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Scène première. |
Le théâtre représente l'intérieur d'un château fort. Sur le devant est une terrasse. Elle est entourée de grilles de fer, et cette terrasse est disposée de façon que Richard, lorsqu'il y est, ne peut voir le fond du théâtre, qui représente un fossé revêtu extérieurement d'un parapet. C'est sur la terrasse que paraît Richard, et c'est sur le parapet que Blondel est vu. Le roi Richard, Florestan |
Q
Richard, Florestan
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| (Le théâtre est peu éclairé, surtout dans le fond; il s'éclaire par degré; l'aurore se lève après le crépuscule.) | |
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FLORESTAN |
L'aurore va se lever, profitez-en, sire, pour votre santé: dans une heure on va vous renfermer.
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RICHARD |
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FLORESTAN |
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RICHARD |
Votre fortune est dans vos mains.
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FLORESTAN |
Je le sais, sire; mais mon honneur...
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RICHARD |
Pour un perfide ! pour un traître !
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FLORESTAN |
Pour un traître ! s'il l'était, sire, je ne le servirais pas. Non, je ne le servirais pas, si je croyais qu'il fût un perfide.
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RICHARD |
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| (Florestan fait une révérence respectueuse, ne répond rien et sort.) | Florestan ->
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Scène deuxième |
Richard, sur la terrasse. |
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RICHARD |
Ah, grand dieu ! quel funeste coup du sort ! convert de lauriers cueillis dans la Palestine, au milieu de ma gloire, dans la vigueur de l'âge, être obscurément confiné comme le dernier des hommes, dans le fond d'une prison.
(Il se lève.)
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Si l'univers entier m'oublie,
s'il faut ici passer ma vie,
que sert ma gloire, ma valeur ?
(Il regarde le portrait de Marguerite.)
Douce image de mon amie,
viens calmer, consoler mon cœur;
un instant suspens ma douleur.
Ô souvenir de ma puissance !
Crois-tu ranimer ma constance ?
Non, tu redoubles mon malheur.
Ô mort ! viens terminer ma peine;
ô mort ! viens, viens briser ma chaîne:
l'espérance a fui de mon cœur.
| S
(♦)
(♦)
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Scène troisième |
Richard, Blondel, Antonio. |
<- Antonio, Blondel
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| (Richard est le coude appuyé sur une saillie de pierre, et paraît abymé dans le plus profond chagrin. Sa tête est en partie cachée par sa main.) | |
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BLONDEL |
Petit garçon, arrêtons-nous ici: j'aime à respirer cet air frais et pur qui annonce et accompagne le lever de l'aurore. Où suis-je à présent ?
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ANTONIO |
Près du parapet de cette forteresse, où vous m'avez dit de vous mener.
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BLONDEL |
C'est bien.
(Comme il semble tâter le parapet pour monter dessus.)
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ANTONIO |
Ah, ne montez pas dessus ce parapet, vous tomberiez dans un grand fossé plein d'eau, et vous vous noyeriez.
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BLONDEL |
Ah ! je n'en ai pas d'envie. Tiens, mon fils, voilà de l'argent, va nous chercher quelque chose pour déjeûner.
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ANTONIO |
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BLONDEL |
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ANTONIO |
En vous remerciant
(Il part.)
| Antonio ->
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BLONDEL |
Quand tu seras revenu, nous irons promener. Sans doute que les campagnes sont aussi belles que je les ai vues autrefois. Au défaut de mes yeux, je me plais à l'imaginer. Tu ne réponds pas. Ah ! est-il parti ?
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Scène quatrième |
Richard, sur sa terrasse; Blondel, monte et s'arrange sur le parapet. |
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RICHARD |
Une année ! une année entière se passe, sans que je reçoive aucune consolation, et je ne prévois aucun terme au malheur qui m'accable.
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BLONDEL |
S'il est ici, le calme du matin, le silence qui règne dans ces lieux laissera sans doute pénétrer ma voix jusqu'au fond de sa retraite. Eh ! s'il est ici, peut-il n'être pas frappé d'une romance qu'autrefois l'amour lui a inspirée ? Auteur, amoureux et malheureux, que de raisons pour s'en souvenir !
