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Scène première |
Le thèâtre représente les hauteurs du Rütli d'où l'on plane sur le lac des Waldstettes ou des Quatre-Cantons. On aperçoit aux bornes de l'horizon la cime des montagnes de Scwitz; au bas est le village de Brunnen. Des sapins touffus qui s'élèvent des deux côtés du thèâtre complétent la solitude. Des soldats, tenant des flambeaux, ouvrent la marche; des piqeurs dirigent la meute; des paysans arrivent transportant des cerfs, des renards et des loups tués; des dames et des seigneurs à cheval, ayant le faucon au poing, et suivis de pages, traversent le thèâtre; enfin des chasseurs à pied font une halte, et vident les gourdes dont ils sont munis. |
Q
Soldats, Chasseurs
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CHŒUR DES CHASSEURS
Quelle sauvage harmonie
au son des cors se marie !
Le cri du chamois mourant
se mêle au bruit du torrent.
L'entendre exhaler sa vie,
est-il un plaisir plus grand ?
Des tempêtes la furie
n'a rien de plus enivrant.
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| On voit les pâtres descendre du coteau dans le vallon, et y diriger leurs troupeaux. | <- Pâtres
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Quel est ce bruit ?
Des pâtres la voix monotone
de nouveau nous poursuit;
du gouverneur le cor résonne,
c'est notre retour qu'il ordonne.
Voici la nuit !
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| (il sortent) | Soldats, Chasseurs, Pâtres ->
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Scène deuxième |
Mathilde, seule. |
<- Mathilde
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| (Elle parait s'ètre séparée à dessein du gros de la chasse.) | |
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Ils s'éloignent enfin; j'ai cru le reconnaître:
mon cœur n'a point trompé mes yeux;
il a suivi mes pas, il est près de ces lieux.
Je tremble !... s'il allait paraître !
Quel est ce sentiment profond, mystérieux
dont je nourris l'ardeur, que je chéris peut-être ?
Arnold ! Arnold ! est-ce bien toi,
simple habitant de ces campagnes,
l'espoir, l'orgueil de tes montagnes,
qui charme ma pensée et cause mon effroi ?
Ah ! que je puisse au moins l'avouer moi-même !
Melchthal, c'est toi que j'aime;
sans toi j'aurais perdu le jour;
et ma reconnaissance excuse mon amour.
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Sombre forêt, désert triste et sauvage,
je vous préfère aux splendeurs des palais:
c'est sur les monts, au séjour de l'orage,
que mon cœur peut renaître à la paix;
mais l'écho seulement apprendra mes secrets.
Toi, du berger astre doux et timide,
qui, sur mes pas, viens semant tes reflets,
ah ! sois aussi mon étoile et mon guide !
Comme Arnold tes rayons sont discrets,
et l'écho seulement redira mes secrets.
| S
(♦)
(♦)
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Scène troisième |
Arnold s'est montré pendant les dernières mesures de la Romance. |
<- Arnold
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ARNOLD |
Ma présence pour vous est peut-être un outrage;
Mathilde, mes pas indiscrets
ont osé jusqu'à vous se frayer un passage.
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MATHILDE |
On pardonne aisément les torts que l'on partage;
Arnold, je vous attendais.
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ARNOLD |
Ce mot où votre âme respire,
je le sens trop, la pitié vous l'inspire;
vous plaignez mon égarement:
je vous offense en vous aimant.
Que ma destinée est affreuse !
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MATHILDE |
La mienne est-elle plus heureuse ?
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ARNOLD |
Il faut parler, il faut, dans ce moment
si cruel et si doux, si dangereux peut-être,
que la fille des rois apprenne à me connaître;
j'ose le dire avec un noble orgueil,
pour vous le Ciel m'avait fait naître.
D'un préjugé fatal j'ai mesuré l'écueil;
il s'élève entre nous de toute sa puissance;
je puis le respecter, mais c'est en votre absence.
Mathilde, ordonnez-moi de fuir loin de ces lieux,
d'abandonner ma patrie et mon père,
d'aller mourir sur la terre étrangère,
de choisir pour tombeau des bords inhabités,
prononcez sur mon sort, dites un mot.
