Acte deuxième

 

Scène première

Le théâtre représente l'intérieur du temple de Vesta, de forme circulaire. Les murailles sont décorées de lames de feu. Le feu sacré brûle sur un vaste autel de marbre, au centre du sanctuaire. La vestale de garde a un siège ménagé dans le massif de l'autel, auquel on arrive par des gradins circulaires. Une porte de bronze occupe le fond de la scène; d'autres portes plus petites conduisent au logement particulier des vestales, et dans les autres parties du temple. Le palladium est placé sur un socle derrière l'autel.
Julia, La grande vestale, Les vestales

 Q 

Julia, La grande vestale, Les vestales

 
[N. 7 - Hymne du soir]

 N 

LES VESTALES

(autour de l'autel)  

Feu créateur, ame du monde,

de la vie emblème immortel,

que ta flamme active et féconde

brille à jamais sur cet autel.

 

LA GRANDE VESTALE

(en remettant à Julia la verge d'or qui sert à attiser le feu)  

Du plus auguste ministère,

le signe révéré que je mets en vos mains,

cette nuit, Julia, vous rend dépositaire

de la faveur des dieux et du sort des Romains.

Cette heure auguste et solennelle

vous met en présence des dieux;

songez qu'ils puniront un soupir infidèle,

et que ces voûtes ont des yeux.

 

LES VESTALES

(en sortant)

Feu créateur, âme du monde,

etc.

 

La grande vestale, Les vestales ->

 

Scène deuxième

Julia seule, dans l'attitude du plus profond accablement; elle s'agenouille sur les marches de l'autel, où elle reste un instant prosternée.

 
[N. 8 - Air]

 N 

Toi que j'implore avec effroi,    

redoutable déesse,

que ta malheureuse prêtresse

obtienne grace devant toi.

Tu vois mes mortelles alarmes,

mon trouble, mes combats, mes remords, ma douleur,

laisse-toi fléchir par mes larmes,

etouffe ma funeste ardeur.

S

 

 

(elle se lève, monte sur l'autel, et attise le feu)  

Sur cet autel sacré, que ma priere assiege,

je porte en frémissant une main sacrilege.

Mon aspect odieux

fait pâlir la flamme immortelle:

Vesta ne reçoit point mes vœux,

et je sens que son bras me repousse loin d'elle.

(elle parcourt la scene d'un pas égaré)

Eh bien ! fils de Vénus, tu le veux, je me rends !

où vais-je ? ô ciel ! quel délire

s'est emparé de mes sens !...

Un pouvoir invincible à ma perte conspire;

il m'entraîne, il me presse... Arrête, il en est temps;

la mort est sous tes pas, la foudre sur ta tête...

(avec délire)

Licinius est là, je pourrais le revoir,

l'entendre, lui parler; et la crainte m'arrête !...

Non, je n'hésite plus; l'amour, le désespoir

prononcent mon arrêt.

 
[N. 9 - Air]

 N 

Suspendez la vengeance,  

impitoyables dieux !

Que le bienfait de sa présence

enchante un seul moment ces lieux,

et Julia, soumise à votre loi sévère,

abandonne à votre colere

le reste infortuné de ses jours odieux.

Le sort en est jeté, ma carriere est remplie:

viens, mortel adoré, je te donne ma vie.

(elle ouvre la porte du temple, et va s'appuyer contre l'autel)

 

Scène troisième

Julia, Licinius.

<- Licinius

 

LICINIUS
(au fond)

Julia !  

JULIA

C'est sa voix !

LICINIUS

Julia !

JULIA

L'autel tremble !

LICINIUS

Enfin je te revois !

JULIA

Dans quel temps ! dans quels lieux !

LICINIUS

Le dieu qui nous rassemble

veille autour de ces murs, et prend soin de tes jours.

JULIA

Je ne crains que pour toi.

LICINIUS

Des dangers que tu cours

j'ai repoussé l'image.

Par ce terrible effort, juge de mon courage.

JULIA

Licinius...

LICINIUS

(s'approchant)

Reçois le serment que je fais;

je vivrai pour t'aimer, te servir, te défendre.

JULIA

Au bonheur d'un instant je puis du moins prétendre.