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RICHARD |
Trône, grandeurs, souveraine puissance ! vous ne pouvez donc rien contre une telle infortune ! Et Marguerite ! Marguerite !
(Pendant ce couplet, Blondel paraît accorder son violon presque'en sourdine, afin de faire sentir qu'il est très- loin. Il commence à jouer lors du mot, Marguerite.)
Quels sons ! ô ciel, est-il possible qu'un air que j'ai fait pour elle, ait passé jusqu'ici ! Écoutons.
(Lorsque Blondel commence à chanter.)
Ciel ! quels accens !... quelle voix ?
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BLONDEL |
Une fièvre brûlante
un jour me terrassait...
| S
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RICHARD |
Je connais cette voix-là.
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BLONDEL |
et de mon corps chassait
mon âme languissante;
madame approche de mon lit,
et loin de moi la mort s'enfuit.
(Il s'arrête et écoute.)
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| (Pendant ce couplet, Richard marque tous les degrés de surprise, de joie et d'espérance. Il cherche à se rappeler la fin du couplet, s'en souvient et dit:) | |
RICHARD |
Un regard de ma belle
fait dans mon tendre cœur
à la peine cruelle
succéder le bonheur.
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| (Pendant ce couplet, Blondel marque la joie la plus vive, il a même l'air de se trouver mal de saisissement.) | |
BLONDEL |
Dans une tour obscure
un roi puissant languit;
son serviteur gémit
de sa triste aventure.
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RICHARD (dit) |
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RICHARD |
Si Marguerite était ici,
je m'écrirais, plus de souci.
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BLONDEL
Un regard de sa belle
fait dans son tendre cœur
à la peine cruelle
succéder le bonheur.
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Ensemble
RICHARD
Un regard de ma belle
fait dans mon tendre cœur
à la peine cruelle
succéder le bonheur.
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| (Blondel répète le refrain, en faisant la deuxième partie; il danse, il saute, exprime sa joie, par l'air qu'il joue sur son violon.) | |
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Scène cinquième |
Blondel, Richard, Florestan, Des soldats. |
<- Florestan, Soldats
Richard, Florestan, Soldats ->
<- Autres soldats
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| (Le gouverneur et des soldats font rentrer le roi; la porte de la terrasse se ferme. Des soldats s'emparent de Blondel, et le font passer par une poterne, et entrer dans les fortifications. Alors il paraît au-devant du théâtre.) | |
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LES SOLDATS |
Sais-tu, connais-tu, sais-tu,
qui peut t'avoir répondu ?
Réponds, réponds, reponds vite:
ah ! que tu n'en es pas quitte.
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BLONDEL (feignant d'avoir peur) |
Sans doute quelque passant
que divertissait mon chant.
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LES SOLDATS |
En prison, vite en prison;
tu diras-là ta chanson.
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BLONDEL |
Ah, messieurs, point de colère;
ayez pitié de ma misère.
Les Sarrasins, furieux,
de la lumière des cieux
ont privé mes pauvres yeux.
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LES SOLDATS |
Ah, tant mieux pour toi, tant mieux:
tu périrais dans ces lieux
si tu portais de bons yeux.
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BLONDEL |
Ah, messieurs ! attende donc;
je dois obtenir mon pardon.
Je veux parler à monsieur,
à monsieur le gouverneur,
pour un avis important
qu'il doit savoir à l'instant.
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DES SOLDATS (à un officier) |
Il veut parler à monsieur,
à monsieur le gouverneur.
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BLONDEL |
Pour un avis important
qu'il doit savoir à l'instant.
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LES SOLDATS |
Pour un avis important,
qu'il doit savoir à l'instant.
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LES OFFICIERS ET LES SOLDATS |
Tu vas parler à monsieur,
à monsieur le gouverneur,
puisque l'avis important
doit être su dans l'instant.
Le voici; mais prends garde à toi:
oui sur ma foi,
tu périrais,
si tu mentais,
si tu mentais à monseigneur,
à monseigneur le gouverneur.
