Acte deuxième

 

Scène première

Le Théatre change, et represente une campagne, où une riviere forme une isle agreable.
Artémidore, Renaud.

 Q 

Artémidore, Renaud

 

ARTÉMIDORE

Invincible heros, c'est par vôtre courage  

que j'échappe aux rigueurs d'un funeste esclavage:

aprés ce genereux secours,

puis-je me dispenser de vous suivre toûjours ?

RENAUD

Allez, allez, remplir ma place

aux lieux d'où mon malheur me chasse,

le fier Gernand m'a contraint à punir

sa téméraire audace:

d'une indigne prison Godefroy me menace,

et de son camp m'oblige à me bannir;

je m'en éloigne avec contrainte,

heureux ! si j'avois pû consacrer mes exploits

à délivrer la cité sainte

qui gemit sous de dures loix.

Suivez les guerriers qu'un beau zèle

presse de signaler leur valeur et leur foi:

cherchez une gloire immortelle,

je veux dans mon exil n'envelopper que moi.

ARTÉMIDORE

Sans vous, que peut-on entreprendre ?

Celui qui vous bannit ne pourra se défendre

de souhaiter votre retour.

S'il faut que je vous quitte, au moins ne puis-je apprendre

en quels lieux vous allez choisir vôtre sejour ?

RENAUD

Le repos me fait violence,

la seule gloire a pour moi des appas:

je prétends adresser mes pas

où la justice et l'innocence

auront besoin du secours de mon bras.

ARTÉMIDORE

Fuyez les lieux où règne Armide,

si vous cherchez à vivre heureux;

pour le cœur le plus intrepide

elle a des charmes dangereux.

C'est une ennemie implacable,

evitez ses ressemtimens:

puisse le ciel à mes vœux favorable

vous garantir de ses enchantemens !

RENAUD

Par une heureuse indifference

mon cœur s'est dérobé sans peine à sa puissance,

je la vis seulement d'un regard curieux.

Est-il plus mal-aisé d'éviter sa vengeance

que d'échaper au pouvoir de ses yeux ?

J'aime la liberté, rien ne m'a pû contraindre

à m'engager jusqu'à ce jour,

quand on peut mépriser les charmes de l'amour

quels enchantemens peut-on craindre ?

Artémidore ->

 

Scène seconde

Hidraot, Armide.

<- Hidraot, Armide

 

HIDRAOT

Arrêtons-nous icy, c'est dans ce lieu fatal  

que la fureur qui nous anime

ordonne à l'empire infernal

de conduire nôtre victime.

ARMIDE

Que l'enfer aujourd'huy tarde à suivre nos loix !

HIDRAOT

Pour achever le charme il faut unir nos voix.

 

HIDRAOT, ARMIDE

Esprits de haine et de rage,  

démons, obeïssez-nous.

Livrez à notre courroux

l'ennemi qui nous outrage.

Esprits de haine et de rage,

démons, obeïssez-nous.

ARMIDE

Démons affreux, cachez-vous

sous une agreable image.

Enchantez ce fier courage

par les charmes les plus doux.

HIDRAOT, ARMIDE

Esprits de haine et de rage,

démons, obeïssez-nous.

 
(Armide aperçoit Renaud qui s'approche des bords de la riviere.)
 

ARMIDE

Dans le piége fatal notre ennemi s'engage.  

HIDRAOT

Nos soldats sont cachéz dans le prochain boccage,

il faut que sur Renaud ils viennent fondre tous.

ARMIDE

Cette victime est mon partage:

laissez-moi l'immoler, laissez-moi l'avantage

de voir ce cœur superbe expirer sous mes coups.

 
(Hidraot et Armide se retirent. Renaud s'arrête pour considérer les bords du fleuve, et quitte une partie de ses armes pour prendre le frais.)

Hidraot, Armide ->

 

Scène troisième

Renaud seul.

 

Plus j'observe ces lieux et plus je les admire,    

ce fleuve coule lentement

et s'éloigne à regret d'un sejour si charmant.

Les plus aimables fleurs, et le plus doux zephire

parfument l'air qu'on y respire.

Non, je ne puis quitter des rivages si beaux.

Un son harmonieux se mêle aux buit des eaux;

les oiseaux enchantez se taisent pour l'entendre.

Des charmes du sommeil j'ai peine à me défendre;

ce gazon, cet ombrage frais,

tout m'invite au repos sous ce feüillage épais.

