MÉDÉE
Tragedie.
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Livret de Thomas CORNEILLE.
Musique de Marc-Antoine CHARPENTIER.
Première représentation : 4 décembre 1693, Paris.
Personnages:
Acteurs du prologue | |
LA VICTOIRE |
soprano |
BELLONE |
contralto |
LA GLOIRE |
soprano |
Acteurs de la tragedie | |
CRÉON Roy de Corinthe |
basse |
CRÉÜSE Fille de Créon |
soprano |
MÉDÉE Princesse de Colchos |
soprano |
JASON Prince de Tessalie |
contralto |
ORONTE Prince d'Argos |
baryton |
ARCAS Confident de Jason |
ténor |
NÉRINE Confidente de Médée |
soprano |
CLEONE Confidente de Créüse |
soprano |
Chœurs d'habitans des environs de la Seine.
Chœurs de bergers héroïques.
Troupe de Corinthiens.
Troupe d'Argiens.
Un petit Argien, déguisé en amour.
Troupe de Captifs de l'Amour.
Troupe de Demons.
Le theatre represente un lieu rustique, embelly par la nature, de rochers et de cascades.
UN CHEF D'HABITANS
Louis est triomphant, tout céde à sa puissance,
la victoire en tous lieux, fait reverer ses loix.
Pour la voir avec nous toujours d'intelligence,
rendons-luy des honneurs dignes de sa presence.
Rendons-luy des honneurs dignes des grands exploits
qui consacrent le nom du plus puissant des roys.
CHŒUR D'HABITANS ET DE BERGERS HÉROÏQUES
Louis est triomphant, tout céde à sa puissance,
la victoire en tous lieux, fait reverer ses loix.
Pour la voir avec nous toujours d'intelligence,
rendons-luy des honneurs dignes de sa presence.
Rendons-luy des honneurs dignes des grands exploits
qui consacrent le nom du plus puissant des roys.
DEUX BERGERS, UN HABITAN
Paroissez, charmante Victoire,
hastez-vous, venez descendez.
Amenez-nous Bellone, amenez-nous la Gloire,
par qui vos soins pour nous sont si bien secondez.
Paroissez, charmante Victoire,
hastez-vous, venez descendez.
CHŒUR
Paroissez, charmante Victoire,
hastez-vous, venez descendez.
LES DEUX BERGERS ET L'HABITAN
Ce nuage brillant nous donne lieu de croire,
que vous nous entendez.
CHŒUR
Paroissez, charmante Victoire,
hastez-vous, venez descendez.
On entend une Symphonie, pendant laquelle il paroît un tourbillon de nüages qui descend, et en s'ouvrant fait paroître le palais de la Victoire, qui s'avance et occupe tout le theatre; et au milieu du palais, sont la Gloire, la Victoire et Bellone.
LA VICTOIRE
Le ciel dans vos voeux s'interesse,
depuis long-tems, la France est mon sejour.
Attachée au heros, qui pour elle sans cesse
fait agir sa haute sagesse,
je sens pour luy de jour en jour,
en redoublant mes soins, redoubler mon amour.
Ne craignez pas que la Victoire,
favorise jamais les jaloux de sa gloire.
Ils ne cherchent à triompher
qu'afin de prolonger la guerre.
Louis combat pour l'etouffer,
et rendre la calme à la terre.
CHŒUR
Ils ne cherchent à triompher
qu'afin de prolonger la guerre.
Louis combat pour l'etouffer,
et rendre la calme à la terre.
BELLONE
Vous resistez envain, tremblez fiers ennemis,
au grand roy que je sers, je vous rendray soûmis.
Chez vous plus que jamais, par l'effroy de ses armes,
je porteray les plus rudes allarmes:
et mille triomphes divers,
feront de son grand nom retentir l'univers.
CHŒUR
Par mille triomphes divers,
faisons de son grand nom retentir l'univers.
LA GLOIRE
Pour seconder vos soins, laissez faire la Gloire,
ce heros me cherit, et je l'aimay toujours.
On verra durer nos amours,
quand mesme il n'aura plus besoin de la Victoire.
Non, non, ses ennemis jaloux,
ne pourront jamais rien, contre des noeuds si doux.
CHŒUR
Non, non, ses ennemis jaloux,
ne pourront jamais rien, contre des noeuds si doux.
LA VICTOIRE
Le bruit des tambours, des trompettes,
ne viendra plus troubler vos jeux,
bergers, reprenez vos musettes,
chantez l'amour, chantez ses feux,
la guerre et ses dangers affreux,
n'approchent point de vos douces retraittes:
le plus grand des heros, vous y fait vivre heureux.
Il vaincra tant de fois, sur le tarre et sur l'onde,
que ses ennemis terrassez,
malgré tous leurs projets, seront enfin forcez
de souffrir le repos qu'il veut donner au monde.
CHŒUR
Il vaincra tant de fois, sur le tarre et sur l'onde,
que ses ennemis terrassez,
malgré tous leurs projets, seront enfin forcez
de souffrir le repos qu'il veut donner au monde.
UN BERGER
Dans le bel âge,
si l'on n'est volage,
les tendres cœurs
goûtent peu de douceurs.
L'ardeur dune flâme constance
est bien-tost languissante,
veut-on d'agreables amours ?
Il faut changer toujours.
Dans le bel âge,
si l'on n'est volage,
les tendres cœurs
goûtent peu de douceurs.
DEUX BERGERES
Voir nos moutons dans la verte prairie,
bondir sur l'herbette fleurie,
sans craindre la fureur des loups,
c'est pour nous un plaisir extrême;
mais voir souvent ce que l'on aime,
c'est encore un plaisir plus doux.
CHŒUR
Le bruit des tambours, des trompettes,
ne viendra plus troubler nos jeux.
Prenons nos pipeaux, nos musettes,
chantons l'amour, chantons ses feux;
la guerre et ses dangers affreux,
n'approchent point de nos douces retraittes,
le plus grand des heros, nous y fait vivre heureux.
Il vaincra tant de fois, sur la terre et sur l'onde,
que ses ennemis terrassez,
malgré sous leurs projets, seront enfin forcez
de souffrir le repos qu'il veut donner au monde.
Aprés le Chœur, le palais s'en retourne d'où il est venu; le tourbillon se referme, et remonde au ciel.
Le theatre represente une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux.
Médée, Nérine.
MÉDÉE
Pour flater mes ennuis, que ne puis-je te croire !
Tout le voudroit, mon repos et ma gloire;
mais en vain à douter je trouve des appas,
Jason est un ingrat, Jason est un parjure;
l'amour que j'ay pour luy, me le dit, m'en asseure,
et l'amour ne se trompe pas.
NÉRINE
Un mouvement jaloux vous le peint infidelle,
mais d'injustes soupçons troublent vostre repos;
Créüse est destinée au souverain d'Argos.
Sur quel espoir Jason brûleroit-il pour elle ?
MÉDÉE
Je sçay qu'Oronte est prest d'arriver en ces lieux;
il vient remply d'un espoir glorieux:
mais à le recevoir si Corinthe s'appreste,
ce n'est point son hymen qui le fait souhaiter.
Il s'éleve contr'elle une affreuse tempeste,
son secours la peut écarter.
NÉRINE
Acaste contre vous arme la Thessalie.
