Acte premier

 

Scène première

Le theatre represente une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux.
Médée, Nérine.

 Q 

Médée, Nérine

 

MÉDÉE

Pour flater mes ennuis, que ne puis-je te croire !  

Tout le voudroit, mon repos et ma gloire;

mais en vain à douter je trouve des appas,

Jason est un ingrat, Jason est un parjure;

l'amour que j'ay pour luy, me le dit, m'en asseure,

et l'amour ne se trompe pas.

NÉRINE

Un mouvement jaloux vous le peint infidelle,

mais d'injustes soupçons troublent vostre repos;

Créüse est destinée au souverain d'Argos.

Sur quel espoir Jason brûleroit-il pour elle ?

MÉDÉE

Je sçay qu'Oronte est prest d'arriver en ces lieux;

il vient remply d'un espoir glorieux:

mais à le recevoir si Corinthe s'appreste,

ce n'est point son hymen qui le fait souhaiter.

Il s'éleve contr'elle une affreuse tempeste,

son secours la peut écarter.

NÉRINE

Acaste contre vous arme la Thessalie.

La cruelle mort de Pelie

vous rend l'objet de sa fureur.

Si Créon ne vous abandonne,

de la guerre en ces lieux il va porter l'horreur;

et lorsqu'en ce peril, comme l'amour l'ordonne,

Jason veut de Crëuse aquerir la faveur,

faut-il que ce soin vous étonne ?

MÉDÉE

Qu'il soit abandonné de Crëuse et du roy,

s'il luy faut un appuy, ne l'a-t'il pas en moy ?

Quand de Colchos il prit la fuite,

maître de la riche toison,

mon pere eût beau s'armer contre ma trahison,

quel fut l'effet de sa poursuite ?

NÉRINE

Quoy, vous resoudre à fuit toujours ?

MÉDÉE

La fuite, l'exil, la mort même,

tout est doux avec ce qu'on aime.

NÉRINE

Jason pour vos enfans cherche icy du secours.

MÉDÉE

Qu'il le cherche, mais qu'il me craigne.

 

MÉDÉE

Un dragon assoupy, de fiers taureaux domptez,  

ont à ses yeux suivy mes volontez.

S'il me vole son cœur, si la princesse y regne,

de plus grands efforts feront voir,

ce qu'est Médée et son pouvoir.

 

NÉRINE

Forcez vos ennuis au silence,

un couroux violent ne doit jamais parler.

On perd la plus seure vengeance

si l'on ne sçait dissimuler.

MÉDÉE

Forçons nos ennuis au silence,

un couroux violent ne doit jamais parler.

On perd la plus seure vengeance

si l'on ne sçait dissimuler.

Ensemble

NÉRINE

Forçons vos ennuis au silence,

un couroux violent ne doit jamais parler.

On perd la plus seure vengeance

si l'on ne sçait dissimuler.

 

Scène deuxième

Jason, Arcas, Médée, Nérine.

<- Jason, Arcas

 

MÉDÉE

D'où vient cét air sombre, et qu'allez-vous m'apprendre ?  

Créon nous voudroit-il bannir de ses estats ?

JASON

Créon redoute Acaste, et ne s'explique pas;

mais contre nous quoy qu'on puisse entreprendre,

du moins pour nos enfans j'ay sçeu fléchir les ieux.

S'il faut d'un fier destin suivre la loy cruelle,

ils trouveront un asyle en ces lieux;

la princesse les doit retenir auprés d'elle.

MÉDÉE

C'est estre genereuse.

JASON

Elle me laisse voir

que nous pouvons esperer davantage.

Sur son pere elle a tout pouvoir

et j'attends tout du zele où sa bonté l'engage.

MÉDÉE

L'ardeur que vous montrez à luy faire la cour...

JASON

Ignorez-vous d'un pere où va le tendre amour ?

MÉDÉE

Pour nous la rendre favorable,

vos soins trop assidus devroient vous alarmer.

Une douce habitude est facile à former;

et voir souvent ce qui paroît aimable,

c'est flater le penchant qui nous porte à l'aimer.

