|
|
Scène première |
Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide. Renaud, Armide. |
Q
Renaud, Armide
|
| |
RENAUD |
(sans armes, et paré de guirlandes de fleurs)
Armide, vous m'allez quiter !
| |
ARMIDE |
J'ai besoin des enfers, je vai les consulter;
mon art veut de la solitude.
L'amour que j'ai pour vous cause l'inquiétude,
dont mon cœur se sent agiter.
| |
RENAUD |
Armide vous m'allez quitter !
| |
ARMIDE |
Voiez en quels lieux que je vous laisse.
| |
RENAUD |
Puis-je rien voir que vos appas ?
| |
ARMIDE |
Les plaisirs vous suivront sans cesse.
| |
RENAUD |
En et-til, où vous n'êtes pas ?
| |
ARMIDE |
Un noir pressentiment me trouble et me tourmente,
il m'annonce un malheur que je veux prévenir;
et plus notre bonheur m'enchante,
plus je crains de la voir finir.
| |
RENAUD |
D'une vaine terreur pouvez-vous être atteinte,
vous qui faites trembler le ténébreux sejour ?
| |
ARMIDE |
Vous m'aprenez à connoître l'amour,
l'amour m'aprend à connoître la crainte.
Vous brûliez pour la gloire avant de m'aimer,
vous la cherchiez par tout d'une ardeur sans égale;
la gloire est une rivale
qui doit toûjours m'allarmer.
| |
RENAUD |
Que j'étois insensé de croire
qu'un vain laurier, donné par la victoire,
de tous les biens fut le plus precieux !
Tout l'éclat dont brille la gloire
vaut-il un regard de vos yeux ?
Est-il un bien si charmant et si rare
que celui dont l'amour veut combler mon espoir ?
| |
ARMIDE |
La sévère raison et le devoir barbare
sur les heros n'ont que trop de pouvoir.
| |
RENAUD |
J'en suis plus amoureux plus la raison m'éclaire:
vous aimer, belle Armide, est mon premier devoir.
Je fais ma gloire de vous plaire,
et tout mon bonheur de vous voir.
| |
ARMIDE |
Que sous d'aimables loix mon ame est asservie !
| |
RENAUD |
Qu'il m'est doux de vous voir partager ma langueur !
| |
ARMIDE |
Qu'il m'est doux d'enchaîner un si fameux vainqueur !
| |
RENAUD |
Que mes fers sont dignes d'envie !
| |
RENAUD, ARMIDE |
Aimons-nous, tout nous y convie.
Ah ! si vous aviez la rigueur
de m'ôter votre cœur,
vous m'ôteriez la vie.
| |
RENAUD |
Non, je perdrai plûtôt le jour
que d'éteindre ma flâme.
| |
ARMIDE |
Non, rien ne peut changer mon ame.
| |
RENAUD |
Non, je perdrai plûtôu le jour,
que de ma dégager d'un si charmant amour.
| |
RENAUD, ARMIDE |
(chantent ensemble les derniers vers qu'il ont chantez séparément)
Non, je perdrai plûtôt le jour
que d'éteindre ma flâme;
non, rien ne peut changer mon ame.
Non, je perdrai plûtôu le jour,
que de ma dégager d'un si charmant amour.
| |
ARMIDE |
Témoins de notre amour extrême,
vous, qui suivez mes loix dans ce sejour heureux,
jusques à mon retour par d'agreables jeux,
occupez le heros que j'aime.
| |
| |
Les Plaisirs, et une Troupe d'amans fortunez, et d'amantes heureuses, viennent divertir Renaud par des chants et par des danses. | Armide ->
|
|
|
Scène seconde |
Renaud, les Plaisirs, Troupe d'amans fortunez et d'amantes heureuses. |
<- Plaisirs, Amans fortunez, Amantes heureuses, Un amant fortuné
|
| |
|
UN AMANT FORTUNÉ, CHŒURS
Les plaisirs ont choisi pour azile
ce sejour agreable et tranquile.
Que ces lieux sont charmans,
pour les heurex amans !
C'est l'amour qui retient dans ses chaines
mille oiseaux qu'en nos bois nuit et jour on entend.
Si l'amour ne causoit que des peines,
les oiseaux amoureux ne chanteroient pas tant.
Jeunes cœurs, tout vous est favorable,
profitez d'un bonheur peu durable.
Dans l'hiver de nos ans, l'amour ne règne plus.
Les beaux jours que l'on perd sont pour jamais perdus !
Les plaisirs ont choisi pour azile
ce sejour agreable et tranquile.
Que ces lieux sont charmans,
pour les heurex amans !
| |
| |
RENAUD |
Allez, éloignez-vous de moi,
doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.
Sans la beauté qui me retient sous sa loi,
rien ne me plaît, tout augmente ma peine.
Allez, éloignez-vous de moi,
doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.
| |
| |
Les Plaisirs, les armans fortunez et les amantes heureuses se retirent. | Plaisirs, Amans fortunez, Amantes heureuses, Un amant fortuné ->
|
|
|
Scène troisième |
Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois. |
<- Ubalde, Chevalier Danois
|
| |
UBALDE |
Il est seul; profitons d'un tems si precieux.
(Ubalde presente le bouclier de diamant aux yeux de Renaud.)
| |
RENAUD |
Que vois-je! quel éclat me vient fraper les yeux ?
| |
UBALDE |
Le ciel veut vous faire connoître
l'erreur dont vos sens sont séduits.
| |
RENAUD |
Ciel! quelle honte de paroître
dans l'indigne état où je suis!
| |
UBALDE |
Notre general vous rappelle;
la victoire vous garde une palme immortelle.
Tout doit presser votre retour.
De cent divers climats chacun court à la guerre;
Renaud seul, au bout de la terre,
caché dans un charmant sejour,
veut-il suivre un honteux amour ?
| |
RENAUD |
Vains ornemens d'une indigne mollesse,
ne m'offrez plus vos frivoles attraits:
restes honteux de ma foiblesse,
allez, quittez-moi pour jamais.
| |
| |
Renaud arrache les guirlandes de fleurs et les autres ornemens inutiles dont il est paré. Il reçoit le bouclier de diamans que lui donne Ubalde, et une épée que lui presente le Chevalier Danois. | |
| |
CHEVALIER DANOIS |
Dérobez-vous aux pleurs d'Armide,
c'est l'unique danger dont votre ame intrepide
a besoin de se garentir
dans ces lieux enchantez la volupté preside,
vous n'en sçauriez trop tôt sortir.
| |
RENAUD |
Allons, hâtons-nous de partir.
| |
|
|
Scène quatrième |
Armide, Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois. |
<- Armide
|
| |
ARMIDE |
(suivant Renaud)
Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !
Vous partez ! Renaud ! vous partez !
Démons, suivez ses pas, volez, et l'arrêtez.
Helas ! tout me trahit, et ma puissance est vaine !
Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !
Vous partez ! Renaud ! vous partez !
| |
| (Renaud s'arrête pour écouter Armide qui continuë à lui parler.) | |
RENAUD |
Si je ne vous voi plus, croiez-vous que je vive ?
Ai-je pû mériter un si cruel tourment ?
Au moins, comme ennemi, si ce n'est comme amante,
emmenez Armide captive.
J'irai dans mes combats, j'irai m'offrir aux coups
qui seront destinez pour vous:
Renaud, pourvû que je vous suive,
le sort le plus affreux me paroîtra trop doux.
Armide, il est tems que j'évite
le péril trop charmant que je trouve à vous voir.
La gloire veut que je vous quitte,
elle ordonne à l'amour de ceder au devoir.
Si vous souffrez, vous pouvez croire
que je m'éloigne à regret de vos yeux,
vous regnerez toujours dans ma memoire;
vous serez aprés la gloire
ce que j'aimerai le mieux.
| |
ARMIDE |
Non, jamais de l'amour tu n'as senti le charme.
Tu te plais à causer de funestes malheurs.
Tu m'entends soûpirer, tu vois couler mes pleurs,
sans me rendre un soûpir, sans verser une larme.
Par les nœuds les plus doux je te conjure en vain;
tu suis un fier devoir, tu veux qu'il nous sépare.
Non, non, ton cœur n'a rien d'humain,
le cœur d'un tigre est moins barbabre.
Je mourrai si tu pars, et tu n'en peux douter:
ingrat, sans toi je ne puis vivre,
mais aprés mon trépas, ne croi pas éviter
mon ombre obstinée à te suivre.
Tu la verras s'armer contre ton cœur sans foi,
tu la trouveras inflexible !
Comme tu l'as été pour moi;
et sa fureur, s'il est possible,
egalera l'amour dont j'ai brûlé pour toi...
Ah ! la lumiere m'est ravie !
Barbare, es-tu content ?
Tu jouïs, en partant,
du plaisirs de m'ôter la vie.
| |
| |
Armide tombe et s'évanoüit. | |
| |
RENAUD |
Trop malheureuse Armide, helas !
Que ton destin est déplorable !
| |
UBALDE, CHEVALIER DANOIS |
Il faut partir, hâtez vos pas,
la gloire attend de vous un cœur inébranlable.
| |
RENAUD |
Non, la gloire n'ordonne pas
qu'un grand cœur soit impitoiable.
| |
UBALDE, CHEVALIER DANOIS |
Il faut vous arracher aux dangereux appas
d'un objet trop aimable.
| |
RENAUD |
Trop malheureuse Armide, helas !
Que ton destin est déplorable !
| Renaud, Ubalde, Chevalier Danois ->
|
|
|
Scène cinquième et dernière |
Armide seule. |
|
| |
|
Le perfide Renaud me fuit;
tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.
Il me laisse mourante, il veut que je périsse,
à regret je revoi la clarté qui me luit;
l'horreur de l'éternelle nuit
cede à l'horreur de mon supplice.
Le perfide Renaud me fuit:
tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.
Quand le barbare étoit en ma puissance,
que n'ai-je cru la haine et la vangeance !
Que n'ai-je suivi leurs transports !
Il m'échape, il s'éloigne, il va quiter ces bords;
il brave l'enfer et ma rage;
il est déja prés du rivage,
je fais pour m'y traîner d'inutiles efforts.
Traître, attend ~ je le tiens, je tiens son cœur perfide.
Ah ! je l'immole à ma fureur ! ~
Que dis-je ! où suis-je ! helas ! infortunée Armide !
Où t'emporte une aveugle erreur ?
L'espoir de la vangeance est le seul qui me reste.
Fuyez, plaisirs, fuyez, perdez tous vos attraits.
Démons, détruisez ce palais.
Partons, et s'il se peut, que mon amour funeste
demeure enseveli dans ces lieux pour jamais.
| S
(♦)
(♦)
|
| |
Les démons détruisent le palais enchanté, et Armide part sur un char volant. | Armide ->
|
| |