Acte quatrième

 

Scène première

Le theatre represente l'avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds.
Jason, Cleone.

 Q 

Jason, Cleone

 

CLEONE

Jamais on ne la vit si belle,  

cette robe superbe augment ses appas;

et dans l'éclat qu'elle répand sur elle,

il faut estre sans yeux pour ne l'admirer pas.

JASON

A peine dans ses mains cette robe est remise,

et déja la princesse a voulu s'en parer !

CLEONE

L'agrément qu'elle en sçait tirer

vous causera de la surprise.

Elle paroist. Voyez quel air de majesté

anime et soutient sa beauté.

 

Scène deuxième

Jason, Cleone, Créüse.

<- Créüse

 

JASON

Ah ! que d'attraits, que de graces nouvelles ?  

A voir ce vif éclat que mes yeux sont contents !

Des fleurs que produit le printemps

les couleurs ne sont point si belles.

Ah ! que d'attraits, que de graces nouvelles ?

CRÉÜSE

Si j'ay quelques appas assez vifs pour toucher,

s'ils brillent plus qu'à l'ordinaire;

cet avantage ne m'est cher,

que par la gloire de vous plaire.

JASON

Quels feux nouveaux dans mon cœur

cette asseurance faiyt naistre ?

N'ont-ils point assez d'ardeur ?

Pourquoy chercher à l'accroistre ?

CRÉÜSE

Si cette ardeur peur s'augmenter,

croyez-vous qu'en vouloir borner la violence,

ce ne soit pas une offense

capable de m'irriter ?

D'un amour qui se menage

les cœurs tendres sont blessez.

Malgré les voeux empressez

qui m'asseurent vostre hommage,

pouvant m'aimer davantage,

vous ne m'aimez pas assez.

JASON

Non, jamais tant d'ardeur, jamais flâme si belle

n'embraza le cœur d'un amant.

CRÉÜSE

C'est peut d'y voir un sort charmant,

cette ardeur doit estre éternelle.

JASON

Ah ! j'en fays icy le serment.

Puisse l'amour dans sa juste colère

excercer contre moy sa plus grande rigueur,

si jamais il trouve mon cœur

détaché du soin de vous plaire.

JASON, CRÉÜSE

Puisse l'amour dans sa juste colère

excercer contre moy sa plus grande rigueur,

si jamais il trouve mon cœur

détaché du soin de vous plaire.

CRÉÜSE

Je finis à regret un entretien si doux,

mais le prince d'Argos s'avance;

et son importune presence

me force à m'éloigner de vous.

Créüse, Cleone ->

 

Scène troisième

Jason, Oronte.

<- Oronte

 

ORONTE

Si-tost que je parois, la princesse vous quitte;  

mon amour s'en doit alarmer.

JASON

Cette crainte est injuste; un éclatant merite

peut trop sur les grands cœurs pour ne pas l'estimer.

ORONTE

Quand sur un espoir legitime

on peut se flatter d'estre heureux,

pour satisfaire un cœur bien amoureux,

est-ce assez que de l'estime ?

JASON

Avec un tel secours, si vos feux sont constans,

aimez, on obtient tout du temps.

 

ORONTE

Non, non, dans sa froideur extrême  

je vois le refus de son cœur.

Quelque rival se cache, elle est aimée, elle aime;

je pourray découvrir ce trop heureux vainqueur,

et mon bras disputant cette noble victoire,

fera voir qui de nous en merite la gloire.

 

JASON

L'amour promet souvent plus qu'il ne peut tenir.  

ORONTE

Jugez mieux d'un amant que le mépris outrage;

s'il forme une entreprise, il sçait la soûtenir.

JASON

Vous sçavez à quels soins la Guerre icy m'engage.

Les troupes qu'aujourd'huy fait assembler le roy,

n'attendent plus que moy.

Jason ->

 

Scène quatrième

Médée, Oronte, Nérine.

<- Médée, Nérine

 

ORONTE

Vos soupçons estoient vrais, j'ay veu, j'ay veu moy-mesme  

l'inexcusable trahison,

qui doit estre le prix de vostre amour extrême;

j'ay leu dans le cœur de Jason,

il m'oste la princesse, il l'aime.

De tant de perfidie, ô ciel, fais-nous raison.

MÉDÉE

Eût-il le ciel à ses voeux favorable,

ne craignez point cét hymen odieux;

au pouvoir de Médée il n'est rien de semblable,

elle asservit la terre, elle commande aux cieux.