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MATHILDE |
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Oui, vous l'arrachez à mon âme
ce secret qu'ont trahi mes yeux;
je ne puis étouffer ma flamme,
dût-elle nous perdre tous deux !
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ARNOLD |
(Il est donc sorti de son âme
ce secret qu'ont trahi ses yeux !
sa flamme répond à ma flamme,
dût-elle nous perdre tous deux !)
(à Mathilde)
Mais entre nous quelle distance,
que d'obstacles de toutes parts !
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MATHILDE |
Ah ! ne perdez pas l'espérance;
tous vous élève à mes regards.
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ARNOLD |
Doux aveu ! ce tendre langage
de plaisir enivre mon cœur.
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MATHILDE |
(Je le chéris, tout me présage
près de lui des jours de bonheur.)
(à Arnold)
Retournez aux champs de la gloire,
volez à de nouveaux exploits:
on s'anoblit par la victoire;
elle justifîra mon choix.
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ARNOLD |
Je pars, je cours chercher la gloire,
c'est un tribut que je vous dois:
puis-je douter de la victoire
lorsque j'obéis à vois lois ?
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MATHILDE
Dans celle qui t'aime,
oui, c'est l'honneur même
qui dicte sa loi.
Mathilde, constante,
ira sous la tente
recevoir ta foi.
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Ensemble
ARNOLD
Dans celle que j'aime,
oui, c'est l'honneur même
qui dicte sa loi.
Mathilde, constante,
viendra sous la tente
recevoir ma foi.
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MATHILDE |
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ARNOLD |
Vous reverrai-je encore ?
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MATHILDE |
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ARNOLD |
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MATHILDE |
Quand renaîtra l'aurore,
dans l'antique chapelle, en présence de dieu
j'entendrai ton dernier adieu.
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ARNOLD |
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MATHILDE |
Je vous quitte, on s'avance.
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ARNOLD |
Ciel ! Walter et Guillaume, ah ! fuyez leur présence.
| Mathilde ->
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Scène quatrième |
Arnold, Guillaume, Walter-Fürst. |
<- Guillaume, Walter
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GUILLAUME |
Tu n'étais pas seul en ces lieux ?
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
Nous craignons de troubler un si doux entretien.
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ARNOLD |
Je ne m'informe pas de vos desseins.
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WALTER |
Peut-être
plus qu'un autre dois-tu chercher à les connaître.
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GUILLAUME |
Non; qu'importe à Melchthal s'il déserte nos rangs,
s'il aspire en secret à servir nos tyrans ?
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
Ton trouble, et Mathilde et sa fuite.
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ARNOLD |
On m'épie, et c'est toi ?
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GUILLAUME |
Moi-même; ta conduite
a jeté le soupçon dans ce cœur alarmé.
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ARNOLD |
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WALTER |
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ARNOLD |
Mais si j'étais aimé,
tes soupçons ?...
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GUILLAUME |
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ARNOLD |
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WALTER |
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
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WALTER |
Parmi nos oppresseurs elle a reçu la vie.
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GUILLAUME, WALTER |
Et Melchthal lâchement embrasse ses genoux !
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ARNOLD |
Mais de quel droit votre aveugle furie ?...
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GUILLAUME |
Nos droits ? un mot te les apprendra tous:
sais-tu bien ce que c'est que d'aimer sa patrie ?
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ARNOLD |
Vous parlez de patrie, il n'en est plus pour nous.
Je quitte ce rivage
qu'habitent la discorde et la haine et la peur,
dignes filles de l'esclavage;
je cours dans les combats reconquérir l'honneur.
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GUILLAUME |
Quand l'Helvétie est un champ de supplices
où l'on moissonne nos enfants;
que de Gessler tes armes soient complices;
meurs pour nos bourreaux triomphants !
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ARNOLD |
Si je meurs c'est pour la victoire,
ce but sourit à ma fierté;
mais je vivrai, mais je vaincrai; la gloire
remplace tout, même la liberté.
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WALTER |
Pour toi, Gessler préludant aux batailles,
d'un vieillard a tranché les jours;
cette victime attend des funérailles,
elle a des droits à tes secours.
