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Scène première |
Montagnes de Ramla en Palestine, à quelques lieues de Jérusalem. Une caverne près de laquelle s'élève une croix grossière. On aperçoit dans le lointain la ville arabe de Ramla. Roger, vêtu d'une robe de bure et ceint d'une corde. Au lever du rideau il est prosterné devant la croix. |
Q
Roger
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[N. 7 - Invocation] | N
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Grâce ! mon dieu ! De remords déchiré,
j'ai fait pieds nus le saint pèlerinage,
et trois ans j'ai pleuré
dans ce désert sauvage.
A ce front pâle, à ces cheveux blanchis,
dans l'eau des sources réfléchis,
moi-même je ne puis, hélas ! me reconnaître !
Cette tache de sang s'effacera peut-être !
seigneur ! de ton pardon
mon âme est altérée !
L'âme d'un fratricide à ton courroux livrée,
sans l'irriter peut elle invoquer ton saint nom ?
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O jour fatal ! ô crime !
Tombeau de ma victime,
du fond de cet abîme
toujours je te revois.
Le spectre de mon frère,
sanglant sur la poussière,
arrête ma prière
et fait trembler ma voix !
Pourtant à ma souffrance
le ciel se laisse voir,
et dieu dans sa clémence
me garde encor l'espoir.
(il rentre dans sa caverne)
| Roger ->
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Scène deuxième |
Raymond, l'écuyer de Gaston, se traînant avec peine, brisé par la fatigue, puis Roger. |
<- Raymond
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RAYMOND |
Du secours ! ô mon dieu ! faut-il mourir ainsi !
(il se laisse tomber sur un fragment de roc)
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| (sortant de sa caverne avec un bâton de pèlerin) | <- Roger
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ROGER |
Que vois-je ! un malheureux que la fatigue accable !
(il s'approche, et présente à Raymond la gourde qu'il détache de son baston de pèlerin)
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RAYMOND |
Donnez, la soif me tue...
(il porte la gourde à ses lèvres)
O saint homme, merci !
Car j'allais mourir sur ce sable.
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ROGER |
(lui montrant la caverne)
Reposez-vous ici.
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RAYMOND |
D'autres sont là perdus dans la montagne...
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ROGER |
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RAYMOND |
Le ciel vous accompagne !
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ROGER |
Fais, ô mon dieu, que je sauve leurs jours !
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| (il disparaît du côté par où est venu Raymond, qui entre dans la caverne) | Roger, Raymond ->
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Scène troisième |
Hélène et Isaure (arrivant par un sentier escarpé de la montagne). |
<- Hélène, Isaure
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ISAURE |
Loin des croisés, madame, et loin de votre père
vous hasarder !
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HÉLÈNE |
Ce pieux solitaire
qu'à l'égal des chrétiens le Sarrasin révère,
je veux l'interroger. - De la France banni,
pour y cacher sa honte,
Gaston en Palestine est venu. L'on raconte
qu'il a trouvé la mort. - Son malheur est fini,
non le mien. - Cet ermite
peut-être m'apprendra... Chère Isaure, entre vite.
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ISAURE |
(se dirige vers la caverne, et aperçoit Raymond qui reparait)
Mais voyez sur le seuil...
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HÉLÈNE |
(reconnaissant Raymond)
En croirai-je mes yeux ?
L'écuyer de Gaston !
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| <- Raymond
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RAYMOND |
Vous, madame, en ces lieux !
(il descend précipitamment auprès d'elle)
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HÉLÈNE |
Parle-moi de ton maître,
parle, fais-moi connaître
les maux qu'il a soufferts.
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RAYMOND |
Avec lui j'ai quitté la France;
le consolant dans sa souffrance,
je l'ai suivi dans ces déserts.
Et toujours sa triste pensée
revolait vers sa fiancée,
qu'il nommait en pleurant...
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| (Hélène chancelle, Isaure s'approche vivement pour le soutenir.) | |
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HÉLÈNE |
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RAYMOND |
Un jour en combattant,
le nombre, hélas ! rendit sa valeur inutile.