S

Sfondo schermo () ()

 
(Renaud s'endort sur un gazon, au bord de la riviere.)
 

Scène quatrième

Renaud endormy, Une nayade qui sort du fleuve, Troupe de Nymphes, de Bergers et de Bergères.

<- Une nayade, Nymphes, Bergers, Bergères, Une bergère

 

UNE NAYADE

Au tems heureux où l'on sçait plaire  

qu'il est doux d'aimer tendrement !

Pourquoi dans les périls, avec empressement

chercher d'un vain honneur l'éclat imaginaire ?

Pour une trompeuse chimere

faut-il quitter un bien charmant ?

Au tems heureux où l'on sçait plaire

qu'il est doux d'aimer tendrement !

 

CHŒUR

Ah ! quelle erreur ! quelle folie !

de ne pas joüir de la vie !

C'est aux jeux, c'est aux amours,

qu'il faut donner les beaux jours.

 
Les démons sous la figure des Nimphes, des Bergers et des Bergères, enchantent Renaud, et l'enchaînent durant son sommeil, avec des guirlandes de fleurs.
 

UNE BERGÈRE

On s'étonneroit moins que la saison nouvelle  

revînt sans amener les fleurs et les zephirs,

que de voir de nos ans la saison la plus belle

sans l'amour et sans les plaisirs.

Laissons au tendre amour la jeunesse en partage;

la sagesse a son tems, il ne vient que trop tôt:

ce n'est pas être sage,

d'être plus sage qu'il ne faut.

 

CHŒUR

Ah ! quelle erreur ! quelle folie !

De ne pas joüir de la vie !

C'est aux jeux, c'est aux amours,

qu'il faut donner les beaux jours.

 

Scène cinquième

Renaud endormy, Armide.

<- Armide

 

ARMIDE

(tenant un dard à la main)  

Enfin, il est en ma puissance,

ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur.

Le charme du sommeil le livre à ma vengeance;

je vais percer son invincible cœur.

Par lui, tous mes captifs sont sortis d'esclavage;

qu'il éprouve toute ma rage...

(Armide va pour frapper Renaud, et ne peut executer le dessein qu'elle a de lui ôter la vie.)

Quel trouble me saisit ! qui me fait hésiter !

Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié veut me dire ?

Frappons... Ciel ! qui peut m'arrêter !

Achevons... je fremis ! Vengeons-nous !... je soûpire !

Est-ce ainsi que je dois me venger ajourd'huy !

Ma colere s'éteint quand j'approche de lui.

Plus je le vois, plus ma fureur est vaine,

mon bras tremblant se refuse à ma haine.

Ah ! quelle cruauté de lui ravir le jour !

A ce jeune heros tout cede sur la terre.

Qui croiroit qu'il fût né seulement pour la guerre ?

Il semble être fait pour l'amour.

Ne puis-je me venger à moins qu'il ne perisse ?

Hé ! ne suffit-il pas que l'amour le punisse ?

Puisqu'il n'a pû trouver mes yeux assez charmans,

qu'il m'aime au moins par mes enchantemens,

que, s'il se peut, je le haisse.

 

Venez, secondez mes desirs,  

démons, transformez-vous en d'aimables zephirs.

Je cede à ce vainqueur, la pitié me surmonte;

cachez ma foiblesse et ma honte

dans les plus reculez deserts.

Volez, conduisez-nous au bout de l'univers.

 
Les démons transformez en zephirs, enlevent Renaud et Armide.
 

Fin (Acte deuxième)

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Une campagne, où une riviere forme une isle agreable

Artémidore, Renaud
 

Invincible heros, c'est par vôtre courage

Renaud
Artémidore ->
Renaud
<- Hidraot, Armide

Arrêtons-nous icy, c'est dans ce lieu fatal

Dans le piége fatal notre ennemi s'engage.

Renaud
Hidraot, Armide ->
Renaud
<- Une nayade, Nymphes, Bergers, Bergères, Une bergère
Renaud, Une nayade, Nymphes, Bergers, Bergères, Une bergère
<- Armide

Enfin, il est en ma puissance

(Les démons transformez en zephirs, enlevent Renaud et Armide.)

 
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Un palais. Une grande Place ornée d'un arc de triomphe. Une campagne, où une riviere forme une isle agreable Le théatre represente un desert Une vapeur s'élève et se répand dans le desert qui a paru au troisième acte. Des antres et des... Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide
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