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Guillaume Tell

GUILLAUME TELL

Opéra en quatre actes.

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Livret de Victor-Joseph ÉTIENNE DE JOUY, Hippolyte Louis Florent BIS.
Musique de Gioachino ROSSINI.

Première représentation : 3 août 1829, Paris.


Personnages:

GUILLAUME Tell

basse

ARNOLD Melchthal

ténor

WALTER Fürst

basse

MELCHTHAL père d'Arnold

basse

JEMMY fils de Guillaume Tell

soprano

GESSLER gouverneur des cantons de Schwitz et d'Uri

basse

RODOLPHE chef des archers de Gessler

ténor

Ruodi. LE PÊCHEUR

ténor

LEUTHOLD berger

basse

MATHILDE princesse de la maison de Hapsbourg, destinée au gouvernement de la Suisse

soprano

HEDWIGE femme de Guillaume Tell

mezzo-soprano


Trois fiancés et leurs compagnes. Paysans et paysannes des trois cantons. Chevaliers allemands, pages, dames d'honneur de la princesse. Chasseurs. Gardes de Gessler. Soldats autrichiens. Tyroliens et Tyroliennes.



Avertissement

Le poème de cet opéra a été composé il y a prés de trois ans; il n'était encore question alors d'aucun autre ouvrage sur le mème sujet. Depuis cette époque, il en a paru plusieurs à divers théàtres. Le nôtre ne pent manquer d'avoir avec ceux-ci plus d'un point de rassemblance. Indépendamment des faits qui pour tous étaient les mêmes, on a puisé à des sources communes, dans Schiller et même dans Florian. Nulle part ailleurs que dans notre piéce, il est vrai, il n'est question de la présence d'une princesse autrichienne à Altdorf; mais cette fiction n'est pas précisément contraire à l'histoire. Beaucoup de chroniques rapportent que l'empereur Albert projetait de donner la Suisse en apanage à un des membres de sa nombreuse famille. (1) C'est ainsi que de nos jour, l'un de ses descendans avait institué pour gouvernant des Pays-Bas une princesse de sa propre maison.

On aurait pu offrir au lecteur une œvre plus régulière. Il ne s'agissait que de la publier telle qu'elle fut primitivement conçue; mais alors il eût fallu rétablir plusieurs scénes supprimées, remettre à leur place celles dont l'ordre a été interverti, et faire disparaître quelques passages que les besoins seuls de la musique ont exigés: alors aussi, la pièce imprimée eût été tout autre que la pièce représentée; et comme les spectateurs désirent surtout trouver dans la brochure ce que l'instrumentation ne permet pas de bien entendre, on a, pour la première fois peut-ètre, livré à l'impressison des paroles textuellement conformes à celles de la partition. Si d'un côté, par l'effet de cette résolution même, la critique trouve à moissonner dans un plus vaste champ, de l'autre, sans doute, le public nous saura quelque gré d'un léger sacrifice d'amour-propre qui doit tourner au profit de ses plaisirs. C'est aussi, nous l'avouerons, un hommage indirect qui s'addresse à notre illustre collaborateur. Il nous aurait répugné de faire disparaître même les vers défectueux que le rythme musical (parfois arrèté à l'avance) nous a contraints d'arranger tels qu'ils sont: il est d'ailleurs des accords d'une telle puissance qu'ils semblent consacrer les paroles auxquelles ils prétent leur magie. Au milieu de cette immense création toute nouvelle, qui fait enfin de Rossini un compositeur français, GUILLAUME TELL ne semble plus que l'ouvrage d'un seul, le sien. Si la communauté de travaux ne nous permet pas de lui offrir la dédicace de ce poème, que du moins, et pour en tenir lieu, nous puissons consigner ici le témoignage de notre admiration et de notre amitié.

(1) Albert fut le plus grand adversaire et persécuteur de la liberté des Suisses. Il avait grand nombre d'enfants: pour les avancer et enrichir, il commença a étendre sea ailes ou il lui fut possible, et spécialement il résolut de dresser une nouvelle principauté en Suisse. (République des Suisses, par Simler.)

Acte premier
Scène première

L'action se passe à Burglen, canton d'Uri: à droite se trouve la maison de Guillaume Tell; à gauche débouche le torrent de Schachental, sur lequel un pont est jeté; une barque est attachée au rivage. Des paysans entourent de verdure des cabanes destinée à trois nouveaux ménages; d'autres se livrent à divers travaux agrestes. Jemmy s'essaie à tirer de l'arc, Guillaume, pensif et appuyé sur sa bêche, est arrêté au milieu d'un sillon. Hedwige assise près d'un châlet assemble les jones d'une corbeille et regarde alternativement son époux et son fils.
Guillaume, Hedwige, Jemmy, Le pêcheur, le Chœur.

LE CHŒUR

Quel jour serein le ciel présage !

Célébrons-le dans nos concerts;

que les échos de ce rivage

élèvent nos chants dans les airs !

Par nos travaux, rendons hommage

au créateur de l'univers.

Ensemble

LE PÊCHEUR

(dans sa barque)

Accours dans ma nacelle,

timide jouvencelle;

du plaisir qui t'appelle

c'est ici le séjour.

Je quitte le rivage;

Lisbeth, sois du voyage,

viens; le ciel sans nuage

nous promet un beau jour.

GUILLAUME

(à demi-voix)

Il chante son ivresse,

ses plaisirs, sa maîtresse;

de l'ennui qui m'oppresse

il n'est pas tourmenté.

Quel fardeau que la vie !

Pour nous plus de patrie !

Il chante, et l'Helvétie

pleure sa liberté.

Ensemble

LE PÊCHEUR

Des fleurs ceignent sa tête;

leur puissance secrète;

conjurant la tempête,

nous répond du retour.

Et toi, lac solitaire,

témoin d'un doux mystère,

ne dis pas à la terre

les secrets de l'amour.

HEDWIGE, JEMMY

Son imprudent courage,

se jouant de l'orage,

à côté du naufrage

ne pense qu'au retour.

Vers l'écueil qu'on redoute,

s'il dirigeait sa route,

des chants de mort, sans doute,

suivraient ses chants d'amour.

Ici l'on entend le ranz des vaches.

LE CHŒUR

On entend des montagnes

le signal du repos;

la fête des campagnes

abrège nos travaux.

Cette fête champêtre,

qu'ignore l'œil du maître,

nous fera reconnaître

le doux pays natal.

Scène deuxième

Les mêmes, le vieux Melchthal, appuyé sur son fils Arnold, descend de la colline.

LE CHŒUR

Salut, honneur, hommage

au vertueux Melchthal !

ARNOLD

(a part)

Des amants, des époux !

Ah ! quel penser m'assiège !...

HEDWIGE

Bénis par vous.

MELCHTHAL

Par moi ?

HEDWIGE

Vous nous bénirez tous.

GUILLAUME

De l'âge et des vertus c'est le saint privilège,

et des bienfaits du ciel un présage bien doux.

MELCHTHAL

Pasteurs, que vos accents s'unissent,

qu'au loin vos trompes retentissent;

célébrez tous en ce beau jour

le travail, l'hymen et l'amour.

CHŒUR D'HOMMES

Pasteurs, que nos accents s'unissent,

qu'au loin nos trompes retentissent !

Célébrons tous, en ce beau jour,

le travail, l'hymen et l'amour.

CHŒUR DE FEMMES

Aux chants joyeux qui retentissent,

que nos accents plus doux s'unissent !

Célébrons tous en ce beau jour,

le travail, l'hymen et l'amour.

CHŒUR GÉNÉRAL

Près des torrents qui grondent,

que les cors se répondent !

que l'écho de ces monts,

retenant nos chansons,

en reporte les sons

aux forêts, aux vallons !

Près des torrents qui grondent,

que les cors se répondent !

Célébrons par nos jeux

et l'hymen et ses feux;

des pasteurs amoureux

célébrons les doux nœuds

et volons auprès d'eux.

Le chœur sort.

Scène troisième

Guillaume, Melchthal, Arnold, Hedwige, Jemmy.

GUILLAUME

Contre les feux du jour que mon toit solitaire

vous offre un abri tutélaire.

C'est là que dans la paix ont véçu mes aïeux,

que je fuis les tyrans, que je cache à leurs yeux

le bonheur d'être époux, le bonheur d'être père !

(il embrasse son fils)

MELCHTHAL

(à Arnold)

Le bonheur d'être père !

Tu l'entends, ô mon fils ! c'est le suprême bien.

Veux-tu tromper toujours le vœu de ma vieillesse ?

La fête des pasteurs, par un triple lien,

va consacrer, dans ce jour d'allégresse,

le serment de l'hymen, et ce n'est pas le tien !

Le vieux Melchthal entre avec Guillaume, Hedwige et Jemmy dans un châlet.

Scène quatrième

Arnold seul.

Le mien, dit-il ! jamais, jamais le mien !

