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Pendant l'ouverture |
Le théâtre représente les environs d'un château fort; on en voit les tours, les crénaux. Il est élevé dans un lieu agreste; des montagnes stériles, et des forêts sombres et touffues paraissent entourer le lieu. Sur un des côtés est une maison, qui a l'apparence d'une gentilhommière; on en voit la porte; un banc est de l'autre côté. |
Q 
(aucun)
<- Paysans
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| (Pendant l'ouverture, passent plusieurs paysans, avec leurs outils de travail sur leurs épaules; ils sont en veste, et portent leurs habits.) | |
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PAYSANS
Chantons, chantons,
célébrons cette journée,
à demain la matinée;
chantons, chantons,
retournons dans nos maisons.
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| (L'ouverture continue.) | |
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LES MÊMES |
Sais-tu que c'est demain
que le vieux Mathurin
refait son mariage:
oui, le fait est certain,
nous danserons demain,
nous boirons du bon vin.
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| (L'ouverture continue.) | |
| <- Colette, Autres paysans
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COLETTE |
Antonio, je gage
en ce moment
est bien loin du village:
ah ! quel cruel tourment !
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AUTRE TROUPE DE PAYSANS |
Colette, c'est demain
que le vieux Mathurin
refait son mariage.
Fille, point de chagrin;
nous danserons demain,
nous boirons du bon vin.
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| (L'ouverture continue.) | |
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Le vieux Mathurin et sa vieille femme. | <- Mathurin, Femme de Mathurin
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LE VIEUX MATHURIN |
Comment, c'est demain
que ton vieux Mathurin
avec toi, ma femme, se remet en train !
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LA FEMME |
Après cinquante ans,
il est encor temps
de nous montrer gais, et d'être contens.
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| Paysans, Colette, Autres paysans, Mathurin, Femme de Mathurin ->
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Scène première |
Blondel, Antonio. |
<- Blondel, Antonio
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BLONDEL |
Antonio, qu'est-ce que j'entends ? j'entends, je crois, chanter ?
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ANTONIO |
Ce n'est rien; c'est tout le hameau qui s'en retourne chez lui après le travail des champs: le soleil est couché.
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BLONDEL |
Où suis-je ici, mon petit ami ?
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ANTONIO |
Vous n'êtes pas loin d'un château où il y a des tours, des crénaux: je vois tout en haut un soldat qui fait faction avec son arbalète.
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BLONDEL |
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ANTONIO |
Tenez, asseyez-vous sur cette pierre; c'est un banc.
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BLONDEL |
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ANTONIO |
C'est un banc qui est vis-à-vis la porte d'une maison qui paraît être une ferme; c'est comme une maison de gentilhomme.
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BLONDEL |
Eh bien, mon ami, va t'informer si l'on peut m'y donner à coucher pour cette nuit.
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ANTONIO |
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BLONDEL |
Ah ! je n'ai pas envie d'en sortir; quand on ne voit pas, on est bien forcé de rester où on nous dit d'attendre: ne manque pas de revenir.
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ANTONIO |
Oh ! non, car vous m'avez bien payé. Mais, père Blondel, j'ai quelque chose à vous dire.
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BLONDEL |
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ANTONIO |
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BLONDEL |
Dis, mon fils, qu'est-ce que c'est ?
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ANTONIO |
C'est que je suis bien fâché; je ne pourrai pas vous conduire demain.
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BLONDEL |
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ANTONIO |
C'est que je suis de noce; mon grand'père et ma grand' mère se remarient, et mon petit-fils, qui est leur frère...
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BLONDEL |
Ton petit-fils ! tu as un petit-fils ?
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ANTONIO |
Oui, leur petit-fils, qui est mon frère, se marie aussi le même jour de leur mariage, à une fille de ce canton.
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BLONDEL |
Eh, dis-moi, elle ne demeurerait pas dans ce château que tu dis, où il y a un soldat qui a un arbalète ?
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ANTONIO |
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BLONDEL |
Mais, mon ami, demain, comment ferai- je pour me conduire ?
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ANTONIO |
Ah ! je vous donnerai un de mes camarades; il est un peu volage, mais je vous ferai venir à la noce, et vous y jouerez du violon. Ah ! ne vous embarrassez pas.
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BLONDEL |
Tu aimes donc bien à danser ?
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| |
|
ANTONIO
La danse n'est pas ce que j'aime,
mais c'est la fille à Nicolas;
lorsque je la tiens par le bras,
alors mon plaisir est extrême.
Je la presse contre moi-même,
et puis nous nous parlons tout bas,
que je vous plains, vous ne la verrez pas.
| |
| |
BLONDEL |
C'est vrai, mon fils, je suis bien à plaindre.
