis

doit être un jour moins grand, moins puissant que son fils;

tout le reste est caché dans une nuit profonde.

NEPTUNE

Ah ! quel oracle je reçoy !

Quel arrêt menaçant ! quelle funeste loy !

Fin du troisième acte.

Acte quatrième
Scene première

Le théâtre représente un lieu désert au bord de la mer.
Jupiter, Doris.

JUPITER

Dans quel étonnement vostre discours me jette ?

Thétis pourroit brûler d'une flame secrette !

Je n’étois point aimé, mais je croyois du moins

que la seule froideur fit rejetter mes soins.

DORIS

Lors qu’on ne peut toucher les belles,

on en accuse leur froideur,

mais ce qui fait tant de cruelles

c’est bien souvent quelque secrette ardeur.

JUPITER

Et quel amant a sçu luy plaire ?

Il est vray qu'avant moy Neptune a soûpiré;

est-ce luy qu’elle me préfere ?

DORIS

Non, un simple mortel, Pélée est adoré.

Je viens de voir encos ses deux amans ensemble,

ils se cherchent pas tout, et se trouvent toûjours.

JUPITER

Quoy ! lorsque sous mes loix il n'est rien qui ne tremble,

un mortel oseroit traverser mes amours ?

DORIS

Thétis vient en ces lieux, et vous pouvez vous-même

vous éclaircir dans cet instant.

Scène seconde

Jupiter, Thétis.

JUPITER

Déesse, expliquez-vous sur le sort qui m'attend,

Jupiter ne veut point que la grandeur suprême

luy fasse auprès de vous un mérite éclatant,

il ne veut s'en servir qu'à prouver qu'il vous aime,

en vous la soumettant...

THÉTIS

Neptune ainsi que vous prétend à ma tendresse,

il est le dieu des mers, j'en suis une déesse,

je dois redouter son courroux,

il ne m'est pas permis de choisir entre vous.

JUPITER

Tant d'égards, tant de prévoyance

sont des effets d indifference,

ces timides ménagemens

ne sont pas faits pour les amans.

THÉTIS

Vous sçavez qelle est ma fortune,

le Destin m'a soûmise au maître de la mer.

JUPITER

Vous craindriez moins Neptune

si vous aimiez Jupiter.

JUPITER

Mais je voy trop que vous feignez de craindre,

vous avez d'autres soins que vous n’expliquez pas.

THÉTIS

Non, c’est Neptune seul qui fait mon embarras,

rien ne peut m’obliger à feindre.

Mais que nous veut Protée? il le faut ecourer.

Scène troisième

Jupiter, Thétis, Protée.

PROTÉE

(à Jupiter)

Neptune m'a chargé de venir vous apprendre

qu'à l'hymen de Thétis il cesse de prétendre,

qu'il n'a plus le dessein de vous la disputer.

JUPITER

Quel bonheur imprévu vient icy me surprendre ?

Ah ! ma reconnoissance aura soin d'éclater,

dy-luy qu'il en doit tout attendre.

Scène quatrième

Jupiter, Thétis.

JUPITER

Rien n'est donc plus contraire au succès de mes vœux,

vous m'opposiez un obstacle qui cesse.

Mais que vois-je, Thétis ? quelle sombre tristesse

dans le moment que tout cède à mes feux ?

Que m’annoncent, helas ! ce trouble, ce silence,

et cét air interdit ?

Ah ! j’ay de mon malheur l’entiere connoissance,

ingrate, vous aimez, on me l'avoit bien dit.

THÉTIS

Que vous-a ton pû dire ?

JUPITER

Que Pélée en secret...

THÉTIS

Non, ne le croyez pas,

je n'aime point Pélée, et si son cœur soûpire,

c'est pour d'autres appas,

non, ne le croyez, pas.

JUPITER

Je voy que vous êtes coupable,

vous vous justifiez d'un air trop empressée.

Vôtre cœur s'est donc abaissé

aux vœux d'un mortel méprisable ?

Lorsque je soupjrois pour vous

je rendois seulement son triomphe plus doux.

Sous une trompeuse apparence

vous imposiez à cet amour fatal,

qui tenoit Jupiter sous vôtre obeïssance;

non, je n'auray pas trop de toute ma puissance,

pour punir à mon gré mon odieux rival.