Que ne puis-je taire à moi-même

de quel fatal objet tous mes sens sont épris !

Toi, dont le front aspire au diadème,

o Mathilde ! je t'aime,

je t'aime, et je trahis

mon devoir et l'honneur, mon père et mon pays !

Contre l'avalanche homicide

ma force te servit d'égide:

je te sauvai, toi, la fille des rois,

toi qu'une puissance perfide

destine à nous donner des lois.

Ivre d'un fol espoir, ma jeunesse insensée

a prodigué son sang pour des maîtres ingrats:

avoir connu sous eux la gloire des combats,

voilà ma honte ! aussi, mes pleurs l'ont effacée:

par un funeste amour ne la rappelons pas.

Mais quel bruit ? des tyrans qu'a vomis l'Allemagne

le cor sonne sur la montagne.

Gessler est là; Mathilde l'accompagne;

il faut encore la voir, entendre encore sa voix;

soyons heureux et coupable à la fois !

Scène cinquième

Guillaume, Arnold.

GUILLAUME

Ou vas-tu ? quel transport t'agite ?

L'approche d'un ami n'arrête point ta fuite ?

ARNOLD

Non.

GUILLAUME

Pourquoi tremble-tu ?

ARNOLD

(à part)

De feindre aurai-je le courage ?

(haut)

Sous le fardeau de l'esclavage

quel grand cœur n'est pas abattu ?

GUILLAUME

Je comprendrais des maux que je partage;

Arnold ne m'a pas répondu !

ARNOLD

(à part)

Suis-je assais malheureux !

GUILLAUME

Malheureux ? Quel mystère ?

Pourquoi te taire ?

ARNOLD

Qu'espères-tu ?

GUILLAUME

Rendre a ton cœur la force et la vertu.

ARNOLD

(à part)

Ah ! Mathilde, idole de mon âme !

Il faut donc vaincre ma flamme ?

GUILLAUME

(observant Arnold)

Je saurai lire dans son cœur.

ARNOLD

O ma patrie,

mon cœur te sacrifie

et mon amour et mon bonheur !

GUILLAUME

(à part)

Il rougit de son erreur;

en servant la tyrannie

s'il fut traître à sa patrie,

son remords du moins expie

un moment de déshonneur.

(haut)

Pour nous plus de crainte servile,

soyons hommes, et nous vaincrons.

ARNOLD

Et comment venger nos affronts ?

GUILLAUME

Tout pouvoir injuste et fragile.

ARNOLD

Contre des maître étrangers

quels sont nos appuis ?

GUILLAUME

Les dangers;

il n'en est qu'un pour nous, por eux il en est mille.

ARNOLD

(monstrant la maison qui renferme la femme et le fils de Guillaume)

Songe aux biens que tu perds !

GUILLAUME

Qu'importe !

ARNOLD

Quelle gloire espérer des revers ?

GUILLAUME

Je ne sais trop ce que c'est que la gloire,

mais je connais le poids de fers.

ARNOLD

Ton espérance...

GUILLAUME

est la victoire:

la tienne aussi. J'ai besoin de la croire.

ARNOLD

Nous serions libres !...

GUILLAUME

C'est mon vœu.

ARNOLD

Mais où combattre ?

GUILLAUME

Dans ce lieu.

Je te l'ai dit: plus de crainte servile.

ARNOLD

Vaincus, quel serait notre asile ?

GUILLAUME

La tombe.

ARNOLD

Et notre vengeur ?

GUILLAUME

Dieu !

ARNOLD

(à part)

Ah ! Mathilde, idole de mon âme !

Il faut donque vaincre ma flamme ?

GUILLAUME

Je vais lire dans son cœur.

ARNOLD

O ma patrie !

mon cœur te sacrifie

et mon amour et mon bonheur.

GUILLAUME

Il rougit de son erreur;

en servant la tyrannie

s'il fut traître à sa patrie,

son remords du moins expie

un moment de déshonneur.

ARNOLD

Du combat, quand sonnera l'heure,

ami, je serait prêt...

Le cor se fait entendre, et Arnold cherche à s'éloigner.

GUILLAUME

Demeure.

ARNOLD

O contre-temps fatal !

GUILLAUME

Melchthal ! Melchthal !

Le cor résonne de nouveau.

ARNOLD

Qu'entends-je ?

GUILLAUME

C'est Gessler ! quoi ! tandis qu'il nous brave

oudrais-tu, volontaire esclave,

d'un regard dédaigneux implorer la faveur ?

ARNOLD

Quel sévère langage !

Pour moi c'est un outrage.

Je veux sur son passage

braver l'insolent oppresseur.

GUILLAUME

Point d'entreprise téméraire;

songe à ton père: il faut le protéger;

à ta patrie: il faudra la venger.

ARNOLD

(à part)

Mon père ! mon pays ! ma tendresse ! Que faire !

GUILLAUME

Il hésite, il pâlit ! Quel est donc ce mystère ?

ARNOLD

(à part)

O ciel ! tu sais si Mathilde m'est chère,

mais à la vertu je me rends.

(haut)

Haine et malheur à nos tyrans !

GUILLAUME

Entends au loin les chants de l'hyménée;

n'attristons pas la fête des pasteurs:

à leurs plaisirs ne mêlons pas de pleurs;

et que, du moins une journée,

un peuple échappe à ses malheurs.

ARNOLD

(à part)

À ses regards cachons mes pleurs.

O ciel ! tu sais si Mathilde m'est chère;

mais à la vertu je me rends.

Haine et malheur à nos tyrans !

GUILLAUME

De mon secret il est dépositaire,

mais il combattra dans nos rangs;

haine et malheur à nos tyrans !

Scène sixième

Les mêmes, Melchthal, Hedwige, Jemmy, Le Chœur, formant un cortège pour les trois mariés. Trois vieillards vont chercher les trois fiancées dans les châlets qui se trouvent sur la scène.

HEDWIGE

Sur nos têtes le soleil brille,

et semble s'arrêter au milieu de son cours,

pour voir la fête de famille.

Vénérable Melchthal, honneur des anciens jours,

c'est à vous de bénir leurs pudiques amours.

MELCHTHAL

Quand le ciel entend votre promesse

est-ce à moi de la consacrer ?

GUILLAUME

Oui, rendre hommage à la vieillesse,

mon dieu, c'est encore t'honorer !

(il conduit le vieux Melchthal sous un dôme de verdure, préparé pour lui)

LE CHŒUR

Ciel, qui du monde est la parure,

pour eux fais luire un doux augure;

vois, leur tendresse est aussi pure

que ta lumière en un beau jours !

(Pendant ce chœur, Melchthal bénit les époux qui sont agenouillés à ses pieds.)

ARNOLD

(à part)

Ils vont s'unir. Pour moi plus d'ésperance.

Quels maux j'endure, fatal amour !

MELCHTHAL

Des antiques vertus vous nous rendez l'exemple.

Songez, jeunes pasteurs, que la Suisse qui vous contemple,

demande à votre hymen les appuis des vengeurs.

Des jeunes montagnards, ô fidèles compagnes,

dans votre chaste sein dort la postérité;

que vos fils soient nombreux; votre fécondité

est la richesse des campagnes.

(Le bruit de la chasse se rapproche.)

GUILLAUME

(Gessler proscrit ces vœux.) Écoutez le tyran !

Écoutez: il vous crie qu'il n'est plus de patrie;

que pour jamais elle est tarie,

la source de ce sang généreux

qui bouillonnait au cœur de nos ayeux.

Un peuple sans vertus n'enfante pas de braves:

que legueriez-vous à vos fils ?

Les fers dont vos bras sont meurtris ?

Femmes, de votre couche éxilez vos maris.

Il est toujours assez d'esclaves !

HEDWIGE

Quels transports semblent t'agiter ?

Pour les laisser librement éclater

le jour est-il venu ?

GUILLAUME

Peut-être...

Je ne vois plus Arnold.

Scène septième

Les mêmes, moins Arnold.

GUILLAUME

(à part)

Ah ! quel tourment j'endure !

(haut)

Je ne vois plus Arnold.

JEMMY

Il nous quitte.

GUILLAUME

Il me fuit;

il me dérobe en vain le trouble qui le suit.

Je cours l'interroger; toi, ranime la fête.

HEDWIGE

Tu me glaces de crainte, et tu parles de fête !

GUILLAUME

(bas)

Qu'elle cache aux tyrans le bruit de la tempête !

Étouffe-la sous des accents joyeux:

elle ne doit gronder pour eux

qu'en tombant sur leur tête !

Scène huitième

Les mêmes, moins Guillaume.

LE CHŒUR

(accompagné de danse)

Hyménée,

ta journée

fortunée

luit pour nous.

Des couronnes

que tu donnes

ces époux

sont jaloux.

D'allégresse,

de tendresse,

leur jeunesse

s'embellit.

Sur nos têtes

les tempêtes

sont muettes;

tout nous dit:

hyménée,

ta journée

fortunée

luit pour nous.

