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Scène première |
Le théâtre représente le champ d'exécration, borné à gauche par la porte Colline et les remparts de Rome; à droite par le cirque de Flore et le temple de Vénus Ericine. On voit au fond le mont Quirinal, au sommet duquel s'éleve le temple de la Fortune. Sur la porte du champ on lit Sceleratus ager. On remarque sur la scene trois tombes de forme pyramidale: deux sont fermées d'une pierre noire, sur laquelle on lit en lettres d'or le nom de la vestale qu'elle renferme, et le millésime de sa mort. La troisième, destinée à Julia, est ouverte; un escalier conduit dans l'intérieur. Licinius, seul et dans le plus grand désordre. |
Q
Licinius
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Qu'ai-je vu ! quels apprêts ! quel spectacle d'horreur !
Mon ame s'abandonne à toute sa fureur.
Un aveugle transport me guide,
la terre frémit sous mes pas.
(allant vers la tombe ouverte)
Le voilà ce gouffre homicide
qui doit dévorer tant d'appas !
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[N. 14 - Air] | N
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Julia va mourir !... Non, non, je vis encore,
je vis pour défendre ses jours;
contre des dieux cruels qu'en vain le faible implore,
l'amour, le désespoir me prêtent leur secours.
| S
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Scène deuxième |
Licinius, Cinna. |
<- Cinna
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LICINIUS |
Cinna, que fait l'armée ?
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CINNA |
Il n'en faut rien attendre.
On gémit, on te plaint, on n'ose te défendre.
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LICINIUS |
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CINNA |
Tout le camp semble glacé d'effroi.
Mais pour mourir auprès de toi,
je t'amene à ma suite
de guerriers et d'amis une troupe d'élite;
rassemblés en secret sur le mont Quirinal,
de ton ordre avec eux j'attendrai le signal.
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LICINIUS |
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CINNA |
Compte sur mon courage:
des dangers près de toi j'ai fait l'apprentissage.
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[N. 15 - Air] | N
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Ce n'est plus le temps d'écouter
les vains conseils de la prudence:
mon bras, tu n'en saurais douter,
s'arme toujours pour ta défense.
Les dieux peuvent sur nous
appesantir leur main puissante;
mais tout l'effort de leur courroux
n'a rien dont mon cœur s'épouvante.
Il n'est pas au pouvoir du sort
de rompre le nœud qui nous lie,
et le jour témoin de ta mort
verra le terme de ma vie.
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Mais avant de tenter un combat inégal,
du pontife suprême invoque la puissance.
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LICINIUS |
De ce prêtre cruel l'aveuglement fatal
a de mon triste cœur banni toute espérance.
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CINNA |
Seul, il peut, détournant la colere des dieux,
arracher la vestale au sort qu'on lui destine.
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LICINIUS |
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CINNA |
La porte Colline
je le vois s'avancer dans ces funestes lieux;
je te laisse avec lui.
Il sort.
| Cinna ->
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Scène troisième |
Licinius, le souverain Pontife, Le chef des aruspices. |
<- Pontife, Le chef des aruspices
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LICINIUS |
D'un sacrifice affreux
l'appareil se prépare:
victime d'une loi barbare,
la beauté, la jeunesse est livrée aux bourreaux,
et vivante descend dans la nuit des tombeaux.
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PONTIFE |
Tel est l'ordre des dieux.
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LICINIUS |
Cependant leur clémence
peut laisser à ta voix désarmer leur vengeance.
Je viens pour Julia réclamer ton appui.
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PONTIFE |
Quoses-tu demander, quand l'état aujourd'hui,
quand le salut de Rome exige une victime ?
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LICINIUS |
Le salut des états ne dépend pas d'un crime.
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PONTIFE |
Ces tristes monuments te disent que jamais
Vesta n'a pardonné de semblables forfaits.
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LICINIUS |
Romulus en naissant bravait ta loi fatale;
Mars lui donna le jour au sein d'une vestale.
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PONTIFE |
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LICINIUS |
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PONTIFE |
Les dieux demandent son trépas:
qui pourrait s'opposer à leur ordre suprême ?
Qui pourrait à leurs coups la soustraire ?
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LICINIUS |
| |
PONTIFE |
Téméraire, quel crime oses-tu concevoir ?