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ARNOLD |
Ah ! quel affreux mystère !
Un vieillard, dites-vous ?
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WALTER |
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ARNOLD |
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WALTER |
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GUILLAUME |
Parler c'est te frapper au cœur.
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ARNOLD |
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WALTER |
Oui, ton père, Melchthal, l'honneur de nos hameaux,
ton père, assassiné par la main des bourreaux !
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ARNOLD |
Qu'entends-je ? ô crime ! hélas ! j'expire !
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Ses jours qu'ils ont osé proscrire,
je ne les ai pas défendus !
Mon père, tu m'as dû maudire !
De remords mon cœur se déchire.
Ô ciel ! ô ciel ! je ne te verrai plus.
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GUILLAUME, WALTER |
Il chancelle, à peine il respire,
il frémit, le remords le déchire;
de l'amour tous les nœuds sont rompus,
son effroi remplace son délire,
son malheur le rend à ses vertus.
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ARNOLD |
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WALTER |
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ARNOLD |
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WALTER |
J'ai vu se débattre et tomber la victime.
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
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ARNOLD |
Eh bien ! contre Gessler servez mon désespoir.
Dans Altdorf voulez-vous me suivre ?
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GUILLAUME |
Modère les transports où ton âme se livre.
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WALTER |
Reste, et venge à la fois ton père et ton pays.
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
La nuit, à nos desseins propice,
nous entoure déjà d'une ombre protectrice.
Tu vas voir dans ces lieux, que Gessler croit soumis,
surgir de tous côtés de généreux amis:
ils comprendront tes larmes.
Au soc de la charrue ils empruntent des armes
pour conquérir un digne sort,
ou l'indépendance ou la mort !
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GUILLAUME, ARNOLD, WALTER
Ou l'indépendance ou la mort !
(Ils se donnent la main.)
Embrasons-nous d'un saint délire !
La liberté pour nous conspire;
des cieux ton père nous inspire,
vengeons-le, ne le pleurons plus.
Pour son pays quand il expire,
son beau destin semble nous dire:
c'était aux palmes du martyre
à couronner tant de vertus !
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GUILLAUME |
Des profondeurs du bois immense,
un bruit confus semble sortir.
Écoutons !
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
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WALTER |
J'entends de pas nombreux la forêt retentir.
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ARNOLD |
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GUILLAUME |
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Scène cinquième |
Les mêmes, Habitans d'Unterwald. |
<- Habitans d'Unterwald
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CHŒUR D'UNTERWALD (à demi-voix) |
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GUILLAUME |
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ARNOLD |
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GUILLAUME, ARNOLD, WALTER |
Honneur, honneur à leur présence !
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LE CHŒUR
Nous avons su braver, nous avons su franchir
les périls comme la distance.
Les torrents, les forêts n'ont pu nous retenir;
notre audace au Rütli nous a fait parvenir
sous l'escorte de la prudence.
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GUILLAUME |
Du canton d'Unterwald, ô vous généreux fils,
ce noble empressement n'a rien qui nous étonne.
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WALTER |
On saura l'imiter: de nos frères de Schwitz
j'entends la trompe qui résonne;
de tes enfants sois fier, ô mon pays !
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Scène sixième |
Les mêmes, Habitans de Schwitz. |
<- Habitans de Schwitz
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CHŒUR DE SCHWITZ
En ce temps de misère,
une race étrangère
épiant nos douleurs,
nous condamne au mystère.
Que ce bois solitaire
seul connaisse nos pleurs.
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GUILLAUME (à Arnold et à Walter) |
On pardonne la crainte à de si grands malheurs;
mais croyez-en mon espérance,
leurs cœurs répondront à nos cœurs:
honneur, honneur à leur présence !
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GUILLAUME, ARNOLD, WALTER, LES HABITANS D'UNTERWALD |
Honneur, honneur à leur présence !
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WALTER |
Du seul canton d'Uri nous regrettons l'absence.
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GUILLAUME |
Pour dérober la trace de leurs pas,
pour mieux cacher nos saintes trames,
non frères, sur les eaux, s'ouvrent avec leurs rames
un chemin qui ne trahit pas.