LICINIUS

N'est-il donc point d'asile au milieu des forêts,

sous un ciel étranger, dans quelque antre sauvage ?

Dis un mot, un seul mot; d'un affreux esclavage

je puis t'affranchir.

JULIA

Non, jamais.

Dispose de mes jours, je te les sacrifie:

je dois compte des tiens aux dieux, à la patrie;

et, parmi les périls qu'il m'est doux de braver,

ta gloire est tout pour moi, je la veux conserver.

 
[N. 10 - Air]

 N 

LICINIUS

Les dieux prendront pitié du sort qui nous accable;  

ils ont jeté sur nous un regard favorable.

Fille du ciel, idole de mon cœur,

sois à jamais l'arbitre de ma vie;

un seul de tes regards est pour moi le bonheur;

va, c'est aux immortels à nous porter envie:

que puis-je desirer auprès de Julia ?

 

JULIA

Auprès de celle qui t'adore,  

qui frémit de t'aimer en le jurant encore...

LICINIUS

Vénus un jour nous unira;

c'est elle que mon cœur atteste.

JULIA

(regardant l'autel)

Eloigne-toi de cet autel funeste,

le feu pâlit.

 
Julia monte sur l'autel, attise le feu. Licinius se retire avec frayeur dans le fond.
 

LICINIUS

Chaste divinité,

dissipe un sinistre présage.

Tout mon crime, Vesta, c'est d'aimer ton image,

et nos feux ont des tiens toute la pureté.

JULIA ET LICINIUS

L'amour qui brûle dans notre âme

ne saurait être criminel;

nous avons épuré sa flamme

en l'allumant sur ton autel.

JULIA

La fille de Saturne entend notre priere:

de l'autel embrasé l'éclatante lumiere

signale autour de nous la céleste faveur.

LICINIUS

Ah ! je ne doutais pas d'un pouvoir que j'adore.

Quel dieu, quand Julia l'implore,

pourrait, en l'écoutant, conserver sa rigueur !

JULIA

(descend de l'autel, et s'approche de Licinius)

Au bonheur je viens de renaître;

du passé je n'ai plus qu'un faible souvenir,

un nuage à mes yeux s'étend sur l'avenir,

et l'instant où je suis réunit tout mon être.

Quel trouble !

 
[N. 11 - Duo]

 N 

LICINIUS

Quels transports !  

JULIA

Je suis auprès de toi.

LICINIUS

De tes regards mon cœur s'enivre;

sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

JULIA

À l'amour mon ame se livre;

sur cet autel sacré viens recevoir ma foi

LICINIUS, JULIA

Dans l'ivresse du bien suprême,

j'oublie et la terre et les dieux.

Ô douce moitié de moi-même !

Le ciel est pour moi dans tes yeux.

LICINIUS

À l'amour mon ame se livre;

l'univers n'est plus rien pour moi.

JULIA

C'est pour toi seul que je veux vivre.

LICINIUS

Pour toi Licinius veut vivre.

JULIA ET LICINIUS

Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

 
Au moment où les deux amants vont pour monter à l'autel, le feu, qui s'est affaibli par degré, s'éteint tout-à-coup, et le théâtre n'est plus éclairé que de la faible clarté qu'on peut supposer venir du dehors.
 

JULIA

Quelle nuit !  

LICINIUS

Justes dieux !

JULIA

(sur l'autel)

Ma perte est assuré:

plus d'espoir, j'ai vécu; la flamme est expirée.

LICINIUS

Que dis-tu ?

JULIA

C'en est fait.

LICINIUS

Tu me glaces d'effroi.

 

Scène quatrième

Les mêmes, Cinna.

<- Cinna

 

CINNA

(se précipitant dans le temple)  

Licinius !

JULIA

Quelle voix !...

CINNA

Le temps presse:

vers la première enceinte on entend quelque bruit;

nous pouvons échapper dans l'ombre de la nuit;

profitons des moments que le destin nous laisse.

LICINIUS
(à Cinna)

Regarde cet autel; le feu céleste est mort,

et tu veux que je l'abandonne !

JULIA

Ta présence en ces murs, loin de changer mon sort,

des horreurs du trépas sans espoir m'environne.

