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Scène première |
Le Théatre change, et represente une campagne, où une riviere forme une isle agreable. Artémidore, Renaud. |
Q
Artémidore, Renaud
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ARTÉMIDORE |
Invincible heros, c'est par vôtre courage
que j'échappe aux rigueurs d'un funeste esclavage:
aprés ce genereux secours,
puis-je me dispenser de vous suivre toûjours ?
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RENAUD |
Allez, allez, remplir ma place
aux lieux d'où mon malheur me chasse,
le fier Gernand m'a contraint à punir
sa téméraire audace:
d'une indigne prison Godefroy me menace,
et de son camp m'oblige à me bannir;
je m'en éloigne avec contrainte,
heureux ! si j'avois pû consacrer mes exploits
à délivrer la cité sainte
qui gemit sous de dures loix.
Suivez les guerriers qu'un beau zèle
presse de signaler leur valeur et leur foi:
cherchez une gloire immortelle,
je veux dans mon exil n'envelopper que moi.
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ARTÉMIDORE |
Sans vous, que peut-on entreprendre ?
Celui qui vous bannit ne pourra se défendre
de souhaiter votre retour.
S'il faut que je vous quitte, au moins ne puis-je apprendre
en quels lieux vous allez choisir vôtre sejour ?
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RENAUD |
Le repos me fait violence,
la seule gloire a pour moi des appas:
je prétends adresser mes pas
où la justice et l'innocence
auront besoin du secours de mon bras.
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ARTÉMIDORE |
Fuyez les lieux où règne Armide,
si vous cherchez à vivre heureux;
pour le cœur le plus intrepide
elle a des charmes dangereux.
C'est une ennemie implacable,
evitez ses ressemtimens:
puisse le ciel à mes vœux favorable
vous garantir de ses enchantemens !
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RENAUD |
Par une heureuse indifference
mon cœur s'est dérobé sans peine à sa puissance,
je la vis seulement d'un regard curieux.
Est-il plus mal-aisé d'éviter sa vengeance
que d'échaper au pouvoir de ses yeux ?
J'aime la liberté, rien ne m'a pû contraindre
à m'engager jusqu'à ce jour,
quand on peut mépriser les charmes de l'amour
quels enchantemens peut-on craindre ?
| Artémidore ->
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Scène seconde |
Hidraot, Armide. |
<- Hidraot, Armide
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HIDRAOT |
Arrêtons-nous icy, c'est dans ce lieu fatal
que la fureur qui nous anime
ordonne à l'empire infernal
de conduire nôtre victime.
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ARMIDE |
Que l'enfer aujourd'huy tarde à suivre nos loix !
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HIDRAOT |
Pour achever le charme il faut unir nos voix.
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HIDRAOT, ARMIDE |
Esprits de haine et de rage,
démons, obeïssez-nous.
Livrez à notre courroux
l'ennemi qui nous outrage.
Esprits de haine et de rage,
démons, obeïssez-nous.
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ARMIDE |
Démons affreux, cachez-vous
sous une agreable image.
Enchantez ce fier courage
par les charmes les plus doux.
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HIDRAOT, ARMIDE |
Esprits de haine et de rage,
démons, obeïssez-nous.
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| (Armide aperçoit Renaud qui s'approche des bords de la riviere.) | |
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ARMIDE |
Dans le piége fatal notre ennemi s'engage.
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HIDRAOT |
Nos soldats sont cachéz dans le prochain boccage,
il faut que sur Renaud ils viennent fondre tous.
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ARMIDE |
Cette victime est mon partage:
laissez-moi l'immoler, laissez-moi l'avantage
de voir ce cœur superbe expirer sous mes coups.
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| (Hidraot et Armide se retirent. Renaud s'arrête pour considérer les bords du fleuve, et quitte une partie de ses armes pour prendre le frais.) | Hidraot, Armide ->
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Scène troisième |
Renaud seul. |
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Plus j'observe ces lieux et plus je les admire,
ce fleuve coule lentement
et s'éloigne à regret d'un sejour si charmant.
