JÉRUSALEM
Opéra en quatre actes.
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Livret de Alphonse ROYER, Gustave VAËZ.
Musique de Giuseppe VERDI.
Première représentation: 26 novembre 1847, Paris.
Personnages:
GASTON vicomte de Béarn |
ténor |
LE COMTE de Toulouse |
baryton |
ROGER frère du Comte |
basse |
Adhémar de Monteil, LE LÉGAT du Pape |
basse |
RAYMOND écuyer de Gaston |
ténor |
LE SOLDAT |
basse |
UN HÉRAULT |
basse |
L'ÉMIR de Ramla |
basse |
UN OFFICIER de l'Émir |
ténor |
HÉLÈNE fille du Comte |
soprano |
ISAURE |
soprano |
Chevaliers, Dames, Pages, Soldats, Pèlerins, Pénitents, un Exécuteur, Cheiks arabes, Femmes du harem, Peuple de Ramla.
Le Premier Acte à Toulouse en 1095, après le concile de Clermont. Les autres actes quatre ans plus tard, en Palestine.
[Introduction]
Dans le palais du Comte de Toulouse. Une galerie servant de communication entre le palais et la chapelle élevée de quelques degrés et qu'on voit dans toute sa profondeur. En dehors de la galerie, une terrasse longe le profil du palais; de cette terrasse un escalier descend dans les jardins, qui ne laissent apercevoir que la cime des arbres.
Hélène, Gaston, Isaure.
Il fait nuit. Au lever du rideau, Hélène est près de la porte qui conduit aux appartements, et Gaston au milieu du théâtre, écoutant avec inquiétude. Isaure, qui veille au fond, le rassure du geste.
Recit. et Duo
GASTON
(revenant auprès d'Hélène)
Non, ce bruit, ce n'est rien; mais il faut, mon Hélène,
il faut nous séparer.
HÉLÈNE
Et sans m'avoir promis d'oublier cette haine,
que mon père est près d'abjurer.
GASTON
Il a tué le mien dans une injuste guerre !
HÉLÈNE
Il t'attend ce matin pour réconcilier
ta famille et la sienne.
GASTON
Ah ! puissé-je oublier !
HÉLÈNE
Tu ne m'aimes donc pas ?
GASTON
J'éteindrai ma colère !
Mais s'il me refusait ta main !
HÉLÈNE
Attends, espère !
GASTON
Je puis tout pardonner si je suis ton époux.
HÉLÈNE
Gaston, voici le jour !
GASTON
Déjà ?
HÉLÈNE
Séparons-nous.
GASTON, HÉLÈNE
Adieu, mon bien-aimé, va, fuis, voici l'aurore !
Il faut nous séparer; mais emporte ma foi.
GASTON
Je pars, ma chère Hélène, et je te jure encore
d'oublier mes affronts, pour ne songer qu'à toi.
(Gaston sort par l'escalier qui descend dans les jardins. Hélène le suit des yeux. On entend sonner l'angelus.)
Hélène, Isaure.
ISAURE
La cloche sonne. On peut venir, je tremble.
HÉLÈNE
Isaure ! pour Gaston prions, prions ensemble.
(Isaure va s'agenouiller sur les marches de la chapelle.)
[N. 1 - Ave Maria]
Prière.
HÉLÈNE
Vierge Marie,
ma voix te prie:
taris mes pleurs.
O vierge de douleurs,
fais sur nous descendre
tn regard si tendre,
vois mes terreurs !
Fais que la haine, en cette enceinte,
tombe et s'efface avec ma crainte,
et d'être heureuse enfin viendra le jour.
Vierge Marie,
ma voix te prie:
sur nous jette un regard d'amour.
(Hélène entre avec Isaure dans les appartements. L'orchestre peint le lever du soleil.)
Seigneurs et Dames. Chœur.
[N. 2 - Chorus]
LE CHŒUR
Enfin voici le jour propice
qui réunit deux cœurs rivaux,
le jour ou dieu dans sa justice
vient mettre un terme à tous nos maux.
Non, plus de guerre !
Trève à la haine et paix sincère !
Chrétien et frère,
même bannière
te guidera.
Pour la croisade où l'on t'appelle,
soldat du Christ, montre ton zèle,
toujours fidèle,
dieu se révèle,
il te suivra.
Les précédents, le Comte, Hélène, Roger et Isaure, sortant des ap-partements; Gaston, arrivant du dehors, suivi de Raymond son écuyer et de quelques chevaliers.
[N. 3 - Sextuor et Chorus]
LE COMTE
ROGER
(au Comte)
Mon frère !...
HÉLÈNE
(avec joie)
Juste ciel !
GASTON
Soyez béni, seigneur !
Mon cœur l'avait choisie,
vous comblez tous mes voeux.
ROGER
(à part)
O rage ! ô jalousie !
HÉLÈNE
Mon père ! mon Gaston !
ROGER
(à part)
Oh ! cachons ma fureur.
Ensemble
HÉLÈNE
Je tremble encor, j'y crois à peine.
Plus de vengeance, plus de haine !
Ah ! d'ivresse mon âme est pleine !
C'est dieu qui nous protége encor.
GASTON
Rêve béni ! j'y crois à peine,
dieu me donne ce doux trésor.
J'oublie à jamais ma haine,
au bonheur je crois encor.
A vous, Comte, jusqu'au trépas.
LE COMTE
ROGER
(à part)
Tremble ! j'aurai ta vie.
Tremble ! ma jalousie
sur toi suspend la mort.
Lui !... lui, la posséder !... jamais ! Cherchons un bras
qui serve ma colère.
(il sort)
LE CHŒUR
Sa confiance
est sans prudence,
car la vengeance
peut-être dort,
il se confie à qui jura sa mort.
Les précédents, le Légat.
LE LÉGAT
Adhémar de Monteil, légat du pape Urbain,
au Comte de Toulouse apporte un bref de Rome:
le saint père te nomme
chef des croisés français...
LE COMTE
GASTON
Je vous suivrai.