La cruelle mort de Pelie
vous rend l'objet de sa fureur.
Si Créon ne vous abandonne,
de la guerre en ces lieux il va porter l'horreur;
et lorsqu'en ce peril, comme l'amour l'ordonne,
Jason veut de Crëuse aquerir la faveur,
faut-il que ce soin vous étonne ?
MÉDÉE
Qu'il soit abandonné de Crëuse et du roy,
s'il luy faut un appuy, ne l'a-t'il pas en moy ?
Quand de Colchos il prit la fuite,
maître de la riche toison,
mon pere eût beau s'armer contre ma trahison,
quel fut l'effet de sa poursuite ?
NÉRINE
Quoy, vous resoudre à fuit toujours ?
MÉDÉE
La fuite, l'exil, la mort même,
tout est doux avec ce qu'on aime.
NÉRINE
Jason pour vos enfans cherche icy du secours.
MÉDÉE
Qu'il le cherche, mais qu'il me craigne.
MÉDÉE
Un dragon assoupy, de fiers taureaux domptez,
ont à ses yeux suivy mes volontez.
S'il me vole son cœur, si la princesse y regne,
de plus grands efforts feront voir,
ce qu'est Médée et son pouvoir.
NÉRINE
Forcez vos ennuis au silence,
un couroux violent ne doit jamais parler.
On perd la plus seure vengeance
si l'on ne sçait dissimuler.
Ensemble
MÉDÉE
Forçons nos ennuis au silence,
un couroux violent ne doit jamais parler.
On perd la plus seure vengeance
si l'on ne sçait dissimuler.
NÉRINE
Forçons vos ennuis au silence,
un couroux violent ne doit jamais parler.
On perd la plus seure vengeance
si l'on ne sçait dissimuler.
Jason, Arcas, Médée, Nérine.
MÉDÉE
D'où vient cét air sombre, et qu'allez-vous m'apprendre ?
Créon nous voudroit-il bannir de ses estats ?
JASON
Créon redoute Acaste, et ne s'explique pas;
mais contre nous quoy qu'on puisse entreprendre,
du moins pour nos enfans j'ay sçeu fléchir les ieux.
S'il faut d'un fier destin suivre la loy cruelle,
ils trouveront un asyle en ces lieux;
la princesse les doit retenir auprés d'elle.
MÉDÉE
C'est estre genereuse.
JASON
Elle me laisse voir
que nous pouvons esperer davantage.
Sur son pere elle a tout pouvoir
et j'attends tout du zele où sa bonté l'engage.
MÉDÉE
L'ardeur que vous montrez à luy faire la cour...
JASON
Ignorez-vous d'un pere où va le tendre amour ?
MÉDÉE
Pour nous la rendre favorable,
vos soins trop assidus devroient vous alarmer.
Une douce habitude est facile à former;
et voir souvent ce qui paroît aimable,
c'est flater le penchant qui nous porte à l'aimer.
JASON
Quoy, vous me soupçonnez ?
MÉDÉE
Jason doit me connoistre,
il me coûte assez cher pour ne le perdre pas.
JASON
Ah ! que me dites-vous ?
MÉDÉE
Ce que je crains.
JASON
Helas !
Que ne puis-je faire paroître
ce que mon cœur pour vous sera jusqu'au trépas !
MÉDÉE, JASON
Que de tristes soucis, malgré ses doux appas,
dans un cœur bien touché l'injuste amour fait naistre !
MÉDÉE
De trop cuisants remords accablent les ingrats;
Jason ne le voudra pas l'estre.
JASON
Quittez ces détours superflus.
Pour m'asseurer du roy, je voyois la princesse.
Mais si c'est un soin qui vous blesse,
parlez, je ne la verray plus.
MÉDÉE
Non, Jason, cherchez à luy plaire
dans les rigueurs d'un sort trop inhumain
son secours nous est necessaire.
JASON
Pour nous le rendre plus certain,
diray-je ce qu'il faudroit faire ?
Cette robe superbe où par tout nous voyons,
du Soleil vostre ayeul éclater les rayons,
par son brillant a touché son envie,
ses yeux m'en ont paru surpris.
Nous verrions sa faveur d'un prompt effet suivie,
si de ses soins vous en faisiez le prix.
MÉDÉE
Vous le voulez, je la donne sans peine;
mais du ciel irrité quel que soit le couroux,
songez que si je ne peux répondre de vous,
je n'ay point à craindre sa haine.
Jason, Arcas.
JASON
Que je serois heureux, si j'étois moins aimê !
Médée avec ardeur dans mon sort s'interesse,
je luy dois toute ma tendresse;
d'une autre cependant je me trouve charmé;
et malgré moy j'adore la pincesse.
Que je serois heureux, si j'étois moins aimé !
ARCAS
Si vous l'abandonnez, songez-vous à la rage,
où la mettra son desespoir ?
JASON
Je sçay la grandeur de l'outrage,
je manque à la fois qui m'engage,
et vois tout ce que je dois voir;
mais un fier ascendant asservit mon courage.
En vain je cherche à n'y point consentir;
des grandes passions c'est le sort qui décide.
Je rougis, je me hais d'estre ingrat et perfide,
et je ne puis m'en garantir.
ARCAS
Dans ce que peut Médée, oseray-je vous dire
que vous ne sçauriez trop redouter son couroux ?
Si sur vostre ame la gloire a quelque empire,
voyez ce qu'elle veut de vous.
JASON
Que me peut demander la gloire,
quand l'amour s'est rendu maistre de mon cœur ?
Dans le triste combat, où si j'ose la croire,
l'avantage cruel de demeurer vainqueur,
doit me coûter tout mon bonheur,
que me peut demander la gloire ?
Si je traite Médée avec trop de rigueur,
un objet tout charmant trouve de la douceur
a me ceder une illustre victoire:
je touche au doux moment d'en estre possesseur.
Sermens de ma premiere ardeur,
devoirs que je trahis, sortez de ma memoire,
et ne m'opposez plus vos chimeres d'honneur:
que me peut demander la gloire,
quand l'amour s'est rendu maistre de mon cœur ?
CHŒUR DE CORINTHIENS
(qu'on ne voit pas)
Disparoissez, inquietes alarmes;
vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.
Le secours d'un heros vient se joindre à nos armes,
nos plus fiers ennemis trembleront devant nous.
Disparoissez, inquietes alarmes;
vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.
Créon, Jason, Arcas, Suite de Créon.
CRÉON
L'Allegresse en ces lieux, ne peut estre plus grande...
Mon peuple voit Oronte, et son secours promis
doit étonner nos ennemis.
Rendons luy les honneurs que son rang nous demande.
Créon, Jason, Oronte, Suite de Créon et d'Oronte.
ORONTE
CRÉON
Prince, je sçay que l'amour a des charmes,
qui font les soins des jeunes cœurs;
mais la guerre aujourd'huy, par ses tristes alarmes,
en doit suspendre les douceurs.
Vous brûlez pour ma fille, avant qu'elle se donne,
il faut affermir ma couronne:
Jason la soutiendra, si vous le secondez.
ORONTE
JASON
Les vostres sont certains, un grand prix vous anime,
et rien n'est impossible à qui peut l'aquerir.
CRÉON
Voyez nos peuples accourir,
et souffrez que leur joye auprés de vous s'exprime.