(indiquant Ramla, qu'on aperçoit dans le lointain)
Depuis, dans cette ville,
captif...
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HÉLÈNE |
(vivement)
Il n'est pas mort !
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RAYMOND |
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HÉLÈNE |
Il respire ! ô transport !
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[N. 8 - Polonaise] | N
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Quelle ivresse ! bonheur suprême !
Tu m'attends, ô toi que j'aime !
Quelle ivresse ! oui, dieu lui-même
nous guida pour nous revoir.
Noble cœur ! je te proclame
innocent d'un crime infâme.
Tu m'appelles, et mon âme
t'a gardé sa chaste flamme,
tu m'appelles, et mon âme
dans ma nuit s'ouvre à l'espoir.
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ISAURE |
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HÉLÈNE |
Au péril de ma vie,
je veux le revoir un instant.
(à Raymond)
J'ai de l'or ! guide-moi !
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ISAURE |
(voulant la retenir)
Ma maîtresse chérie !...
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HÉLÈNE |
J'irai ! c'est mon époux devant dieu qui m'entend.
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Quelle ivresse ! bonheur suprême !
etc.
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| (Hélène, guidée par Raymond, se dirige avec Isaure vers Ramla.) | Hélène, Raymond, Isaure ->
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Scène quatrième |
Des pèlerins, accablés par la fatigue et la soif, entrent par groupes épars; quelques uns gravissent le sentier le plus élevé de la montagne, et reviennent découragés; ils jettent les yeux avec désespoir sur la solitude immense qui les environne. |
<- Pèlerins
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[N. 9 - Chœur] | N
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LE CHŒUR |
Mon dieu ! vois nos misères !
Perdus dans ces déserts, par la soif dévoré,
ne serons-nous pas délivrés
par les soldats croisés nos frères ?
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O mon dieu !
Ta parole est donc vaine !
Et ce lieu
va finir notre peine.
Des ravins
partout l'onde est séché,
et cherchée,
elle échappe à nos mains.
Nos malheurs
ont passé notre offense
dans nos cœurs
fais surgir l'espérance.
Daigne enfin
signaler ta puissance:
vers la France
ouvre-nous un chemin.
Sol natal !
O patrie ! ô fontaines !
Pur cristal
de nos sources lointaines !
Ciel si doux !
Frais abris des vieux chênes !
Mourrons nous
sans cercueil loin de vous ?
Nous souffrons,
maudissant la misère
et la terre
où pour toi nous mourons.
Ciel ! enfin
fais surgir l'espérance;
vers la France
ouvre-nous un chemin.
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[N. 10 - Marche guerrière] | N
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On entend faiblement dans le lointain le bruit d'une fanfare. | |
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LE CHŒUR |
Écoutez !... cette marche guerrière !...
(quelques pèlerins montent vivement sur les hauteurs et redescendent en s'écriant avec joie)
Les croisés !
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TOUS |
Ah ! le ciel entendit ma prière !
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Scène cinquième |
Des chevaliers accourent au galop annonçant la délivrance aux pèlerins. Bientôt arrive l'armée des croisés, musique en tête, défilant du haut de la montagne: après les soldats, paraissent à cheval le Comte de Toulouse et le Légat, entourés de pages et de chevaliers. Le légat s'arrête devant les pèlerins qui se prosternent. La suite du cortège fait halte sur la montagne où l'on voit des chevaux chargés de bagages et des chariots avec des blessés. |
<- Chevaliers, Croisés, Le comte, Le légat, Pages
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LE COMTE |
Dieu soit loué ! du fer d'un assassin
lui qui sut préserver mon sein.
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LE LÉGAT |
Nous voici parvenus enfin en Palestine !
Quand le jour renaîtra,
dans sa splendeur divine
Jérusalem à nos yeux paraîtra.
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| <- Roger
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QUELQUES CHEVALIERS |
(apercevant Roger qui s'avance)
C'est lui, c'est le saint homme
que pour sa piété dans ces lieux on renomme.