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WALTER |
De prompts effets la promesse est suivie,
n'entends-tu pas ?...
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GUILLAUME |
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Scène septième |
Les mêmes, Habitans d'Uri. |
<- Habitans d'Uri
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CHŒUR D'URI |
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GUILLAUME |
Honneur aux soutiens de nos droits !
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TOUS (moins les habitans d'Uri) |
Honneur aux soutiens de nos droits !
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CHŒUR D'URI
Guillaume, tu le vois,
trois peuples à ta voix,
sont armés de leurs droits
contre un pouvoir infâme.
Parle, et les fiers accents,
jaillissant de ton âme,
soudain en traits de flamme
embraseront nos sens !
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CHŒUR GÉNÉRAL
Guillaume, tu le vois,
trois peuples à ta voix,
sont armés de leurs droits
contre un pouvoir infâme.
Parle, et les fiers accents,
jaillissant de ton âme,
soudain en traits de flamme
embraseront nos sens !
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GUILLAUME |
(se plaçant au milieu des députés des trois cantons)
L'avalanche roulant du haut de nos montagnes,
lançant la mort sur nos campagnes,
renferme dans ses flancs
des maux moins accablants
que n'en sème après lui chaque pas des tyrans.
C'est à nous, à notre courage
à purger ce rivage
des maîtres détestés.
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CHŒUR DE SCHWITZ |
De la guerre c'est la menace;
malgré nous la terreur nous glace.
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WALTER |
Où donc est votre antique audace ?
Mille ans nos aïeux indomptés
ont défendu leurs vieilles libertés;
est-ce en vous que s'éteint leur race ?
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CHŒUR DE SCHWITZ |
Malgré nous la terreur nous glace.
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GUILLAUME |
Accoutumés aux maux long-temps soufferts,
si vous ne sentez plus le fardeau de vos fers,
songez du moins à vos familles;
vos pères, vos femmes, vos filles
n'ont plus d'asile en vos foyers.
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WALTER |
Il n'est plus parmi nous de toits hospitaliers.
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GUILLAUME |
Amis, contre ce joug infâme
en vain l'humanité réclame;
nos oppresseurs sont triomphants.
Un n'a point de femme,
un esclave n'a pas d'enfants.
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CHŒUR GÉNÉRAL |
Un esclave n'a point de femme,
un esclave n'a pas d'enfants.
C'est trop souffrir, que faut-il faire ?
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ARNOLD |
(se réveillant tout à coup de l'abattement où il était resté plongé)
Venger le trépas de mon père.
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LE CHŒUR |
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ARNOLD |
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LE CHŒUR |
Quel crime était le sien ?
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ARNOLD |
Son crime, hélas ! c'est le vôtre et le mien,
celui de tous ! il aimait sa patrie.
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LE CHŒUR |
O meurtre abominable, impie !
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GUILLAUME |
Soyons dignes enfin du sang dont nous sortons;
dans l'ombre et le silence,
du glaive et de la lance
armez les trois cantons.
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LE CHŒUR |
Dans l'ombre et le silence,
du glaive et de la lance
armons les trois cantons.
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GUILLAUME |
Près du lac, quand luiront les signaux de vengeance,
nous seconderez-vous ?
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LE CHŒUR |
N'en doute pas, oui, tous.
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GUILLAUME |
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LE CHŒUR |
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GUILLAUME |
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LE CHŒUR |
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GUILLAUME |
Que de nos mains les loyales étreintes
confirment ces promesses saintes !
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CHŒUR GÉNÉRAL
Jurons, jurons par nos dangers,
par nos malheurs, par nos ancêtres,
au dieu des rois et des bergers,
de repousser d'injustes maîtres.
Si parmi nous il est des traîtres,
que le soleil de son flambeau
refuse à leurs yeux la lumière,
le Ciel l'accès à leur prière,
et la terre un tombeau !
| S
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ARNOLD |
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WALTER |
Pour nous c'est un signal d'alarmes.
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GUILLAUME |
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WALTER |
Quel cri doit y répondre ?
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ARNOLD |
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GUILLAUME, WALTER |
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TOUS |
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