LICINIUS
(à Julia, d'un ton égaré)

Eh bien ! suis-moi... sortons.

CINNA

(l'arrêtant)

Que dis-tu, malheureux ?

Tu vas creuser sa tombe.

LICINIUS

O désespoir affreux !

Julia !

CINNA

Quel délire !

 
[N. 12 - Trio]

 N 

JULIA

Ah ! si je te suis chere,  

prends pitié de tes jours:

à ses maux étrangere,

mon âme est tout entiere

aux dangers que tu cours.

Au nom du saint nœud qui nous lie,

quitte ces tristes lieux;

en t'éloignant, sauve ma vie.

LICINIUS

Dans ce temple odieux,

je laisserais toujours ma vie.

CINNA

De ces funestes lieux

eloignons-nous, je t'en supplie.

Viens.

Il le saisit.

LICINIUS

Moi, que je la quitte !

JULIA

Il le faut.

LICINIUS

Je ne puis.

CINNA

Un seul moment encore, elle meurt...

LICINIUS

(avec fureur, à Cinna)

Je te suis.

Je n'en crois plus que mon audace.

(à Julia)

Mon amour t'a perdue, il doit te protéger:

quel que soit aujourd'hui le sort qui te menace,

je saurai t'y soustraire ou bien le partager.

CINNA

(écoutant)

Les cris du peuple se font entendre en dehors.

Des sons lointains se font entendre,

hâtons-nous de sortir.

LICINIUS

Dieux immortels, quel parti prendre ?

CINNA

Fuyons.

JULIA

Fuyez.

LICINIUS

Que vas-tu devenir ?

JULIA

Au nom de l'amour le plus tendre !

JULIA

Des sons lointains se font entendre,

sortez pour me défendre.

Ensemble

LICINIUS, CINNA

Des sons lointains se font entendre,

sortons pour la défendre.

 

LICINIUS

Je vais te sauver, ou mourir.

 
Ils sortent.

Licinius, Cinna ->

 

Scène cinquième

Julia seule.

 

 

Il vivra... D'un œil ferme  

je puis de mon destin envisager l'horreur;

mes jours étaient comptés par la douleur,

un instant de bonheur en a marqué le terme,

ne les regrettons pas... On vient. Quelles clameurs ?

Licinius ! Grands dieux ! s'il étoit... Je me meurs.

(elle tombe évanouie sur les marches de l'autel)

 

Scène sixième

Julia, Le souverain Pontife, Prêtres, Vestales.

<- Pontife, Prêtres, Vestales, Licteurs

 
Les prêtres entrent par la porte à droite, les vestales par celle de gauche. Licinius est sorti par le fond.
Le théâtre s'éclaire.
 

CHŒUR DE PEUPLE
(en dehors)

Les dieux demandent vengeance:  

deux sacrileges mortels

ont souillé les saints autels

de leur indigne présence.

 

PONTIFE

Ô crime ! ô désespoir ! ô comble des revers !  

Le feu céleste éteint !... la prêtresse expirante !

Les dieux, pour signaler leur colere éclatante,

vont-ils dans le chaos replonger l'univers ?

 
Des vestales s'empressent autour de Julia.
 

JULIA

Eh ! quoi je vis encore ?

UNE VESTALE

Ô fille infortunée !

PONTIFE

Du temple de Vesta l'enceinte est profanée;

les dieux et le peuple d'accord

poursuivent le forfait, réclament la victime.

Est-ce à vous d'expier le crime ?

Répondez, Julia.

JULIA

Qu'on me mene à la mort:

je l'attends, je la veux; elle est mon espérance,

de mes longues douleurs l'affreuse récompense:

le trépas m'affranchit de votre autorité,

et mon supplice au moins sera ma liberté.

Prêtre de Jupiter, je confesse que j'aime.

PONTIFE

Sous ces portiques saints, quel horrible blasphème !

Ainsi, du temple auguste outrageant tous les droits,

à vos vœux infidele, à vos serments parjure,

votre cœur a trahi la plus sainte des lois.

JULIA

Est-ce assez d'une loi pour vaincre la nature ?

 
[N. 13 - Finale]

 N 

CHŒUR DE PRÊTRES

Sa bouche a prononcé l'arrêt;  

la mort est due à son forfait.