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| |
|
ANTONIO
Elle a quinze ans, moi, j'en ai seize:
ah ! si la mère Nicolas
n'était pas toujours sur nos pas !...
eh bien, quoique cela déplaise,
auprès d'elle je suis bien aise.
Et puis nous nous parlons tout bas.
Que je vous plains, vous ne la verrez pas.
| |
| |
BLONDEL |
Continue, je crois la voir.
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ANTONIO |
Vous la voyez ! ah ! vous êtes aveugle.
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BLONDEL |
Va, mon fils, va toujours voir si je pourrai trouver où passer cette nuit.
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| Antonio ->
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Scène deuxième |
Blondel. |
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| |
|
Oui, voilà des tours, des fossés, des redoutes; c'est bien là un château fort; il est bien éloigné des frontières, dans un pays sauvage, au milieu des marais; il n'est propre qu'à renfermer des prisonniers d'état. On dit qu'on ne peut en approcher; nous verrons: on se méfiera moins d'un homme que l'on croira aveugle. Orphée, animé par l'amour, s'est ouvert les enfers: les guichets de ces tours s'ouvriront peut-être aux accens de l'amitié.
| |
| |
|
Ô Richard ! ô mon roi !
L'univers t'abandonne;
sur la terre il n'est que moi
qui s'intéresse à ta personne.
Moi seul, dans l'univers,
voudrait briser tes fers;
et tout le reste t'abandonne !
Et sa noble amie !... ah ! son cœur
doit être navré de douleur.
Ô Richard ! ô mon roi !
L'univers t'abandonne,
etc.
Monarques, cherchez des amis,
non sous les lauriers de la gloire,
mais sous les myrtes favoris
qu'offrent les filles de mémoire.
Un troubadour
est tout amour,
fidélité, constance,
et sans espoir de récompense.
Ô Richard ! ô mon roi !
L'univers t'abandonne;
et c'est Blondel, il n'est que moi
qui s'intéresse à ta personne.
| S
|
| |
|
Mais j'entends du bruit; remettons-nous, et reprenons notre rôle.
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|
Scène troisième |
Blondel, Williams, Laurette, Guillot. |
<- Williams, Guillot
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WILLIAMS |
Je t'apprendrai à porter des lettres à ma fille !
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GUILLOT |
C'est de la part du gouverneur.
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| |
WILLIAMS |
C'est de la part du gouverneur ?
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BLONDEL (à part) |
Ah ! si c'était ce gouverneur.
| |
GUILLOT |
Il m'a dit de lui remettre
cette lettre.
| |
WILLIAMS |
Ma fille écoute un séducteur !
Non, ma Laurette
n'est point faite
pour amuser le gouverneur.
Et toi, et toi,
si tu reviens, c'est fait de toi.
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GUILLOT |
Ce n'est pas moi
qui reviendrai; non, sur ma foi.
| |
WILLIAMS |
Dis, dis à ce gouverneur
que ma Laurette
n'est point faite
pour écouter un séducteur:
monsieur, monsieur le gouverneur
me fait en ce jour trop d'honneur.
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BLONDEL (à part) |
Ah ! si c'était le gouverneur
de ce château: dieux ! quel bonheur !
| |
GUILLOT |
Mais, c'est monsieur le gouverneur.
| |
WILLIAMS |
Eh, que me fait ce gouverneur !
Oui, sur ma foi,
prends garde à toi.
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| <- Laurette
|
WILLIAMS (à Laurette qui paraît) |
Et toi, si jamais tu revois
ce séducteur,
tu sentiras
si dans mon bras
il est encor quelque vigueur.
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BLONDEL (à part) |
Si je pouvais ! ah, quel bonheur !
Mes bons amis, ne frappez pas,
point de débats.
La paix, la paix, point de débats.
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LAURETTE |
Mon père, hélas !
Je ne vois pas
le gouverneur.
| |
BLONDEL |
Ah ! si c'était ce gouverneur !
ah ! quel bonheur !
Mes bons amis,
soyez unis:
ah ! point de fiel,
la paix du ciel;
point de débats,
ne frappez pas:
(à part)
ah ! si c'était le gouverneur.
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| Guillot, Laurette ->
|
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Scène quatrième |
Williams, Blondel. |
|
| |
WILLIAMS |
Rentrez dans la maison; elle dit qn'elle ne l'a point vu, et qu'elle ne lui parle pas, et il lui écrit. Je voudrais bien connaître ce que dit cette lettre; ils ont à présent une manière d'écrire qu'on ne peut déchiffrer. Si quelqu'un ... Ce vieillard n'est pas de ce pays-ci. Bon homme, savez-vous lire ?
| |
BLONDEL |
Ah, mon dieu, oui, je sais lire.