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Scène sixième |
Les précédents, Roger. |
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LE COMTE |
(allant à Roger)
Homme de dieu, bénissez-nous.
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ROGER |
(frappé de stupeur)
O ciel !
(il tombe à genoux)
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LE COMTE |
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ROGER |
Chef des soldats du Christ, qui portez sa bannière,
laissez-moi m'incliner le front dans la poussière !
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LE COMTE |
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ROGER |
(à part)
Oh ! tais-toi ! tais-toi ! cri de mon cœur,
le repentir trahirait le coupable.
(aux croisés)
Accueillez dans vos rangs, chrétiens, un misérable !
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LE COMTE |
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ROGER |
Un pécheur !
Qui s'offre pour combattre en soldat, en victime;
le sang pour dieu versé rachète même un crime.
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[N. 11 - Chœur des croisés] | N
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ROGER, LE LÉGAT ET LE COMTE
Le Seigneur
nous promet la victoire.
O bonheur !
Nous verrons dans sa gloire
le saint lieu,
précieux territoire,
qui d'un dieu
garde encore l'adieu.
Arborons
la bannière chrétienne,
massacrons
cette horde païenne.
Dieu puissant,
notre cause est la tienne;
dans le sang
renversons le croissant.
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L'armée se remet en marche. | Pèlerins, Chevaliers, Croisés, Le comte, Le légat, Pages, Roger ->
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Scène septième |
Le théâtre représente le divan de l'émir de Ramla. Gaston entre introduit par un muet qui lui fait signe d'attendre et qui se retire. |
Q
<- un muet, Gaston
un muet ->
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[N. 12 - Air] | N
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GASTON |
(seul)
L'émir auprès de lui m'appelle.
Que dois-je craindre encor ? de la France banni,
captif au sein d'une ville infidèle,
je ne pourrai combattre dans mon zèle
pour les ingrats qui m'ont injustement puni !
Hélène est près de moi !... dans leur camp !...
Chère Hélène !
Dont un destin cruel m'a séparé !
Ne pas te voir, quand le ciel te ramène !
Je briserai ma chaîne et je te reverrai.
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Je veux encor entendre
ta voix, ta voix si tendre.
Pour fuir il faut attendre
les ombres du soir.
Ange vers qui s'envole
mon rêve d'espoir,
bel ange, mon idole,
je veux encor te voir.
| S
(♦)
(♦)
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Scène huitième |
Gaston, l'Émir suivi de quelques cheiks arabes, puis un Officier de l'Émir. |
<- L'émir, Cheiks arabes
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L'ÉMIR |
(à Gaston)
Prisonnier dans Ramla je te laisse la vie,
car je ne voulais pas
sur ma ville attirer par une perfidie
la vengeance des tiens. - Mais ils portent leurs pas
vers ces murs. - Ce palais est ta prison. - Prends garde,
si tu cherches à fuir, c'est la mort. - Dieu te garde !
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| <- Un officier
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UN OFFICIER |
(entrant)
Une femme chrétienne en arabe vêtue,
vient d'être prise, émir, dans les murs de Ramla...
Ordonne, et sa tête abattue...
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L'ÉMIR |
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UN OFFICIER |
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Scène neuvième |
Les précédents, Hélène (amenée par quelques soldats). |
<- Hélène, quelques soldats
quelques soldats ->
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[N. 13 - Duo] | N
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GASTON |
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HÉLÈNE |
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L'ÉMIR |
Approche, jeune fille !...
Ici que cherches-tu ? Dis ton nom, ta famille.
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HÉLÈNE |
Je te suis inconnue, et tu peux sans danger
m'accorder un asile.
Les chrétiens passeront sans attaquer ta ville,
mais, mon trépas, ils sauraient le venger !
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L'ÉMIR |
(à part)
Ce regard ! cet orgueil !
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UN OFFICIER |
(bas à l'Émir)
Ils sont d'intelligence.
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L'ÉMIR |
(bas à l'Officier)
Qu'ils restent seuls ! ils pourront se trahir.
(à Hélène)
Si ta bouche a dit vrai, compte sur ma clémence.
Attends ici mon ordre.