LE COMTE
(Quatre pages s'avancent, détachent le manteau du Comte et le placent sur les épaules de Gaston, qui s'est mis à genoux. Le légat lui impose le mains, Gaston se relève.)
TOUS
Cite du Seigneur !
Saint sépulcre ! Calvaire !
Jardin de douleur,
exhalant la prière !
Dieu vient pénétrer
vos soldats d'un saint zèle,
sa voix nous appelle
pour vous délivrer.
Chrétien ! souviens-toi
du devoir qu'on t'impose,
combats pour ta foi,
de dieu seul sers la cause !
Maudis l'offenseur
dont l'injuste colère
prendrait de son frère
la vie ou l'honneur.
[N. 4 - Chœur de femmes et Air]
(Tout le monde entre dans la chapelle, où un chœur religieux se fait entendre.)
LES FEMMES
Viens ! ô pécheur rebelle,
entre dans la chapelle,
notre sauveur t'appelle,
il t'offre un saint pardon;
et toi, chrétien fidèle,
viens invoquer son nom.
(Pendant ce chœur Roger reparaît, il écoute la prière en silence.)
Roger seul, puis Le soldat.
ROGER
Vous priez vainement le ciel pour mon rival !
Pour ta fille, ô mon frère ! un amour implacable
brûle mon cœur... d'un crime il est capable...
(Avec mélancolie.)
Dieu pourtant n'avait pas voué ma vie au mal...
L'amour pouvait la rendre ou pure ou criminelle !
LE CHŒUR
(dans la chapelle)
Viens, la prière t'appelle.
ROGER
(air)
Oh ! dans l'ombre, dans le mystère,
feu coupable que j'ai su taire,
reste encor et cache à la terre
mes angoisses, mon remord.
Mais redoute ma colère,
toi, l'amant qu'elle préfère !
Ta tendresse en vain espère,
ma vengeance veut ta mort.
(à un soldat qui entre et vient à lui)
Je t'attendais.
LE SOLDAT
J'ai dû tout préparer moi-même
pour fuir après le coup.
ROGER
Dans Toulouse étranger
et de tous inconnu, ta main va me venger.
LE SOLDAT
Comptez sur moi.
ROGER
Compte sur moi de même.
(conduisant le soldat jusqu'aux marches de la chapelle)
Tu vois ces deux guerriers couverts de mailles d'or:
l'un porte un manteau blanc, c'est mon frère que j'aime.
L'autre est mon ennemi... frappe ! je veux sa mort.
(Le soldat entre dans la chapelle.)
Roger, des Soldats.
[N. 5 - Chœur de hommes et Air]
Ils entrent avec des coupes et des hanaps remplis de vin.
CHŒUR
Fier soldat de la croisade,
bois encore cette rasade.
Mort et sang quelle taillade !
nous ferons des Sarrasins !
En silence ouvrant la porte,
les houris prêtent main forte
au chrétien qui leur apporte
le plaisir et de bons vins.
(Le chant religieux se fait entendre de nouveaux à la fin de ce chœur, les soldats se montrent la chapelle et sortent avec respect.)
ROGER
Ah ! viens ! démon ! esprit du mal !
Il t'a livré sa vie,
ah ! viens au cœur de mon rival
porter le coup fatal.
A cet amour qui le perdra
tout son bonheur se fie,
c'est le ciel qu'il prie,
l'enfer lui répondra.
[N. 6 - Finale]
(il écoute)
Mais quel tumulte ! on s'agite, on s'écrie...
Oui !...
(Le soldat sort de la chapelle en fuyant pâle et troublé.)
LE SOLDAT
Ma vengeance est accomplie !
RAYMOND
(sortant de la chapelle suivi par les chevaliers)
Au meurtre ! arrêtez l'assassin !
Quelques soldats se mettent à sa poursuite.
ROGER
(à part, avec joie)
Je respire !
L'enfer assura mon dessein.
Les mêmes, Gaston, puis Hélène, Isaure, le Légat, le Comte, et tout le chœur.
GASTON
Courez !
ROGER
(stupéfait à sa vue)
Ah ! lui vivant !
(haut)
Qui donc expire ?
GASTON
Ton frère !
ROGER
(foudroyé)
Mon frère ! O terreur !
(Le comte, blessé, descend les marches de la chapelle soutenu par des chevaliers qui le conduisent dans les appartements. Hélène est au-près de son père, dans son plus grand désespoir.)
GASTON
(retenant Hélène)
Venez, éloignez-vous d'un spectacle d'horreur.
HÉLÈNE
(d'une voix gémissante)
Mon père !
(Les soldats qui ont arrêté le meurtrier reviennent avec lui, et le jettent aux pieds de Roger.)
LES CHEVALIERS
Le voilà !
(à Roger)
L'assassin de ton frère,
c'est lui !
HÉLÈNE
Vengez mon père !
LES CHEVALIERS
(à Hélène)
Nous le jurons.
GASTON
(à Hélène)
Par le ciel qui m'éclaire !...
ROGER
(bas au meurtrier)
Malheureux !...
(en désignant Gaston)
C'était lui !
Voilà mon ennemi !
LES CHEVALIERS
(à Hélène)
Oui, nous jurons de venger la victime.
ROGER
(bas au meurtrier)
Sauve-moi, je te sauve.
LE LÉGAT
(au meurtrier)
A commettre un tel crime
qui t'a poussé ?
TOUS
Réponds !
LE SOLDAT
(désignant Gaston)
Lui !
GASTON
Moi !
RAYMOND
Imposture !
LES CHEVALIERS
(à Gaston)
C'est toi ! c'est toi !
Ensemble
LE LÉGAT ET LE CHŒUR
(à Gaston)
Monstre, parjure, homicide !
Du ciel la foudre est rapide.
Malheur à toi, perfide !
Infâme ! à toi malheur !
ROGER
(à part, isolé)
D'horreur mon front est livide.
Ah ! sois maudit, fratricide !
Du ciel la foudre est rapide,
malheur à moi ! malheur !
GASTON
Moi, sacrilège, homicide !
Dévoile ici le perfide,
mon dieu ! sois mon égide,
toi qui lis dans mon cœur.