 

JULIA

Ô des infortunés déesse tutélaire !  

Latone, écoute ma priere;

mon dernier vœu doit te fléchir:

daigne, avant que j'y tombe,

ecarter de ma tombe

le mortel adoré pour qui je vais mourir.

S

Sfondo schermo () ()

 

PONTIFE

Nommez ce mortel téméraire

qui, de Vesta sur vous attirant la colère,

dans l'enceinte sacrée osa porter ses pas.

Quel est son nom ?

JULIA

Ne le saurez pas.

PONTIFE

Interprète suprême

du céleste courroux,

ma voix lance sur vous

le terrible anathême.

JULIA

Le temps finit pour moi, mes jours sont effacés;

de la mort sur mon front je sens les doigts glacés.

PONTIFE

De ces lieux prêtresse adultere,

préparez-vous à sortir pour jamais:

allez dans le sein de la terre,

allez au jour dérober vos forfaits.

(aux vestales)

De son front, que la honte accable,

détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,

et livrez sa tête coupable

aux mains sanglantes des licteurs.

 
On dépouille Julia de ses ornements de vestale, qu'on lui donne à baiser.
 
Chœur général.

CHŒUR
(I)

De son front que la honte accable

détachons ces bandeaux, ces voiles imposteurs,

et livrons sa tête coupable

aux mains sanglantes des licteurs.

Ensemble

CHŒUR
(II)

De son front que la honte accable

détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,

et livrez sa tête coupable

aux mains sanglantes des licteurs.

 
Le grand Pontife jette un voile noir sur la tête de Julia, qui sort escortée des licteurs, par la porte du fond; les vestales et les prêtres sortent par les portes latérales.

Julia, Licteurs, Vestales, Prêtres, Pontife ->

 

Fin (Acte deuxième)

Acte premier Acte deuxième Acte troisième

L'intérieur du temple de Vesta, de forme circulaire.

Julia, La grande vestale, Les vestales
 

[N. 7 - Hymne du soir]

Du plus auguste ministère

 
Julia
La grande vestale, Les vestales ->

[N. 8 - Air]

Sur cet autel sacré, que ma priere assiege

[N. 9 - Air]

Julia
<- Licinius

Julia! / C'est sa voix!

[N. 10 - Air]

Auprès de celle qui t'adore

[N. 11 - Duo]

(au moment où les deux amants vont pour monter à l'autel, le feu, qui s'est affaibli par degré, s'éteint tout-à-coup)

Quelle nuit! / Justes dieux! / Ma perte est assuré

Julia, Licinius
<- Cinna

Licinius! / Quelle voix! / Le temps presse

[N. 12 - Trio]

Julia, Licinius, Cinna
Ah! si je te suis chere
Julia
Licinius, Cinna ->

Il vivra... D'un œil ferme

Julia
<- Pontife, Prêtres, Vestales, Licteurs

Ô crime! ô désespoir! ô comble des revers!

[N. 13 - Finale]

Chœur, Julia, Pontife
Sa bouche a prononcé l'arrêt
Julia, Licteurs, Vestales, Prêtres, Pontife ->
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième
Le théâtre représente le forum. A gauche l'atrium, ou logement particulier des vestales, qui... L'intérieur du temple de Vesta, de forme circulaire. Le théâtre représente le champ d'exécration, borné à gauche par la porte Colline et les remparts... Le fond du théâtre s'ouvre dans sa partie élevée, et laisse voir un volcan de feu. Le théâtre change, et représente le cirque de Flore et le temple de Vénus Erycine
[N. 1 - Air] [N. 2 - Duo] [N. 3 - Hymne du matin] [N. 4 - Air] [N. 5 - Air] [N. 6 - Finale] [N. 7 - Hymne du soir] [N. 8 - Air] [N. 9 - Air] [N. 10 - Air] [N. 11 - Duo] [N. 12 - Trio] [N. 13 - Finale] [N. 14 - Air] [N. 15 - Air] [N. 16 - Duo] [N. 17 - Chœur et Marche funéraire] [N. 18 - Duo] [N. 20 - Air] [N. 19 - Chœur de femmes] [N. 21 - Finale]
Acte premier Acte troisième

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