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UN OFFICIER |
(à l'Émir en sortant)
Et moi, je veille, Émir !
| L'émir, Cheiks arabes, Un officier ->
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Scène dixième |
Hélène, Gaston. |
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| (Ils suivent des yeux l'Émir qui s'éloigne; restés seuls ils tombent dans les bras l'un de l'autre.) | |
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GASTON |
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HÉLÈNE |
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GASTON |
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HÉLÈNE |
Gaston ! j'ai tout bravé.
Pour cet instant, j'aurais donné ma vie.
Car tu n'es pas coupable. Oh ! Dieu t'a préservé,
et m'a vers toi guidée.
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GASTON |
En ma misère,
je voulais, affrontant leur colère,
parmi mes ennemis aller trouver ton père.
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HÉLÈNE |
A leurs regards crains de t'offrir.
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GASTON |
Errant, proscrit sur cette terre
je n'avais plus qu'un seul désir:
te voir encor et puis mourir !
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HÉLÈNE |
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GASTON |
Hélas ! elle est bannie.
Ma gloire flétrie !
Famille... patrie...
J'ai tout perdu !
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HÉLÈNE |
Non ! moi ! je te reste !
C'est pour la vie !
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GASTON |
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HÉLÈNE |
Ce monde ingrat, je le déteste !
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GASTON
Ah ! rétracte un vœu funeste.
L'anathême est sur moi descendu.
Dans la honte et l'épouvante
partager ma vie errante !
Ne crois pas que j'y consente.
Non... plutôt adieu sans retour...
Dans mon cœur ta douce image
de l'espoir sera le gage.
Dieu me rend tout mon courage
s'il me garde ton amour.
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GASTON |
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HÉLÈNE |
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GASTON |
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HÉLÈNE |
Que mon sort au tien se lie.
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GASTON |
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HÉLÈNE |
Je reste ! à ta toi ma vie !
Que je meure au bras d'un époux !
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GASTON |
Dieu t'inspire un sacrifice
dont les anges seraient jaloux.
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HÉLÈNE |
Avec toi que je périsse !
Le trépas me sera doux !
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| (Hélène se jette dans les bras de Gaston; puis, au milieu de son ivresse, elle semble tout à coup frappée d'un souvenir douloureux) | |
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Une pensée amère
me rappelait mon père;
de son enfant si chère
en vain il attend le retour.
Toi que ta fille abandonne;
toi qu'elle afflige en ce jour,
mon père ! ô mon père ! pardonne !
Ma vie est dans mon amour.
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GASTON |
Toi, qui me fus ravie,
o douce fleur de ma vie,
dans mon âme assombrie
rayonne un céleste jour,
quand, pour finir ma peine,
dieu m'a donné ton retour,
il veut que je rompe ta chaîne;
ma vie est dans ton amour !
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CRIS AU DEHORS |
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HÉLÈNE |
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CRIS AU DEHORS |
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HÉLÈNE |
(avec effroi)
Entends ces cris d'alarmes !
S'il faut mourir, que ce soit dans tes bras.
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GASTON |
(regardant par une fenêtre au fond)
Vois-tu dans la plaine là-bas
flotter la bannière chrétienne ?
La ville est en tumulte, et l'on court aux remparts...
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HÉLÈNE |
Viens ! peut-être on peut fuir.
Oh ! que dieu nous soutienne !
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GASTON |
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HÉLÈNE |
Mon dieu !
Ils écoutent avec angoisse.
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GASTON |
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HÉLÈNE |
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HÉLÈNE ET GASTON
Ah ! viens, viens ! je t'aime !
Suis-moi, viens ! je t'aime !
Le ciel ! le ciel même
ne peut t'arracher à moi !
Viens ! viens ! je tremble !
Fuyons ensemble,
la mort seule pourra me séparer de toi.
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Ils se dirigent vers la fenêtre, tandis qu'au dehors redoublent les cris d'alarme; des soldats Arabes entrent conduits par l'Officier de l'Émir. Hélène et Gaston sont arrêtés dans leur fuite. | |
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