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LICINIUS |
Connais-moi tout entier, connais mon seul espoir.
Je suis sou amant, son complice;
et je dois l'arracher ou la suivre au supplice.
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PONTIFE |
Tu périras sans la sauver:
contre un pouvoir divin, que tu prétends braver,
ta gloire est une arme frivole.
La roche Tarpéienne est près du Capitole.
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[N. 16 - Duo] | N
|
LICINIUS |
C'est à toi de trembler:
dans ma juste colere,
mon bras peut ébranler
ton autel sanguinaire.
| S
|
PONTIFE |
C'est à toi de trembler;
le ciel a son tonnerre.
| |
LICINIUS |
Si Julia périt, redoute mes transports.
| |
PONTIFE |
Les dieux arrêteront tes criminels efforts.
| |
LICINIUS |
J'ai des amis que ma fureur anime:
nous couvrirons ces champs de morts,
et nous sauverons la victime.
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PONTIFE |
Tremble, tremble, tes vains efforts
ne sauveront pas la victime.
| |
LICINIUS
C'est à toi de trembler.
Dans ma juste colere,
mon bras peut ébranler
ton autel sanguinaire.
Si Julia périt, redoute mes transports:
je veux qu'un horrible hécatombe
signale ces moments affreux,
et j'immolerai sur sa tombe
toi, tes prêtres cruels, et moi-même après eux.
|
Ensemble
PONTIFE
C'est à toi de trembler:
ta fureur téméraire
ne saurait m'ébranler;
le ciel a son tonnerre.
Les dieux arrêteront tes criminel efforts:
ils ont accepté l'hécatombe;
et, pour satisfaire à tes vœux
bientôt ici sur cette tombe
tes amis périront, et toi-même avec eux.
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| Licinius sort. | Licinius ->
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Scène quatrième |
Le souverain Pontife, Le chef des aruspices. |
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LE CHEF DES ARUSPICES |
Différons, croyez-moi, l'instant du sacrifice.
Il est puissant, vainqueur...
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PONTIFE |
Vénérable aruspice,
reposez-vous sur moi du soin religieux
d'arrêter les efforts d'un jeune furieux.
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LE CHEF DES ARUSPICES |
Du peuple et des soldats si la foule égarée...
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PONTIFE |
De nos divins autels la gloire est assurée.
Suivons notre devoir, et laissons faire aux dieux.
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Scène cinquième |
Julia, La grande vestale, Les précédents, Peuple, Prêtres, Soldats, Dames Romaines, Jeunes filles, Vestales, Consuls, etc. |
<- Julia, La grande vestale, Peuple, Prêtres, Soldats, Dames Romaines, Jeunes filles, Vestales, Consuls
|
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Julia, conduite par des licteurs, est entourée par ses parents el par un chœur de jeunes filles. On porte devant elle un autel éteint. Les vestales portent les ornements de la vestale condamnée. | |
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[N. 17 - Chœur et Marche funéraire] | N
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CHŒUR DE PEUPLE
(pendant la marche du cortège)
Périsse la vestale impie
objet de la haine des dieux;
que son trépas expie
son forfait odieux !
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CHŒUR DE JEUNES FILLES ET DE VESTALES
Tant de jeunesse, tant de charmes
vont périr au sein des douleurs.
Dieux cléments ! pardonnez les larmes
que nous arrachent ses malheurs.
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[N. 18 - Duo] | N
|
JULIA (aux vestales, à La grande vestale) |
Adieu, mes tendres sœurs. O vous que je révere,
du ciel en ma faveur désarmez le courroux;
à mes derniers moments tenez-moi lieu de mère;
bénissez votre fille embrassant vos genoux.
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| |
| Elle tombe à ses pieds. | |
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LA GRANDE VESTALE |
Ah ! je le sens, pour toi j'ai le cœur d'une mere,
et je bénis ma fille embrassant mes genoux.
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JULIA |
Plus heureuse, à présent, je puis quitter la terre.
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| |
| Après ce mouvement, les licteurs séparent Julia de ses compagnes. | |
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PONTIFE |
(auprès de l'autel de Jupiter, où il fait des libations)
De Jupiter auguste sœur,
Vesta, déesse protectrice,
ecoute nos chants de douleur,
et que le sacrifice
qu'exige ta justice
soit le garant de ta faveur !