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Scène sixième |
Les précédens, Florestan. |
<- Florestan
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UN SOLDAT |
Voici monseigneur le gouverneur.
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BLONDEL |
Où est-il, monseigneur le gouverneur ?
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FLORESTAN |
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BLONDEL |
De quel côté ? où est-il ?
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FLORESTAN |
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BLONDEL |
J'ai un avis important à lui donner.
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FLORESTAN |
Eh bien, de quoi s'agit-il ? mais ne cherche points à mentir, ni à m'amuser; car à l'instant tu perdrais la vie.
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BLONDEL |
Ah, monsieur ! c'est être déjà mort à moitié que d'avoir perdu la vue: eh ! comment un pauvre aveugle pourrait-il prétendre à vous tromper ?
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FLORESTAN |
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BLONDEL |
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FLORESTAN |
Oui. Retirez-vous, vous autres.
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| (Les soldats se retirent dans le fond.) | |
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BLONDEL |
Monsieur, c'est que la belle Laurette...
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FLORESTAN |
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BLONDEL |
C'est que la belle Laurette m'a lu la lettre que vous lui avez écrite, afin que vous vissiez que je suis envoyé par elle: or, vous y dites que vous vous jetez à ses pieds, et vous lui demandez un rendez-vous pour cette nuit.
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FLORESTAN |
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BLONDEL |
Eh bien, monsieur, elle m'a dit de vous dire que vous pouviez venir à l'heure que vous vous voudriez.
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FLORESTAN |
Comment, à l'heure que je voudrais ?
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BLONDEL |
Il y a chez son père une dame de haut parage, qui, pour célébrer la joie d'une nouvelle intéressante, y donne toute la nuit à danser, à boire, à manger et rire et vous pourriez y venir sous quelque prétexte; alors la belle Laurette trouvera toujours bien l'occasion de vous dire quelque petite chose.
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FLORESTAN |
C'est donc pour me parler que tu as chanté ?
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BLONDEL |
C'est pour être mené vers vous que j'ai fait tout ce bruit avec mon violon.
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FLORESTAN |
Il n'y a pas de mal: dis-lui que j'irai. Mais se servir d'un aveugle pour faire une commission ! ah ! elle est charmante ! va-t-en.
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BLONDEL |
Mais, monsieur le gouverneur ! monsieur le gouverneur !
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FLORESTAN |
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BLONDEL |
Ah, vous voilà de ce côté là. Pour qu'on ne soupçonne rien de ma mission, grondez-moi bien fort, et renvoyez-moi.
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FLORESTAN |
Tu as raison.
(à part)
Ce drôle a de l'esprit.
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Pour le peu que tu m'as dit,
fallait-il faire ce bruit !
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BLONDEL |
Ah ! je n'ai pas fait de bruit;
vos soldats ont fait ce bruit.
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LES SOLDATS |
Téméraire, téméraire !
Tu devrais, tu dois te taire.
Alarmer la garnison !
tu devrais être en prison.
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Scène huitième |
Les précédens, Antonio. |
<- Antonio
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| (Il a un pain passé dans un baton.) | |
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ANTONIO |
Ah, messieurs ! pardon, pardon.
Ayez pitié de sa misère.
Les Sarrasins furieux,
ont privé ses pauvres yeux
de la lumière des cieux.
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LES SOLDATS |
Ah, tant mieux, tant mieux,
s'il avait porté de bons yeux,
il périrait dans ces lieux.
Va, retire-toi:
mais prends garde à toi;
ici si jamais
tu paraissais,
tu périrais.
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BLONDEL |
Messieurs, croyez-moi,
ici si jamais
je revenais,
je me soumets à votre loi.
Ah, croyez-moi.
Ah, croyez-moi.
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ANTONIO |
Ici si jamais
il revenait,
ah, ce serait
sans moi, sans moi;
ah, ce serait
sans moi, sans moi.
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| (Blondel s'en va en repassant par la poterne avec son guide; et les soldats et le gouverneur, par la porte qui lui a servi d'entrée.) | Blondel, Antonio, Florestan, Autres soldats ->
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