Je tiens la foudre suspenduë,

mais si Créon ne cede pas,

il verra quelle peine est deuë

a qui se fait le soutien des ingrats.

ORONTE

Pardonnez à ma foiblesse,

l'amour a sçeu m'engager.

Un juste couroux vous presse;

mais à ne rien menager,

le plaisir de vous vanger

me rendra-t'il la princesse ?

MÉDÉE

Je me declare pour vous.

Jamais, quoy que puissent faire,

les dieux, Créüse et son pere,

Jason n'en sera l'epoux:

je me declare pour vous.

Laissez-moy seule icy; dans ce que je medite,

j'ay besoin de calmer le trouble qui m'agite.

Oronte ->

 

Scène cinquième

Médée, Nérine.

 

MÉDÉE

D'ou me vient cette horreur ? est-ce à moy de trembler ?  

Preste à punir la criminelle flame

qui cause les ennuis dont on ose m'accabler,

puis-je me souvenir que je suis mere et femme ?

NÉRINE

Ses yeux sont egarez, ses pas sont incertains.

Dieux, detournez ce que je crains.

MÉDÉE

Non, non, à la pitié je dois estre inflexible.

Jason meprisera mon desespoir jaloux ?

Venez, venez, fureur, je m'abandonne à vous.

Je prends une vengeance épouvantable, horrible;

mais pour voir son supplice égaler mon couroux,

c'est pas l'endroit le plus sensible

qu'il faut porter les derniers coups.

 

Scène sixième

Créon, Médée, Nérine, Gardes.

<- Créon, gardes du roy

 

CRÉON

Vos adieux sont-il faits ? le murmure s'augmente,  

c'est aigrir les esprits que de ne céder pas.

D'un peuple qui vous fait sortir de mes estats

craignons la fureur insolente.

MÉDÉE

Je pars, et ne veux-plus troubler vostre repos,

mais je dois tenir ma promesse.

Pour m'en avoir dégagée, il faut que la princesse

epouse le prince d'Argos.

A serrer ces beaux noeuds la gloire vous invite,

pressez ce doux moment, l'hymen fait, je vous quitte.

CRÉON

Quelle audace vous porte à me parler ainsi,

vous, l'objet malheureux de tant de justes haines ?

Ignorez-vous que je commande icy,

et que mes volontez y seront souveraines ?

C'est à moy seul de les regler.

MÉDÉE

Créon, sur ton pouvoir cesse de t'aveugler.

Tu prens une trompeuse idée

de te croire en estat de ma faire la loy;

quand tu te vantes d'estre roy,

souviens-toy que je suis Médée.

CRÉON

Cét orgüeil peut-il s'égaler !

MÉDÉE

Sur l'hymen de ta fille il m'a plû de parler;

en vain mon audace t'estonne.

Plus puissante que toy dans tes propres estats,

c'est moy qui le veux, qui l'ordonne:

tremble si tu n'obeis pas.

CRÉON

Ah ! c'est trop en souffrir; gardes, qu'on la saisisse.

 
Les gardes vont pour saisir Médée, elle les touche de la baguette, et en mesme temps ils tournent leurs armes les uns contre les autres.
 

CRÉON

Que vois-je ! ah, justes dieux !  

Par quel mouvement furieux,

vouloir que par vos mains chacun de vous perisse !

MÉDÉE

Montre icy ta puissance à retenir leurs bras;

sois roy, si tu peux l'estre, et suspens leurs combats.

 
Créon veut s'avancer vers Médée, et les gardes l'environnent pour l'arrester.
 

CRÉON

Quoy, lasches, contre-moy tous vos efforts s'unissent ?  

MÉDÉE

Je plains ton triste sort, tes sujets te trahissent,

mais ne crains rien de leur emportement;

pour le faire cesser je ne veux qu'un moment.

 
Elle fait un cercle en l'air avec sa baguette, et aussi-tost on voit des fantômes sous la figure de femmes agreables.
 

Scène septième

Créon, Médée, Nérine, Phantômes, Gardes du roy.

 

MÉDÉE

Objets agreables,  

phantômes aimables,

appaisez les fureurs

de ces farouches cœurs.

 
Entrée des Phantômes.

<- phantômes

 

UN PHANTÔME

Aprés de mortelles alarmes,  

qu'un heureux calme semble doux !

CHŒUR

Aprés de mortelles alarmes,

qu'un heureux calme semble doux !

UN PHANTÔME

Cœurs agitez d'un vain couroux,

cedez, rendez-vous à nos charmes.