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CHŒUR GÉNÉRAL |
Ecoute nos chants de douleur,
etc.
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| |
JULIA |
(sur le devant)
Le désespoir, la honte, un supplice effroyable,
dieux immortels, voilà mon sort !
Du sein de ces tombeaux quelle voix lamentable
m'appelle au séjour de la mort ?
| |
| |
CHŒUR GÉNÉRAL |
Périsse la vestale impie,
objet de la haine des dieux,
etc.
| |
| |
JULIA |
Un peuple entier demande que j'expire,
et presse les tourments qui me sont destinés;
ma mort importe au salut d'un empire;
eteignons sans regrets mes jours infortunés.
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[N. 20 - Air] | N
|
|
Toi que je laisse sur la terre,
mortel que je n'ose nommer,
tout mon crime fut de t'aimer,
et la mort ne peut m'y soustraire.
Hélas ! dans ces moments d'horreur,
autour de mon tombeau quand mon ame est errante,
de mon fatal amour la flamme dévorante
brûle encor au fond de mon cœur.
Des dieux la justice offensée
en vain s'éleve contre moi;
je t'adresse, en mourant, ma derniere pensée,
et mon dernier soupir s'exhale encor vers toi.
| S
(♦)
(♦)
|
| |
Pendant cet air, on fait les préparatifs du supplice: on descend dans la tombe un lit, un vase de lait, etc. | |
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CHŒUR DE FEMMES |
Tant de jeunesse, tant de charmes,
vont périr au sein des douleurs,
etc.
| |
| |
PONTIFE |
Dieux de cet empire,
par un forfait outragés,
que votre courroux expire;
vous allez être vengés.
(aux vestales)
Sur l'autel profané de la chaste déesse
que le voile de la prêtresse
soit suspendu dans ce moment;
et si Vesta pardonne à son erreur funeste,
aussitôt la flamme céleste
va consumer l'indigne vêtement.
| |
| |
Les vestales vont placer la robe sur l'autel; tous les yeux y restent fixés. | |
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[N. 19 - Chœur de femmes] | N
|
CHŒUR DE FEMMES |
Vesta, nous t'implorons pour la vierge coupable;
fais briller à nos yeux ta clarté secourable.
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| |
| Il se fait un long silence. | |
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PONTIFE |
(remettant à Julia une lampe allumée)
Les dieux ont prononcé ton juste châtiment,
la mort doit expier le crime.
Licteurs, dans son tombeau descendez la victime.
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JULIA |
(sur les marches du souterrain)
Adieu... tout !...
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Scène sixième et dernière |
Les mêmes, Licinius, Cinna, Soldats. Ils se précipitent du mont Quirinal. |
<- Licinius, Cinna, Soldats (II)
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LICINIUS |
Arrêtez, ministres de la mort !
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JULIA |
(appuyée sur la balustrade qui entoure sa tombe, une partie du corps en terre)
C'est sa voix !
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LICINIUS |
Vous allez immoler l'innocence.
C'est moi qui de Vesta mérite la vengeance:
je suis seul criminel, ordonnez de mon sort.
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CHŒUR |
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LICINIUS |
C'est moi de qui l'audace
secondant un aveugle amour,
de Vesta, dans la nuit, profana le séjour:
la prêtresse qu'ici votre courroux menace,
Julia, n'eut point part au crime de mes feux.
Qu'elle vive, et mon sang va couler à vos yeux.
Il appuie un glaive sur sa poitrine.
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JULIA |
Le courage toujours à la pitié s'allie:
pour suspendre ma mort, il brave le trépas;
mais à ma faute en vain ce héros s'associe;
il vous trompe, Romains; je ne le connais pas.
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LICINIUS (avec fureur) |
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CHŒUR DE PRÊTRES |
Le forfait les rassemble;
qu'ils périssent ensemble.
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CHŒUR DE GUERRIERS |
C'est un héros, c'est notre appui.
Avant que du vengeur de Rome
la perte à nos yeux se consomme,
nous périrons tous avec lui.
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CHŒUR DE PRÊTRES ET DE PEUPLE |
Le forfait les rassemble;
qu'ils périssent ensemble.
| |
PONTIFE (au peuple) |
Romains, de vos autels soyez les défenseurs.