JASON

Quoy, vous me soupçonnez ?

MÉDÉE

Jason doit me connoistre,

il me coûte assez cher pour ne le perdre pas.

JASON

Ah ! que me dites-vous ?

MÉDÉE

Ce que je crains.

JASON

Helas !

Que ne puis-je faire paroître

ce que mon cœur pour vous sera jusqu'au trépas !

MÉDÉE, JASON

Que de tristes soucis, malgré ses doux appas,

dans un cœur bien touché l'injuste amour fait naistre !

MÉDÉE

De trop cuisants remords accablent les ingrats;

Jason ne le voudra pas l'estre.

 

JASON

Quittez ces détours superflus.  

Pour m'asseurer du roy, je voyois la princesse.

Mais si c'est un soin qui vous blesse,

parlez, je ne la verray plus.

 

MÉDÉE

Non, Jason, cherchez à luy plaire  

dans les rigueurs d'un sort trop inhumain

son secours nous est necessaire.

JASON

Pour nous le rendre plus certain,

diray-je ce qu'il faudroit faire ?

Cette robe superbe où par tout nous voyons,

du Soleil vostre ayeul éclater les rayons,

par son brillant a touché son envie,

ses yeux m'en ont paru surpris.

Nous verrions sa faveur d'un prompt effet suivie,

si de ses soins vous en faisiez le prix.

MÉDÉE

Vous le voulez, je la donne sans peine;

mais du ciel irrité quel que soit le couroux,

songez que si je ne peux répondre de vous,

je n'ay point à craindre sa haine.

Médée, Nérine ->

 

Scène troisième

Jason, Arcas.

 

JASON

Que je serois heureux, si j'étois moins aimê !  

Médée avec ardeur dans mon sort s'interesse,

je luy dois toute ma tendresse;

d'une autre cependant je me trouve charmé;

et malgré moy j'adore la pincesse.

Que je serois heureux, si j'étois moins aimé !

ARCAS

Si vous l'abandonnez, songez-vous à la rage,

où la mettra son desespoir ?

JASON

Je sçay la grandeur de l'outrage,

je manque à la fois qui m'engage,

et vois tout ce que je dois voir;

mais un fier ascendant asservit mon courage.

En vain je cherche à n'y point consentir;

des grandes passions c'est le sort qui décide.

Je rougis, je me hais d'estre ingrat et perfide,

et je ne puis m'en garantir.

ARCAS

Dans ce que peut Médée, oseray-je vous dire

que vous ne sçauriez trop redouter son couroux ?

Si sur vostre ame la gloire a quelque empire,

voyez ce qu'elle veut de vous.

 

JASON

Que me peut demander la gloire,  

quand l'amour s'est rendu maistre de mon cœur ?

Dans le triste combat, où si j'ose la croire,

l'avantage cruel de demeurer vainqueur,

doit me coûter tout mon bonheur,

que me peut demander la gloire ?

Si je traite Médée avec trop de rigueur,

un objet tout charmant trouve de la douceur

a me ceder une illustre victoire:

je touche au doux moment d'en estre possesseur.

Sermens de ma premiere ardeur,

devoirs que je trahis, sortez de ma memoire,

et ne m'opposez plus vos chimeres d'honneur:

que me peut demander la gloire,

quand l'amour s'est rendu maistre de mon cœur ?

 

CHŒUR DE CORINTHIENS

(qu'on ne voit pas)

Disparoissez, inquietes alarmes;  

vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.

Le secours d'un heros vient se joindre à nos armes,

nos plus fiers ennemis trembleront devant nous.

Disparoissez, inquietes alarmes;

vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.

 

Scène quatrième

Créon, Jason, Arcas, Suite de Créon.

<- Créon, suite de Créon

 

CRÉON

L'Allegresse en ces lieux, ne peut estre plus grande...  

Mon peuple voit Oronte, et son secours promis

doit étonner nos ennemis.

Rendons luy les honneurs que son rang nous demande.