THÉTIS

Ciel ! que viens-je d'entendre ?

Est-ce là cet amour si soûmis et si tendre !

JUPITER

Par de cruels mépris vous osez m'irriter,

et vous avez recours à mon amour extrême

quand ma fureur est prête d'éclater ?

Tremblez, c'est cet amour luy-même

que vous avez à redouter.

Scène cinquième

Thétis.

Qelle horreur m'environne, et quel effroy me glace !

Quels abîmes de maux s'ouvrent devant mes yeux !

Helas ! c'est mon amant que Jupiter menace,

quels traits peut nous lancer le souverain des dieux ?

Ah ! je le voy déja, je le voy qui prépare

ses plus terribles coups.

Trop funestes appas, pourquoy m'attirez-vous,

sous le doux nom d'amour, cette haine barbare,

et cet implacable courroux ?

Scène sixième

Thétis, Pélée.

THÉTIS

Ah ! Pélée, apprenez tous les malheurs ensemble,

Jupiter sçait enfin nos secrettes amour.

Vous diray-je encor plus ? Ciel ! je frémis, je tremble,

Jupiter menace vos jours,

quoy ! de vôtre péril la funeste nouvelle

ne vous inspire pas d'effroy ?

PÉLÉE

Jupiter en fureur ne peut rien contre moy,

vous estes immortelle.

THÉTIS

Si vous ne craignez pas pour vous,

craignez du moins pour une amante;

peut-on vous porter des coups

que mon ame ne ressente ?

PÉLÉE

Que vôtre tendrèsse est charmante,

et que mon trépas sera doux !

L'ennemy qui nous tourmente

luy-même en serà jaloux.

THÉTIS

Craignez du moins pour une amante

si vous ne craignez pas pour vous.

Quel seroit mon destin ? vous cesseriez de vivre,

et moy, je ne pourrois recourir au trépas;

si je pouvois vous suivre,

je ne me plaindrois pas.

THÉTIS ET PÉLÉE

Helas ! de quelles flames

nous perdons les douceurs !

Quel amour enchantoit nos âmes !

Quel amour unissoit nos cœurs !

Helas! de quelles flames

nous perdons les douceurs.

THÉTIS

Mais quels bruits pleins d'horreur troublent mes sens timides ?

Tous les Vents rassemblez fremissent dans les airs.

PÉLÉE

Je voy sortir des enfers

les cruelles Euménides.

THÉTIS

Ah ! c'en est fait, je vous pers.

Scène septième

Thétis, Pélée, Les trois Euménides, Les Vents
Les Vents arrivent en faisant des espèces de tourbillons autour de Pélée, avec des actions menaçantes.

UNE EUMÉNIDE

Pélée, il faut aller sur ce rocher funeste,

où dans un tourment éternel

gémit le fameux criminel

qui déroba le feu céleste.

Partez, Vents, et l'emportez

dans ces lieux si redoutez.

Les Vents vont pour enlever Pélée.

THÉTIS

Accable-moy plutôt des plus affreuses peines,

arrêtez, cruels, arrêtez.

LES EUMÉNIDES

Déesse, vos larmes sont vaines,

vos cris ne sont point écoutez,

les loix de Jupitersont des loix souveraines,

il faut suivre ses volontéz.

Les Vents vont encore pour enlever Pélée.

THÉTIS

Arrêtez, cruels, arrêtez.

PÉLÉE

(à Thétis)

Laissez-moy d'un rival devenir la victime,

puisqu'un tendre amour est un crime;

quels rigoureux tourmens n'ay-je pas méritez ?

UNE EUMÉNIDE

Vents, ne disserez plus, obeïssez, partez.

Les Vents enlèvent Pélée.

Scène huitième

Thétis, Les Euménides.

THÉTIS

Quoy ! toute la nature

à ce spectacle affreux ne fremit-elle pas ?

Soleil, retourne sur tes pas,

plonge-nous pour jamais dans une nuit obscure;

dieux immortels, unissez-vous

contre un tiran qui nous opprime tous.

LES EUMÉNIDES

Allons, marchon sur le pas du coupable,

irritons nos serpens, allumons nos flambeaux,

qu'une vengeance im pitoyable

invente des tourmens nouveaux.