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LICINIUS (aux siens) |
De l'innocence, amis, soyez les protecteurs.
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CHŒUR DE PRÊTRES |
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LICINIUS |
| |
JULIA |
De cette lutte impie
prévenons les dangers en terminant ma vie.
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| Elle descend dans le souterrain, dont les licteurs ferment aussitôt l'ouverture. Au même moment le peuple et les soldats qui tiennent pour le grand-prêtre se rangent devant l'entrée du souterrain, et se préparent à recevoir les soldats de Licinius. | Julia ->
|
| |
LICINIUS (aux siens) |
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| |
Au moment où l'on se prépare à en venir aux mains, le ciel s'obscurcit tout-à-coup; la foudre gronde avec fracas; la scene n'est plus éclairée que du feu des éclairs. | |
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[N. 21 - Finale] | N
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|
CHŒUR GÉNÉRAL
Ô terreur ! ô disgrâce !
La nuit couvre ces lieux;
la foudre nous menace:
est-ce justice ou grace
que vont faire les dieux ?
Effroyables tempêtes !
L'air brûlant sur nos tètes
roule en torrents de feux.
Ô terreur ! ô disgrace,
etc.
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| |
Les soldats, qui ne se voient plus, et qui sont glacés d'effroi, se mêlent sans combattre. Licinius et Cinna descendent dans la tombe, et à la fin de la derniere partie du chœur, le fond du théâtre s'ouvre dans sa partie élevée, et laisse voir un volcan de feu d'où la foudre s'échappe et vient embraser sur l'autel la robe de la prêtresse. Le feu reste allumé. | Licinius, Cinna ->
|
| |
| | |
| |
Le théâtre change, et représente le cirque de Flore et le temple de Vénus Erycine. | Q
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|
PONTIFE
Soldats, peuple, arrêtez !
Quel ravissant spectacle !
Le ciel, par un miracle,
manifeste ses volontés.
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| |
| Licinius et Cinna ont ramené sur le devant de la Scène Julia évanouie; elle reprend insensiblement ses esprits. | <- Licinius, Cinna, Julia
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| Voyez sur cet autel la flamme étincelante. | |
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LICINIUS, CINNA |
| |
JULIA |
Où suis-je ? et qu'est-ce que je vois ?
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PONTIFE |
Une déesse bienfaisante
révoque en ce moment ses rigoureuses lois;
Mars a désarmé sa colere,
et Vesta d'une chaîne austere
délivre sa prêtresse, et couronne ton choix.
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JULIA ET LICINIUS |
Qu'entends-je ? quel espoir !
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PONTIFE |
Sa puissance divine
vous dérobe l'aspect de ces funestes lieux:
le temple du pardon va s'ouvrir à vos yeux;
adorez Vénus Erycine.
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Le Pontife s'éloigne, et les vestales sortent avec lui, emportant le feu sacré. | |
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Le théâtre change, et représente le cirque de Flore et le temple de Vénus Erycine. | Q
<- Prêtresses de Vénus
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LES PRÊTRESSES DE VÉNUS |
Mortels, renaissez au bonheur;
parez-vous des fleurs les plus belles:
Vénus de deux amants fideles
en ce jour couronne l'ardeur.
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JULIA |
O clémence infinie !
Le flambeau de mes jours vient de se rallumer;
je reçois de l'amour nue nouvelle vie,
à Licinius
et je la reçois pour t'aimer.
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LES PRÊTRESSES DE VÉNUS |
(conduisant Julia à l'autel)
Amante fortunée,
consacrez vos serments aux autels d'hyménée.
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JULIA (à Licinius) |
Sur cet autel sacré, viens recevoir ma foi.
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LICINIUS |
De tes regards mon cœur s'enivre;
l'univers est changé pour moi.
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JULIA |
C'est pour toi seul que je veux vivre;
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LICINIUS, JULIA |
Sur cet autel sacré, viens recevoir ma foi.
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CHŒUR FINAL
L'espoir est rentré dans notre ame;
nos prieres, nos pleurs ont appaisé les dieux:
Vesta sur son autel a rallumé la flamme
qu'elle conserve dans les cieux.
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La pièce se termine par des jeux et des danses analogues au culte de Vénus Erycine, dans lesquelles on célebre l'hymen de Licinius et de Julia. | |
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