Les plus aimables fleurs, et le plus doux zephire
parfument l'air qu'on y respire.
Non, je ne puis quitter des rivages si beaux.
Un son harmonieux se mêle aux buit des eaux;
les oiseaux enchantez se taisent pour l'entendre.
Des charmes du sommeil j'ai peine à me défendre;
ce gazon, cet ombrage frais,
tout m'invite au repos sous ce feüillage épais.
| S
(♦)
(♦)
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| (Renaud s'endort sur un gazon, au bord de la riviere.) | |
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Scène quatrième |
Renaud endormy, Une nayade qui sort du fleuve, Troupe de Nymphes, de Bergers et de Bergères. |
<- Une nayade, Nymphes, Bergers, Bergères, Une bergère
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UNE NAYADE
Au tems heureux où l'on sçait plaire
qu'il est doux d'aimer tendrement !
Pourquoi dans les périls, avec empressement
chercher d'un vain honneur l'éclat imaginaire ?
Pour une trompeuse chimere
faut-il quitter un bien charmant ?
Au tems heureux où l'on sçait plaire
qu'il est doux d'aimer tendrement !
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CHŒUR
Ah ! quelle erreur ! quelle folie !
de ne pas joüir de la vie !
C'est aux jeux, c'est aux amours,
qu'il faut donner les beaux jours.
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Les démons sous la figure des Nimphes, des Bergers et des Bergères, enchantent Renaud, et l'enchaînent durant son sommeil, avec des guirlandes de fleurs. | |
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UNE BERGÈRE
On s'étonneroit moins que la saison nouvelle
revînt sans amener les fleurs et les zephirs,
que de voir de nos ans la saison la plus belle
sans l'amour et sans les plaisirs.
Laissons au tendre amour la jeunesse en partage;
la sagesse a son tems, il ne vient que trop tôt:
ce n'est pas être sage,
d'être plus sage qu'il ne faut.
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CHŒUR
Ah ! quelle erreur ! quelle folie !
De ne pas joüir de la vie !
C'est aux jeux, c'est aux amours,
qu'il faut donner les beaux jours.
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Scène cinquième |
Renaud endormy, Armide. |
<- Armide
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ARMIDE |
(tenant un dard à la main)
Enfin, il est en ma puissance,
ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur.
Le charme du sommeil le livre à ma vengeance;
je vais percer son invincible cœur.
Par lui, tous mes captifs sont sortis d'esclavage;
qu'il éprouve toute ma rage...
(Armide va pour frapper Renaud, et ne peut executer le dessein qu'elle a de lui ôter la vie.)
Quel trouble me saisit ! qui me fait hésiter !
Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié veut me dire ?
Frappons... Ciel ! qui peut m'arrêter !
Achevons... je fremis ! Vengeons-nous !... je soûpire !
Est-ce ainsi que je dois me venger ajourd'huy !
Ma colere s'éteint quand j'approche de lui.
Plus je le vois, plus ma fureur est vaine,
mon bras tremblant se refuse à ma haine.
Ah ! quelle cruauté de lui ravir le jour !
A ce jeune heros tout cede sur la terre.
Qui croiroit qu'il fût né seulement pour la guerre ?
Il semble être fait pour l'amour.
Ne puis-je me venger à moins qu'il ne perisse ?
Hé ! ne suffit-il pas que l'amour le punisse ?
Puisqu'il n'a pû trouver mes yeux assez charmans,
qu'il m'aime au moins par mes enchantemens,
que, s'il se peut, je le haisse.
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Venez, secondez mes desirs,
démons, transformez-vous en d'aimables zephirs.
Je cede à ce vainqueur, la pitié me surmonte;
cachez ma foiblesse et ma honte
dans les plus reculez deserts.
Volez, conduisez-nous au bout de l'univers.
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Les démons transformez en zephirs, enlevent Renaud et Armide. | |
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