Oronte, Jason, Arcas, Créon, Suite de Créon et d'Oronte.
UN CORINTHIEN
(à Oronte)
Courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.
Ouvrez-vous le chemin qui conduit à la gloire.
Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos:
pour nous mener à la victoire,
courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.
CHŒUR DE CORINTHIENS
Courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.
Ouvrez-vous le chemin qui conduit à la gloire.
Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos:
pour nous mener à la victoire,
courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.
ORONTE
Les Corinthiens font un essay de lutte. Les Argiens font une danse galante.
UN CORINTHIEN, UN ARGIEN
Quel bonheur suit la tendresse !
Heureux l'amant qui l'obtient.
Quelque desir qui le presse,
dans l'espoit qu'il entretient;
l'amour n'a point de foiblesse,
quand la gloire le soutient.
C'est un charmant avantage,
que l'heureux nom du vainqueur;
mais le plus noble courage,
n'en goûte bien la douceur,
que lorsque l'amour l'engage,
a la conqueste d'un cœur.
CHŒUR DE CORINTHIENS ET DE ARGIENS
Que d'épais bataillons, sur nos rives descendent.
A nos vaillants efforts il faudra qu'ils se rendent.
Unissons-nous en ce grand jour,
la gloire et l'amour le demandent.
Unissons-nous en ce grand jour,
nous ferons triompher et la gloire et l'amour.
Le theatre represente un vestibule, orné d'un grand portique.
Créon, Médée, Nérine.
CRÉON
Il est temps de parler sans feindre.
Acaste vous poursuit, vous n'avez rien à craindre;
sur quelqu'espoir qu'il forme ses desseins,
tombe sur Corinthe la foudre,
plûtost qu'on puisse me résoudre,
a vous livrer entre ses mains.
MÉDÉE
Seigneur, une bonté si grande,
marque le cœur d'un veritable roy.
CRÉON
Lorsque pour vous je fais ce que je doy,
a vostre tour, la justice demande
que vous fassiez quelque chose pour moy.
A vous voir dans ma cœur, mon peuple s'inquiete,
il craint ce qu'avec vous vous traînez de malheurs,
et que ma complaisance à vous donner retraite
ne luy soit un sujet de pleurs.
Pour le guerir de ses alarmes,
allez attendre en d'autres lieux,
pendant le tumulte des armes,
ce que de nos destins ordonneront les dieux.
A vos enfans je veux servir de pere;
pour eux, puisque je l'ay promis,
je combatray vos ennemis,
c'est plus que je ne devrois faire.
MÉDÉE
Sans m'étonner j'écoute mon arrest.
Quels que soient les ennuis où mon destin me livre,
Jason à partir est-il prest ?
Je fais tout mon bonheur du plaisir de la suivre.
CRÉON
Pour ne vous pas livrer, j'expose mes etats
aux malheurs que la guerre attire,
et pour deffendre cet empire,
Jason voudroit nous refuser son bras ?
Ma ravir ce heros, c'est m'ôter la victoire.
MÉDÉE
Me separer de luy, c'est me priver du jour.
CRÉON
S'il m'ose abandonner, que deviendra sa gloire ?
MÉDÉE
S'il m'ose abandonner, que devient son amour ?
Ensemble
CRÉON
S'il m'ose abandonner, que deviendra sa gloire ?
MÉDÉE
S'il m'ose abandonner, que devient son amour ?
CRÉON
Par une lâcheté, voulez-vous qu'il ternisse
l'éclat des grands exploits, qui le font redouter ?
MÉDÉE
Ses exploits sont fameux, mais rendez-moy justice
si malgré les perils qu'il falloit surmonter,
la toison emporté a fait voir son courage,
a qui doit-il cet avantage ?
CRÉON
Je veux que ce qui rend son nom glorieux,
de vos enchantements soit l'effet admirable;
ignore-vous qu'un murmure odieux
vous fait par tout croire coupable ?
MÉDÉE
Doit-on m'imputer des forfaits,
sans voir pour qui je les ay faits ?
Vos réproches, seigneur, ne sont pas legitimes.
Si pour Jason je me suis tout permis,
puisque luy seul a joüy de mes crimes,
c'est luy seul qui le a commis.
CRÉON
En vain sur ce heros vous rejettez la haine
qui ne doit tomber que sur vous.
Du pouvoir de vostre art peut-estre est-on jalaoux,
mais enfin mes sujets vous souffrent avec peine.
Pressé par eux, pour sortir de ma cour,
je ne puis vous donner que le reste du jour.
MÉDÉE
Ay-je donc merité cette rigueur extrême ?
On me chasse, on m'exile, on m'arrache à moy-mesme.
CRÉON
Faisons taire les mécontents.
Quand on entend gronder l'orage,
c'est estre sage,
que de ceder au temps;
faisons taire les mécontents.
Créon, Médée, Créüse, Cleone.
MÉDÉE
Princesse, c'est sur vous que mon espoir se fonde.
Le destin de Médée est d'estre vagabonde.
Preste à m'éloigner de ces lieux,
je laisse entre vos mains ce que j'aime le mieux.
Je sçay qu'une pitié sincere
pour mes enfans a touché vostre cœur;
prenez-en quelque soin, et souffrez qu'une mere
au moins dans son exil goute cette douceur.
Ce sera pour mes voeux une grande victoire,
si de mon triste sort le ciel leur fait raison.
Je ne vous dit rien pour Jason,
Jason aura soin de sa gloire.
Créon, Créüse, Cleone.
CRÉON
Enfin à ton amour tout espoir est permis,
ta rivale à partir s'appreste;
et puisque tes appas tiennent Jason soûmis,
tu peux conserver ta conqueste.
CRÉÜSE
Seigneur, souvenez-vous que c'est par vostre aveu
que Jason dans mon ame alluma ce beau feu.
L'amour sur tous les cœurs remporte la victoire,
la plus fiere à son tout reconnoît son pouvoir;
mais il n'est doux que quand la gloire,
pour le faire éclater, suit les loix du devoir.
CRÉON
D'Oronte par ce choix je trompe l'esperance;
mais l'hymen de Jason t'arrête en mes estats.
Au plus grand des heros j'en remets la deffense,
et preferant son alliance,
je te donne, et ne te perds pas.
Jason, Créon, Créüse, Cleone.
CRÉON
Prince, venez apprendre une heureuse nouvelle.
Médée est preste à nous quitter,
et veut bien qu'en ces lieux vous demeuriez sans elle,
tant que nos ennemis seront à redouter.
Comme dans vos adieux il faudra de l'adresse,
a luy cacher, sous quel espoir,
pour l'éloigner, j'use de mon pouvoir,
prenez avis de la princesse.
Jason, Créüse, Cleone.
JASON
Qu'ay-je à résoudre encore ? il faut vivre pour vous.
Est-il un plus grand avantage
que de borner mes souhaits les plus doux
a rendre à vostre beauté un éternel hommage ?
Plus je vous voy, plus je me sens charmé:
a mon amour mon cœur ne peut suffire.
Quand on aime ardemment, quel plaisir d'estre aimé.
Quel triomphe de l'oser dire !
CRÉÜSE
Pour regner par tout à son choix,
l'impérieux amour ne respecte personne.