HÉLÈNE
Non, tu n'es pas homicide !
Dévoile ici le perfide,
mon dieu ! sois son égide,
toi qui lis dans son cœur.
Tous les Chevaliers tirent l'épée.
LE LÉGAT
Chrétiens, jetez le glaive !
La foudre de l'église atteindra le pervers,
le sang versé se lève
et le crie: anathême ! - Oui, seul dans l'univers
va ! meurtrier du comte !
Que flétri par le ciel
et courbé sous ta honte,
on te refuse, infâme ! et le pain et le sel !
LE CHŒUR
(à Gaston)
Sur ton front est lancé l'anathême.
Sacrilège en horreur à dieu même !
LE LÉGAT
(à Gaston)
Sur ton front je suspends l'anathême.
Sacrilège en horreur à dieu même !
LE LÉGAT ET LE CHŒUR
(à Gaston)
Imposteur dont la bouche blasphème !
Meurtrier, sois maudit ! sois maudit !
Traîne encor loin de nous ta misère,
dans l'exil va chercher quelque terre,
où l'écho porte à dieu ta prière;
ton forfait dans le sang est écrit;
sois maudit !...
ROGER
(à part)
Sur mon front doit tomber l'anathême,
fratricide en horreur à dieu même !
C'est du ciel la justice suprême,
vil Caïn, sois maudit ! sois maudit !
Oui, sur moi, dans sa juste colère,
l'éternel va lancer le tonnerre !
A jamais en horreur à la terre,
mon forfait dans le sang est écrit !...
GASTON
Par le ciel ! suspendez l'anathême !
Car mon cœur en appelle à dieu même.
Arrêtez !... Votre bouche blasphème !
Moi coupable ! ô mon dieu ! moi maudit !
Innocent et flétri sur la terre,
dans l'exil moi traîner ma misère !
Non, le ciel entendra ma prière,
et lui seul vengera le proscrit.
HÉLÈNE
Par le ciel ! suspendez l'anathême !
Car mon cœur en appelle à dieu même.
Arrêtez !... Votre bouche blasphème !
Lui coupable ! ô mon dieu !... lui maudit !
Innocent et flétri sur la terre,
dans l'exil lui traîner sa misère !
Non, le ciel entendra ma prière,
et lui seul vengera le proscrit.
Montagnes de Ramla en Palestine, à quelques lieues de Jérusalem. Une caverne près de laquelle s'élève une croix grossière. On aperçoit dans le lointain la ville arabe de Ramla.
Roger, vêtu d'une robe de bure et ceint d'une corde. Au lever du rideau il est prosterné devant la croix.
[N. 7 - Invocation]
Grâce ! mon dieu ! De remords déchiré,
j'ai fait pieds nus le saint pèlerinage,
et trois ans j'ai pleuré
dans ce désert sauvage.
A ce front pâle, à ces cheveux blanchis,
dans l'eau des sources réfléchis,
moi-même je ne puis, hélas ! me reconnaître !
Cette tache de sang s'effacera peut-être !
seigneur ! de ton pardon
mon âme est altérée !
L'âme d'un fratricide à ton courroux livrée,
sans l'irriter peut elle invoquer ton saint nom ?
O jour fatal ! ô crime !
Tombeau de ma victime,
du fond de cet abîme
toujours je te revois.
Le spectre de mon frère,
sanglant sur la poussière,
arrête ma prière
et fait trembler ma voix !
Pourtant à ma souffrance
le ciel se laisse voir,
et dieu dans sa clémence
me garde encor l'espoir.
(il rentre dans sa caverne)
Raymond, l'écuyer de Gaston, se traînant avec peine, brisé par la fatigue, puis Roger.
RAYMOND
Du secours ! ô mon dieu ! faut-il mourir ainsi !
(il se laisse tomber sur un fragment de roc)
(sortant de sa caverne avec un bâton de pèlerin)
ROGER
Que vois-je ! un malheureux que la fatigue accable !
(il s'approche, et présente à Raymond la gourde qu'il détache de son baston de pèlerin)
RAYMOND
Donnez, la soif me tue...
(il porte la gourde à ses lèvres)
O saint homme, merci !
Car j'allais mourir sur ce sable.
ROGER
(lui montrant la caverne)
Reposez-vous ici.
RAYMOND
D'autres sont là perdus dans la montagne...
ROGER
Je vole à leur secours.
RAYMOND
Le ciel vous accompagne !
ROGER
Fais, ô mon dieu, que je sauve leurs jours !
(il disparaît du côté par où est venu Raymond, qui entre dans la caverne)
Hélène et Isaure (arrivant par un sentier escarpé de la montagne).
ISAURE
Loin des croisés, madame, et loin de votre père
vous hasarder !
HÉLÈNE
Ce pieux solitaire
qu'à l'égal des chrétiens le Sarrasin révère,
je veux l'interroger. - De la France banni,
pour y cacher sa honte,
Gaston en Palestine est venu. L'on raconte
qu'il a trouvé la mort. - Son malheur est fini,
non le mien. - Cet ermite
peut-être m'apprendra... Chère Isaure, entre vite.
ISAURE
(se dirige vers la caverne, et aperçoit Raymond qui reparait)
Mais voyez sur le seuil...
HÉLÈNE
(reconnaissant Raymond)
En croirai-je mes yeux ?
L'écuyer de Gaston !
RAYMOND
Vous, madame, en ces lieux !
(il descend précipitamment auprès d'elle)
HÉLÈNE
Parle-moi de ton maître,
parle, fais-moi connaître
les maux qu'il a soufferts.
RAYMOND
Avec lui j'ai quitté la France;
le consolant dans sa souffrance,
je l'ai suivi dans ces déserts.
Et toujours sa triste pensée
revolait vers sa fiancée,
qu'il nommait en pleurant...
(Hélène chancelle, Isaure s'approche vivement pour le soutenir.)
HÉLÈNE
Achève ! je suis calme.
RAYMOND
Un jour en combattant,
le nombre, hélas ! rendit sa valeur inutile.
(indiquant Ramla, qu'on aperçoit dans le lointain)
Depuis, dans cette ville,
captif...
HÉLÈNE
(vivement)
Il n'est pas mort !
RAYMOND
Il est là prisonnier.
HÉLÈNE
Il respire ! ô transport !
[N. 8 - Polonaise]
Quelle ivresse ! bonheur suprême !
Tu m'attends, ô toi que j'aime !
Quelle ivresse ! oui, dieu lui-même
nous guida pour nous revoir.
Noble cœur ! je te proclame
innocent d'un crime infâme.
Tu m'appelles, et mon âme
t'a gardé sa chaste flamme,
tu m'appelles, et mon âme
dans ma nuit s'ouvre à l'espoir.
ISAURE
Vous oseriez...
HÉLÈNE
Au péril de ma vie,
je veux le revoir un instant.
(à Raymond)
J'ai de l'or ! guide-moi !
ISAURE
(voulant la retenir)
Ma maîtresse chérie !...
HÉLÈNE
J'irai ! c'est mon époux devant dieu qui m'entend.
Quelle ivresse ! bonheur suprême !
etc.
(Hélène, guidée par Raymond, se dirige avec Isaure vers Ramla.)
Des pèlerins, accablés par la fatigue et la soif, entrent par groupes épars; quelques uns gravissent le sentier le plus élevé de la montagne, et reviennent découragés; ils jettent les yeux avec désespoir sur la solitude immense qui les environne.
[N. 9 - Chœur]
LE CHŒUR
Mon dieu ! vois nos misères !
Perdus dans ces déserts, par la soif dévoré,
ne serons-nous pas délivrés
par les soldats croisés nos frères ?
O mon dieu !
Ta parole est donc vaine !
Et ce lieu
va finir notre peine.
Des ravins
partout l'onde est séché,
et cherchée,
elle échappe à nos mains.
Nos malheurs
ont passé notre offense
dans nos cœurs
fais surgir l'espérance.
Daigne enfin
signaler ta puissance:
vers la France
ouvre-nous un chemin.
Sol natal !
O patrie ! ô fontaines !
Pur cristal
de nos sources lointaines !
Ciel si doux !
Frais abris des vieux chênes !
Mourrons nous
sans cercueil loin de vous ?
Nous souffrons,
maudissant la misère
et la terre
où pour toi nous mourons.
Ciel ! enfin
fais surgir l'espérance;
vers la France
ouvre-nous un chemin.
[N. 10 - Marche guerrière]
On entend faiblement dans le lointain le bruit d'une fanfare.
LE CHŒUR
Écoutez !... cette marche guerrière !...
(quelques pèlerins montent vivement sur les hauteurs et redescendent en s'écriant avec joie)
Les croisés !
TOUS
Ah ! le ciel entendit ma prière !
Des chevaliers accourent au galop annonçant la délivrance aux pèlerins. Bientôt arrive l'armée des croisés, musique en tête, défilant du haut de la montagne: après les soldats, paraissent à cheval le Comte de Toulouse et le Légat, entourés de pages et de chevaliers. Le légat s'arrête devant les pèlerins qui se prosternent. La suite du cortège fait halte sur la montagne où l'on voit des chevaux chargés de bagages et des chariots avec des blessés.
LE COMTE
LE LÉGAT
Nous voici parvenus enfin en Palestine !
Quand le jour renaîtra,
dans sa splendeur divine
Jérusalem à nos yeux paraîtra.
QUELQUES CHEVALIERS
(apercevant Roger qui s'avance)
C'est lui, c'est le saint homme
que pour sa piété dans ces lieux on renomme.
Les précédents, Roger.
LE COMTE
ROGER
(frappé de stupeur)
O ciel !
(il tombe à genoux)
LE COMTE
ROGER
Chef des soldats du Christ, qui portez sa bannière,
laissez-moi m'incliner le front dans la poussière !
LE COMTE
ROGER
(à part)
Oh ! tais-toi ! tais-toi ! cri de mon cœur,
le repentir trahirait le coupable.
(aux croisés)
Accueillez dans vos rangs, chrétiens, un misérable !
LE COMTE
ROGER
Un pécheur !
Qui s'offre pour combattre en soldat, en victime;
le sang pour dieu versé rachète même un crime.
[N. 11 - Chœur des croisés]
ROGER, LE LÉGAT ET LE COMTE
Le Seigneur
nous promet la victoire.
O bonheur !
Nous verrons dans sa gloire
le saint lieu,
précieux territoire,
qui d'un dieu
garde encore l'adieu.
Arborons
la bannière chrétienne,
massacrons
cette horde païenne.
Dieu puissant,
notre cause est la tienne;
dans le sang
renversons le croissant.
L'armée se remet en marche.
Le théâtre représente le divan de l'émir de Ramla.
Gaston entre introduit par un muet qui lui fait signe d'attendre et qui se retire.
[N. 12 - Air]
GASTON
(seul)
L'émir auprès de lui m'appelle.
Que dois-je craindre encor ? de la France banni,
captif au sein d'une ville infidèle,
je ne pourrai combattre dans mon zèle
pour les ingrats qui m'ont injustement puni !
Hélène est près de moi !... dans leur camp !...
Chère Hélène !
Dont un destin cruel m'a séparé !
Ne pas te voir, quand le ciel te ramène !
Je briserai ma chaîne et je te reverrai.
Je veux encor entendre
ta voix, ta voix si tendre.
Pour fuir il faut attendre
les ombres du soir.
Ange vers qui s'envole
mon rêve d'espoir,
bel ange, mon idole,
je veux encor te voir.
Gaston, l'Émir suivi de quelques cheiks arabes, puis un Officier de l'Émir.
L'ÉMIR
(à Gaston)
Prisonnier dans Ramla je te laisse la vie,
car je ne voulais pas
sur ma ville attirer par une perfidie
la vengeance des tiens. - Mais ils portent leurs pas
vers ces murs. - Ce palais est ta prison. - Prends garde,
si tu cherches à fuir, c'est la mort. - Dieu te garde !
UN OFFICIER
(entrant)
Une femme chrétienne en arabe vêtue,
vient d'être prise, émir, dans les murs de Ramla...
Ordonne, et sa tête abattue...
L'ÉMIR
Non, qu'on l'amène !...
UN OFFICIER
La voilà !
Les précédents, Hélène (amenée par quelques soldats).
[N. 13 - Duo]
GASTON
(à part)
Hélène !
HÉLÈNE
(à part)
Ciel ! Gaston !
L'ÉMIR
Approche, jeune fille !...
Ici que cherches-tu ? Dis ton nom, ta famille.
HÉLÈNE
Je te suis inconnue, et tu peux sans danger
m'accorder un asile.
Les chrétiens passeront sans attaquer ta ville,
mais, mon trépas, ils sauraient le venger !
L'ÉMIR
(à part)
Ce regard ! cet orgueil !
UN OFFICIER
(bas à l'Émir)
Ils sont d'intelligence.
L'ÉMIR
(bas à l'Officier)
Qu'ils restent seuls ! ils pourront se trahir.
(à Hélène)
Si ta bouche a dit vrai, compte sur ma clémence.
Attends ici mon ordre.
UN OFFICIER
(à l'Émir en sortant)
Et moi, je veille, Émir !
Hélène, Gaston.
(Ils suivent des yeux l'Émir qui s'éloigne; restés seuls ils tombent dans les bras l'un de l'autre.)
GASTON
Mon Hélène !...
HÉLÈNE
Gaston !...
GASTON
Chère âme, sois bénie !
HÉLÈNE
Gaston ! j'ai tout bravé.
Pour cet instant, j'aurais donné ma vie.
Car tu n'es pas coupable. Oh ! Dieu t'a préservé,
et m'a vers toi guidée.
GASTON
En ma misère,
je voulais, affrontant leur colère,
parmi mes ennemis aller trouver ton père.
HÉLÈNE
A leurs regards crains de t'offrir.
GASTON
Errant, proscrit sur cette terre
je n'avais plus qu'un seul désir:
te voir encor et puis mourir !
HÉLÈNE
Oh ! garde l'espérance !
GASTON
Hélas ! elle est bannie.
Ma gloire flétrie !
Famille... patrie...
J'ai tout perdu !
HÉLÈNE
Non ! moi ! je te reste !
C'est pour la vie !
GASTON
Ange céleste !
HÉLÈNE
Ce monde ingrat, je le déteste !
GASTON
Ah ! rétracte un vœu funeste.
L'anathême est sur moi descendu.
Dans la honte et l'épouvante
partager ma vie errante !
Ne crois pas que j'y consente.
Non... plutôt adieu sans retour...
Dans mon cœur ta douce image
de l'espoir sera le gage.
Dieu me rend tout mon courage
s'il me garde ton amour.
GASTON
Fuis !
HÉLÈNE
Je reste !...
GASTON
Je t'en supplie !
HÉLÈNE
Que mon sort au tien se lie.
GASTON
Fuis !
HÉLÈNE
Je reste ! à ta toi ma vie !
Que je meure au bras d'un époux !
GASTON
Dieu t'inspire un sacrifice
dont les anges seraient jaloux.
HÉLÈNE
Avec toi que je périsse !
Le trépas me sera doux !
(Hélène se jette dans les bras de Gaston; puis, au milieu de son ivresse, elle semble tout à coup frappée d'un souvenir douloureux)
Une pensée amère
me rappelait mon père;
de son enfant si chère
en vain il attend le retour.
Toi que ta fille abandonne;
toi qu'elle afflige en ce jour,
mon père ! ô mon père ! pardonne !
Ma vie est dans mon amour.
GASTON
Toi, qui me fus ravie,
o douce fleur de ma vie,
dans mon âme assombrie
rayonne un céleste jour,
quand, pour finir ma peine,
dieu m'a donné ton retour,
il veut que je rompe ta chaîne;
ma vie est dans ton amour !
CRIS AU DEHORS
Aux armes !
HÉLÈNE
Ciel !
CRIS AU DEHORS
Aux armes !
HÉLÈNE
(avec effroi)
Entends ces cris d'alarmes !
S'il faut mourir, que ce soit dans tes bras.
GASTON
(regardant par une fenêtre au fond)
Vois-tu dans la plaine là-bas
flotter la bannière chrétienne ?
La ville est en tumulte, et l'on court aux remparts...
HÉLÈNE
Viens ! peut-être on peut fuir.
Oh ! que dieu nous soutienne !
GASTON
Silence ! on vient.
HÉLÈNE
Mon dieu !
Ils écoutent avec angoisse.
GASTON
Non.
HÉLÈNE
Fuyons sans retard.
HÉLÈNE ET GASTON
Ah ! viens, viens ! je t'aime !
Suis-moi, viens ! je t'aime !
Le ciel ! le ciel même
ne peut t'arracher à moi !
Viens ! viens ! je tremble !
Fuyons ensemble,
la mort seule pourra me séparer de toi.
Ils se dirigent vers la fenêtre, tandis qu'au dehors redoublent les cris d'alarme; des soldats Arabes entrent conduits par l'Officier de l'Émir. Hélène et Gaston sont arrêtés dans leur fuite.
Les jardins du harem.
Hélène, plongée dans la tristesse. Les femmes du harem, la regardant et riant de son désespoir, les unes dansent, les autres sont couchées sur des coussins.
[N. 14 - Chœur dansé]
LE CHŒUR
O belle captive,
timide et plaintive,
tu restes craintive
et les yeux baissés.
Pourquoi ces alarmes ?
Pourquoi par tes larmes
voiler de tes charmes
les feux éclipsés ?
Pourquoi de ton père,
qui se désespère,
o belle étrangère,
laissas-tu le seuil ?
(Hélène fait un mouvement désespéré.)
Voyez sa colère,
l'affreux caractère !
Son front est sévère,
son air plein d'orgueil.
Pourquoi ces alarmes ?
Pourquoi par tes larmes
voiler de tes charmes
les feux éclipsés ?
O belle captive !
Timide et plaintive,
tu restes craintive
et les yeux baissés.
[N. 15 - Quatre airs de ballet]
Ballet.
L'émir paraît, accompagné de quelques cheiks arabes, à leur approche les femmes se voilent et se dispersent dans les jardins comme une volée d'oiseaux.
Hélène, l'Émir, suite, un Officier de l'Émir entrant du côté opposé.
[N. 16 - Air]
UN OFFICIER
Les chrétiens !... ils sont-là !...
Ils vont donner l'assaut.
L'ÉMIR
Par le secours d'Allah,
nous les vaincrons ! et si mon bras ne les arrête,
si le chef des croisés pénètre dans Ramla,
que de sa fille on lui jette la tête.
(ils sortent)
Hélène, seule.
Que m'importe la vie en ma misère extrême,
lorsque, hélas ! pour jamais je perds celui que j'aime ?
Comblant mon malheur,
sur moi va d'un père
tomber la colère...
Seigneur ! Seigneur !
Ton bras m'accable !
Sois secourable
a ma douleur.
Mes plaintes sont vaines !
Seigneur, brise mes chaînes,
termine mes peines.
A toi,
rappelle-moi !
Des jours pleins d'orages,
voilà mon partage,
leur triste présage
me glace d'effroi.
Termine mes peines
mon dieu, brises mes chaines.
A toi,
rappelle-moi !
VOIX DE FEMMES AU DEHORS
On s'égorge ! on se tue !
HÉLÈNE
Ah ! quel tumulte !
VOIX DES SOLDATS AU DEHORS
Aux armes !
Hélène, les femmes du harem, puis Gaston.
LES FEMMES DU HAREM
(traversant le théâtre avec effroi)
On se tue ! on fuit plein d'alarmes.
Car les chrétiens sont entrés dans Ramla !
HÉLÈNE
(avec joie)
Les chrétiens ! mon père ! Il est là !
(elle fait quelques pas pour rejoindre son père, puis elle s'arrête frappée d'une idée qui l'épouvante)
Mais Gaston ! sa perte est certaine,
s'il tombe entre leurs mains !... je tremble !
GASTON
(entrant)
Chère Hélène !
HÉLÈNE
Gaston ! je meurs d'effroi.
GASTON
A mes gardes troublés opposant mon courage;
mon poignard jusqu'à toi
sut m'ouvrir un passage.
HÉLÈNE
Mais les croisés sont là.
GASTON
Ton père m'entendra.
HÉLÈNE
Mais ils t'ont condamné !
GASTON
Mon sort s'accomplira !
HÉLÈNE
Ils viennent !... je frémis !
Les croisés font irruption dans le harem. Le comte de Toulouse paraît l'un des premiers, et aperçoit Hélène auprès de Gaston.
Scène et Chœur
LE COMTE
LE CHŒUR
Gaston le meurtrier !
Qu'il périsse !
HÉLÈNE
O mon dieu !
LE COMTE
GASTON
D'un forfait exécrable,
et vous aussi, vous m'avez cru capable.
LE CHŒUR
A la mort ! à la mort !
GASTON
Ordonnez de mon sort.
Préparez le supplice,
votre aveugle justice
de l'innocent
va répandre le sang.
HÉLÈNE
Par pitié !
LE CHŒUR
Qu'on l'entraîne !
HÉLÈNE
Arrêtez !
LE CHŒUR
Qu'il périsse !
(Gaston est entraîné par des soldats.)
HÉLÈNE
(avec désespoir)
Et tu le vois !
Dieu tout puissant !
(aux chevaliers)
Non... votre rage,
indigne outrage,
n'est pas l'ouvrage
d'un dieu clément.
L'enfer inspire
votre délire
et le martyre
de mon amant.
A vous la honte, à vous le crime,
que de la victime
retombe sur vous le sang !
LE COMTE
LES CROISÉS
Au traître la mort !
HÉLÈNE
Le ciel s'entr'ouvre,
et votre sort
a mes yeux se découvre.
Dieu sur vous étendra,
barbares ! sa main puissante.
Sur vos fronts tonnera
le cri de l'épouvante.
LE COMTE
HÉLÈNE
Dans ta colère,
o mon dieu tutélaire,
ton bras, j'espère,
les punira !
Et sans clémence
dans ta sentence,
oui, ta vengeance
les frappera !
LE COMTE ET TOUS LES CHEVALIERS
Courroux impie !
Le traître expie
sa félonie,
il périra.
[N. 17 - Marche funèbre]
Le comte saisit le bras de sa fille et l'entraîne, suivi par les chevaliers.
La place publique de Ramla. Une estrade tendue de noir.
Cortège, amenant Gaston, entouré de soldats et de pénitents, qui portent son casque, sa targe et son épée, le Légat, l'écuyer de Gaston, portant sa bannière, les chevaliers, un Hérault, un exécuteur, le peuple de Ramla.
[N. 18 - Grande scène et Air]
GASTON
Barons et chevaliers, devant vous je proteste,
et devant dieu, car je suis innocent !
Mais vous m'avez rendu mes armes... Il me reste
a mourir comme doit un homme de mon sang.
Écuyer, près de moi, fais flotter ma bannière !
LE LÉGAT
Arrête !... Condamné, par ce bref du saint-père
demain tu subiras la mort;
mais aujourd'hui c'est l'infamie !
Oui, tu seras d'abord
dégradé de noblesse et de chevalerie;
déclaré traître, infâme, et comme tel traité
dans ta dernière postérité.
GASTON
L'infamie !... O mon dieu ! prenez, prenez ma vie !
Vos bourreaux, je les défie,
mais mon honneur ! mais mon honneur !...
LE LÉGAT
Tel est l'arrêt.
GASTON
O douleur !
O mes amis, mes frères d'armes,
mon cœur se fend, voyez mes larmes !...
Le déshonneur ! c'est trop affreux !
N'accablez pas un malheureux.
Mon dernier jour me sera doux,
et je l'implore à vos genoux.
Mais, par le ciel ! moi, traître !... infâme !...
Je pleure, hélas ! comme une femme.