Des couronnes

que tu donnes

ces époux

sont jaloux.

Par tes flammes,

dans nos âmes,

tu proclames

notre espoir;

ton ivresse

joint sans cesse

la tendresse

au devoir.

Hyménée,

ta journée

fortunée

luit pour nous.

Des couronnes

que tu donnes

ces époux

sont jaloux.

Pendant que les danses s'exécutent, on s'exerce au jeu de l'arc.

LE CHŒUR

Gloire, honneur au fils de Tell !

Il obtient le prix de l'adresse.

JEMMY

(venant déposer le prix entre les mains d'Hedwige)

Ma mère !

HEDWIGE

O moment plein d'ivresse !

LE CHŒUR

Il obtient le prix de l'adresse,

c'est l'héritage paternel.

Les archers forment un pas entre eux pendant lequel on chante le chœur suivant.

Enfants de la nature,

le simple habit de bure

nous tient lieu de l'armure

qui défend les guerriers.

Mais au but qui l'appèle

notre flèche est fidèle,

et l'espoir avec elle

repose en nos foyers.

Scène neuvième

Les mêmes, Leuthold, portant une hache sur laquelle il s'appuie.

JEMMY

Pâle et tremblant, se soutenant à peine,

ma mère, un pâtre vient vers nous.

LE PÊCHEUR

C'est le brave Leuthold; un malheur nous l'amène.

LEUTHOLD

Sauvez-moi ! sauvez-moi !

HEDWIGE

Que crains-tu ?

LEUTHOLD

Leur courroux.

HEDWIGE

Leuthold, quel pouvoir te menace ?

LEUTHOLD

Le seul qui n'a jamais fait grâce,

le plus cruel, le plus affreux de tous.

O mes amis ! sauvez-moi de ses coups.

MELCHTHAL

Qu'as-tu fait ?

LEUTHOLD

Mon devoir. De toute ma famille

le ciel ne me laissa qu'un enfant, qu'une fille;

du gouverneur un infâme soutien,

un soldat l'enlevait, et j'ai su la défendre:

lui, me ravir mon dernier bien !

Ma hache sur son front ne s'est pas fait attendre;

voyez-vous ce sang ? c'est le sien.

MELCHTHAL

Il eut le courage d'un père;

mais pour lui du tyran redoutons la colère.

LEUTHOLD

Un refuge assuré m'attend sur l'autre bord.

(au Pêcheur)

Conduis-moi.

LE PÊCHEUR

Ce torrent, cette roche,

du rivage opposé ne permet point l'approche;

affronter cet écueil, c'est courir à la mort.

LEUTHOLD

Ah ! puisses-tu, barbare, à ton heure dernière,

trouver dieu sourd à ton remords,

comme tu l'es à ma prière !

CHŒUR DES SOLDATS

(dans l'éloignement)

Leuthold ! malheur à toi, malheur !

Scène dixième

Les mêmes, Guillaume.

GUILLAUME

(rentrant)

Arnold a disparu, mes pas n'ont pu l'atteindre.

LEUTHOLD

Grand dieu, sois mon libérateur !

GUILLAUME

J'entends menacer et se plaindre.

LE CHŒUR

(en dehors)

Leuthold ! malheur à toi, malheur !

LEUTHOLD

Guillaume, le destin m'accable,

on me poursuit, je ne suis point coupable;

je meurs pourtant si je ne fuis soudain:

pour mon salut il n'est qu'un seul chemin.

(il montre le bord opposé)

GUILLAUME

Ta barque est là, pêcheur, tu l'entends.

LEUTHOLD

C'est en vain; comme le gouverneur il est impitoyable.

GUILLAUME

Du ciel il méconnaît la loi,

il te refuse ! eh bien ! suis-moi.

CHŒUR DES SOLDATS

(se rapprochant)

C'est du sang que le meurtre exige.

Malheur à toi, Leuthold !

GUILLAUME

(après avoir embrassé son fils)

Hâtons-nous, les voilà.

Adieu.

HEDWIGE

Tu vas périr.

GUILLAUME

Ne crains rien, chère Hedwige.

(montrant le ciel)

Les périls sont bien grands; mais le pilote est là !

Scène onzième

Melchthal, Hedwige, Jemmy, Le pêcheur, Rodolphe, soldats et habitans des cantons.

LE CHŒUR

Dieu de bonté, dieu tout-puissant,

de l'oppresseur confonds la rage,

daigne dérober au naufrage

le défenseur de l'innocent.

RODOLPHE

De la justice voici l'heure !

SOLDATS

De la justice voici l'heure !

RODOLPHE

Malheur au meurtrier, qu'il meure !

SOLDATS

Malheur au meurtrier, qu'il meure !

LE CHŒUR

Dieu de bonté, dieu tout-puissant,

de l'oppresseur confonds la rage,

daigne dérober au naufrage

le défenseur de l'innocent.

JEMMY, HEDWIGE

Il est sauvé !

RODOLPHE

Que vois-je ? ô rage !

Il a franchi le funeste passage.

MELCHTHAL, HEDWIGE

De dieu je reconnais l'ouvrage.

RODOLPHE

Leur joie est un nouvel outrage;

esclaves, malheur à vous tous !

CHŒUR DES PAYSANS

Sur nos têtes gronde l'orage,

éloignons-nous, éloignons-nous.

RODOLPHE

Restez; il est plus d'un coupable:

au meurtrier qui prêta son secours ?

Nommez le traître, il y va de vos jours.

MELCHTHAL, JEMMY, HEDWIGE

Ils vont parler; la terreur les accable.

CHŒUR DES PAYSANS

Braverons-nous sa colère implacable ?

RODOLPHE

(faisant cerner la foule par ses soldats)

Obéissez, il y va de vos jours.

CHŒUR DE FEMMES

(Elles se mettent à genoux.)

Vierge que les chrétiens adorent,

entends nos voix, elles t'implorent;

soustrais au glaive des méchants

et nos maris et nos enfants !

MELCHTHAL

Ce qu'il a fait, tous, nous l'aurions dû faire.

Amis, plus de lâche frayeur:

il ose agir, osez vous taire.

LE CHŒUR

Il ose agir, osons nous taire.

RODOLPHE

Tremblez, malheur à vous, tremblez !

Nommez le traître, enfin parlez !

MELCHTHAL

Dis au tyran que cette terre

ne porte pas de délateur.

RODOLPHE

Qu'on saisisse ce téméraire !

Il brave en nous le gouverneur.

Que du ravage,

que du pillage,

sur ce rivage

pèse l'horreur !

Honte et misère

sont le salaire

que ma colère

lègue au malheur !

JEMMY

Si du pillage,

si du ravage

sur ce rivage

pèse l'horreur,

vil mercenaire,

l'arc de mon père

peut nous soustraire

à ta fureur !

Ensemble

RODOLPHE

Que du ravage,

que du pillage,

sur ce rivage

pèse l'horreur !

Honte et misère

sont le salaire

que ma colère

lègue au malheur !

TOUTS LES SOLDATS

Que du ravage,

que du pillage,

sur ce rivage

pèse l'horreur !

Honte et misère

sont le salaire

que sa colère

lègue au malheur !

JEMMY

Si du ravage,

si du pillage,

sur ce rivage

pèse l'horreur !

vil mercenaire,

l'arc de son père

peut nous soustraire

à ta fureur !

HEDWIGE, TOUS LES HABITANS DES CANTONS

Si du ravage,

si du pillage,

sur ce rivage

pèse l'horreur !

vil mercenaire,

l'arc de mon père

peut nous soustraire

à ta fureur !

Les soldats s'emparent de Melchthal; les Suisses cherchent à le délivrer, mais ils sont sans armes, et l'on entraîne violemment sous leurs yeux le vieillard qu'ils voudraient suivre, quand une haie de hallebardes les arrête. Le toile baisse sur ce tableau.

Nota. Le rideau de service qui tombe entre le premier et deuxième acte offre l'image de la puissance guerrière de l'Autriche, sous le règne de l'empereur Albert (an 1308). C'est contre ce pouvoir formidable que vont lutter les efforts de quelques montagnards de la Suisse.

Acte deuxième
Scène première

Le thèâtre représente les hauteurs du Rütli d'où l'on plane sur le lac des Waldstettes ou des Quatre-Cantons. On aperçoit aux bornes de l'horizon la cime des montagnes de Scwitz; au bas est le village de Brunnen. Des sapins touffus qui s'élèvent des deux côtés du thèâtre complétent la solitude.
Des soldats, tenant des flambeaux, ouvrent la marche; des piqeurs dirigent la meute; des paysans arrivent transportant des cerfs, des renards et des loups tués; des dames et des seigneurs à cheval, ayant le faucon au poing, et suivis de pages, traversent le thèâtre; enfin des chasseurs à pied font une halte, et vident les gourdes dont ils sont munis.

CHŒUR DES CHASSEURS

Quelle sauvage harmonie

au son des cors se marie !

Le cri du chamois mourant

se mêle au bruit du torrent.

L'entendre exhaler sa vie,

est-il un plaisir plus grand ?

Des tempêtes la furie

n'a rien de plus enivrant.

On voit les pâtres descendre du coteau dans le vallon, et y diriger leurs troupeaux.

Quel est ce bruit ?

Des pâtres la voix monotone

de nouveau nous poursuit;

du gouverneur le cor résonne,

c'est notre retour qu'il ordonne.

Voici la nuit !

(il sortent)

Scène deuxième

Mathilde, seule.

(Elle parait s'ètre séparée à dessein du gros de la chasse.)

Ils s'éloignent enfin; j'ai cru le reconnaître:

mon cœur n'a point trompé mes yeux;

il a suivi mes pas, il est près de ces lieux.

Je tremble !... s'il allait paraître !

Quel est ce sentiment profond, mystérieux

dont je nourris l'ardeur, que je chéris peut-être ?

Arnold ! Arnold ! est-ce bien toi,

simple habitant de ces campagnes,

l'espoir, l'orgueil de tes montagnes,

qui charme ma pensée et cause mon effroi ?

Ah ! que je puisse au moins l'avouer moi-même !

Melchthal, c'est toi que j'aime;

sans toi j'aurais perdu le jour;

et ma reconnaissance excuse mon amour.

Sombre forêt, désert triste et sauvage,

je vous préfère aux splendeurs des palais:

c'est sur les monts, au séjour de l'orage,

que mon cœur peut renaître à la paix;

mais l'écho seulement apprendra mes secrets.

Toi, du berger astre doux et timide,

qui, sur mes pas, viens semant tes reflets,

ah ! sois aussi mon étoile et mon guide !

Comme Arnold tes rayons sont discrets,

et l'écho seulement redira mes secrets.

Scène troisième

Arnold s'est montré pendant les dernières mesures de la Romance.

ARNOLD

Ma présence pour vous est peut-être un outrage;

Mathilde, mes pas indiscrets

ont osé jusqu'à vous se frayer un passage.

MATHILDE

On pardonne aisément les torts que l'on partage;

Arnold, je vous attendais.

ARNOLD

Ce mot où votre âme respire,

je le sens trop, la pitié vous l'inspire;

vous plaignez mon égarement:

je vous offense en vous aimant.

Que ma destinée est affreuse !

MATHILDE

La mienne est-elle plus heureuse ?

ARNOLD

Il faut parler, il faut, dans ce moment

si cruel et si doux, si dangereux peut-être,

que la fille des rois apprenne à me connaître;

j'ose le dire avec un noble orgueil,

pour vous le Ciel m'avait fait naître.

D'un préjugé fatal j'ai mesuré l'écueil;

il s'élève entre nous de toute sa puissance;

je puis le respecter, mais c'est en votre absence.

Mathilde, ordonnez-moi de fuir loin de ces lieux,

d'abandonner ma patrie et mon père,

d'aller mourir sur la terre étrangère,

de choisir pour tombeau des bords inhabités,

prononcez sur mon sort, dites un mot.

MATHILDE

(tendrement)

Restez.

Oui, vous l'arrachez à mon âme

ce secret qu'ont trahi mes yeux;

je ne puis étouffer ma flamme,

dût-elle nous perdre tous deux !

ARNOLD

(Il est donc sorti de son âme

ce secret qu'ont trahi ses yeux !

sa flamme répond à ma flamme,

dût-elle nous perdre tous deux !)

(à Mathilde)

Mais entre nous quelle distance,

que d'obstacles de toutes parts !

MATHILDE

Ah ! ne perdez pas l'espérance;

tous vous élève à mes regards.

ARNOLD

Doux aveu ! ce tendre langage

de plaisir enivre mon cœur.

MATHILDE

(Je le chéris, tout me présage

près de lui des jours de bonheur.)

(à Arnold)

Retournez aux champs de la gloire,

volez à de nouveaux exploits:

on s'anoblit par la victoire;

elle justifîra mon choix.

ARNOLD

Je pars, je cours chercher la gloire,

c'est un tribut que je vous dois:

puis-je douter de la victoire

lorsque j'obéis à vois lois ?

Ensemble

MATHILDE

Dans celle qui t'aime,

oui, c'est l'honneur même

qui dicte sa loi.

Mathilde, constante,

ira sous la tente

recevoir ta foi.

ARNOLD

Dans celle que j'aime,

oui, c'est l'honneur même

qui dicte sa loi.

Mathilde, constante,

viendra sous la tente

recevoir ma foi.

MATHILDE

On vient, séparons-nous.

ARNOLD

Vous reverrai-je encore ?

MATHILDE

Oui, demain.

ARNOLD

O bonheur !

MATHILDE

Quand renaîtra l'aurore,

dans l'antique chapelle, en présence de dieu

j'entendrai ton dernier adieu.

ARNOLD

Que de bienfaits !

MATHILDE

Je vous quitte, on s'avance.

ARNOLD

Ciel ! Walter et Guillaume, ah ! fuyez leur présence.

Scène quatrième

Arnold, Guillaume, Walter-Fürst.

GUILLAUME

Tu n'étais pas seul en ces lieux ?

ARNOLD

Eh bien ?

GUILLAUME

Nous craignons de troubler un si doux entretien.

ARNOLD

Je ne m'informe pas de vos desseins.

WALTER

Peut-être

plus qu'un autre dois-tu chercher à les connaître.

GUILLAUME

Non; qu'importe à Melchthal s'il déserte nos rangs,

s'il aspire en secret à servir nos tyrans ?

ARNOLD

Qui te l'a dit ?

GUILLAUME

Ton trouble, et Mathilde et sa fuite.

ARNOLD

On m'épie, et c'est toi ?

GUILLAUME

Moi-même; ta conduite

a jeté le soupçon dans ce cœur alarmé.

ARNOLD

Mais si j'aime ?

WALTER

Gran dieu !

ARNOLD

Mais si j'étais aimé,

tes soupçons ?...

GUILLAUME

Seraient vrais.

ARNOLD

Mon amour ?

WALTER

Est impie.

ARNOLD

Mathilde ?

GUILLAUME

Elle est notre ennemie.

WALTER

Parmi nos oppresseurs elle a reçu la vie.

GUILLAUME, WALTER

Et Melchthal lâchement embrasse ses genoux !

ARNOLD

Mais de quel droit votre aveugle furie ?...

GUILLAUME

Nos droits ? un mot te les apprendra tous:

sais-tu bien ce que c'est que d'aimer sa patrie ?

ARNOLD

Vous parlez de patrie, il n'en est plus pour nous.

Je quitte ce rivage

qu'habitent la discorde et la haine et la peur,

dignes filles de l'esclavage;

je cours dans les combats reconquérir l'honneur.

GUILLAUME

Quand l'Helvétie est un champ de supplices

où l'on moissonne nos enfants;

que de Gessler tes armes soient complices;

meurs pour nos bourreaux triomphants !

ARNOLD

Si je meurs c'est pour la victoire,

ce but sourit à ma fierté;

mais je vivrai, mais je vaincrai; la gloire

remplace tout, même la liberté.

WALTER

Pour toi, Gessler préludant aux batailles,

d'un vieillard a tranché les jours;

cette victime attend des funérailles,

elle a des droits à tes secours.

ARNOLD

Ah ! quel affreux mystère !

Un vieillard, dites-vous ?

WALTER

Que la Suisse révère.

ARNOLD

Son nom ?

WALTER

Je dois le taire.

GUILLAUME

Parler c'est te frapper au cœur.

ARNOLD

Mon père !...

WALTER

Oui, ton père, Melchthal, l'honneur de nos hameaux,

ton père, assassiné par la main des bourreaux !

ARNOLD

Qu'entends-je ? ô crime ! hélas ! j'expire !

Ses jours qu'ils ont osé proscrire,

je ne les ai pas défendus !

Mon père, tu m'as dû maudire !

De remords mon cœur se déchire.

Ô ciel ! ô ciel ! je ne te verrai plus.

GUILLAUME, WALTER

Il chancelle, à peine il respire,

il frémit, le remords le déchire;

de l'amour tous les nœuds sont rompus,

son effroi remplace son délire,

son malheur le rend à ses vertus.

ARNOLD

Il est donc vrai !

WALTER

J'ai vu le crime.

ARNOLD

Toi ?

WALTER

J'ai vu se débattre et tomber la victime.

ARNOLD

Grand dieu ! que faire ?

GUILLAUME

Ton devoir.

ARNOLD

Il faut mourir ?

GUILLAUME

Il faut vivre.

ARNOLD

Eh bien ! contre Gessler servez mon désespoir.

Dans Altdorf voulez-vous me suivre ?

GUILLAUME

Modère les transports où ton âme se livre.

WALTER

Reste, et venge à la fois ton père et ton pays.

ARNOLD

Achevez donc !

GUILLAUME

La nuit, à nos desseins propice,

nous entoure déjà d'une ombre protectrice.

Tu vas voir dans ces lieux, que Gessler croit soumis,

surgir de tous côtés de généreux amis:

ils comprendront tes larmes.

Au soc de la charrue ils empruntent des armes

pour conquérir un digne sort,

ou l'indépendance ou la mort !

GUILLAUME, ARNOLD, WALTER

Ou l'indépendance ou la mort !

(Ils se donnent la main.)

Embrasons-nous d'un saint délire !

La liberté pour nous conspire;

des cieux ton père nous inspire,

vengeons-le, ne le pleurons plus.

Pour son pays quand il expire,

son beau destin semble nous dire:

c'était aux palmes du martyre

à couronner tant de vertus !

GUILLAUME

Des profondeurs du bois immense,

un bruit confus semble sortir.

Écoutons !

ARNOLD

Écoutons !

GUILLAUME

Silence !

WALTER

J'entends de pas nombreux la forêt retentir.

ARNOLD

Le bruit approche...

GUILLAUME

Qui s'avance ?

Scène cinquième

Les mêmes, Habitans d'Unterwald.

CHŒUR D'UNTERWALD

(à demi-voix)

Amis de la patrie !

GUILLAUME

O bonheur !

ARNOLD

O vengeance !

GUILLAUME, ARNOLD, WALTER

Honneur, honneur à leur présence !

LE CHŒUR

Nous avons su braver, nous avons su franchir

les périls comme la distance.

Les torrents, les forêts n'ont pu nous retenir;

notre audace au Rütli nous a fait parvenir

sous l'escorte de la prudence.

GUILLAUME

Du canton d'Unterwald, ô vous généreux fils,

ce noble empressement n'a rien qui nous étonne.

WALTER

On saura l'imiter: de nos frères de Schwitz

j'entends la trompe qui résonne;

de tes enfants sois fier, ô mon pays !

Scène sixième

Les mêmes, Habitans de Schwitz.

CHŒUR DE SCHWITZ

En ce temps de misère,

une race étrangère

épiant nos douleurs,

nous condamne au mystère.

Que ce bois solitaire

seul connaisse nos pleurs.

GUILLAUME

(à Arnold et à Walter)

On pardonne la crainte à de si grands malheurs;

mais croyez-en mon espérance,

leurs cœurs répondront à nos cœurs:

honneur, honneur à leur présence !

GUILLAUME, ARNOLD, WALTER, LES HABITANS D'UNTERWALD

Honneur, honneur à leur présence !

WALTER

Du seul canton d'Uri nous regrettons l'absence.

GUILLAUME

Pour dérober la trace de leurs pas,

pour mieux cacher nos saintes trames,

non frères, sur les eaux, s'ouvrent avec leurs rames

un chemin qui ne trahit pas.

WALTER

De prompts effets la promesse est suivie,

n'entends-tu pas ?...

GUILLAUME

Qui vient ?

Scène septième

Les mêmes, Habitans d'Uri.

CHŒUR D'URI

Amis de la patrie !

GUILLAUME

Honneur aux soutiens de nos droits !

TOUS

(moins les habitans d'Uri)

Honneur aux soutiens de nos droits !

CHŒUR D'URI

Guillaume, tu le vois,

trois peuples à ta voix,

sont armés de leurs droits

contre un pouvoir infâme.

Parle, et les fiers accents,

jaillissant de ton âme,

soudain en traits de flamme

embraseront nos sens !

CHŒUR GÉNÉRAL

Guillaume, tu le vois,

trois peuples à ta voix,

sont armés de leurs droits

contre un pouvoir infâme.

Parle, et les fiers accents,

jaillissant de ton âme,

soudain en traits de flamme

embraseront nos sens !

GUILLAUME

(se plaçant au milieu des députés des trois cantons)

L'avalanche roulant du haut de nos montagnes,

lançant la mort sur nos campagnes,

renferme dans ses flancs

des maux moins accablants

que n'en sème après lui chaque pas des tyrans.

C'est à nous, à notre courage

à purger ce rivage

des maîtres détestés.

CHŒUR DE SCHWITZ

De la guerre c'est la menace;

malgré nous la terreur nous glace.

WALTER

Où donc est votre antique audace ?

Mille ans nos aïeux indomptés

ont défendu leurs vieilles libertés;

est-ce en vous que s'éteint leur race ?

CHŒUR DE SCHWITZ

Malgré nous la terreur nous glace.

GUILLAUME

Accoutumés aux maux long-temps soufferts,

si vous ne sentez plus le fardeau de vos fers,

songez du moins à vos familles;

vos pères, vos femmes, vos filles

n'ont plus d'asile en vos foyers.

WALTER

Il n'est plus parmi nous de toits hospitaliers.

GUILLAUME

Amis, contre ce joug infâme

en vain l'humanité réclame;

nos oppresseurs sont triomphants.

Un n'a point de femme,

un esclave n'a pas d'enfants.

CHŒUR GÉNÉRAL

Un esclave n'a point de femme,

un esclave n'a pas d'enfants.

C'est trop souffrir, que faut-il faire ?

ARNOLD

(se réveillant tout à coup de l'abattement où il était resté plongé)

Venger le trépas de mon père.

LE CHŒUR

Quoi ! ton père ?

ARNOLD

Il est mort.

LE CHŒUR

Quel crime était le sien ?

ARNOLD

Son crime, hélas ! c'est le vôtre et le mien,

celui de tous ! il aimait sa patrie.

LE CHŒUR

O meurtre abominable, impie !

GUILLAUME

Soyons dignes enfin du sang dont nous sortons;

dans l'ombre et le silence,

du glaive et de la lance

armez les trois cantons.

LE CHŒUR

Dans l'ombre et le silence,

du glaive et de la lance

armons les trois cantons.

GUILLAUME

Près du lac, quand luiront les signaux de vengeance,

nous seconderez-vous ?

LE CHŒUR

N'en doute pas, oui, tous.

GUILLAUME

Prêts à vaincre ?

LE CHŒUR

Oui, tous.

GUILLAUME

Prêts à mourir ?

LE CHŒUR

Oui, tous.

GUILLAUME

Que de nos mains les loyales étreintes

confirment ces promesses saintes !

CHŒUR GÉNÉRAL

Jurons, jurons par nos dangers,

par nos malheurs, par nos ancêtres,

au dieu des rois et des bergers,

de repousser d'injustes maîtres.

Si parmi nous il est des traîtres,

que le soleil de son flambeau

refuse à leurs yeux la lumière,

le Ciel l'accès à leur prière,

et la terre un tombeau !

ARNOLD

Voici le jour !

WALTER

Pour nous c'est un signal d'alarmes.

GUILLAUME

De victoire !

WALTER

Quel cri doit y répondre ?

ARNOLD

Aux armes !

GUILLAUME, WALTER

Aux armes !

TOUS

Aux armes !

Acte troisième
Scène première

Intérieur d'une vieille chapelle en ruines, attenante aux jardins du palais d'Altdorf.
Arnold, Mathilde.

MATHILDE

Arnold, d'où naît ce désespoir ?

Est-ce là cet adieu si tendre

que j'espérais entendre ?

Vous partez, mais bientôt nous pourrons nous revoir.

ARNOLD

Non, je reste où m'enchaîne un terrible devoir;

je reste pour venger mon père.

MATHILDE

Qu'espérez-vous ?

ARNOLD

C'est du sang que j'espère.

Je renonce aux faveurs du sort,

je renonce à tout ce que j'aime,

à la gloire, à vous-même !...

MATHILDE

À moi, Melchthal ?

ARNOLD

Mon père est mort;

il est tombé sous l'homicide glaive.

MATHILDE

Dieu !

ARNOLD

Savez-vous qui dirigea le fer ?

MATHILDE

Ah ! je frémis, achève !

ARNOLD

Votre effroi l'a nommé... Gessler !

MATHILDE

Gessler !...

Pour notre amour plus d'espérance;

quand ma vie à peine commence,

pour toujours je perds le bonheur.

Oui, Melchthal, d'un barbare

le crime nous sépare;

ma raison, qui s'égare,

implore un dieu vengeur.

Du sort bravant la servitude,

en vain je t'ai donné ma foi;

dans ma cour quelle solitude !

Tu ne seras plus près de moi.

Enfin, pour comble de misère,

un crime te prive d'un père,

et je ne puis le pleurer avec toi.

Destin, malgré ta rage,

toujours ce triste cœur

conservera l'image

de mon libérateur.

ARNOLD

Quel bruit arrive à mon oreille ?

Des chants ? des cris ?

MATHILDE

Gessler s'éveille.

ARNOLD

Le jour le rend à ses forfaits

MATHILDE

Hélas ! d'une fête guerrière

ces chants annoncent les apprêts.

Du gouverneur fuis le palais,

toujours sa joie est meurtrière;

fuis, si jamais je te fus chère.

ARNOLD

Moi, fuir !

MATHILDE

Sur la rive étrangère,

si je ne puis à ta misère

offrir mes soins consolateurs,

mon âme te suit tout entière;

elle est fidèle à tes malheurs.

ARNOLD

Ces chants étouffent ta prière,

leur joie insulte à mes douleurs.

MATHILDE

Arnold, prends pitié de mes pleurs,

fuis, si jamais je te fus chère.

ARNOLD

Moi fuir !

MATHILDE

Sur la rive étrangère,

si je ne puis à ta misère

offrir mes soins consolateurs,

mon âme te suit tout entière;

elle est fidèle à tes malheurs.

Et songe !...

ARNOLD

Je songe à mon père !

Ensemble

MATHILDE

En renonçant à nos amours,

c'est lui donner plus que nos jours.

Adieu, Melchthal, adieu, c'est pour toujours !

ARNOLD

En renonçant à mes amours,

c'est lui donner plus que mes jours.

Adieu, Mathilde, adieu, c'est pour toujours !

Scène deuxième

Grande place d'Altdorf, où l'on fait des préparatif de féte. On voit çà et là des pommiers et des tilleuls. Le château-fort de Gessler est au fond. Des ouvriers sont occupés à èlever une estrade où doit se placer la cour; d'autres piantent, vers le fond du thèâtre, un trophée composé des armes du governeur et surmonté de son chaperon.
Gessler, Rodolphe, Gardes, Soldats, Peuple.

CHŒUR D'HOMMES

Gloire au pouvoir suprême !

Crainte à Gessler qui dispense ses lois !

Oui c'est l'empereur même,

qui lance l'anathème

par sa terrible voix.

CHŒUR DE FEMMES

Paix au pouvoir qu'on aime !

De Mathilde on chérit les lois !

Qu'est-il besoin de diadème ?

L'amour est un pouvoir suprême

égal à celui des rois.

GESSLER

Vainement dans son insolence,

le peuple brave ma vengeance,

il doit se soumettre à ma loi.

(En montrant le trophée.)

Devant ce signe de puissance

que chacun se courbe en silence,

comme on s'incline devant moi !

CHŒUR D'HOMMES

Gloire au pouvoir suprême !

Crainte à Gessler qui dispense ses lois !

Oui c'est l'empereur même,

qui lance l'anathème

par sa terrible voix.

CHŒUR DE FEMMES

Paix au pouvoir qu'on aime !

De Mathilde on chérit les lois !

Qu'est-il besoin de diadème ?

L'amour est un pouvoir suprême

égal à celui des rois.

(On fait passer les habitans par groupe, et on les force à s'incliner devant le trophée.)

GESSLER

(placé sur l'estrade)

Que l'empire germain de votre obéissance

reçoive le gage aujourd'hui.

Depuis un siècle, sa puissance

daigne à votre faiblesse accorder un appui.

À pareil jour, nos droits, scellés par la victoire,

s'étendirent sur vos aïeux.

D'un jour si glorieux,

par vos chants, par vos jeux

célébrez la mémoire,

je le veux !

(Un des officiers de Gessler fait entrer forcément un Tyrolyen et deux Tyroliennes qui dansent au son des voix seulement.)

Ensemble

CHŒUR DE FEMMES

Toi que l'oiseau ne suivrait pas !

Ah ! ah ! etc.

Sur nos accords règle tes pas !

Ah ! ah ! etc.

Toi qui n'est pas,

ah ! ah ! etc.

De ces climats,

ah ! ah ! etc.

Vers nos frimats,

ah ! ah ! etc.

Tu reviendras.

Ah ! ah ! etc.

ACCOMPANGNAMENT D'HOMMES

À nos chants viens mêler tes pas !

Etrangère

si légère,

veux-tu plaire ?

Ah ! ne fuis pas.

Fleur nouvelle

est moins belle,

quand tes pas

s'approchent d'elle,

ah ! ah ! etc.

CHŒUR D'HOMMES ET CHŒUR DE FEMMES

Dans nos campagnes,

les fils des montagnes

à leurs compagnes

apprendront tes pas.

(Les soldats de Gessler contraignent des femmes suisses à dancer avec eux; les habitans témoignent par leurs gestes leur indignation de cette violence; le ballet se termine par un chœur général à la fin duquel tout le monde se prosterne devant le poteau.)

Scène troisième

Les mêmes, Guillaume, Jemmy.

(Des soldats entrainent sur l'avant-scène Guillaume et son fils qu'ils ont remarqués debout au milieu de la foule.)

RODOLPHE

Audacieux, incline-toi !

GUILLAUME

Tu peux, t'armant de sa faiblesse,

avilir ce peuple, mais moi,

je ne reconnais pas la loi

qui me prescrit une bassesse.

RODOLPHE

Misérable !

CHŒUR DE SUISSE

O moment d'effroi !

Pour lui nous avons tout à craindre.

RODOLPHE

Gouverneur, on brave ta loi.

GESSLER

Quel téméraire ose l'enfreindre ?

RODOLPHE

Il est debout devant toi.

GUILLAUME

Debout, j'honore la puissance,

quand d'un honteux servage elle nous affranchit;

mais de mon front l'indépendance,

devant dieu seul fléchit.

GESSLER

Traître, obéis ou tremble !

Ma voix et tes périls te menacent ensemble;

vois ces armes, vois ces soldats.

GUILLAUME

J'écoute, je regarde, et ne te comprends pas.

GESSLER

L'esclave rebelle à son maître.

Ne frémit pas en prévoyant son sort ?

GUILLAUME

Serais-je devant toi, si je craignais la mort ?

RODOLPHE

Tant d'audace, seigneur, me le fait reconnaître;

c'est Guillaume Tell, c'est ce traître

qui ravit à nos coups Leuthold le meurtrier.

GESSLER

Saisissez-le !

SOLDATS

(hésitant)

C'est là cet archer redoutable,

cet intrépide nautonier...

GESSLER

Point de pitié coupable;

c'est là mon prisonnier.

GUILLAUME

Puisse-t-il être le dernier !

GESSLER

Tant d'orgueil me lasse,

la foudre s'amasse,

sur toi qu'elle passe,

et tu fléchiras !

RODOLPHE

Quel excès d'audace !

Il brave, il menace.

Allons, point de grâce,

désarmons son bras.

GUILLAUME

Mortelle disgrâce !

(bas à son fils)

Espoir de ma race,

o toi que j'embrasse,

porte au loin tes pas

JEMMY

Que ta peur s'efface,

c'est ici ma place,

laisse-moi par grâce

mourir dans tes bras !

(On retire des mains de Guillaume son arbalète et son carquois.)

GUILLAUME

Rejoins ta mère, je l'ordonne,

qu'aux sommets de nos monts la flamme brille et donne

aux trois cantons le signal des combats !

GESSLER

(retenant l'enfant)

Arrête... leur tendresse éclaire ma vengeance;

réponds, toi qui m'oses braver,

c'est ton enfant ?

GUILLAUME

Le seul.

GESSLER

Tu voudrais le sauver ?

GUILLAUME

Le sauver lui, quel est son crime ?

GESSLER

Sa naissance,

tes discours, tes projets, ta coupable insolence.

GUILLAUME

Je t'ai seul offensé, c'est moi qu'il faut punir.

GESSLER

Sa grâce est dans tes mains et tu peux l'obtenir.

Pour un habile archer partout on te renomme;

(à Rodolphe, en détachant une pomme d'un arbre voisin)

sur la tête du fils qu'on place cette pomme,

(à Tell)

d'un trait, tu vas soudain l'enlever à mes yeux,

ou vous périrez tous les deux.

GUILLAUME

Que dis-tu ?

GESSLER

Je le veux.

GUILLAUME

Quel horrible décret; sur mon fils !... je m'égare !

Tu pourrais ordonner, barbare !...

Non, le crime est trop grand.

GESSLER

Obéis.

GUILLAUME

Tu n'as pas d'enfant !

Il est un dieu, Gessler !

GESSLER

Un maître.

GUILLAUME

(montrant le ciel)

Il nous entend !

GESSLER

C'est trop tarder, cède sur l'heure.

GUILLAUME

Je ne le puis.

GESSLER

Que son fils meure !

GUILLAUME

Arrête !... Abominable loi !

Tu triomphes de ma faiblesse;

le péril de Jemmy m'impose une bassesse,

Gessler; et je fléchis le genou devant toi.

(il s'àgenouille)

GESSLER

Voilà cet archer redoutable,

cet intrépide nautonier !

La peur l'atteint, un mot l'accable.

GUILLAUME

(se relevant)

Ce châtiment du moins est équitable:

tu me punis d'avoir pu m'oublier.

JEMMY

Mon père, songe à ton adresse.

GUILLAUME

Ah, je crains tout de ma tendresse.

JEMMY

Donne ta main, interroge mon cœur:

sous ta flèche il battra sans peur.

GUILLAUME

Je te bénis en répandant des larmes,

et je reprends ma force sur ton sein:

le calme de ton cœur a raffermi ma main.

Plus de faiblesse, plus d'alarmes;

qu'on me rende mes armes:

je suis Guillaume Tell enfin !

(On rende à Guillaume son arbalète et son carqois qu'il vide à terre. Il choisit parmi les traits en se tenant baissé, et en place un sous ses vêtemens, sans être aperçu.)

GESSLER

Qu'on attache l'enfant !

(En ce moment on voit un des pages de Mathilde quitter la scène et se diriger, en courant, vers le château.)

JEMMY

M'attacher ? quelle injure !

Non, non, libre au moins je mourrai.

J'expose au coup fatal ma tête sans murmure,

et sans pâlir je l'attendrai.

SUISSES

Quoi ! les accents de l'innocence

ne désarment pas sa vengeance ?

JEMMY

(en voyant son père préparer ses armes)

Courage, mon père !

GUILLAUME

À sa voix

ma main laisse échapper mes armes;

mes yeux sont obscurcis de dangereuses larmes...

(à Gessler)

Mon fils !... que je l'embrasse une dernière fois !

(Gessler fait un signe d'acquiescement, et Jemmy se rend près de son père.)

Sois immobile, et vers la terre

incline un genou suppliant.

Invoque dieu: c'est lui seul, mon enfant,

qui dans le fils peut épargner le père.

Demeure ainsi, mais regarde les cieux.

En menaçant une tête si chère,

cette pointe d'acier peut effrayer tes yeux.

Le moindre mouvement... Jemmy, songe à ta mère !

Elle nous attend tous les deux !

Jemmy regagne le poteau avec rapidité; Guillaume parcourt d'un œil morne toute l'enceinte. Lorsque son regard s'arrête sur Gessler, il porte la main sur la place où la seconde flèche est cachée; il vise enfin, tire, et soudain le pomme est loin de l'enfant.

SUISSES

Victoire ! sa vie est sauvée.

JEMMY

Mon père !

GUILLAUME

Ciel !

GESSLER

Quoi ! la pomme enlevée !

SUISSES

La pomme est enlevée;

Guillaume est triomphant.

GESSLER

O fureur !

SUISSES

O bonheur !

JEMMY

Ma vie est conservée:

mon père pouvait-il immoler son enfant ?

GUILLAUME

Je ne vois plus, je me soutiens à peine;

est-ce bien toi, mon fils ? Je succombe au bonheur.

JEMMY

(entrouvrant les vêtemens de Guillaume)

Ah ! secourez mon père !...

GESSLER

Il échappe à ma haine.

(apercevant la seconde flèche)

Que vois-je ?

GUILLAUME

Ah ! j'ai sauvé mon trésor le plus cher !

GESSLER

À qui destinais-tu ce trait ?

GUILLAUME

À toi, Gessler !

GESSLER

Tremble !

GUILLAUME

(embrassant son fils)

Je n'ai plus peur.

GESSLER

Rodolphe, qu'on l'enchaîne !

Scène quatrième

Les mêmes, Mathilde, Pages de sa suite.

MATHILDE

Qu'ai-je appris ? sacrifice affreux !

SUISSES

Faut-il encor trembler pour eux ?

SOLDATS

Ils doivent périr tous les deux.

GESSLER

(à Mathilde)

Je n'abrégerai point des jours si misérables,

je l'ai promis; mais tous deux sont coupables,

et tous deux dans les fers attendront le trépas.

MATHILDE

Quoi ! son fils ?... un enfant ! seigneur, il faut m'entendre.

GESSLER

L'ordre est donné, rien ne peut le suspendre !

Le fils aussi !

MATHILDE

Vous ne l'obtiendrez pas.

Au nom de l'empereur, je le prends sous ma garde.

Quand tout un peuple indigné nous regarde,

osez l'arracher de mes bras !

RODOLPHE

Cédez; Guillaume au moins nous reste.

FEMMES DE MATHILDE

Heureux secours ! bonté céleste !

SOLDATS

Cédons: Guillaume au moins nous reste.

SUISSE

Pour toi, Guillaume, ô sort funeste !

Des fers puniront ta vertu.

RODOLPHE

Ils murmurent, les entends-tu ?

GESSLER

L'audace du captif a passé dans leur haine.

Sur les eaux, cette nuit, vers Kusnac je l'entraîne.

RODOLPHE

Sur les eaux; mais les vents, l'orage ?...

GESSLER

(En montrant Guillaume enchainé.)

Vain effroi !

L'habile nautonier n'est-il pas avec moi ?

Au château-fort, que le lac environne

l'attend un supplice nouveau.

PEUPLE

Grâce ! grâce !

GESSLER

Apprenez comment Gessler pardonne:

aux reptiles je l'abandonne,

et leur horrible faim lui répond d'un tombeau.

JEMMY

O mon père !

GUILLAUME

O Jemmy !

PEUPLE

Grâce !

GESSLER

Jamais !

MATHILDE

Barbare !

Ensemble

MATHILDE

C'est sa mort qu'il prépare:

de son fils je m'empare,

qu'il s'éloigne avec nous !

JEMMY

(à Mathilde)

Quand l'ordre d'un barbare

d'un père me sépare,

le seconderez-vous ?

GUILLAUME

Quand ma mort se prépare,

que mon fils, ô barbare !

se dérobe à tes coups !

GESSLER

L'audace les égare:

de leur sang être avare,

c'est te perdre avec nous.

SOLDATS

(à Gessler)

L'audace les égare:

de leur sang être avare

c'est trahir mon courroux

RODOLPHE

L'audace les égare:

de leur sang être avare,

c'est te perdre avec nous.

GESSLER

Peuple, qu'on se retire,

ou le coupable expire:

(Touchant sa dague.)

j'en atteste ce fer !

(A ces mots succède un moment de stupeur parmi le peuple.)

GESSLER

(à demi-voix)

Ils gardent le silence,

ils craignent ma vengeance.

SOLDATS

Ils gardent le silence,

ils craignent sa vengeance.

SUISSES

Assurons en silence

les coups de la vengeance.

GUILLAUME

(d'une voix très forte et secouant ses chaînes)

Anathème à Gessler !

RODOLPHE, SOLDATS

Subir tant d'insolence,

o tourments de l'enfer !

SUISSE

(s'agitant et se rapprochant)

Ecoutez la sentence:

anathème à Gessler !

GESSLER

(montrant les Suisses)

Si l'un d'entre eux s'avance,

(Designant Tell.)

qu'il tombe sous le fer !

Ensemble

SOLDATS

Vive, vive Gessler !

SUISSES

(sur la place, sur les yoits, sur les arbres)

Anathème à Gessler !

Acte quatrième
Scène première

Habitation du vieux Melchthal.
Arnold, seul.

Ne m'abandonne point, espoir de la vengeance !

Guillaume est dans les fers, et mon impatience

presse le moment des combats.

Dans cette enceinte quel silence !

J'écoute: je n'entends que le bruit de mes pas.

Entrons... Quelle terreur secrète !

Devant le seuil, malgré moi je m'arrête;

je n'y rentrerai pas.

Asile héréditaire,

où mes yeux s'ouvrirent au jour,

hier encor, ton abri tutélaire

offrait un père à mon amour.

J'appelle en vain, douleur amère !...

J'appelle, il n'entend plus ma voix !

Murs chéris qu'habitait mon père,

je viens vous voir pour la dernière fois !

CHŒUR

(en dehors)

Vengeance !

ARNOLD

Quel espoir ! j'entends des cris d'alarmes.

Ce sont mes compagnons, je les vois accourir.

Scène deuxième

Arnold, Confédérés.

LE CHŒUR

Guillaume est prisonnier et nous sommes sans armes !

Nous voulons tous le secourir.

Des armes ! des armes !

Et nous saurons mourir.

ARNOLD

Dès long-temps, Guillaume et mon père

ont prévu l'heure des combats:

sous le rocher, au fond du châlet solitaire,

courez armer vos bras.

LE CHŒUR

Courons armer nos bras.

ARNOLD

Non, plus de larmes inutiles,

plus de plaintes stériles:

Gessler, tu périras !

Pour toi, qui prives ma tendresse

de mon père et de ma maîtresse,

est-ce assez que le trépas ?

LE CHŒUR

(en rentrant)

Melchthal, que ton espoir renaisse !

Enfin le glaive arme nos bras.

ARNOLD

Amis, amis, secondez ma vengeance:

si notre chef est dans les fers,

brisons-les avec notre lance;

d'Altdorf les chemins sont ouverts.

Suivez-moi: d'un monstre perfide,

trompons l'espérance homicide;

arrachons Guillaume à ses coups !

D'un tyran cruel et perfide

trompons l'espérance homicide:

cette tâche est digne de vous.

LE CHŒUR

D'un tyran cruel et perfide,

trompons l'espérance homicide:

cette tâche est digne de nous.

Ensemble

ARNOLD

Sur mes pas,

aux combats !

Ou la victoire ou le trépas !

LE CHŒUR

Sur tes pas,

aux combats !

Ou la victoire ou le trépas !

(Ils sortent.)

Scène troisième

Vue de rocher situé au pied de l'Achsenberg; il est baigné par le lac des Quatre-Cantons. Des nuages épais, précurseurs de la tempête, bornent l'horizon. On découvre pourtant sur une haute éminence la maison de Tell. Dans cette enceinte, herissée d'écueils, les flots se brisent avec furie.
Hedwige, Femmes, Suisses.

CHŒUR DE FEMMES

Où vas-tu ? ta douleur t'égare.

N'entends-tu pas nos ennemis ?

HEDWIGE

Je veux voir Gessler: je les suis.

LE CHŒUR

Et qu'obtiendras-tu du barbare ?

HEDWIGE

La mort ! je la désire. Il triomphe, et je vis,

quand je n'ai plus d'époux, quand je n'ai plus de fils !

Scène quatrième

Les mêmes, Mathilde, Jemmy, Pages de la suite de la princesse.

JEMMY

(hors de la scène)

Ma mère !

HEDWIGE

On a parlé ! cette voix douce et tendre...

JEMMY

Ma mère !

HEDWIGE

Je crois l'entendre !

C'est lui ! c'est mon enfant ! ô bonheur ! Mais, hélas !

Ton père ne suit point tes pas.

JEMMY

À son indigne chaîne il saura se soustraire:

(en montrant Mathilde)

crois-en notre appui tutélaire.

HEDWIGE

Princesse, en l'écoutant, je ne vous voyais pas.

O protectrice auguste et chère,

Hedwige tombe à vos genoux !

MATHILDE

Je rends à vostre amour un fils digne de vous.

Ce fils, malgré son âge,

est grand par son courage;

et quand ma voix présage

un terme à vos douleurs,

ce n'est qu'un juste hommage

offert à vos malheurs.

HEDWIGE, JEMMY

Mathilde à nos châlets promet des jours plus doux.

Du ciel après l'orage

elle est pour nous l'image;

et quand sa voix présage

un terme à nos douleurs,

l'espoir prend son langage

et vient sécher nos pleurs.

HEDWIGE

Quoi ! dans nos maux, acceptant un partage,

vous demeurez sur ce triste rivage,

vous, l'ornement, vous, l'orgueil d'une cour !

MATHILDE

De Guillaume captif je veux être l'otage,

et ma présence ici répond de son retour.

HEDWIGE

Son retour ! n'est-ce point une espérance vaine ?

D'Altdorf que ne l'arrachons-nous ?

JEMMY

Il n'est plus dans Altdorf.

MATHILDE

Sur le lac on l'entraîne.

HEDWIGE

Sur le lac ? et déjà l'ouragan se déchaîne:

partout la mort pour mon époux !

JEMMY

Quel souvenir m'éclaire !

Réparons un oubli fatal;

que de la liberté brille enfin le signal !

HEDWIGE

Qu'espères-tu ?

JEMMY

Sauver mon père.

Tout un peuple se lève à ce feu tutélaire;

et quels que soient les bords où Gessler descendra,

la vengeance l'y recevra !

(il sort)

Scène cinquième

Les mêmes, moins Jemmy.

MATHILDE

Quel bruit éclate sur nos têtes ?

HEDWIGE

C'est la mort qui s'avance à la voix des tempêtes:

Guillaume périra !...

Toi, qui du faible es l'espérance,

sauve Guillaume, ô Providence !

Dans leurs projets, dans leur vengeance,

trompe et confonds nos ennemis.

Brise le joug qui nous opprime;

dans l'oppresseur punis le crime,

sauve Guillaume ! Il meurt victime

de son amour pour son pays.

HEDWIGE, MATHILDE, CHŒUR

Sauve Guillaume ! il meurt victime

de son amour pour son pays.

Scène sixième

Les mêmes, Leuthold.

LEUTHOLD

Je l'ai vu, je l'ai vu ! Guillaume sur ces rives

par la tempête est rejeté.

Ses mains cessent d'être captives:

le gouvernail cède à sa volonté.

HEDWIGE

Si Guillaume, malgré l'orage,

peut approcher de ce rivage,

je réponds de sa liberté.

MATHILDE

Courons à lui.

TOUS

Courons à lui.

Scène septième

Guillaume, Gessler, Soldats.

CHŒUR DES SOLDATS

(dans la barque)

Vers la rive prochaine

la vague nous entraîne:

d'une mort trop certaine,

Guillaume, sauve-nous !

GESSLER

Guillaume, sauve-nous !

GUILLAUME

(abordant et repoussant du pied la barque au milieu des vagues)

Non, vous périrez tous !

Toi qui voulais des fronts serviles

obtenir un lâche respect,

commande aux vagues indociles

de se courber à ton aspect !

Scène huitième

Guillaume, Hedwige, Jemmy.

HEDWIGE

Je te revois !

JEMMY

Mon père !

HEDWIGE

O retour plein de charmes !

GUILLAUME

(montrant la maison qui brûle)

Quelle flamme brille à mes yeux ?

JEMMY

Au défaut d'un bûcher d'alarmes,

moi-même j'embrasai le toit de nos aïeux.

Mais du moins j'ai sauvé tes armes.

GUILLAUME

(saisissant l'arc et la flèche qu'on lui présente)

Gessler, tu peux venir !

Scène neuvième

Les mêmes, Gessler, Soldats.

CHŒUR DES SOLDATS

En vain il veut nous fuir:

suivons, suivons sa trace.

GESSLER

Qu'il ne trouve sa grâce

que dans le coup mortel !

GESSLER, GARDES

Qu'il ne trouve sa grâce

que dans le coup mortel !

HEDWIGE

C'est lui !

GUILLAUME

(à sa femme et à son fils)

Retirez-vous; que la Suisse respire !

À toi, Gessler !

GESSLER

(frappé au haut du rocher)

J'expire !

C'est la flèche de Tell !

(il tombe dans le lac)

LES GARDES

(fuyant)

C'est la flèche de Tell !

JEMMY, HEDWIGE

O jour de délivrance !

Sa mort termine enfin nos maux.

GUILLAUME

De dieu reconnais l'assistance.

JEMMY

Rien n'a pu le soustraire au trait de la vengeance:

ses richesses ni sa puissance,

ses supplices ni ses bourreaux.

Scène dixième

Les mêmes, Walter, confédérés, Mathilde.

WALTER

À ces signaux de flamme enfin cessons de craindre;

il faut du sang pour les éteindre,

il faut le sang de l'oppresseur.

Mais, que vois-je ? Guillaume ! il est libre, ô bonheur !

Volons vers le tyran !

GUILLAUME

Que veux-tu ?

WALTER

Qu'il succombe !

GUILLAUME

Dans le lac va chercher sa tombe !

Mathilde entre à cette réponse de Guillaume.

JEMMY, HEDWIGE

Honneur, honneur,

au bras libérateur !

TOUS

Honneur, honneur,

au bras libérateur !

GUILLAUME

Point de vaine espérance,

tant que d'Altdorf les créneaux orgueilleux

commanderont à notre obéissance.

Scène onzième

Les mêmes, Arnold, le reste des trois cantons.

ARNOLD

(présentant à Guillaume le drapeau qui flottait au troisième acte sur le château d'Altdorf)

Tu n'as plus à former de vœux,

Altdorf est en notre puissance !

TOUS

Victoire ! Altdorf est en notre puissance !

ARNOLD

Vous ici, Mathilde ?

MATHILDE

Oui, c'est moi:

des fausses grandeurs détrompée,

ton égale je te revois;

et, m'appuyant sur ton épée,

jusqu'à la liberté je m'élève avec toi.

ARNOLD

Pourquoi ta présence, ô mon père !

Manque-t-elle au bonheur de l'Helvétie entière ?

L'orage, entièrement dissipé, laisse voir, dans toute sa beauté, une partie de la Suisse. Une moltitude de barques pavoisées voguent sur le lac des Quatre-Cantons. Les montagnes qui dominent Fluelen, et surmontées encore par les grands glaciers frappés des rayons du soleil, couronnent le tableau.

GUILLAUME

Tout change et grandit en ces lieux.

Quel air pur !

HEDWIGE

Quel jour radieux !

JEMMY

Au loin quel horizon immense !

MATHILDE

Oui, la nature sous nos yeux

déroule sa magnificence.

GUILLAUME

À nos accents religieux,

liberté, redescends des cieux,

et que ton règne recommence !

TOUS

Liberté, redescends des cieux,

et que ton règne recommence !

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième Acte deuxième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Acte troisième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Acte quatrième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième