ARMIDE
Tragedie en musique.
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Livret de Philippe QUINAULT.
Musique de Jean-Baptiste LULLY.
Première représentation : 15 fevrier 1686, Paris.
Personnages:
Du prologue | |
LA GLOIRE |
soprano |
LA SAGESSE |
soprano |
De la tragedie | |
ARMIDE magicienne, niéce d'Hidraot |
soprano |
PHÉNICE confidente d'Armide |
soprano |
SIDONIE autre confidente d'Armide |
soprano |
HIDRAOT magicien, roi de Damas |
basse |
ARONTE conducteur des chevaliers qu'Armide a fait mettre aux fers |
basse |
RENAUD le plus renommé des chevaliers du camp de Godefroy |
ténor |
ARTÉMIDORE l'un des chevaliers captifs d'Armide, et que Renaud a delivrez |
ténor |
LA HAINE |
basse |
UBALDE chevalier qui va chercher Renaud |
basse |
Le CHEVALIER DANOIS chevalier qui va, avec Ubalde, chercher Renaud |
ténor |
LUCINDE dame des pensées de le Chevalier Danois |
soprano |
MELISSE fille Italienne aimée d'Ubalde |
soprano |
UN AMANT FORTUNÉ |
baryton |
UNE BERGÈRE heroïques |
soprano |
UNE NAYADE |
soprano |
Du prologue:
Troupe de Heros qui suivent la Gloire.
Troupe de Nymphes qui suivent la Sagesse.
De la tragedie:
Les plaisirs, Troupe de peuples du royaume de Damas, Troupe de démons, Suite de La Haine, Les furies, La Cruauté, La Vangeance, La Rage.
Au roy
Sire,
de toutes les tragédies que j'ay mises en musique voicy celle dont le public a tesmoigné être le plus satisfait: c'est un spectacle où l'on court en foule, et jusqu'icy on n'en a point veu qui ait reçeu plus d'applaudissements; cependant, c'est de tous les ouvrages que j'ay faits celui que j'estime le moins heureux, puisqu'il n'a pas encore eû l'avantage de paroistre devant vostre majesté. Vos ordres, sire, m'ont engagé d'y travailler avec soin et avec empressement: un mal dangereux dont j'ai esté surpris n'a pas esté capable d'interrompre mon travail, et le désir ardent que j'avois de l'achever dans le temps que vostre majesté le souhaittoit, m'a fait oublier le péril où j'estois exposé, et m'a touché plus vivement que les plus violentes douleurs que j'ay souffertes. Mais que me sert-il, sire, d'avoir fait tant d'efforts pour me haster de vous offrir ces nouveaux concerts ? Vostre majesté ne s'est pas trouvée en estat de les entendre, et elle n'en a voulu prendre d'autre plaisir que celui de les faire servir au divertissement de ses peuples. J'avoüeray que les louanges de tout Paris ne me suffisent pas; ce n'est qu'à vous, sire, que je veux consacrer toutes les productions de mon génie; je ne puis aspirer à un moindre prix qu'à la gloire de vous plaire, et sans l'approbation de votre majesté, je compte pour rien celle de tout le reste du monde. Permettez, sire, que dans l'impatience où je suis de vous offrir cet opéra, je vous le présente sur le papier en attendant qu'il me soit permis de vous le faire voir sur le théatre, et souffrez que je me serve de cette occasion pour renouveler la protestation d'estre toute ma vie avec un zele très ardent et un très profond respect,
sire, de vostre majesté le très-humble, très-obeïssant et très-fidelle serviteur et sujet,
Lully
Le theatre represente un palais.
La Gloire, La Sagesse et leur suite.
LA GLOIRE
Tout doit ceder dans l'univers
à l'auguste heros que j'aime.
L'effort des ennemis, les glaces des hyvers,
les rochers, les fleuves, les mers,
rien n'arrête l'ardeur de sa valeur extrême.
LA SAGESSE
Tout doit ceder dans l'univers
à l'auguste heros que j'aime.
Il sçait l'art de tenir tous les monstres aux fers,
il est maître absolu de cent peuples divers,
et plus maître encor de lui-même.
LA GLOIRE, LA SAGESSE
Tout doit ceder dans l'univers
à l'auguste heros que j'aime.
LA SAGESSE, SUITE
Chantons la douceur de ses loix.
LA GLOIRE, SUITE
Chantons ses glorieux exploits.
LA GLOIRE, LA SAGESSE
D'une égale tendresse,
nous aimons le même vainqueur.
LA SAGESSE
Fiere Gloire, c'est vous...
LA GLOIRE
C'est vous, douce Sagesse...
LA GLOIRE, LA SAGESSE
C'est vous, qui partagez avec moi son grand cœur.
LA GLOIRE
Je l'emportois sur vous tant qu'a duré la guerre,
mais dans la paix vous l'emportez sur moi,
vous reglez en secret avec ce sage roi
le destin de toute la terre.
LA SAGESSE
La victoire a suivi ce heros en tous lieux;
mais pour montrer son amour pour la gloire
il se sert encor mieux
de la paix que de la victoire.
Au milieu du repos qu'il assûre aux humains,
il fait tomber sous ses puissantes mains
un monstre qu'on a crû si longtems invincible.
On voit dans ses travaux combien il est sensible
pour vôtre immortelle beauté;
il prévient vos desirs, il passe vôtre attente,
l'ardeur dont il vous aime incessamment s'augmente,
et n'a jamais tant éclaté.
Qu'un vain desir de préference
n'altere point l'intelligence
que ce heros entre-nous veut former:
disputons seulement à qui sçait mieux l'aimer.
La Gloire repete ce dernier vers avec la Sagesse.
LA GLOIRE, LA SAGESSE
Dés qu'on le voit paroître,
de quel cœur n'est-il point le maître ?
Qu'il est doux de suivre ses pas !
Peut-t'on le connoître
et ne l'aimer pas ?
Les Chœurs repetent ces cinq vers: la Suite de la Gloire et celle de la Sagesse témoignent par des danses la joye qu'elles ont de voir ces deux divinitez dans une intelligence parfaite.
SUITE DE LA GLOIRE, SUITE DE LA SAGESSE
Dés qu'on le voit paroître,
de quel cœur n'est-il point le maître ?
Qu'il est doux de suivre ses pas !
Peut-t'on le connoître
et ne l'aimer pas ?
LA SAGESSE
Aimons nôtre heros, que rien ne nous separe:
il nous invite aux jeux qu'on nous prepare;
nous y verrons Renaud, malgré la volupté
suivre un conseil fidelle et sage;
nous le verrons sortir du palais enchanté,
où par l'amour d'Armide il étoit arrêté,
et voler où la gloire appelle son courage.
Le grand roi qui partage entre nous les desirs
aime à nous voir même dans ses plaisirs.
LA GLOIRE
Que l'éclat de son nom s'étende au bout du monde.
Reünissons nos voix;
que chacun nous réponde.
LA GLOIRE, LA SAGESSE, CHŒURS
Chantons la douceur de ses loix.
Chantons ses glorieux exploits.
La Suite de la Gloire et celle de la Sagesse continuent leur réjoüissance.
CHŒURS
Que dans le temple de memoire
son nom soir pour jamais gravé,
c'est à lui qu'il est reservé
d'unir la sagesse et la gloire.
Le Théatre represente une grande Place ornée d'un arc de triomphe.
Armide, Phénice, Sidonie.
PHÉNICE
Dans un jour de triomphe, au milieu des plaisirs,
qui peut vous inspirer une sombre tristesse ?
La gloire, la grandeur, la beauté la jeunesse,
tous les biens comblent vos desirs.
SIDONIE
Vous allumez une fatale flâme
que vous ne ressentez jamais;
l'amour n'ose troubler la paix
qui regne dans vôtre ame.
PHÉNICE, SIDONIE
Quel sort a plus d'appas ?
Et qui peut être heureux si vous ne l'êtes pas ?
PHÉNICE
Si la guerre aujourd'huy fait craindre ses ravages,
c'est aux bords du Jourdain qu'ils doivent s'arrêter:
nos tranquilles rivages,
n'ont rien à redouter.
SIDONIE
Les enfers, s'il le faut, prendront pour nous les armes,
et vous sçavez leur imposer la loi.
PHÉNICE
Vos yeux n'ont eû besoin que de leurs propres charmes
pour affoiblir le camp de Godrefroi.
SIDONIE
Ses plus vaillans guerriers contre vous sans deffense
sont tombez en vôtre puissance.
ARMIDE
Je ne triomphe pas du plus vaillant de tous.
Renaud, pour qui ma haine a tant de violence,
l'indomptable Renaud échappe à mon courroux.
Tout le camp ennemi pour moi devint sensible,
et lui seul, toûjours invincible,
fit gloire de me voir d'un œil indifférent.
Il est dans l'âge aimable oû sans efforts on aime...
non, je ne puis manquer, sans un dépit extrême,
la conquête d'un cœur si superbe et si grand.
SIDONIE
Qu'importe qu'un captif manque à vôtre victoire,
on en voit dans vos fers assez d'autres témoins;
et pour un esclave de moins
un triomphe si beau perdra peu de sa gloire.
PHÉNICE
Pourquoi voulez-vous songer
à ce qui peut vous déplaire ?
Il est plus sûr de se venger
par l'oubli que par la colere.
ARMIDE
Les enfers ont prédit cent fois
que contre ce guerrier nos armes seront vaines.
Et qu'il vaincra nos plus grands rois:
ah ! qu'il me seroit doux de l'accabler de chaines,
et d'arrêter le cours de ses exploits !
Que je le hais ! que son mépris m'outrage !
qu'il sera fier d'éviter l'esclavage
où je tiens tant d'autres heros !
Incessamment son importune image
malgré moi trouble mon repos.
Un songe affreux m'inspire une fureur nouvelle
contre ce funeste ennemi;
j'ai crû le voir, j'en ai fremi,
j'ai crû qu'il me frapoit d'une atteinte mortelle.
Je suis tombée aux pieds de ce cruel vainqueur
rien ne fléchissoit sa rigueur;
et par un charme inconcevable,
je me sentois contrainte à le trouver aimable,
dans le fatal moment qu'il me perçoit le cœur.
SIDONIE
Vous troublez-vous d'une image legere
que le sommeil produit ?
Le beau jour qui vous luit
doit dissiper cette vaine chimere,
ainsi qu'il a détruit
les ombres de la nuit.
Hidraot et sa Suite, Armide, Phénice, Sidonie.
HIDRAOT
Armide, que le sang qui m'unit avec vous
me rend sensible aux soins que l'on prend pour vous plaire !
Que vôtre triomphe m'est doux !
Que j'aime à voir briller le beau jour qui l'éclaire !
Je n'aurois plus de vœux à faire
si vous choisissiez un époux.
Je vois de prés la mort qui me menace,
et bientôt l'âge qui me glace
va m'accabler sous son pesant fardeau:
c'est le dernier bien où j'aspire
que de voir vôtre himen promettre à cet empire
des rois formez d'un sang si beau;
sans me plaindre du sort je cesserai de vivre,
si ce doux espoir peut me suivre
dans l'affreuse nuit du tombeau.
ARMIDE
La chaine de l'himen m'étonne,
je crains ses plus aimables nœuds.
Ah ! qu'un cœur devient malheureux
quand la liberté l'abandonne !
HIDRAOT
Pour vous, quand il vous plaît, tout l'enfer est armé:
vous êtes plus sçavante en mon art que moi-même:
de grands rois à vos pieds mettent leur diadême,
qui vous voit un moment, est pour jamais charmé.
Pouvez-vous mieux goûter vôtre bonheur extrême
qu'avec un époux qui vous aime,
et qui soit digne d'être aimé ?
ARMIDE
Contre mes ennemis à mon gré je déchaîne
le noir empire des enfers,
l'amour met des rois dans mes fers,
je suis de mille amans maîtresse souveraine;
mais je fais mon plus grand bonheur
d'être maîtresse de mon cœur.
HIDRAOT
Bornez-vous vos desirs à la gloire cruelle
des maux que fait vôtre beauté ?
Ne ferez-vous jamais vôtre felicité
du bonheur d'un amant fidelle ?
ARMIDE
Si je dois m'engager un jour,
au moins vous devez croire
qu'il faudra que ce soit la gloire
qui livre mon cœur à l'amour.
Pour devenir mon maître
ce n'est point assez d'être roi.
Ce sera la valeur qui me fera connoître
celui qui merite ma foi.
Le vainqueur de Renaud, si quelqu'un le peut être,
sera digne de moi.
Hidraot, Armide, Phénice, Sidonie, Troupe de peuples du royaume de Damas.
Les peuples du royaume de Damas témoignent par des danses et par des chants la joïe qu'ils ont de l'avantage remporté par la beauté de cette princesse sur les chevaliers du camp de Godefroi.
HIDRAOT
Armide est encor plus aimable
qu'elle n'est redoutable.
Que son triomphe est glorieux !
Ses charmes les plus forts sont ceux de ses beaux yeux.
Elle n'a pas besoin d'emprunter l'art terrible
qui sçait quand il lui plaît faire armer les enfers,
sa beauté trouve tout possible,
nos plus fiers ennemis gemissent dans ses fers.
HIDRAOT, CHŒUR
Armide est encor plus aimable
qu'elle n'est redoutable.
Que son triomphe est glorieux !
Ses charmes les plus forts sont ceux de ses beaux yeux.
PHÉNICE, CHŒUR
Suivons Armide, et chantons sa victoire,
tout l'univers retentit de sa gloire.
PHÉNICE
Nos ennemis affoiblis et troublez
n'étendront plus le progrés de leurs armes;
ah ! quel bonheur ! nos desirs sont combléz
sans nous coûter ni de sang ni de larmes.
CHŒUR
Suivons Armide, et chantons sa victoire,
tout l'univers retentit de sa gloire.
PHÉNICE
L'ardent amour qui la suit en tous lieux
s'attache aux cœurs qu'elle veut qu'il enflâme;
il est content de régner dans ses yeux,
et n'ose encor passer jusqu'à son ame.
CHŒUR
Suivons Armide, et chantons sa victoire,
tout l'univers retentit de sa gloire.
SIDONIE, CHŒUR
Que la douceur d'un triomphe est extrême,
quand on n'en doit tout l'honneur qu'à soi-même !
SIDONIE
Nous n'avons point fait armer nos soldats,
sans leurs secours Armide est triomphante;
tout son pouvoir est dans ses doux appas,
rien n'est si fort que sa beauté charmante.
CHŒUR
Que la douceur d'un triomphe est extrême,
quand on n'en doit tout l'honneur qu'à soi-même.
PHÉNICE
La belle Armide a sçû vaincre aisément
des fiers guerriers plus craints que le tonnerre;
et ses regards ont en moins d'un moment
donné des loix aux vainqueurs de la terre.
CHŒUR
Que la douceur d'un triomphe est extrême,
quand on n'en doit tout l'honneur qu'à soi-même.
Le triomphe d'Armide est interrompu par l'arrivée d'Aronte, qui avoit été chargé de la conduite des chevaliers captifs, et qui revient blessé, et tenant à la main un tronçon d'epée.
Aronte, Hidraot, Armide, Phénice, Sidonie, Troupes de peuples de Damas.
ARONTE
Ô ciel ! ô disgrace cruelle !
Je conduisois vos captifs avec soin.
J'ai tout tenté pour vous marquer mon zele;
mon sang qui coule en est témoin.
ARMIDE
Mais où sont mes captifs ?
ARONTE
Un guerrier indomptable
les a délivrez tous.
ARMIDE ET HIDRAOT
Un seul guerrier ! que dites-vous ?
Ciel !
ARONTE
De nos ennemis, c'est le plus redoutable.
Nos plus vaillants soldats sont tombez sous ses coups:
rien ne peut résister à sa valeur extrême.
ARMIDE
O Ciel ! c'est Renaud.
ARONTE
C'est lui-même.
ARMIDE, HIDRAOT
Poursuivons jusqu'au trépas
l'ennemi qui nous offense.
Qu'il n'échape pas
à notre vengeance.
CHŒUR
Poursuivons jusqu'au trépas
l'ennemi qui nous offense.
Qu'il n'échape pas
à notre vengeance.
Le Théatre change, et represente une campagne, où une riviere forme une isle agreable.
Artémidore, Renaud.
ARTÉMIDORE
Invincible heros, c'est par vôtre courage
que j'échappe aux rigueurs d'un funeste esclavage:
aprés ce genereux secours,
puis-je me dispenser de vous suivre toûjours ?
RENAUD
Allez, allez, remplir ma place
aux lieux d'où mon malheur me chasse,
le fier Gernand m'a contraint à punir
sa téméraire audace:
d'une indigne prison Godefroy me menace,
et de son camp m'oblige à me bannir;
je m'en éloigne avec contrainte,
heureux ! si j'avois pû consacrer mes exploits
à délivrer la cité sainte
qui gemit sous de dures loix.
Suivez les guerriers qu'un beau zèle
presse de signaler leur valeur et leur foi:
cherchez une gloire immortelle,
je veux dans mon exil n'envelopper que moi.
ARTÉMIDORE
Sans vous, que peut-on entreprendre ?
Celui qui vous bannit ne pourra se défendre
de souhaiter votre retour.
S'il faut que je vous quitte, au moins ne puis-je apprendre
en quels lieux vous allez choisir vôtre sejour ?
RENAUD
Le repos me fait violence,
la seule gloire a pour moi des appas:
je prétends adresser mes pas
où la justice et l'innocence
auront besoin du secours de mon bras.
ARTÉMIDORE
Fuyez les lieux où règne Armide,
si vous cherchez à vivre heureux;
pour le cœur le plus intrepide
elle a des charmes dangereux.
C'est une ennemie implacable,
evitez ses ressemtimens:
puisse le ciel à mes vœux favorable
vous garantir de ses enchantemens !
RENAUD
Par une heureuse indifference
mon cœur s'est dérobé sans peine à sa puissance,
je la vis seulement d'un regard curieux.
Est-il plus mal-aisé d'éviter sa vengeance
que d'échaper au pouvoir de ses yeux ?
J'aime la liberté, rien ne m'a pû contraindre
à m'engager jusqu'à ce jour,
quand on peut mépriser les charmes de l'amour
quels enchantemens peut-on craindre ?
Hidraot, Armide.
HIDRAOT
Arrêtons-nous icy, c'est dans ce lieu fatal
que la fureur qui nous anime
ordonne à l'empire infernal
de conduire nôtre victime.
ARMIDE
Que l'enfer aujourd'huy tarde à suivre nos loix !
HIDRAOT
Pour achever le charme il faut unir nos voix.
HIDRAOT, ARMIDE
Esprits de haine et de rage,
démons, obeïssez-nous.
Livrez à notre courroux
l'ennemi qui nous outrage.
Esprits de haine et de rage,
démons, obeïssez-nous.
ARMIDE
Démons affreux, cachez-vous
sous une agreable image.
Enchantez ce fier courage
par les charmes les plus doux.
HIDRAOT, ARMIDE
Esprits de haine et de rage,
démons, obeïssez-nous.
(Armide aperçoit Renaud qui s'approche des bords de la riviere.)
ARMIDE
Dans le piége fatal notre ennemi s'engage.
HIDRAOT
Nos soldats sont cachéz dans le prochain boccage,
il faut que sur Renaud ils viennent fondre tous.
ARMIDE
Cette victime est mon partage:
laissez-moi l'immoler, laissez-moi l'avantage
de voir ce cœur superbe expirer sous mes coups.
(Hidraot et Armide se retirent. Renaud s'arrête pour considérer les bords du fleuve, et quitte une partie de ses armes pour prendre le frais.)
Renaud seul.
Plus j'observe ces lieux et plus je les admire,
ce fleuve coule lentement
et s'éloigne à regret d'un sejour si charmant.
Les plus aimables fleurs, et le plus doux zephire
parfument l'air qu'on y respire.
Non, je ne puis quitter des rivages si beaux.
Un son harmonieux se mêle aux buit des eaux;
les oiseaux enchantez se taisent pour l'entendre.
Des charmes du sommeil j'ai peine à me défendre;
ce gazon, cet ombrage frais,
tout m'invite au repos sous ce feüillage épais.
(Renaud s'endort sur un gazon, au bord de la riviere.)
Renaud endormy, Une nayade qui sort du fleuve, Troupe de Nymphes, de Bergers et de Bergères.
UNE NAYADE
Au tems heureux où l'on sçait plaire
qu'il est doux d'aimer tendrement !
Pourquoi dans les périls, avec empressement
chercher d'un vain honneur l'éclat imaginaire ?
Pour une trompeuse chimere
faut-il quitter un bien charmant ?
Au tems heureux où l'on sçait plaire
qu'il est doux d'aimer tendrement !
CHŒUR
Ah ! quelle erreur ! quelle folie !
de ne pas joüir de la vie !
C'est aux jeux, c'est aux amours,
qu'il faut donner les beaux jours.
Les démons sous la figure des Nimphes, des Bergers et des Bergères, enchantent Renaud, et l'enchaînent durant son sommeil, avec des guirlandes de fleurs.
UNE BERGÈRE
On s'étonneroit moins que la saison nouvelle
revînt sans amener les fleurs et les zephirs,
que de voir de nos ans la saison la plus belle
sans l'amour et sans les plaisirs.
Laissons au tendre amour la jeunesse en partage;
la sagesse a son tems, il ne vient que trop tôt:
ce n'est pas être sage,
d'être plus sage qu'il ne faut.
CHŒUR
Ah ! quelle erreur ! quelle folie !
De ne pas joüir de la vie !
C'est aux jeux, c'est aux amours,
qu'il faut donner les beaux jours.
Renaud endormy, Armide.
ARMIDE
(tenant un dard à la main)
Enfin, il est en ma puissance,
ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur.
Le charme du sommeil le livre à ma vengeance;
je vais percer son invincible cœur.
Par lui, tous mes captifs sont sortis d'esclavage;
qu'il éprouve toute ma rage...
(Armide va pour frapper Renaud, et ne peut executer le dessein qu'elle a de lui ôter la vie.)
Quel trouble me saisit ! qui me fait hésiter !
Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié veut me dire ?
Frappons... Ciel ! qui peut m'arrêter !
Achevons... je fremis ! Vengeons-nous !... je soûpire !
Est-ce ainsi que je dois me venger ajourd'huy !
Ma colere s'éteint quand j'approche de lui.
Plus je le vois, plus ma fureur est vaine,
mon bras tremblant se refuse à ma haine.
Ah ! quelle cruauté de lui ravir le jour !
A ce jeune heros tout cede sur la terre.
Qui croiroit qu'il fût né seulement pour la guerre ?
Il semble être fait pour l'amour.
Ne puis-je me venger à moins qu'il ne perisse ?
Hé ! ne suffit-il pas que l'amour le punisse ?
Puisqu'il n'a pû trouver mes yeux assez charmans,
qu'il m'aime au moins par mes enchantemens,
que, s'il se peut, je le haisse.
Venez, secondez mes desirs,
démons, transformez-vous en d'aimables zephirs.
Je cede à ce vainqueur, la pitié me surmonte;
cachez ma foiblesse et ma honte
dans les plus reculez deserts.
Volez, conduisez-nous au bout de l'univers.
Les démons transformez en zephirs, enlevent Renaud et Armide.
Le théatre change, et represente un desert.
Armide seule.
Ah ! si la liberté me doit être ravie,
est-ce à toi d'être mon vainqueur ?
Trop funeste ennemi du bonheur de ma vie,
faut-il que malgré moi tu regnes dans mon cœur ?
Le desir de ta mort fût ma plus chère envie,
comment as-tu changé ma colere en langueur ?
En vain de mille amans je me voyois suivie,
aucun n'a fléchi ma rigueur.
Se peut-il que Renaud tienne Armide asservie !
Ah ! si la liberté me doit être ravie,
est-ce à toi d'être mon vainqueur ?
Trop funeste ennemi du bonheur de ma vie,
faut-il que malgré moi tu regnes dans mon cœur ?
Armide, Phénice, Sidonie.
PHÉNICE
Que ne peut point vôtre art ? la force en est extrême;
quel prodige ! quel changement !
Renaud qui fût si fier, vous aime,
on a jamais aimé si tendrement.
SIDONIE
Montrez-vous à ses yeux, soyez témoin vous-même,
du merveilleux effet de vôtre enchantement.
ARMIDE
L'enfer n'a pas encor rempli mon esperance,
il faut qu'un nouveau charme assûre ma vengeance.
SIDONIE
Sur des bords séparéz du sejour des humains,
qui peut arracher de vos mains
un ennemi qui vous adore ?
Vous enchantez Renaud, que craingez-vous encore ?
ARMIDE
Helas ! c'est mon cœur que je crains !
Vôtre amitié dans mon sort s'interesse,
je vous ai fait conduire avec moi dans ces lieux,
au reste des mortels je cache ma foiblesse,
je n'en veux rougir qu'à vos yeux.
De mes plus doux regards Renaud sçût se défendre,
je ne pûs engager ce cœurs fier à se rendre,
il m'échapa malgré mes soins.
Sous le nom du dépit l'amour vint me surprendre
lors que je m'en gardois le moins.
Plus Renaud m'aimera, moins je serai tranquille;
j'ai résolu de le hair:
je n'ai tenté jamais rien de si difficile:
je crains que pour forcer mon cœur à m'obeïr,
tout mon art ne soit inutile.
PHÉNICE
Que vôtre art seroit beau ! qu'il seroit admiré !
S'il sçavoit garantir des troubles de la vie !
Heureux qui peut être assûré
de disposer de son cœur à son gré !
C'est un secret digne d'envie,
mais de tous les secrets c'est le plus ignoré.
SIDONIE
La haine est affreuse et barbare;
l'amour contraint les cœurs dont il s'empare
à souffrir des maux rigoureux:
si vôtre sort est en vôtre puissance,
faites choix de l'indifference
elle assûre un repos plus heureux.
ARMIDE
Non, non, il ne m'est plus possible
de passer de mon trouble en un état paisible,
mon cœur ne se peut plus calmer.
Renaud m'offense trop, il n'est que trop aimable,
c'est pour moi desormais un choix indispensable
de le hair, ou de l'aimer.
PHÉNICE
Vous n'avez pû hair ce heros invincible,
lors qu'il étoit le plus terrible
de tous vos ennemis.
Il vous aime, l'amour l'enchaîne;
garderiez-vous mieux vôtre haine
contre un amant si tendre et si soûmis ?
ARMIDE
Il m'aime ? quel amour ! ma honte s'en augmente.
Dois-je être aimée ainsi ? puis-je en être contente ?
C'est un vain triomphe, un faux bien.
Helas ! que son amour est different du mien !
J'ai recours aux enfers pour allumer sa flâme,
c'est l'effort de mon art qui peut tout sur son ame,
ma foible beauté n'y peut rien.
Par son propre merite il suspend ma vengeance;
sans secours, sans effort, même sans qu'il y pense
il enchaîne mon cœur d'un trop charmant lien.
Helas ! que mon amour est different du sien !
Quelle vengeance ai-je à prétendre
si je le veux aimer toûjours ?
Quoi ceder sans rien entreprendre ?
Non, il faut appeller la Haine à mon secours.
L'horreur de ces lieux solitaires
par mon art va se redoubler.
Détournez vos regards de mes affreux misteres,
et sur tout, empêchez Renaud de me troubler.
Armide seule.
Venez, venez, Haine implacable,
sortez du gouffre épouvantable
où vous faites régner une éternelle horreur.
Suavez-moi de l'amour, rien n'est si redoutable.
Contre un ennemi trop aimable
rendez-moi mon courroux, rallumez ma fureur.
Venez, venez, Haine implacable,
sortez du gouffre épouvantable
où vous faites régner une éternelle horreur.
La Haine sort des enfers accompagnée des Furies, de la Cruauté, de la Vengeance, de la Rage et des Passions qui dependent de la Haine.
Armide, la Haine, Suite.
LA HAINE
Je réponds à tes vœux, ta vois s'est fait entendre
jusques dans le fond des enfers.
Pour toi, contre l'amour, je vais tout entreprendre,
et quand on veut bien s'en défendre,
on peut se garantir de ses indignes fers.
LA HAINE, CHŒUR
Plus on connoît l'amour, et plus on le deteste,
détruisons son pouvoir funeste,
rompons ses nœuds, déchirons son bandeau,
brûlons ses traits, éteignons son flambeau.
CHŒUR
Plus on connoît l'amour, et plus on se deteste,
détruisons son pouvoir funeste,
rompons ses nœuds, déchirons son bandeau,
brûlons ses traits, éteignons son flambeau.
La Suite de la Haine s'empresse à briser et à brûler les armes dont l'amour se sert.
LA HAINE, CHŒUR
Amour, sors pour jamais, sors d'un cœur qui te chasse,
que la Haine regne en ta place;
tu fais trop souffrir sous ta loi,
non, tout l'enfer n'a rien de si cruel que toi.
La Suite de la Haine témoigne qu'elle se prépare avec paisir à triompher de l'Amour.
LA HAINE
(s'approchant d'Armide)
Sors, sors, du sein d'Armide, amour brise ta chaine.
ARMIDE
Arrête, arrête, affreuse Haine,
laisse-moi sous les loix d'un si charmant vainqueur,
laisse-moi, je renonce à ton secours horrible,
non, non, n'achève pas, non, il n'est pas possible
de m'ôter mon amour sans m'arracher le cœur.
LA HAINE
N'implores-tu mon assistance
que pour mépriser ma puissance ?
Suis l'amour, puisque tu le veux,
infortunée Armide,
suis l'amour qui te guide
dans un abîme affreux.
Sur ces bords écartez, c'est en vain que tu cache
le heros dont ton cœur s'est trop laissé toucher:
la gloire à qui tu l'arrache,
doit bien-tôt te l'arracher,
malgré tes soins, au mépris de tes larmes,
tu le verras échaper à tes charmes.
Tu me rappelleras, peut-être, dés ce jour,
et ton attente sera vaine;
je vais te quitter sans retour,
je ne te puis punir d'une plus rude peine
que de t'abandonner pour jamais à l'amour.
La Haine et sa Suite s'abîment.
Ubalde porte un bouclier de diamant, et tient un sceptre d'or qui lui ont été donnez par un magicien, pour dissiper les enchantemens d'Armide, et pour délivrer Renaud.
Le Chevaler Danois porte une épée qu'il doit presenter à Renaud.
Une vapeur s'élève et se répand dans le desert qui a paru au troisième acte. Des antres et des abîmes s'ouvrent, et il en sort des bêtes farouches et des monstres épouvantables.
Ubalde, Chevalier Danois.
UBALDE, CHEVALIER DANOIS
Nous ne trouvons par tout que des gouffres ouverts.
Armide a dans ces lieux transporté les enfers.
Ah ! que d'objets horribles !
Que des monstres terribles !
Le Chevalier Danois attaque les monstres, Ubalde le retient, et lui montre le sceptre d'or qu'il porte et qui leur a été donné pour dissiper les enchantemens.
UBALDE
Celui qui nous envoie a prévû ce danger,
et nous a montré l'art de nous en dégager.
Ne craignons point Armide ni ses charmes;
par ce secours plus puissant que nos armes,
nous en seront aisément garantis.
Laissés-nous un libre passage,
monstres, allez cacher votre inutile rage
dans l'abîme profond d'où vous êtes sortis.
Les monstres s'abîment, la vapeur se dissipe, le desert disparoît, et se change en une campagne agréable, bordée d'arbres chargez de fruits, et arrosée de ruisseaux.
CHEVALIER DANOIS
Allons chercher Renaud, le ciel nous favorise
dans notre penible entreprise.
Ce qui peut flatter nos desirs,
doit à son tour tenter de nous surprendre;
c'est desormais du charme des plaisirs
que nous aurons à nous défendre.
UBALDE, CHEVALIER DANOIS
Redoublons nos soins, gardons-nous
des périls agreables,
les enchantemens les plus doux
sont les plus redoutables.
UBALDE
On voit d'ici le sejour enchanté
d'Armide et du heros qu'elle aime !
Dans ce palais Renaud est arrêté
par un charme fatal dont la force est extrême.
C'est là que ce vainqueur si fier, si redouté,
oubliant tout jusqu'à lui-même,
est reduit à languir avec indignité
dans une molle oisiveté.
CHEVALIER DANOIS
En vain tout l'enfer s'interesse
dans l'amour qui séduit un cœur si glorieux;
si sur ce bouclier Renaud tourne les yeux,
il rougira de sa foiblesse,
et nous l'engagerons à partir de ces lieux.
Ubalde, le Chevalier Danois, un Démon sous la figure de Lucinde, fille Danoise, aimée du Chevalier Danois, Troupe de démons transformez en habitans champêtres de l'Isle qu'Armide a choisie pour y retenir Renaud enchanté.
LUCINDE
Voici la charmante retraite
de la felicité parfaite;
voici l'heureux sejour
des jeux et de l'amour.
CHŒUR
Voici la charmante retraite
de la felicité parfaite;
voici l'heureux sejour
des jeux et de l'amour.
Les Habitans champêtres dansent.
UBALDE
(parlant au Chevalier Danois)
Allons, qui vous retient encore ?
Allons, c'est trop nous arrêter.
CHEVALIER DANOIS
Je vois la beauté que j'adore,
c'est elle, je n'en puis douter.
LUCINDE, CHŒUR
Jamais dans ces beaux lieux notre attente n'est vaine,
le bien que nous cherchons se vient offrir à nous,
et pour l'avoir trouvé sans peine,
nous ne l'en trouvons pas moins doux.
CHŒUR
Voici la charmante retraite
de la felicité parfaite;
voici l'heureux sejour
des jeux et de l'amour.
LUCINDE
(parlant au Chevalier Danois)
Enfin je vois l'amant pour qui mon cœur soupire,
je retrouve le bien que j'ai tant souhaité !
CHEVALIER DANOIS
Puis-je voir ici le beauté
qui m'a soumis à son empire ?
UBALDE
Non, ce n'est qu'un charme trompeur
dont il faut garder vostre cœur.
CHEVALIER DANOIS
Si-loin des bords glacez où vous prîtes naissance,
qui peut vous offrir à mes yeux ?
LUCINDE
Par une magique puissance
Armide m'a conduite en ces aimables lieux !
Et je vivois dans la douce esperance
d'y voir bien-tôt ce que j'aime le mieux.
Goûtons les doux plaisirs que pour nos cœurs fidelles
dans cet heureux sejour l'amour a préparez.
Le devoir par des loix cruelles
ne nous a que trop separez.
UBALDE
Fuyez, faites vous violence.
CHEVALIER DANOIS
L'amour ne me le permet pas,
contre de si charmans appas
mon cœur est sans défense.
UBALDE
Est-ce là cette fermeté
dont vous vous êtes tant vanté ?
CHEVALIER DANOIS, LUCINDE
Jouissons d'un bonheur extrème.
Hé ! quel autre bien peut valoir
le plaisir de voir ce qu'on aime ?
Hé ! quel autre bien peut valoir
le plaisir de vous voir ?
UBALDE
Malgré la puissance infernale,
malgré vous même, il faut vous détromper,
ce sceptre d'or peut dissiper
une erreur si fatale.
Ubalde touche Lucinde avec le sceptre d'or qu'il tient et Lucinde disparoît aussi-tôt.
Ubalde, le Chevalier Danois.
CHEVALIER DANOIS
Je tourne en vain mes yeux de toutes parts,
je ne vois plus cette beauté si chère.
Elle échape à mes regards
comme une vapeur legere.
UBALDE
Ce que l'amour a de charmant
n'est qu'une illusion qui ne laisse aprés elle
qu'une honte éternelle.
Ce que l'amour a de charmant
n'est qu'un funeste enchantement.
CHEVALIER DANOIS
Je vois le danger où s'expose
un cœur qui ne fuit pas un charme si puissant.
Que vous êtes heureux si vous êtes exempt
des foiblesses que l'amour cause.
UBALDE
Non, je n'ai point gardé mon cœur jusqu'à ce jour,
prés de l'objet que j'aime il m'étoit doux de vivre;
mais quand la gloire ordonne de la suivre,
il faut laisser gemir l'amour.
Des charmes les plus forts la raison me dégage.
Rien ne nous doit ici retenir davantage;
profitons des conseils que l'on nous a donnez.
Ubalde, Chevalier Danois, un Démon sous la figure de Melisse, fille Italienne aimée d'Ubalde.
MELISSE
D'où vient que vous vous détournez
de ces eaux et de cet ombrage ?
Goûtez un doux repos, etrangers fortunez;
délassez-vous ici d'un pénible voiage.
Un favorable sort vous appelle à partager
des biens qui nous sont destinez.
UBALDE
Est-ce vous charmante Melisse ?
MELISSE
Est-ce vous cher amant ? est-ce vous que je voi ?
UBALDE, MELISSE
Au raport de mes sens je n'ose ajoûter foi.
Se peut-il qu'en ces lieux l'amour nous réunisse.
MELISSE
Est-ce vous cher amant ? est-ce vous que je voi ?
UBALDE
Est-ce vous charmante Melisse ?
CHEVALIER DANOIS
Non, ce n'est qu'un charme trompeur
dont il faut garder votre cœur.
Fuyez, faites-vous violence.
MELISSE
Pourquoi faut-il encor m'arracher mon amant ?
Faut-il ne nous voir qu'un moment
aprés une si longue absence ?
Je ne puis consentir à votre éloignement;
je n'ai que trop souffert un si cruel tourment,
et je mourrai s'il recommence.
UBALDE, MELISSE
Faut-il ne nous voir qu'un moment
aprés une si longue absence ?
CHEVALIER DANOIS
Est-ce là cette fermeté
dont vous vous êtes tant vanté !
Sortez de votre erreur, la raison vous appelle.
UBALDE
Ah ! que la raison est cruelle !
Si je suis abusé, pourquoi m'en avertir ?
Que mon erreur me paroît belle !
Que je serois heureux de n'en jamais sortir !
CHEVALIER DANOIS
J'aurai soin, malgré vous, de vous en garentir.
Le Chevalier Danois ôte le sceptre d'or des mains d'Ubalde, il en touche Melisse, et la fait disparoître.
UBALDE
Que deviens l'objet qui m'enflâme ?
Melisse disparoît soudain ?
Ciel ! faut-il qu'un fantôme vain,
cause tant de trouble à mon ame ?
UBALDE, CHEVALIER DANOIS
Ce que l'amour a de charmant
n'est qu'une illusion qui ne laisse aprés elle
qu'une honte éternelle.
Ce que l'amour a de charmant
n'est qu'un funeste enchantement.
UBALDE
D'une nouvelle erreur songeons à nous défendre,
evitons de trompeurs attraits.
Ne nous détournons plus du chemain qu'il faut prendre
pour arriver à ce palais.
UBALDE, CHEVALIER DANOIS
Fuions les douceurs dangereuses
des illusions amoureuses:
on s'égare quand on les suit;
heureux qui n'en est pas séduit !
Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide.
Renaud, Armide.
RENAUD
(sans armes, et paré de guirlandes de fleurs)
Armide, vous m'allez quiter !
ARMIDE
J'ai besoin des enfers, je vai les consulter;
mon art veut de la solitude.
L'amour que j'ai pour vous cause l'inquiétude,
dont mon cœur se sent agiter.
RENAUD
Armide vous m'allez quitter !
ARMIDE
Voiez en quels lieux que je vous laisse.
RENAUD
Puis-je rien voir que vos appas ?
ARMIDE
Les plaisirs vous suivront sans cesse.
RENAUD
En et-til, où vous n'êtes pas ?
ARMIDE
Un noir pressentiment me trouble et me tourmente,
il m'annonce un malheur que je veux prévenir;
et plus notre bonheur m'enchante,
plus je crains de la voir finir.
RENAUD
D'une vaine terreur pouvez-vous être atteinte,
vous qui faites trembler le ténébreux sejour ?
ARMIDE
Vous m'aprenez à connoître l'amour,
l'amour m'aprend à connoître la crainte.
Vous brûliez pour la gloire avant de m'aimer,
vous la cherchiez par tout d'une ardeur sans égale;
la gloire est une rivale
qui doit toûjours m'allarmer.
RENAUD
Que j'étois insensé de croire
qu'un vain laurier, donné par la victoire,
de tous les biens fut le plus precieux !
Tout l'éclat dont brille la gloire
vaut-il un regard de vos yeux ?
Est-il un bien si charmant et si rare
que celui dont l'amour veut combler mon espoir ?
ARMIDE
La sévère raison et le devoir barbare
sur les heros n'ont que trop de pouvoir.
RENAUD
J'en suis plus amoureux plus la raison m'éclaire:
vous aimer, belle Armide, est mon premier devoir.
Je fais ma gloire de vous plaire,
et tout mon bonheur de vous voir.
ARMIDE
Que sous d'aimables loix mon ame est asservie !
RENAUD
Qu'il m'est doux de vous voir partager ma langueur !
ARMIDE
Qu'il m'est doux d'enchaîner un si fameux vainqueur !
RENAUD
Que mes fers sont dignes d'envie !
RENAUD, ARMIDE
Aimons-nous, tout nous y convie.
Ah ! si vous aviez la rigueur
de m'ôter votre cœur,
vous m'ôteriez la vie.
RENAUD
Non, je perdrai plûtôt le jour
que d'éteindre ma flâme.
ARMIDE
Non, rien ne peut changer mon ame.
RENAUD
Non, je perdrai plûtôu le jour,
que de ma dégager d'un si charmant amour.
RENAUD, ARMIDE
(chantent ensemble les derniers vers qu'il ont chantez séparément)
Non, je perdrai plûtôt le jour
que d'éteindre ma flâme;
non, rien ne peut changer mon ame.
Non, je perdrai plûtôu le jour,
que de ma dégager d'un si charmant amour.
ARMIDE
Témoins de notre amour extrême,
vous, qui suivez mes loix dans ce sejour heureux,
jusques à mon retour par d'agreables jeux,
occupez le heros que j'aime.
Les Plaisirs, et une Troupe d'amans fortunez, et d'amantes heureuses, viennent divertir Renaud par des chants et par des danses.
Renaud, les Plaisirs, Troupe d'amans fortunez et d'amantes heureuses.
UN AMANT FORTUNÉ, CHŒURS
Les plaisirs ont choisi pour azile
ce sejour agreable et tranquile.
Que ces lieux sont charmans,
pour les heurex amans !
C'est l'amour qui retient dans ses chaines
mille oiseaux qu'en nos bois nuit et jour on entend.
Si l'amour ne causoit que des peines,
les oiseaux amoureux ne chanteroient pas tant.
Jeunes cœurs, tout vous est favorable,
profitez d'un bonheur peu durable.
Dans l'hiver de nos ans, l'amour ne règne plus.
Les beaux jours que l'on perd sont pour jamais perdus !
Les plaisirs ont choisi pour azile
ce sejour agreable et tranquile.
Que ces lieux sont charmans,
pour les heurex amans !
RENAUD
Allez, éloignez-vous de moi,
doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.
Sans la beauté qui me retient sous sa loi,
rien ne me plaît, tout augmente ma peine.
Allez, éloignez-vous de moi,
doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.
Les Plaisirs, les armans fortunez et les amantes heureuses se retirent.
Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois.
UBALDE
Il est seul; profitons d'un tems si precieux.
(Ubalde presente le bouclier de diamant aux yeux de Renaud.)
RENAUD
Que vois-je! quel éclat me vient fraper les yeux ?
UBALDE
Le ciel veut vous faire connoître
l'erreur dont vos sens sont séduits.
RENAUD
Ciel! quelle honte de paroître
dans l'indigne état où je suis!
UBALDE
Notre general vous rappelle;
la victoire vous garde une palme immortelle.
Tout doit presser votre retour.
De cent divers climats chacun court à la guerre;
Renaud seul, au bout de la terre,
caché dans un charmant sejour,
veut-il suivre un honteux amour ?
RENAUD
Vains ornemens d'une indigne mollesse,
ne m'offrez plus vos frivoles attraits:
restes honteux de ma foiblesse,
allez, quittez-moi pour jamais.
Renaud arrache les guirlandes de fleurs et les autres ornemens inutiles dont il est paré. Il reçoit le bouclier de diamans que lui donne Ubalde, et une épée que lui presente le Chevalier Danois.
CHEVALIER DANOIS
Dérobez-vous aux pleurs d'Armide,
c'est l'unique danger dont votre ame intrepide
a besoin de se garentir
dans ces lieux enchantez la volupté preside,
vous n'en sçauriez trop tôt sortir.
RENAUD
Allons, hâtons-nous de partir.
Armide, Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois.
ARMIDE
(suivant Renaud)
Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !
Vous partez ! Renaud ! vous partez !
Démons, suivez ses pas, volez, et l'arrêtez.
Helas ! tout me trahit, et ma puissance est vaine !
Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !
Vous partez ! Renaud ! vous partez !
(Renaud s'arrête pour écouter Armide qui continuë à lui parler.)
RENAUD
Si je ne vous voi plus, croiez-vous que je vive ?
Ai-je pû mériter un si cruel tourment ?
Au moins, comme ennemi, si ce n'est comme amante,
emmenez Armide captive.
J'irai dans mes combats, j'irai m'offrir aux coups
qui seront destinez pour vous:
Renaud, pourvû que je vous suive,
le sort le plus affreux me paroîtra trop doux.
Armide, il est tems que j'évite
le péril trop charmant que je trouve à vous voir.
La gloire veut que je vous quitte,
elle ordonne à l'amour de ceder au devoir.
Si vous souffrez, vous pouvez croire
que je m'éloigne à regret de vos yeux,
vous regnerez toujours dans ma memoire;
vous serez aprés la gloire
ce que j'aimerai le mieux.
ARMIDE
Non, jamais de l'amour tu n'as senti le charme.
Tu te plais à causer de funestes malheurs.
Tu m'entends soûpirer, tu vois couler mes pleurs,
sans me rendre un soûpir, sans verser une larme.
Par les nœuds les plus doux je te conjure en vain;
tu suis un fier devoir, tu veux qu'il nous sépare.
Non, non, ton cœur n'a rien d'humain,
le cœur d'un tigre est moins barbabre.
Je mourrai si tu pars, et tu n'en peux douter:
ingrat, sans toi je ne puis vivre,
mais aprés mon trépas, ne croi pas éviter
mon ombre obstinée à te suivre.
Tu la verras s'armer contre ton cœur sans foi,
tu la trouveras inflexible !
Comme tu l'as été pour moi;
et sa fureur, s'il est possible,
egalera l'amour dont j'ai brûlé pour toi...
Ah ! la lumiere m'est ravie !
Barbare, es-tu content ?
Tu jouïs, en partant,
du plaisirs de m'ôter la vie.
Armide tombe et s'évanoüit.
RENAUD
Trop malheureuse Armide, helas !
Que ton destin est déplorable !
UBALDE, CHEVALIER DANOIS
Il faut partir, hâtez vos pas,
la gloire attend de vous un cœur inébranlable.
RENAUD
Non, la gloire n'ordonne pas
qu'un grand cœur soit impitoiable.
UBALDE, CHEVALIER DANOIS
Il faut vous arracher aux dangereux appas
d'un objet trop aimable.
RENAUD
Trop malheureuse Armide, helas !
Que ton destin est déplorable !
Armide seule.
Le perfide Renaud me fuit;
tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.
Il me laisse mourante, il veut que je périsse,
à regret je revoi la clarté qui me luit;
l'horreur de l'éternelle nuit
cede à l'horreur de mon supplice.
Le perfide Renaud me fuit:
tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.
Quand le barbare étoit en ma puissance,
que n'ai-je cru la haine et la vangeance !
Que n'ai-je suivi leurs transports !
Il m'échape, il s'éloigne, il va quiter ces bords;
il brave l'enfer et ma rage;
il est déja prés du rivage,
je fais pour m'y traîner d'inutiles efforts.
Traître, attend ~ je le tiens, je tiens son cœur perfide.
Ah ! je l'immole à ma fureur ! ~
Que dis-je ! où suis-je ! helas ! infortunée Armide !
Où t'emporte une aveugle erreur ?
L'espoir de la vangeance est le seul qui me reste.
Fuyez, plaisirs, fuyez, perdez tous vos attraits.
Démons, détruisez ce palais.
Partons, et s'il se peut, que mon amour funeste
demeure enseveli dans ces lieux pour jamais.
Les démons détruisent le palais enchanté, et Armide part sur un char volant.
Fin du livret.
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