JASON
Il faut faire ce qu'il ordonne,
le vray bonheur est de suivre ses loix.
CRÉÜSE
Avant que de vous voir mon cœur estoit tranquile,
et quand vous en troublez la paix,
je sens qu'à mon bonheur la perte en est utile.
Vous, où j'ay tant trouvé de sensibles attraits,
doux repos, quittez-moy, ne revenez jamais.
JASON
De la tranquilité doit-on se mettre en peine,
quand on sent un trouble si doux ?
CRÉÜSE
J'en joüirois encor sans vous.
JASON
Contre l'amour la resistance est vaine.
Goûtons l'heureux plaisir de perdre cette paix.
CRÉÜSE
Dous repos, quittez-moy, ne revenez jamais.
JASON, CRÉÜSE
Goûtons l'heureux plaisir de perdre cette paix.
Dous repos, quittez-nous, ne revenez jamais.
CRÉÜSE
Médée eut sur vostre ame un souverain empire,
l'amour luy soumettoit toutes vos volontez;
pour rallumer vos feux la pitié peut suffire.
Quel desespoir si vous la regrettez !
JASON
Oronte vous adore, il viendra vous le dire.
L'amour tiendra sur vous ses regards arrestez;
ses soupirs vous pourront parler de son martyre.
Quel desespoir si vous les écoutez !
CRÉÜSE
Quand son amour seroit extrême
vous n'avez rien à redouter.
Dans le temps mesme
que je paroistray l'écouter,
quand son amour seroit extrême
vous n'avez rien à redouter:
mes yeux vous diront, je vous aime.
JASON
Ah, pour le prix de mes tendres soupirs
ne vous lassez point de le dire;
de l'amour à nos cœurs faisons suivre l'empire.
Le plaisir d'estre aimé passe tous les plaisirs.
JASON, CRÉÜSE
De l'amour à nos cœurs faisons suivre l'empire.
Le plaisir d'estre aimé passe tous les plaisirs.
Oronte, Jason, Créüse, Cleone.
ORONTE
CRÉÜSE
Mon cœur qui s'applaudit d'une illustre victoire,
aime dans son penchant à trouver son devoir;
l'hommage d'un heros que couronne la gloire
est toujours doux à recevoir.
ORONTE
Oronte, Jason, Créüse, Cleone, Chœur des Captifs d'Amour.
Un petit argien representant l'Amour, paroist sur un char traisné par des Captifs de differentes nations et de tout sexe.
CHŒUR DES CAPTIFS D'AMOUR
Qu'elle est charmante, qu'elle est belle !
Ah qu'il est doux de soupirer pour elle !
UN CAPTIF
Venir l'adorer en ces lieux,
est un destin bien glorieux;
mais si la douceur de ses yeux
doit tromper une ardeur si belle,
ah, quel malheur pour un amant fidelle !
CHŒUR
Ah, quel malheur pour un amant fidelle !
LE CAPTIF
Une rigoureuse fiertê
sieroit mal à tant de beauté,
l'amour par tout si rédouté
l'empeschera d'estre crüelle;
ah, quel malheur pour un amant fidelle !
CHŒUR
Ah, quel malheur pour un amant fidelle !
AMOUR
(à Créüse)
Regnez; l'amour à vos loix
vient soûmettre son empire,
chacun à vous plaire aspire;
voulez-vous faire un beau choix ?
Vous n'avez qu'à dire.
Tous mes traits sont doux,
c'est par eux qu'on ayme,
mon arc est à vous,
lancez les vous-mesme.
L'Amour offre son Arc à Créüse, qui refuse de le prendre.
AMOUR
Vous me resistez,
j'ay lieu de m'en plaindre.
Montez dans mon char, montez,
un enfant n'est pas à craindre.
CRÉÜSE
Quoy qu'il soit dangereux d'obéïr à l'Amour,
le moyen de s'en defendre ?
Créüse monte sur le char de l'Amour. Jason et Oronte se placent à ses côtez.
AMOUR
Tendres captifs, faites luy vostre cour,
et que chacun de vous s'applique tour à tour
a l'hommage qu'il faut luy rendre.
Tendres captifs, faites luy vostre cour.
UNE CAPTIVE
Chi teme d'amore
il grato martire,
o non vuol gioire,
o cuore non ha.
Son gusti i dolori,
le spine son fiori
ch'amore ne dà;
ma solo penando
ardento, e sperando,
un'alma legata
fra ceppi beata,
per prova lo sa.
Chi teme d'amore
il grato martire,
o non vuol gioire,
o cuore non ha.
CHŒUR
Son gusti i dolori,
le spine son fiori
ch'amore ne dà;
ma solo penando
ardendo, e sperando,
un'alma legata
fra ceppi beata,
per prova lo sa.
LA CAPTIVE
Chi teme d'amore
il grato martire,
o non vuol gioire,
o cuore non ha.
CHŒUR
O non vuol gioire,
o cuore non ha.
TROIS AUTRES CAPTIFS
D'un amant qui veut plaire
l'hommage est sincere,
d'un amant qui peut plaire
l'hommage est constant.
CHŒUR
D'un amant qui veut plaire
l'hommage est sincere,
d'un amant qui peut plaire
l'hommage est constant.
LES TROIS CAPTIFS
Aimer et l'oser dire,
c'est ce qu'il desire;
aimer et l'oser dire,
c'est ce qu'il prétend.
CHŒUR
D'un amant qui veut plaire
l'hommage est sincere,
d'un amant qui peut plaire
l'hommage est constant.
LES TROIS CAPTIFS
Amans, portez vos chaînes,
d'un esprit content.
CHŒUR
L'amour a pour vos peines
un prix éclatant.
LES TROIS CAPTIFS
D'un amant qui veut plaire
l'hommage est sincere,
d'un amant qui peut plaire
l'hommage est constant.
CHŒUR
D'un amant qui veut plaire
l'hommage est sincere,
d'un amant qui peut plaire
l'hommage est constant.
AMOUR
(à Créüse aprés qu'elle est descenduë du char)
Vous voyez à quoy j'aspire.
Pour faire un heureux vainqueur,
je compte sur vostre cœur.
Oserez-vous m'en dédire ?
ORONTE
JASON
L'amour sur ce qu'il veut s'est expliqué luy-mesme,
vous devez contenter l'amour.
CRÉÜSE
Envain l'amour me sollicite.
Qu'un amant se fasse estimer
par tout ce que la gloire ajoûte au vray merite,
il est seur de se faire aimer.
CHŒUR
Ton triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.
L'amant que tu veux rendre heureux,
est seur de l'estre pour la gloire;
la gloire est l'objet de ses voeux.
Son triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.
Le theatre represente un lieu destiné aux evocations de Médée.
Oronte, Médée.
ORONTE
MÉDÉE
Si par l'excil que m'impose le roy
Corinthe s'affranchit des fureurs de la guerre,
pourquoy charger une autre terre
des maux que je traîne avec moy ?
Acaste veut que je perisse;
et lors que pour ma perte il arme son couroux,
je croirois faire un injustice
de l'étendre sur vous.
ORONTE
MÉDÉE
Vous ignorez ce qui se passe.
Il faut vous découvrir par quelle trahison
on veut m'éloigner de Jason;
il faut vous faire voir jusqu'où va ma disgrace.
Tremblez prince; mes maux enfin trop confirmez
en m'accablant retombent sur vous mesme.
Jason me trahit, Jason aime,
et peut-estre est aimé de ce que vous aimez.
ORONTE
MÉDÉE
N'en doutez pas, ma presence les blesse,
je fais obstacle à leur tendresse,
c'est là de mon exil la pressante raison.
ORONTE
ORONTE, MÉDÉE
Qui l'auroit cru, que tant d'ingratitude
deust payer le beaux feu qui regne dans mon cœur ?
MÉDÉE
Souffrirez-vous qu'on vous enleve
ce cher objet de vos desirs ?
ORONTE
MÉDÉE
Quel plus sensible coup pouvois-je recevoir !
Ensemble
MÉDÉE
Non, dans un cœur, quand l'amour est extrême,
rien n'approche du desespoir
d'estre trahy par ce qu'on aime.
Unissons nos ressentimens
contre ces perfides amans
que Jason à mes foeux prefere la princesse !
Son crime ne peut s'egaler.
ORONTE
MÉDÉE
Il vient; mon cœur s'émeut et reprend sa tendresse.
Elle en triomphera, laissez-moy luy parler.
Médée, Jason.
MÉDÉE
Vous sçavez l'exil qu'on m'ordonne.
Venez-vous me dire en quels lieux,
lorsque tout icy m'abandonne,
je dois fuit le couroux des dieux.
En vain j'iray par tout, dans l'excez de ma peine,
de cet injuste arrest leur demander raison;
les crimes que j'ay faits pour trop aimer Jason,
de l'univers entier m'ont attiré la haine.
La Thessalie arme contre mes jours,
Colchos a resolu mon trop juste supplice;
le seul Jason me restoit pour recours,
et ce Jason si cher permet qu'on me bannisse.
JASON
N'appellez point exil, un triste éloignement
que l'honneur à souffrir m'engage.
J'en ressens le coup en amant,
j'en gemis, je m'en fais un rigoureux tourment,
mais je ne puis rien davantage.
Voulez-vous que je quitte un roy,
qui pour épargnez vostre teste,
attend sans s'ébranler, l'éclat de la tempeste
qui remplit son peuple d'effroy ?
Voyons finir la guerre, et le coup qui vous blesse
pour un temps seulement nous aura separez.
MÉDÉE
Helas ! pendant ce temps, je connois ma foiblesse,
quels ennuis vous me coûterez !
Je tâche à vaindre mes alarmes
que me cause un soupçon jaloux;
mais enfin malgré moy je sens couler mes larmes.
Ingrat, m'abandonnerez-vous ?
JASON
S'il faut de tout mon sang racheter vostre vie,
je suis tout prest à le donner.
Partager les malheurs dont elle est poursuivie,
est-ce là vous abandonner ?
MÉDÉE
Rien ne m'est plus doux que de croire
tout l'amour que vous me jurez;
il fait mon bonheur et ma gloire,
mais je parts, et vous demeurez.
JASON
Je demeure, il est vray, mais quand on nous separe
vous n'avez rien à redouter;
partez, les vains efforts que l'ennemi prepare
ne pourront long-temps m'arrester.
MÉDÉE
Il faut donc me résoudre à ce depart funeste.
Soûtenez une guerre où vous serez vainqueur;
mais conservez-moy vostre cœur,
c'est l'unique bien qu'il me reste.
Je ne m'en répens point; pour m'attacher à vous
j'ay quitté mon pays, abandonné mon pere;
on m'exile; et l'exil ne peut m'estre que doux,
s'il asseure à Jason la gloire qu'il espere.
JASON
Ah, c'est m'en dire trop ! cessez de m'attendrir;
je ne me connois plus dans ce trouble terrible.
MÉDÉE
J'y consens, je veux bien estre seule à souffrir,
un heros ne doit pas avoir l'ame sensible.
JASON
Je vous l'ay déja dit, je sens tous vos malheurs.
Ce qu'a fait vostre amour gravé dans ma memoire...
Adieu, je ne puis plus soutenir vos douleurs,
si je veux en sauver ma gloire.
Médée, seule.
Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !
Il craint des pleurs qu'il m'oblige à répandre;
insensible au feu le plus tendre
dont un cœur ait brûlé jamais,
quand mes soupirs peuvent suspendre
l'injustice de ses projets;
il fuit pour ne les pas entendre.
Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !
J'ay forcé devant luy cent monstres à se rendre.
Dans mon cœur où regnoit une tranquille paix,
toujours prompt à tout entreprendre,
j'ay sçeu de la nature effacer tous les traits.
Les mouvements du sang ont voulu me surprendre,
j'ay fait gloire de m'en deffendre,
et l'oubly des serments que cent fois il m'a faits,
l'engagement nouveau que l'amour luy fait prendre,
l'éloignement, l'exil, sont les tristes effets
de l'hommage éternel que j'en devois attendre ?
Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !
Médée, Nérine.
MÉDÉE
Croiras-tu mon malheur ? Jason, Jason luy-mesme,
l'infidelle Jason me presse de partir.
NÉRINE
Ah, gardez-vous d'y consentir.
Arcas sçait son secret, il m'aime,
et de sa perfidie il vient de m'avertir.
Son hymen avec la princesse
par le roy mesme est arrêté,
et vostre éxil n'est qu'une adresse
pour mettre contre vous ses jours en seureté.
MÉDÉE
Dieux, témoins de la foy que l'ingrat m'a donnée,
soufrirez-vous cet hymenée ?
C'en est fait, on m'y force; il faut briser les noeuds
qui m'attachent à ce perfide.
Puisque mon desespoir n'a rien qui l'intimide,
voyons quel doux succés suivra ses nouveaux feux.
Pour qui cherche ma mort je puis estre barbare,
le vengeance doit seul occuper tous mes soins;
faisons tomber sur luy les maux qu'il me prepare,
et que le crime nous separe,
comme le crime nous a joints.
NÉRINE
Avant que d'éclater, rappellez dans son ame
le souvenir de sa premiere flame.
MÉDÉE
Malgré sa noire trahison,
je sens que la tendresse est toujours la plus forte;
mais Corinthe, le roy, la princesse, Jason,
tout doit trembler si je m'emporte.
N'en deliberons plus. Vous qui m'obeissez,
esprits à me plaire empressez,
volez, apportez-moy cette robe fatale
que je destine à ma rivale.
Il paroît icy des Esprits en l'air qui disparoissent aussi-tôt.
MÉDÉE
Des poisons que je vais verser
je suspendray la violence,
et je ne les feray servir à ma vangeance
que quand je m'y verray forcer.
NÉRINE
De la pitié vous pouvez-vous deffendre ?
En punissant Jason craingez de vous punir.
MÉDÉE
Retire-toy, tes yeux ne pourroient soûtenir
l'horreur qu'icy je vais répandre.
Médée, troupe de Demons.
MÉDÉE
Noires filles du Stix, divinitez terribles,
quittez vos affreuses prisons.
Venez mesler à mes poisons
la devorante ardeur de vos feux invisibles.
Il paroît tout à coup une troupe de Demons.
CHŒUR DE DEMONS
L'enfer obeït à ta voix,
commande, il va suivre tes loix.
MÉDÉE
Punissons d'un ingrat la perfidie extrême.
Qu'il souffre, s'il se peut, cent tourmens à la fois,
en voyant souffrir ce qu'il aime.
CHŒUR
L'enfer obeït à ta voix,
commande, il va suivre tes loix.
Les Demons aëriens apportent la robe.
MÉDÉE
Je voy le don fatal qu'exige ma rivale.
Pour le rendre funeste, il est temps, faisons choix
des sucs les plus mortels de la rive infernale.
CHŒUR DE DEMONS
L'enfer obeït à ta voix,
commande, il va suivre tes loix.
Les Demons apportent une chaudière infernale, dans laquelle ils jettent les herbes qui doivent composer le poison, dont Médée a besoin pour empoisonner la robe.
MÉDÉE
Dieu du Cocyte et des royaumes sombres,
roy des pasles ombres,
sois attentif à mes enchantements.
Pour m'asseurer qu'Hecate m'est propice,
que l'averne fremisse,
et fasse tout trembler par ses mugissements.
On entend un bruit souterrain.
MÉDÉE
L'enfer m'a répondu, ma victoire est certaine.
Naissez, monstres, naissez, tous mes charmes sont faits.
Du funeste poison, par une mort soudaine,
faites-moy voir les seurs effets.
CHŒUR
Naissez, monstres, naissez, tous les charmes sont faits.
Du funeste poison, par une mort soudaine,
faites-nous voir les seurs effets.
Pendant ce chœur les monstres naissent, et aprés que les demons ont répandu du poison de la chaudière sur eux, ils languissent et meurent.
MÉDÉE
Tout répond à nostre envie,
les monstres perdent la vie.
Médée prend du poison dans la chaudière, et le répand sur la robe.
CHŒUR
Non, non, les plus heureux amans,
aprés une longue esperance,
n'ont des plaisirs qu'en apparence.
En voulez-vous de charmants ?
Cherchez-les dans la vangeance.
MÉDÉE
Vous avez servi mon couroux;
c'est assez retirez-vous.
Médée emporte la robe et les Demons disparoissent.
Le theatre represente l'avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds.
Jason, Cleone.
CLEONE
Jamais on ne la vit si belle,
cette robe superbe augment ses appas;
et dans l'éclat qu'elle répand sur elle,
il faut estre sans yeux pour ne l'admirer pas.
JASON
A peine dans ses mains cette robe est remise,
et déja la princesse a voulu s'en parer !
CLEONE
L'agrément qu'elle en sçait tirer
vous causera de la surprise.
Elle paroist. Voyez quel air de majesté
anime et soutient sa beauté.
Jason, Cleone, Créüse.
JASON
Ah ! que d'attraits, que de graces nouvelles ?
A voir ce vif éclat que mes yeux sont contents !
Des fleurs que produit le printemps
les couleurs ne sont point si belles.
Ah ! que d'attraits, que de graces nouvelles ?
CRÉÜSE
Si j'ay quelques appas assez vifs pour toucher,
s'ils brillent plus qu'à l'ordinaire;
cet avantage ne m'est cher,
que par la gloire de vous plaire.
JASON
Quels feux nouveaux dans mon cœur
cette asseurance faiyt naistre ?
N'ont-ils point assez d'ardeur ?
Pourquoy chercher à l'accroistre ?
CRÉÜSE
Si cette ardeur peur s'augmenter,
croyez-vous qu'en vouloir borner la violence,
ce ne soit pas une offense
capable de m'irriter ?
D'un amour qui se menage
les cœurs tendres sont blessez.
Malgré les voeux empressez
qui m'asseurent vostre hommage,
pouvant m'aimer davantage,
vous ne m'aimez pas assez.
JASON
Non, jamais tant d'ardeur, jamais flâme si belle
n'embraza le cœur d'un amant.
CRÉÜSE
C'est peut d'y voir un sort charmant,
cette ardeur doit estre éternelle.
JASON
Ah ! j'en fays icy le serment.
Puisse l'amour dans sa juste colère
excercer contre moy sa plus grande rigueur,
si jamais il trouve mon cœur
détaché du soin de vous plaire.
JASON, CRÉÜSE
Puisse l'amour dans sa juste colère
excercer contre moy sa plus grande rigueur,
si jamais il trouve mon cœur
détaché du soin de vous plaire.
CRÉÜSE
Je finis à regret un entretien si doux,
mais le prince d'Argos s'avance;
et son importune presence
me force à m'éloigner de vous.
Jason, Oronte.
ORONTE
JASON
Cette crainte est injuste; un éclatant merite
peut trop sur les grands cœurs pour ne pas l'estimer.
ORONTE
JASON
Avec un tel secours, si vos feux sont constans,
aimez, on obtient tout du temps.
ORONTE
JASON
L'amour promet souvent plus qu'il ne peut tenir.
ORONTE
JASON
Vous sçavez à quels soins la Guerre icy m'engage.
Les troupes qu'aujourd'huy fait assembler le roy,
n'attendent plus que moy.
Médée, Oronte, Nérine.
ORONTE
MÉDÉE
Eût-il le ciel à ses voeux favorable,
ne craignez point cét hymen odieux;
au pouvoir de Médée il n'est rien de semblable,
elle asservit la terre, elle commande aux cieux.
Je tiens la foudre suspenduë,
mais si Créon ne cede pas,
il verra quelle peine est deuë
a qui se fait le soutien des ingrats.
ORONTE
MÉDÉE
Je me declare pour vous.
Jamais, quoy que puissent faire,
les dieux, Créüse et son pere,
Jason n'en sera l'epoux:
je me declare pour vous.
Laissez-moy seule icy; dans ce que je medite,
j'ay besoin de calmer le trouble qui m'agite.
Médée, Nérine.
MÉDÉE
D'ou me vient cette horreur ? est-ce à moy de trembler ?
Preste à punir la criminelle flame
qui cause les ennuis dont on ose m'accabler,
puis-je me souvenir que je suis mere et femme ?
NÉRINE
Ses yeux sont egarez, ses pas sont incertains.
Dieux, detournez ce que je crains.
MÉDÉE
Non, non, à la pitié je dois estre inflexible.
Jason meprisera mon desespoir jaloux ?
Venez, venez, fureur, je m'abandonne à vous.
Je prends une vengeance épouvantable, horrible;
mais pour voir son supplice égaler mon couroux,
c'est pas l'endroit le plus sensible
qu'il faut porter les derniers coups.
Créon, Médée, Nérine, Gardes.
CRÉON
Vos adieux sont-il faits ? le murmure s'augmente,
c'est aigrir les esprits que de ne céder pas.
D'un peuple qui vous fait sortir de mes estats
craignons la fureur insolente.
MÉDÉE
Je pars, et ne veux-plus troubler vostre repos,
mais je dois tenir ma promesse.
Pour m'en avoir dégagée, il faut que la princesse
epouse le prince d'Argos.
A serrer ces beaux noeuds la gloire vous invite,
pressez ce doux moment, l'hymen fait, je vous quitte.
CRÉON
Quelle audace vous porte à me parler ainsi,
vous, l'objet malheureux de tant de justes haines ?
Ignorez-vous que je commande icy,
et que mes volontez y seront souveraines ?
C'est à moy seul de les regler.
MÉDÉE
Créon, sur ton pouvoir cesse de t'aveugler.
Tu prens une trompeuse idée
de te croire en estat de ma faire la loy;
quand tu te vantes d'estre roy,
souviens-toy que je suis Médée.
CRÉON
Cét orgüeil peut-il s'égaler !
MÉDÉE
Sur l'hymen de ta fille il m'a plû de parler;
en vain mon audace t'estonne.
Plus puissante que toy dans tes propres estats,
c'est moy qui le veux, qui l'ordonne:
tremble si tu n'obeis pas.
CRÉON
Ah ! c'est trop en souffrir; gardes, qu'on la saisisse.
Les gardes vont pour saisir Médée, elle les touche de la baguette, et en mesme temps ils tournent leurs armes les uns contre les autres.
CRÉON
Que vois-je ! ah, justes dieux !
Par quel mouvement furieux,
vouloir que par vos mains chacun de vous perisse !
MÉDÉE
Montre icy ta puissance à retenir leurs bras;
sois roy, si tu peux l'estre, et suspens leurs combats.
Créon veut s'avancer vers Médée, et les gardes l'environnent pour l'arrester.
CRÉON
Quoy, lasches, contre-moy tous vos efforts s'unissent ?
MÉDÉE
Je plains ton triste sort, tes sujets te trahissent,
mais ne crains rien de leur emportement;
pour le faire cesser je ne veux qu'un moment.
Elle fait un cercle en l'air avec sa baguette, et aussi-tost on voit des fantômes sous la figure de femmes agreables.
Créon, Médée, Nérine, Phantômes, Gardes du roy.
MÉDÉE
Objets agreables,
phantômes aimables,
appaisez les fureurs
de ces farouches cœurs.
Entrée des Phantômes.
UN PHANTÔME
Aprés de mortelles alarmes,
qu'un heureux calme semble doux !
CHŒUR
Aprés de mortelles alarmes,
qu'un heureux calme semble doux !
UN PHANTÔME
Cœurs agitez d'un vain couroux,
cedez, rendez-vous à nos charmes.
Où prendrez-vous des armes
qui tiennent contre nous ?
CHŒUR
Cœurs agitez d'un vain couroux,
cedez, rendez-vous à nos charmes.
Où prendrez-vous des armes
qui tiennent contre nous ?
CRÉON
Par quel prodige, à moy-mesme contraire
en voyant ces objets, n'ay-je plus de colère ?
DEUX PHANTÔMES
Tout ressent le pouvoir
du plaisir de nous voir.
Un ame de glace
s'en laisse émouvoir,
et quoy que l'on fasse,
le chagrin le plus noir
luy doit ceder la place.
Tout ressent le pouvoir
du plaisir de nous voir.
CHŒUR
Tout ressent le pouvoir
du plaisir de nous voir.
Un ame de glace
s'en laisse émouvoir,
et quoy que l'on fasse,
le chagrin le plus noir
luy doit ceder la place.
Tout ressent le pouvoir
du plaisir de nous voir.
Les Phantômes disparoissent, et les gardes charmez de leur beauté abandonnent le roy pour les suivre.
Créon, Médée, Nérine.
MÉDÉE
Mon pouvoir t'est connu, j'ay mis ta garde en fuite,
pour te forcer à l'hymen que je veux,
mon art secondera mes voeux,
j'ay commencé, crains en la suite.
CRÉON
Quoy, l'on viendra me braver dans ma cour !
Perisse tout plutost que je l'endure.
MÉDÉE
Vostre sang odieux lavera mon injure,
ou les dieux m'osteront le jour.
D'un indigne mépris, c'est trop souffrir l'outrage.
Vien, Fureur, c'est à toy d'achever mon ouvrage.
La Fureur paroist avec son flambeau, et passe pardevant Créon.
Créon, seul.
Noires divinitez, que voulez-vous de moy ?
Impitoyables Euménides,
vous faut-il le sang des perfides
qui n'ont pas respecté leur roy ?
Mais où sui-je ? et d'où vient tout à coup ce silence ?
Le ciel s'arme feux. Ah, c'est pour ma vengeance.
Courons, n'épargnons rien. Quels terribles éclats ?
Où veux-je aller ? Tout tremble sous mes pas.
Tout s'abîme, la terre s'ouvre.
Dans ses gouffres profonds quels monstres je découvre !
Ils saisissent Médée. Ah, ne la quittez pas.
Les sombres flots du Stix n'ont rien qui m'épouvante.
Pour la voir condamnée aux plus cruels tourments,
je vais apprendre à Radamante
jusqu'où va la noirceur de ses enchantements.
Le theatre represente le palais de Médée
Médée, Nérine.
NÉRINE
On ne peut sans effroy soutenir sa presence.
Il court de toutes parts, menaçant, furieux,
dans ce funeste estat tout ce qu'il voit l'offense;
la princesse elle seule, en s'offrant à ses yeux,
semble de sa fureur calmer la violence;
il s'arreste, il soupire, et garde un long silence.
MÉDÉE
Et que dit son heureux amant ?
NÉRINE
Jason ignore encor ce triste évenement.
Occupé par les soins que la guerre demande,
il range avec nos chefs les troupes qu'il commande.
MÉDÉE
Que d'horreur ! que de maux suivront sa trahison !
C'est luy seul qui les cause, il m'en fera raison;
vangeons-nous. Ma fureur, à tant de rois fatale,
a-t'elle assez de ma rivale ?
Non, s'il ose garder ses sentiments ingrats,
si toûjours il perd la memoire
de ce que j'ay fait pour sa gloire,
il aime ses enfans, ne les épargnons pas.
Ne les épargnons pas ! ah, trop barbare mere !
Quel crime on-ils commis pour leur percer le seins ?
Nature, tu parles en vain,
leur crime est assez grand d'avoir Jason pour pere.
Quel desespoir m'aveugle et m'emporte contr'eux ?
Leur âge permet-il cet affreux parricide,
et sont-ils criminels pour estre malheureux ?
Quoy, je craindray de punir un perfide !
De ses voeux triomphants ma mort seroit l'effet !
Oublions l'innocence, et voyons le forfait.
Une indigne pitié me les fait reconnoistre;
c'est mon sang, il est vray, mais c'est le sang d'un traitre.
Puis-je trop acheter, en les faisant perir,
la douceur de le voir souffrir ?
Créüse, Médée, Nérine.
CRÉÜSE
Si la pitié vous peut trouver sensible,
voyez une princesse en pleurs,
qui vient vous demander la fin de ses malheurs:
a vostre art rien n'est impossible.
Pour garantir l'estat des maux que je prevoy,
si la pitié vous peut trouver sensible,
appaisez la fureur d'un roy.
MÉDÉE
Si vous voulez obtenir ce miracle,
c'est au prince d'Argos qu'il faut vous adresser.
Par son hymen vos maux doivent cesser,
vos desirs n'auront point d'obstacle:
mais je veux qu'en ce mesme jour,
en recevant sa foy, vous payez son amour.
CRÉÜSE
Sur cet hymen quelle partie puis-je prendre,
quand d'un pere et d'un roy le ciel m'a fait dépendre ?
MÉDÉE
J'ay parlé, c'est assez; ne cherchez plus qu'en moy,
le pouvoir d'un pere et d'un roy.
CRÉÜSE
Pourquoy precipiter un dessein...