THÉTIS

Tournez contre moy seule une implacable rage.

Si je ne puis mourir,

au moins je puis souffrir.

Tournez contre moy seule une implacable rage.

Il en souffrira davantage.

LES EUMÉNIDES

Non, n’esperez point tromper

la fureur qui nous anime,

nôtre victime

ne peut nous échaper.

Les Euménides sortent.

THÉTIS

Puisque tout m'abandonne encét état funeste,

tâchons du moins à flechir par nos pleurs

l'auteur de nos malheurs,

c’est le seul espoir qui me reste.

Fin du quatrième acte.

Acte cinquième
Scène première

La décoration est la même que dans l'acte précédent.
Jupiter, Mercure.

MERCURE

N'en doutez point, Neptune à sa flame renonce

sur l'oracle qu'icy je vous ay rapporté,

j'ay voulu du Destin apprendre la réponse,

par mes avis il l'avoit consulté.

JUPITER

Quel oracle cruel ! que je suis agité !

J'ay puny mon rival, Thétis ambitieuse

auroit pû l'oublier après quelqùes soûpirs;

mais d'un fils trop puissant la naissance odieuse

seroit l'effet de mes desirs.

Mon trouble est extrême,

vous m'entraînez tour a tour,

trop charmant amour,

doux attraits du sang suprême.

Helàs ! faut-il que dans mon cœur,

dans le cœur de Jupiter même,

l'amour balance la grandeur ?

MERCURE

Le cœur de Jupiter n'est fait que pour la gloire,

l'amour n'y peut long-temps disputer la victoire.

JUPITER

Non, il ne la dispute plus,

c'en est fait, ses nœuds sont rompus.

Pour monter sur ce trône ou le ciel me révère,

j'en fis tomber mon père,

un fils ambitieux le vangeroit sur moy,

je connois les désirs qu'un si beau rang inspire,

mon propre exemple doit suffire

pour me remplir d'effroy.

Mais quel souvenir me retrace

des charmes trop doux et trop chers ?

Ma grandeur disparoist, tout son éclat s'efface;

faudra-t'íl succomber et rentrer dans mes fers ?

Scène seconde

Jupiter, Mercure, Thétis.

THÉTIS

Voyez de mes douleurs toute la violence,

voyez, maitre des dieux, quelle est vôtre vengeance.

Si mes tourmens étoient moins rigoureux,

j'aurois moins d'esperance

de toucher un cœurr genereux.

Vous-même vous devez approuver ma constance,

n'auriez-vous de l'amour éprouvé la puissance,

que pour rendre à jamais deux amans malheureux ?

Scène troisième

Jupiter, Mercure, Thétis, Doris.

DORIS

(à Jupiter)

Un juste repentir m'agite et me tourmente,

j'ay troublé deux amans dans leur flame innocente,

j'ay poussé vôtre bras, et j'ay conduit vos traits;

que ne puis-je du moins par ma douleur pressante

reparer les maux que j'ay faits ?

THÉTIS

(à Jupiter)

En vain vôtre rigueur accable.

L'Amant dont je receus la foy,

vous me le rendez plus animable

par tout ce qu’il föústre pout moy.

THÉTIS ET DORIS

Que vôtre haine cesse,

laissez-vous émouvoir.

MERCURE

La gloire vous en presse.

THÉTIS

L'amour même, l’amour vous en fait un devoir.

THÉTIS, DORIS, MERCURE

Que vôtre haine cesse,

laissez-vous émouvoir.

La gloire vous en presse.

L'amour même, l’amour vous en fait un devoir.

JUPITER

Vents, partez, et que la déesse

revoye en ce moment l'objet de sa tendresse.

Doris sort.

THÉTIS

Ah ! quel généreux retour !

Quel bonheur pou mon amour !

MERCURE ET THÉTIS

Les grands dieux quelquefois écoutent leur colère,

mais la bonté peut encor plus sur eux,

ils n’ont rien dans leur sort qui doive plus leux plaire,

que le pouvoir de contenter nos vœux.

Scène quatrième

Jupiter, Mercure, Thétis, Pélée, ramené par les Vents

PÉLÉE

(à Thétis)

Dois-je, en croire mes yeux ? ô ciel ! est-il possible ?

