Acte cinquième

 

Scène première

Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide.
Renaud, Armide.

 Q 

Renaud, Armide

 

RENAUD

(sans armes, et paré de guirlandes de fleurs)  

Armide, vous m'allez quiter !

ARMIDE

J'ai besoin des enfers, je vai les consulter;

mon art veut de la solitude.

L'amour que j'ai pour vous cause l'inquiétude,

dont mon cœur se sent agiter.

RENAUD

Armide vous m'allez quitter !

ARMIDE

Voiez en quels lieux que je vous laisse.

RENAUD

Puis-je rien voir que vos appas ?

ARMIDE

Les plaisirs vous suivront sans cesse.

RENAUD

En et-til, où vous n'êtes pas ?

ARMIDE

Un noir pressentiment me trouble et me tourmente,

il m'annonce un malheur que je veux prévenir;

et plus notre bonheur m'enchante,

plus je crains de la voir finir.

RENAUD

D'une vaine terreur pouvez-vous être atteinte,

vous qui faites trembler le ténébreux sejour ?

ARMIDE

Vous m'aprenez à connoître l'amour,

l'amour m'aprend à connoître la crainte.

Vous brûliez pour la gloire avant de m'aimer,

vous la cherchiez par tout d'une ardeur sans égale;

la gloire est une rivale

qui doit toûjours m'allarmer.

RENAUD

Que j'étois insensé de croire

qu'un vain laurier, donné par la victoire,

de tous les biens fut le plus precieux !

Tout l'éclat dont brille la gloire

vaut-il un regard de vos yeux ?

Est-il un bien si charmant et si rare

que celui dont l'amour veut combler mon espoir ?

ARMIDE

La sévère raison et le devoir barbare

sur les heros n'ont que trop de pouvoir.

RENAUD

J'en suis plus amoureux plus la raison m'éclaire:

vous aimer, belle Armide, est mon premier devoir.

Je fais ma gloire de vous plaire,

et tout mon bonheur de vous voir.

ARMIDE

Que sous d'aimables loix mon ame est asservie !

RENAUD

Qu'il m'est doux de vous voir partager ma langueur !

ARMIDE

Qu'il m'est doux d'enchaîner un si fameux vainqueur !

RENAUD

Que mes fers sont dignes d'envie !

RENAUD, ARMIDE

Aimons-nous, tout nous y convie.

Ah ! si vous aviez la rigueur

de m'ôter votre cœur,

vous m'ôteriez la vie.

RENAUD

Non, je perdrai plûtôt le jour

que d'éteindre ma flâme.

ARMIDE

Non, rien ne peut changer mon ame.

RENAUD

Non, je perdrai plûtôu le jour,

que de ma dégager d'un si charmant amour.

RENAUD, ARMIDE

(chantent ensemble les derniers vers qu'il ont chantez séparément)

Non, je perdrai plûtôt le jour

que d'éteindre ma flâme;

non, rien ne peut changer mon ame.

Non, je perdrai plûtôu le jour,

que de ma dégager d'un si charmant amour.

ARMIDE

Témoins de notre amour extrême,

vous, qui suivez mes loix dans ce sejour heureux,

jusques à mon retour par d'agreables jeux,

occupez le heros que j'aime.

 
Les Plaisirs, et une Troupe d'amans fortunez, et d'amantes heureuses, viennent divertir Renaud par des chants et par des danses.

Armide ->

 

Scène seconde

Renaud, les Plaisirs, Troupe d'amans fortunez et d'amantes heureuses.

<- Plaisirs, Amans fortunez, Amantes heureuses, Un amant fortuné

 

UN AMANT FORTUNÉ, CHŒURS

Les plaisirs ont choisi pour azile  

ce sejour agreable et tranquile.

Que ces lieux sont charmans,

pour les heurex amans !

C'est l'amour qui retient dans ses chaines

mille oiseaux qu'en nos bois nuit et jour on entend.

Si l'amour ne causoit que des peines,

les oiseaux amoureux ne chanteroient pas tant.

Jeunes cœurs, tout vous est favorable,

profitez d'un bonheur peu durable.

Dans l'hiver de nos ans, l'amour ne règne plus.

Les beaux jours que l'on perd sont pour jamais perdus !

Les plaisirs ont choisi pour azile

ce sejour agreable et tranquile.

Que ces lieux sont charmans,

pour les heurex amans !

 

RENAUD

Allez, éloignez-vous de moi,  

doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.

Sans la beauté qui me retient sous sa loi,

rien ne me plaît, tout augmente ma peine.

Allez, éloignez-vous de moi,

doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.

 
Les Plaisirs, les armans fortunez et les amantes heureuses se retirent.

Plaisirs, Amans fortunez, Amantes heureuses, Un amant fortuné ->

 

Scène troisième

Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois.

<- Ubalde, Chevalier Danois

 

UBALDE

Il est seul; profitons d'un tems si precieux.  

(Ubalde presente le bouclier de diamant aux yeux de Renaud.)

RENAUD

Que vois-je! quel éclat me vient fraper les yeux ?

UBALDE

Le ciel veut vous faire connoître

l'erreur dont vos sens sont séduits.

RENAUD

Ciel! quelle honte de paroître

dans l'indigne état où je suis!

UBALDE

Notre general vous rappelle;

la victoire vous garde une palme immortelle.

Tout doit presser votre retour.

De cent divers climats chacun court à la guerre;

Renaud seul, au bout de la terre,

caché dans un charmant sejour,

veut-il suivre un honteux amour ?

RENAUD

Vains ornemens d'une indigne mollesse,

ne m'offrez plus vos frivoles attraits:

restes honteux de ma foiblesse,

allez, quittez-moi pour jamais.

 
Renaud arrache les guirlandes de fleurs et les autres ornemens inutiles dont il est paré. Il reçoit le bouclier de diamans que lui donne Ubalde, et une épée que lui presente le Chevalier Danois.
 

CHEVALIER DANOIS

Dérobez-vous aux pleurs d'Armide,

c'est l'unique danger dont votre ame intrepide

a besoin de se garentir

dans ces lieux enchantez la volupté preside,

vous n'en sçauriez trop tôt sortir.

RENAUD

Allons, hâtons-nous de partir.

 

Scène quatrième

Armide, Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois.

<- Armide

 

ARMIDE

(suivant Renaud)  

Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !

Vous partez ! Renaud ! vous partez !

Démons, suivez ses pas, volez, et l'arrêtez.

Helas ! tout me trahit, et ma puissance est vaine !

Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !

Vous partez ! Renaud ! vous partez !

(Renaud s'arrête pour écouter Armide qui continuë à lui parler.)

RENAUD

Si je ne vous voi plus, croiez-vous que je vive ?

Ai-je pû mériter un si cruel tourment ?

Au moins, comme ennemi, si ce n'est comme amante,

emmenez Armide captive.

J'irai dans mes combats, j'irai m'offrir aux coups

qui seront destinez pour vous:

Renaud, pourvû que je vous suive,

le sort le plus affreux me paroîtra trop doux.

Armide, il est tems que j'évite

le péril trop charmant que je trouve à vous voir.

La gloire veut que je vous quitte,

elle ordonne à l'amour de ceder au devoir.

Si vous souffrez, vous pouvez croire

que je m'éloigne à regret de vos yeux,

vous regnerez toujours dans ma memoire;

vous serez aprés la gloire

ce que j'aimerai le mieux.

ARMIDE

Non, jamais de l'amour tu n'as senti le charme.

Tu te plais à causer de funestes malheurs.

Tu m'entends soûpirer, tu vois couler mes pleurs,

sans me rendre un soûpir, sans verser une larme.

Par les nœuds les plus doux je te conjure en vain;

tu suis un fier devoir, tu veux qu'il nous sépare.

Non, non, ton cœur n'a rien d'humain,

le cœur d'un tigre est moins barbabre.

Je mourrai si tu pars, et tu n'en peux douter:

ingrat, sans toi je ne puis vivre,

mais aprés mon trépas, ne croi pas éviter

mon ombre obstinée à te suivre.

Tu la verras s'armer contre ton cœur sans foi,

tu la trouveras inflexible !

Comme tu l'as été pour moi;

et sa fureur, s'il est possible,

egalera l'amour dont j'ai brûlé pour toi...

Ah ! la lumiere m'est ravie !

Barbare, es-tu content ?

Tu jouïs, en partant,

du plaisirs de m'ôter la vie.

 
Armide tombe et s'évanoüit.
 

RENAUD

Trop malheureuse Armide, helas !

Que ton destin est déplorable !

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Il faut partir, hâtez vos pas,

la gloire attend de vous un cœur inébranlable.

RENAUD

Non, la gloire n'ordonne pas

qu'un grand cœur soit impitoiable.

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Il faut vous arracher aux dangereux appas

d'un objet trop aimable.

RENAUD

Trop malheureuse Armide, helas !

Que ton destin est déplorable !

Renaud, Ubalde, Chevalier Danois ->

 

Scène cinquième et dernière

Armide seule.

 

Le perfide Renaud me fuit;    

tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.

Il me laisse mourante, il veut que je périsse,

à regret je revoi la clarté qui me luit;

l'horreur de l'éternelle nuit

cede à l'horreur de mon supplice.

Le perfide Renaud me fuit:

tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.

Quand le barbare étoit en ma puissance,

que n'ai-je cru la haine et la vangeance !

Que n'ai-je suivi leurs transports !

Il m'échape, il s'éloigne, il va quiter ces bords;

il brave l'enfer et ma rage;

il est déja prés du rivage,

je fais pour m'y traîner d'inutiles efforts.

Traître, attend ~ je le tiens, je tiens son cœur perfide.

Ah ! je l'immole à ma fureur ! ~

Que dis-je ! où suis-je ! helas ! infortunée Armide !

Où t'emporte une aveugle erreur ?

L'espoir de la vangeance est le seul qui me reste.

Fuyez, plaisirs, fuyez, perdez tous vos attraits.

Démons, détruisez ce palais.

Partons, et s'il se peut, que mon amour funeste

demeure enseveli dans ces lieux pour jamais.

S

Sfondo schermo () ()

 
Les démons détruisent le palais enchanté, et Armide part sur un char volant.

Armide ->

 

Fin (Acte cinquième)

Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide

Renaud, Armide
 

Armide, vous m'allez quiter!

Renaud
Armide ->
Renaud
<- Plaisirs, Amans fortunez, Amantes heureuses, Un amant fortuné
Un amant fortunez, Chœurs
Les plaisirs ont choisi pour azile

Allez, éloignez-vous de moi

Renaud
Plaisirs, Amans fortunez, Amantes heureuses, Un amant fortuné ->
Renaud
<- Ubalde, Chevalier Danois

Il est seul; profitons d'un tems si precieux

Renaud, Ubalde, Chevalier Danois
<- Armide

Renaud! ciel! ô mortelle peine!

Armide
Renaud, Ubalde, Chevalier Danois ->
Armide ->
 
Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième et dernière
Un palais. Une grande Place ornée d'un arc de triomphe. Une campagne, où une riviere forme une isle agreable Le théatre represente un desert Une vapeur s'élève et se répand dans le desert qui a paru au troisième acte. Des antres et des... Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide
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