MÉDÉE
Point d'excuse.
Du trouble où je vous mets je connois la raison;
quand au prince d'Argos vostre cœur se refuse,
il veut se garder à Jason.
CRÉÜSE
Se garder à Jason ?
MÉDÉE
Je sçay sa perfidie,
en luy vous aviez un amant;
mais on n'offense pas Médée impunément;
d'une entreprise si hardie
l'univers étonné verra la châtiment.
CRÉÜSE
Ah, reprenez Jason, et me rendez mon pere.
Que Jason parte, et qu'il fuye avec vous.
MÉDÉE
Non, de ma main vous prendrez un epoux;
ce seul moyen peut satisfaire
les transports de mon cœur jaloux.
CHŒUR DE CORINTHIENS
(qu'on ne voit pas)
Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !
Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?
CRÉÜSE
Que ce grand bruit m'est redoutable !
CHŒUR DE CORINTHIENS
Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable
ceux que vous devez soutenir ?
Cleone, Créüse, Médée, Nérine, Chœur de Corinthiens.
CRÉÜSE
(à Cleone)
Venez, parlez; qu'avez-vous à m'apprendre ?
Je voy vos yeux baignez de pleurs.
CLEONE
Je viens vous annoncer le plus grand des malheurs.
Le roy ne respiroit que du sang à répandre,
qand voyant le prince d'Argos,
il a paru plus en repos.
Sa fureur sembloit dissipée;
mais dans le temps qu'on a rien à redouter
de sa fausse tranquillité,
de ce malheureux prince il a saisi l'épée,
et luy perçant le flanc, son bras nous a fait voir
ce que peut un prompt desespoir.
CRÉÜSE
Helas !
CLEONE
Dans ce malheure extrême,
chacun s'est empressé de luy prêter secours.
Le roy dans ce moment a terminé ses jours,
du mesme fer il s'est percé luy-mesme.
Ah, s'est-il écrié, le ciel l'a donc permis,
j'ay vaincu tous mes ennemis.
CHŒUR DE CORINTHIENS
Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !
Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?
Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable
ce que vous devez soûtenir ?
Refusons nostre encens, nostre hommage,
a ces dieux inhumains;
tous nos respects sont vains,
nos malheurs sont leur injuste ouvrage ?
Refusons nostre encens, nostre hommage,
a ces dieux inhumains.
CRÉÜSE
C'est assez, laissez-moy, vos pleurs ne font qu'aigrir,
les maux que je me dois preparer à souffrir.
Cleone, Créüse, Médée, Nérine.
CRÉÜSE
Eh bien, barbare, estes-vous satisfaite ?
Par des crimes plus noirs voulez-vous meriter
le détestable honneur de faire redouter
le pouvoir que l'enfer vous préte ?
MÉDÉE
Pourquoy faire éclater ce violent couroux ?
Si la perte d'un pere est pour vous si funeste,
le cœur de Jason qui vous reste,
pour vous en consoler, est un prix assez doux.
CRÉÜSE
Ah, si j'ay sur luy quelque empire,
craignez à vous punir la derniere rigueur.
Je ne m'en serviray, que pour mettre en son cœur
toute la haine que m'inspire
ce que pour vous je sens d'horreur.
MÉDÉE
Que peuvent contre moy ces desseins de vangeance ?
Quels' effets en seront produits,
puisque vous ignorez jusqu'où va ma puissance,
connoissez tout ce que je suis.
(touche Créüse de sa baguette et s'en va)
Cleone, Créüse.
CRÉÜSE
Quel feu dans mes veines s'allume ?
Quel poison, dont l'ardeur tout à coup me consume,
dans cette robe étoit caché ?
Soûtenez-moy, je n'en puis plus, je tremble,
je brûle. Sur mon corps un braiser attaché
me fait souffrir mille tourments ensemble.
Mon mal est sans remede, à quoy servent ces pleurs ?
Rien ne peut soûlager l'excez de mes douleurs.
Jason, Cleone, Créüse.
JASON
Ah, roy trop malheureux ! mais ô ciel ! la princesse
paroît mourante entre vos bras !
Qui la met dans cette foiblesse ?
CRÉÜSE
Approchez-vous, Jason, ne m'abandonnez pas.
Mon pere est mort, je vais mourir moy-mesme.
Je peris par les traits que Médée a formez;
mille poisons dans sa robe enfermez,
par une violence extrême,
vous ostent ce que vous aimez.
Ce que j'endure est incroyable;
mais au moins j'ay de quoy rendre grace aux dieux,
que sa fureur impitoyable
me laisse la douceur de mourir à vos yeux.
JASON
Appellez-vous douceur un effet de sa rage ?
De cet affreux spectacle elle a sçeu la rigueur.
Pouvoit-elle mettre en usage
un supplice plus propre à m'arracher le cœur ?
JASON, CRÉÜSE
Helas ! prests d'estre unis par les plus douces chaînes,
faut-il nous voir separez à jamais ?
Ensemble
CRÉÜSE
Peut-on rien ajoûter à l'excez de mes peines ?
JASON
Peut-on lancer sur moy de plus terribles traits ?
JASON, CRÉÜSE
Helas ! prests d'estre unis par les plus douces chaînes,
faut-il nous voir separez à jamais ?
JASON
Non, non, rien ne sçauroit m'obliger à survivre
au coup fatal, qui vous force à perir.
Je trouveray le moyen de vous suivre.
CRÉÜSE
Ah, ne cherchez point à mourir.
Vivez, si vous voulez me plaire
j'ay causé la mort de mon pere,
vangez-la, c'est le prix qu'exigent mes douleurs.
Mais adieu; de la mort les horreurs me saisissent,
je perds la voix, mes force s'affoiblissent,
c'en est fait, j'expire, je meurs.
On emporte Créüse.
Jason.
(seul)
Elle est morte, et je vis ! courons à la vangeance,
pour estre en liberté de renoncer au jour:
la perte de Médée est deuë à mon amour.
Quel supplice assez grand peut expier l'offense ?
Mais par quel effet de son art...
Médée, Jason.
MÉDÉE
(en l'air sur un dragon)
C'est peu, pour contenter la douleur qui te presse,
d'avoir à vanger la princesse;
vange encor tes enfans; ce funeste poignard
les a ravis à ta tendresse.
JASON
Ah barbare !
MÉDÉE
Infidelle ! aprés ta trahison,
ay-je dû voir mes fils dans les fils de Jason ?
JASON
Ne crois pas échapper au transport qui m'anime,
pour te punir j'iray jusqu'aux enfers.
MÉDÉE
Ton desespoir choisit mal sa victime.
Que pourrat-'il, puisque les airs
sont pour moy des chemins ouverts ?
JASON
Ah, le ciel qui toûjours protegea l'innocence...
MÉDÉE
Adieu Jason, j'ay remply ma vangeance.
Voyant Corinthe en feu, ses palais embrasez,
pleure à jamais les maux que ta flame a causez.
Médée fend les airs sur son dragon, et en mesme temps les statuës et autres ornemens du palais se brisent. On voit sortir des Demons de tous côtez, qui ayant des feux à la main embrasent ce mesme palais. Ces Demons disparoissent, une nuit se forme, et cet édifice ne paroist plus que ruine et monstres, aprés quoy il tombe en pluye de feu.
Fin du livret.
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(D)