Belle Thetis je vous revoy !

THÉTIS

Le souverain des dieux daigne vous rendre à moy,

mes larmes l’ont trouvé sensible.

THÉTIS ET PÉLÉE

Que nos cœurs unis à jamais

sentent par leur bon-heur le prix de ses bienfaits.

JUPITER

Vôtre amour est content, un doux succès le flâte,

mais il faut que ma gloire en ce beau jour éclate,

je veux que vôtre hymen se célèbre à mes yeux,

je veux que ce lieu s'embellisse

et qu'une fête y réunisse

les dieux les plus puissants de la terre et des cieux.

Le théâtre change et représente l'appareil du festin des nôces de Thétis et de Pélée. Les dieux célestes sont placez de tous côtés sur des nuages, et les dieux terrestres font en bas.

Scène cinquième

Jupiter, Thétis, Pélée, Troupe de dieux célestes, Troupe de dieux terrestres.

JUPITER

Ècoutez-moy, troupe immortelle.

Quand l'amour à Thétis me fit rendre des soins,

une flame si belle

eût tout les mortels pour témoins.

Mais j'ay sacrifié mon amour à ma gloire,

je cède a mon rival ce que j'aime le mieux,

je veux avoir tous les dieux

pour témoins de ma victoire.

DIEUX DU CIEL

Célébrons tous par des concerts charmans

du souverain des dieux le triomphe suprême.

DIEUX DE LA TERRE

Célébrons le bonheur extrême

de deux parfaits amans.

DIEUX DU CIEL

Quels honneurs Jupiter ne doit-il pas attendre ?

DIEUX DE LA TERRE

Que ces heureux amans sont charmez en ce jour !

DIEUX DU CIEL

Qu'il est beau de vaincre l'amour !

DIEUX DE LA TERRE

Qu'il est doux de s'y rendre !

DIEUX DU CIEL ET DE LA TERRE

Célébrons tous par des concerts charmans

du souverain des dieux le triomphe suprême,

célébrons le bonheur extrême

de deux parfaits amans.

Les dieux terrestres se partagent en trois quadrilles qui font des danses accompagnées de récits.

La première quadrille est celle de Vertumne et de Flore, suivis de bergers et de bergères. La seconde est celle de Pan et de Palés, avec les faunes et es silvains. La troisième est celle de Bachus et de ses ménades.

Récit de Flore.

Tous vos vœux sont satisfaits,

amans, ne changez jamais.

Une flame contente

n'en doit pas être moins ardente,

l'amour ne vous rend pas heureux

pour vous rendre moins amoureux.

Que toûjours les Zephirs et Flore

vous trouvent à leur retour,

plus charmez encore

d'un mutuel amour.

Récit de Pan et de Palés.

Belle Thétis, que vôtre choix

sera celebré dans nos bois !

Vous avez d’un Mortel recompensé la flâme,

l'éclat le plus brillant n’a point touche vôtre ame.

Belle Thétis, que vôtre choix

sera celebré dans nos bois !

C'est ainsi que l’amour nous guide et nous inspire,

de la fiere grandeur nous ignorons l’empire.

Belle Thétis, que vôtre choix

sera celebré dans nos bois!

Récit de Bacchus.

Mélons nôtre douce folie

aux transports de ces cœurs si contents de leur sort;

Bacchus avec l’Amour est aisément d’accotd.

Heureuse une ame remplie

de mes aimables fureurs,

ou de ses tendres langueurs !

C'est par nous qu’on peut se defaire

d’une raison triste et severe,

les bien-faits des autres dieux

ne sont pas si precieux.

CHŒUR DE TOUS LES DIEUX

Vivez heureux, tendres amans,

vivez, vivez heureux, oubliez vos tourmens.

Un beau nœud vous unit, jouissez de ses charmes.

Vous les avez payez par toutes vos allarmes.

Du sort des plus grands dieux ne soyez point jaloux,

ils ont peu de plaisirs, s'ils n'aiment comme vous.

Fin du cinquième et dernier acte.

Fin du livret.

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Locandina Prologue Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Acte premier Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Acte second Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Acte troisième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte quatrième Scene première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte cinquième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième