Préface

Quoiqu'ne noble hardiesse, soit un des plus beaux appanages de la poësie, je n'aurois jamais osé, apres un auteur tel que Racine, mettre une Phedre au thèâtre, si la différence du genre ne m'eût rassuré: jamais sujet n'a parus plus propre à enrichir la scene lyrique, et je suis surpris que le grand maître de ce thèâtre, ne m'ait pas prévenu dans un projet qui m'a flatté d'une maniere à n'y pouvoir résister. Le merveilleux dont toute cette fable est remplie, semble déclarer hautement lequel des deux spectables lui est plus propre. Mon respect pour le plus digne rival du grand Corneille, m'a empêché de donner cette tragédie sous le nom de Phedre. Seneque a traité le même sujet sous le nom d'Hippolyte, parce qu'il s'agit de la mort de son héros; mais comme Ovide le fait revivre sous le nom de Virbius dans la forêt d'Aricie, j'ai crû qu'une princesse du nom de cette forêt, pouvoit entrer naturellement dans le titre de ma piéce. C'est Racine même qui m'a fourni cet episode épisode, et je l'ai adopté avec d'autant plus de plaisir, que le nom d'Aricie donne lieu de présumer que cette princesse, reste malheureux du sang des Pallàntides, pourroit bien avoir fait appeller ainsi, l'heureuse contrée que Diane soumit à ses loix, aussi bien qu'à celles d'Hippolyte.

Mais, ce n'est pas assez de justifier le choix de mon sujet et le titre de ma piéce; il m'importe infinement davantage de fair voir si ma fable est raisonnable. J'avouerai d'abord, sans prétendre censurer l'élégant auteur qui m'a ouvert cette carrier, que son Thésée m'a toujour paru trop crédule, et qu'un fils aussi vertueux qu'Hippolyte ne devoit pas être condamné si legerement, sur la déposition d'une femme suspecte, et sur l'indice d'une épée qu'on pouvoit avoir prise à son insçu, je sçais qu'une passion aussi aveugle que la jealousie, peut porter à des plus grandes erreurs, mais cela ne suffit pas au thèâtre et le grand secret pour être approuvé, c'est de mettre les spectateurs au point de sentir, qu'ils se trouvoient en pareille situation.

C'est-là ce qui m'a engagè à mieux fonder la condamnation d'Hippolyte: voici comme je la prépare.

1° Les Parques annoncent à Thésée dans les enfers, d'où il est prest à sortir, qu'il retrouvera ces mêmes enfers, chez lui.

2° Phedre voulant se percer de l'épée d'Hippolyte, ce prince la lui arrache, et Thésée arrivant dans le même instant, trouve son fils l'épeé à la main contre sa femme, il se rapelle aussi-tôt la prédiction des Parques, ce qu'il fait entendre par ces vers:

Ô trop fatal oracle !

Je trouve les malheurs que m'a prédit l'enfer.

3° Phedre, qu'il interroge, lui repond:

N'approchez point de moi; l'amour est outragé;

que l'amour soit vengé.

4° Œnone, interrogée à son tour, le met dans une plus grande certitude du malheur qu'il craint; voici comme elle parle:

Un desespoir affreux... pouvez vous l'ignorer ?

Vous n'en avez été qu'un témoin trop fidéle.

Je n'ose accuser votre fils;

mais, la reine... seigneur, ce fer armé contre-elle,

ne vous en a que trop appris.

Une fête de matelots qui survient, empéche Thésée d'entrer dans un plus grand éclaircimment, et trop convaincu du crime de son fils, il en demande la vengeance à Neptune, qui lui a juré par le Styx, de l'exaucer trois fois.

On fera peut-être surpris que je fasse Thésée, fils de Neptune; mais, outre que j'ai mes garans dans quelques commentateurs entre lesquels Hyginus tient le premier rang, j'ai cru qu'il ètoit plus vrai-sembable que ce dieu des mers, ne se liât par le terrible serment du Styx, qu'en faveur d'un héros de son sang.

Il est tems de rèpondre à une objection qu'on m'a faite dans quelques lectures de cette piéce. L'action, m'a-t-on dit, semble consommée à la fin du quatrième acte, je conviens qu'il en seroit quelque chose, en supposant qu'Hippolyte et Aricie qui donne le nom à ma tragédie, fussent véritablement mort; mais, le premier n'ayant fait que disparoître au yeux des spectateurs, et la derniere n'etant qu'évanouie, quoiqu'elle dise je meurs, on doit vrai-semblablement s'attendre à quelques effets de la protection de Diane, annoncée dans le premier acte.

Acte premier Acte second Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

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