C'est la pitié que je réclame...
Par quels accents vous attendrir ?
O mes amis ! sans me flétrir,
laissez-moi, laissez-moi mourir !
LE LÉGAT
Qu'on exécute la sentence.
LES CHEVALIERS
Point de pitié ! point de clémence !
(Un hérault fait monter Gaston sur l'estrade où se trouve déjà l'exécuteur; le Hérault y monte également.)
UN HÉRAULT
(montrant le casque de Gaston)
Ceci
est le heaume d'un traître,
déloyal chevalier !
GASTON
(avec désespoir)
Tu mens ! tu mens !
LES CHEVALIERS
Au traître
point de merci !
(l'exécuteur brise le casque avec une masse d'armes)
LES PÉNITENTS
« Cum judicatur exeat condemnatus et oratio ejus fiat in peccatum. »
GASTON
O torture ! ô douleur ! ô m'avilir ainsi !
LE PEUPLE
Au fond du cœur sa voix pénètre.
UN HÉRAULT
(montrant l'écu de Gaston)
Ceci
est la targe d'un traître,
déloyal chevalier.
GASTON
Tu mens ! tu mens !
LES CHEVALIERS
Au traître
point de merci !
(l'exécuteur brise la targe)
LES PÉNITENTS
« Fiant dies ejus pauci et hereditatem ejus accipiat alter. »
GASTON
Mon dieu ! tu vois ce que je souffre ici.
LE PEUPLE
Quelle pitié ses pleurs font naître.
UN HÉRAULT
(élevant l'épée de Gaston)
Ceci
est l'estoc de ce traître,
déloyal chevalier !
GASTON
Tu mens ! tu mens !
LES CHEVALIERS
Au traître
point de merci !
(l'exécuteur brise l'épée)
LES PÉNITENTS
« Et dilexit maledictionem et reniet ei. Et noluit benedictionem et longabitur ab eo. »
GASTON
Calice d'amertume ! Oh ! qu'on me tue aussi !
LE PEUPLE
Dans ta bonté, seigneur, accorde-lui merci.
LE LÉGAT
Que le bras séculier à le punir s'apprête.
Le soleil de demain verra tomber sa tête.
GASTON
(descendant de l'estrade)
Tuez-moi, tuez-moi, frappez ! Qui vous arrête ?
Frappez bourreaux ! je reprends ma fierté,
mon sang versé pour vous fut mon seul crime,
et devant dieu l'innocente victime
vous chargera de votre iniquité.
LE LÉGAT ET LES CHEVALIERS
Traître ! félon ! ton arrêt est porté !
Ton sang versé vengera ta victime !
Tu porteras ton opprobre et ton crime
aux pieds de dieu, qui voit l'iniquité.
RAYMOND ET LE PEUPLE
O dieu puissant ! son arrêt est porté !
Prends en pitié, dieu du ciel, la victime,
toi, qui connais l'innocence et le crime,
fais luire un jour ta sublime équité.
Le théâtre représente la limite du camp des croisés dans la vallée de Josaphat. Des soldats gardent l'entrée d'une tente principale.
Roger, seul.
[N. 19 - Chœur et la procession]
ROGER
Voici de Josaphat la lugubre vallée.
Jérusalem, où vont flatter nos étendards.
Que je trouve, ô mon dieu, la mort sur ses remparts !
Et reçois dans ton sein mon âme désolée.
LE CHŒUR
(dans la coulisse)
Jérusalem la sainte,
la divine cité,
accueille en ton enceinte
un dieu de liberté.
ROGER
Les chrétiens en prière,
prêts à combattre, invoquent la faveur
du seigneur.
Roger, les croisés en procession, bannières déployées, Hélène parmi les femmes.
LES FEMMES
Ah ! que nos pleurs arrosent la poussière
du céleste tombeau !
Puisse notre âme à son heure dernière
fêter un jour si beau !
HÉLÈNE
(Hélène, qui s'avance au milieu des femmes, ralentit ses pas devant la tente, elle cherche à y faire pénétrer ses regards en disant:)
Pourrai-je le revoir ?...
LE PÈLERINS
C'est là
qu'apparut, portant le calice,
un ange au fils de dieu, c'est ici qu'il pleura,
et son supplice,
ces lieux l'ont vu... c'est là !
TOUS
Des oliviers saluons la montagne
et son reflet de sang !
Comme un linceul sur l'aride campagne,
le silence descend.
O montagne ! ô vallée ! ô lieux pleins de mystère,
où dieu nous jugera !
Des anges lorsqu'ici l'appel retentira,
les morts sortiront de la terre
et le juge apparaîtra !...
La procession continuant sa marche disparaît aux yeux, et les chants meurent au loin dans la vallée. Roger est resté en prières pendant tout ce temps.
Roger, le Légat, puis Hélène.
LE LÉGAT
(sortant de la tente)
Saint ermite, c'est vous !
ROGER
Sans entrer dans Ramla,
j'ai devancé l'armée.
LE LÉGAT
(désignant la tente d'où il sort)
Un grand coupable est là,
pour meurtre condamné par un décret de Rome;
assistez-le.
Hélène a reparu mystérieusement pendant ces derniers mots; elle reste au fond du théâtre et écoute.
LE LÉGAT
(s'adressant aux soldats qui gardent la tente où est Gaston)
Qu'il vienne ! à ce saint homme
vous obéirez comme à moi.
(à Roger)
Absolvez le coupable.
Moi, je vais des croisés fortifier la foi.
(il sort)
ROGER
(à lui-même)
Meurtrier comme moi ! pensée inexorable.
Après la sortie du Légat, Hélène s'est avancée, attendant avec angoisse que Gaston paraisse; il sort de la tente amené par les soldats.
Gaston, Hélène, Roger, soldats.
[N. 20 - Trio]
HÉLÈNE
C'est lui !
(elle se jette sur son passage)
GASTON
Je te revoi.
J'y comptais.
ROGER
(à part, tressaillant)
Cette voix !
(il s'approche et les reconnaît)
Ah ! terre, entrouvre-toi !
GASTON
(à Hélène)
Oh ! comme il m'ont traité ! mes yeux n'ont plus de larmes.
Par le bourreau j'ai vu briser mes armes.
ROGER
(à part)
Et je n'étais pas là !
GASTON
Ce jour est le dernier.
Je mourrai sans combattre...
ROGER
(à part)
Ah ! c'est dieu qui m'éclaire.
(aux soldats)
Par l'ordre du Légat à son heure dernière
laissez-moi seul avec le prisonnier.
(Le soldats se retirent.)
GASTON
Enfin s'apprête mon supplice !
HÉLÈNE
(avec désespoir)
Seigneur ! voilà donc la justice !
Dieu qui causes ma misère,
qui repousses ma prière,
frappe et montre, en ta colère,
que le ciel s'égare aussi !
Dieu cruel...
ROGER
(s'avançant)
Sur l'innocence
sa clémence
veille ici.
HÉLÈNE
Doux espoir, parole ineffable !...
GASTON
Bénissez-moi !
ROGER
Pour t'obéir
je suis, hélas ! trop coupable,
cette main ne peut bénir.
HÉLÈNE
O saint homme !
GASTON
Ma voix vous prie.
ROGER
Je ne puis.
GASTON
Je succombe ! oh ! que, par vous bénie,
finisse ma triste vie,
homme de dieu, bénissez-moi.
ROGER
(mettant dans la main de Gaston son épée, dont la garde forme une croix)
Eh bien ! sur cette croix qu'un pécheur te présente:
(imposant les mains à Gaston, qui est à genoux, les yeux fixés sur la croix de l'épée)
ame innocente,
en dieu sois confiante;
oui, sa justice éclatera pour toi.
HÉLÈNE
O bonheur ! ton innocence
peut au jour paraître encor.
GASTON
En vain tu parles d'espérance,
elle est pour moi dans la mort.
Ensemble
GASTON
Dieu nous sépare, Hélène !
Oui, l'espérance est vaine !
La mort, hélas ! m'entraine,
je me soutiens à peine...
La terre sur nous est fermée,
Hélène, que j'ai tant aimée...
Tes plaintes déchirent mon cœur.
HÉLÈNE
Ah ! si ton heure est venue,
si l'espérance est perdue,
je te serai bientôt rendue,
la tombe finira mon malheur.
O douleur !
Seule dans sa misère,
laisser ton Hélène si chère !
ROGER
(à part)
Mon dieu, sur le vrai coupable
descend ta main redoutable.
Grâce ! ô divin sauveur !
(à Gaston)
Qu'en dieu ton âme espère,
e ntends la voix du ciel.
Ensemble
HÉLÈNE
Je quitte avec toi la terre,
ce monde ingrat et cruel,
mon âme te suit dans le ciel !
ROGER
(à part)
Sois apaisée,
o justice du ciel !
GASTON
Ma vie est brisée;
elle est flétrie, et dieu m'ouvre le ciel.
ROGER
(à part)
Reprends ce fer, je te délivre !
GASTON
(ramassant l'épée)
Qu'entends-je ?
HÉLÈNE
O bonheur !
ROGER
Viens, viens ! pour le Seigneur
tu peux combattre.
HÉLÈNE
Vivre !
GASTON
(avec transport)
Mourir avec honneur !
La tente du Comte de Toulouse.
Hélène, Isaure, puis le Comte, le Légat, des chevaliers et Gaston.
[N. 21 - Finale]
ISAURE
La bataille est gagnée ! En ses murs embrasés,
Jérusalem a reçu les croisés.
VOIX AU DEHORS
Victoire !
ISAURE
Entendez-vous ?
HÉLÈNE
(se jetant dans les bras du Comte, qui entre, suivi du Légat)
Mon père !
LE COMTE
LE LÉGAT
Dieu protégea nos armes.
Des chevaliers portant les étendards conquis sont venus à la suite du Comte; Gaston paraît le dernier, son épée de combat à la main, la visière de son casque abaissée.
LE COMTE
GASTON
(relevant la visière de son casque)
Me reconnaissez-vous ?
LES CHEVALIERS
O surprise !
Gaston !
GASTON
Oui, c'est moi ! dont le nom fut couvert d'infamie.
Ma bannière à vos pieds fut jetée en lambeaux.
Que par vous cette épée encor soit avilie;
pour-vous j'ai combattu, donnez-moi des bourreaux.
HÉLÈNE
(avec angoisse, au Légat)
Le ferez-vous mourir ?
GASTON
Qu'on me mène au martyre.
Les mêmes, Roger, blessé mortellement, soutenu par quelques chevaliers.
ROGER
Arrêtez !
LES CHEVALIERS
Le saint homme ! il est blessé !
ROGER
J'expire !
Ciel, daigne prolonger
ma vie un seul moment... Vous allez me maudire...
(au Comte)
Reconnais-moi... je suis... ton frère.
TOUS
Lui ! Roger !
ROGER
Un instant me reste encore,
pour Gaston ma voix t'implore.
Oh ! qu'il soit sauvé par toi !
Le remords ici m'amène,
seul je dois subir la peine
d'un forfait commis par moi.
Mouvement général. Hélène se jette dans les bras de Gaston.
Ensemble
HÉLÈNE
Dieu secourable,
tu lui rends le bonheur,
et la vie et l'honneur.
GASTON
Dieu secourable,
tu me rends le bonheur,
son amour et l'honneur.
LE COMTE ET LE LÉGAT
Quoi ! le coupable,
c'est mon frère. O terreur !
O mystère d'horreur !
ROGER
(d'une voix suppliante)
A mon heure dernière,
grâce ! grâce !
LE COMTE
ROGER
(après avoir étreint le Comte dans ses bras)
Que je voie en mourant la cité du Seigneur !
Le fond de la tente s'ouvre et montre un panorama de Jérusalem.
HYMNE GÉNÉRAL
A toi gloire,
o dieu de victoire,
en mémoire
de ton ferme appui !
Que des anges
les saintes phalanges
en louanges
éclatent pour lui !
Fin du livret.
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Versione H: 3.00.40
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