Où prendrez-vous des armes

qui tiennent contre nous ?

CHŒUR

Cœurs agitez d'un vain couroux,

cedez, rendez-vous à nos charmes.

Où prendrez-vous des armes

qui tiennent contre nous ?

 

CRÉON

Par quel prodige, à moy-mesme contraire  

en voyant ces objets, n'ay-je plus de colère ?

 

DEUX PHANTÔMES

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

Un ame de glace

s'en laisse émouvoir,

et quoy que l'on fasse,

le chagrin le plus noir

luy doit ceder la place.

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

CHŒUR

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

Un ame de glace

s'en laisse émouvoir,

et quoy que l'on fasse,

le chagrin le plus noir

luy doit ceder la place.

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

 
Les Phantômes disparoissent, et les gardes charmez de leur beauté abandonnent le roy pour les suivre.

phantômes, gardes du roy ->

 

Scène huitième

Créon, Médée, Nérine.

 

MÉDÉE

Mon pouvoir t'est connu, j'ay mis ta garde en fuite,  

pour te forcer à l'hymen que je veux,

mon art secondera mes voeux,

j'ay commencé, crains en la suite.

CRÉON

Quoy, l'on viendra me braver dans ma cour !

Perisse tout plutost que je l'endure.

MÉDÉE

Vostre sang odieux lavera mon injure,

ou les dieux m'osteront le jour.

D'un indigne mépris, c'est trop souffrir l'outrage.

Vien, Fureur, c'est à toy d'achever mon ouvrage.

 
La Fureur paroist avec son flambeau, et passe pardevant Créon.

<- La Fureur

Médée, Nérine, La Fureur ->

 

Scène neuvième

Créon, seul.

 

Noires divinitez, que voulez-vous de moy ?  

Impitoyables Euménides,

vous faut-il le sang des perfides

qui n'ont pas respecté leur roy ?

Mais où sui-je ? et d'où vient tout à coup ce silence ?

Le ciel s'arme feux. Ah, c'est pour ma vengeance.

Courons, n'épargnons rien. Quels terribles éclats ?

Où veux-je aller ? Tout tremble sous mes pas.

Tout s'abîme, la terre s'ouvre.

Dans ses gouffres profonds quels monstres je découvre !

Ils saisissent Médée. Ah, ne la quittez pas.

Les sombres flots du Stix n'ont rien qui m'épouvante.

Pour la voir condamnée aux plus cruels tourments,

je vais apprendre à Radamante

jusqu'où va la noirceur de ses enchantements.

 

Fin (Acte quatrième)

Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

Avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds.

Jason, Cleone
 

Jamais on ne la vit si belle

Jason, Cleone
<- Créüse

Ah! que d'attraits, que de graces nouvelles?

Jason
Créüse, Cleone ->
Jason
<- Oronte

Si-tost que je parois, la princesse vous quitte;

L'amour promet souvent plus qu'il ne peut tenir.

Oronte
Jason ->
Oronte
<- Médée, Nérine

Vos soupçons estoient vrais, j'ay veu, j'ay veu moy-mesme

Médée, Nérine
Oronte ->
Médée, Nérine
<- Créon, gardes du roy

Vos adieux sont-il faits ? le murmure s'augmente

(les gardes vont pour saisir Médée, elle les touche de la baguette, et en mesme temps ils tournent leurs armes les uns contre les autres)

Que vois-je! ah, justes dieux!

(Créon veut s'avancer vers Médée, et les gardes l'environnent pour l'arrester)

Quoy, lasches, contre-moy tous vos efforts s'unissent?

(Médée fait un cercle en l'air avec sa baguette, et aussi-tost on voit des phantômes sous la figure de femmes agreables)

Objets agreables

Médée, Nérine, Créon, gardes du roy
<- phantômes

Par quel prodige, à moy-mesme contraire

 

(les phantômes disparoissent, et les gardes charmez de leur beauté abandonnent le roy pour les suivre)

Médée, Nérine, Créon
phantômes, gardes du roy ->

Mon pouvoir t'est connu, j'ay mis ta garde en fuite

(la Fureur paroist avec son flambeau, et passe pardevant Créon)

Médée, Nérine, Créon
<- La Fureur
Créon
Médée, Nérine, La Fureur ->
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième
Un lieu rustique, embelly par la nature, de rochers et de cascades. Une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux. Un vestibule, orné d'un grand portique Un lieu destiné aux evocations de Médée. Avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds. Palais de Médée
Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte cinquième

• • •

Texte PDF Réduit