Arcas ->

 

Scène cinquième

Créon, Jason, Oronte, Suite de Créon et d'Oronte.

<- Oronte, suite d'Oronte

 

ORONTE

Seigneur, la Thessalie attaquant vos estats,  

pour vous de mon secours je craindrois la foiblesse,

si ma seule valeur répondoit de mon bras;

mais quand pour meriter les voeux de la princesse,

l'honneur de la servir m'attire en vostre cour,

j'ose tout esperer de l'ardeur qui me presse.

Que ne peut point un cœur animé par l'amour ?

CRÉON

Prince, je sçay que l'amour a des charmes,

qui font les soins des jeunes cœurs;

mais la guerre aujourd'huy, par ses tristes alarmes,

en doit suspendre les douceurs.

Vous brûlez pour ma fille, avant qu'elle se donne,

il faut affermir ma couronne:

Jason la soutiendra, si vous le secondez.

ORONTE

Aprés l'heureux succez de la toison conquise,

sa valeur dans son entreprise,

asseure les exploits que vous en attendez.

JASON

Les vostres sont certains, un grand prix vous anime,

et rien n'est impossible à qui peut l'aquerir.

CRÉON

Voyez nos peuples accourir,

et souffrez que leur joye auprés de vous s'exprime.

 

Scène sixième

Oronte, Jason, Arcas, Créon, Suite de Créon et d'Oronte.

<- Arcas

 

UN CORINTHIEN
(à Oronte)

Courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.  

Ouvrez-vous le chemin qui conduit à la gloire.

Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos:

pour nous mener à la victoire,

courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

CHŒUR DE CORINTHIENS

Courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

Ouvrez-vous le chemin qui conduit à la gloire.

Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos:

pour nous mener à la victoire,

courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

ORONTE

Courons, volons, d'un courage intrepide,

sur la foy de l'amour, affrontons les hazards:

ce dieu peut tout; puisqu'il nous sert de guide

la victoire en tous lieux suivra mes étendards.

 
Les Corinthiens font un essay de lutte. Les Argiens font une danse galante.
 

UN CORINTHIEN, UN ARGIEN

Quel bonheur suit la tendresse !

Heureux l'amant qui l'obtient.

Quelque desir qui le presse,

dans l'espoit qu'il entretient;

l'amour n'a point de foiblesse,

quand la gloire le soutient.

C'est un charmant avantage,

que l'heureux nom du vainqueur;

mais le plus noble courage,

n'en goûte bien la douceur,

que lorsque l'amour l'engage,

a la conqueste d'un cœur.

CHŒUR DE CORINTHIENS ET DE ARGIENS

Que d'épais bataillons, sur nos rives descendent.

A nos vaillants efforts il faudra qu'ils se rendent.

Unissons-nous en ce grand jour,

la gloire et l'amour le demandent.

Unissons-nous en ce grand jour,

nous ferons triompher et la gloire et l'amour.

 

Fin (Acte premier)

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Une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux.

Médée, Nérine
 

Pour flater mes ennuis, que ne puis-je te croire!

Médée, Nérine
<- Jason, Arcas

D'où vient cét air sombre, et qu'allez-vous m'apprendre?

Non, Jason, cherchez à luy plaire

Jason, Arcas
Médée, Nérine ->

Que je serois heureux, si j'étois moins aimê!

Jason, Arcas
<- Créon, suite de Créon

L'Allegresse en ces lieux, ne peut estre plus grande

Jason, Créon, suite de Créon
Arcas ->
Jason, Créon, suite de Créon
<- Oronte, suite d'Oronte

Seigneur, la Thessalie attaquant vos estats

Jason, Créon, suite de Créon, Oronte, suite d'Oronte
<- Arcas

(les Corinthiens font un essay de lutte; les Argiens font une danse galante)

 
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième
Un lieu rustique, embelly par la nature, de rochers et de cascades. Une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux. Un vestibule, orné d'un grand portique Un lieu destiné aux evocations de Médée. Avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds. Palais de Médée
Prologue Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

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