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WILLIAMS |
| |
BLONDEL |
Ah ! mon bon monsieur, je suis aveugle; ces méchans Sarrasins m'ont brûlé les yeux avec une lame d'acier flamboyante; mais ne voyez-vous pas venir un petit garçon ?
| |
WILLIAMS |
| |
BLONDEL |
C'est lui qui me conduit; il sait lire, il vous lira tout ce que vous voudrez. Antonio, est-ce toi ?
| |
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Scène cinquième |
Les précédens, Antonio. |
<- Antonio
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ANTONIO |
Oui, c'est moi, père Blondel.
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BLONDEL |
Tu as été bien long-temps.
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ANTONIO |
Ah, c'est que je l'ai trouvée, et je lui ai dit un petit mot.
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BLONDEL |
Tiens, lis la lettre de ce monsieur que voilà, et lis bien haut et distinctement; lis, lis, mon petit ami.
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ANTONIO |
| |
WILLIAMS |
Belle Laurette ! voilà comme ils leur font tourner la tête.
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ANTONIO |
« Belle Laurette, mon cœur ne peut se contenir de la joie qu'il ressent, par l'assurance que vous me donnez de m'aimer toujours. »
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WILLIAMS |
Ah ! fille ingrate ! elle l'aime.
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BLONDEL |
Laissez, laissez. Continue.
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ANTONIO |
« Si le prisonnier que je ne peux quitter... »
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WILLIAMS |
| |
BLONDEL (à part) |
| |
ANTONIO |
« Si le prisonnier, que je ne peux quitter, me permettait de sortir pendant le jour, j'irais me jeter... »
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WILLIAMS |
Fût-ce dans les fossés de ton château !
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BLONDEL (à part) |
Qu'il ne peut quitter ! Lis toujours.
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ANTONIO |
« J'irais me jeter à vos pieds; mais si cette nuit... » Il y a là des mots effacés.
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BLONDEL |
| |
ANTONIO |
« Faites-moi dire par quelqu'un à quelle heure je pourrais vous parler. Votre tendre, fidèle amant et constant chevalier, Florestan. »
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WILLIAMS |
| |
BLONDEL |
Goddam ! Est-ce que vous êtes anglais ?
| |
WILLIAMS |
| |
BLONDEL |
Vigoureuse nation ! Eh ! comment est-il possible que, né un brave Anglais, vous soyez venu vous établir dans le fond de l'Allemagne, et dans un pays aussi sauvage qu'on m'a dit qu'il était ?
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WILLIAMS |
Ah, c'est trop long à vous raconter. Est- ce que nous dépendons de nous ? Il ne faut qu'une circonstance pour nous envoyer bien loin.
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BLONDEL |
Vous avez raison; car, moi je suis de l'Isle de France, et me voilà ici; et de quelle province d'Angleterre êtes-vous ?
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WILLIAMS |
| |
BLONDEL |
Vous êtes du pays de Galles ! Ah, si j'avais la jouissance de mes yeux, que j'aurais de plaisir à vous voir. Et comment avez-vous quitté ce bon pays ?
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WILLIAMS |
J'ai été à la croisade, à la Palestine.
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BLONDEL |
A la Palestine ! et moi aussi.
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WILLIAMS |
| |
BLONDEL |
Avec votre roi ! et moi de même.
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WILLIAMS |
Quand je suis revenu dans mon pays, n'ai-je pas trouvé mon père mort,
| |
BLONDEL |
Il était peut-être bien vieux ?
| |
WILLIAMS |
Ah, ce n'est pas de vieillesse. Il avait été tué par un gentilhomme des environs pour un lapin qu'il avait tué sur ses terres. J'apprends cela en arrivant: je cours trouver ce gentilhomme, et j'ai vengé la mort de mon père par la sienne.
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BLONDEL |
Ainsi, voilà deux hommes tués pour un lapin.
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WILLIAMS |
Cela n'est que trop vrai.
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BLONDEL |
Enfin, vous vous êtes enfui ?
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WILLIAMS |
Oui, avec ma fille et ma femme, qui est morte depuis, et me voilà. La justice a mangé mon château et mon fief, et je n'ai plus rien là-bas, qu'une sentence de mort; mais ici je ne les crains pas.
| |
BLONDEL |
Je vous demande bien pardon de toutes mes questions.
| |
WILLIAMS |
Ah ! il ne me déplaît pas de parler de tout cela.
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BLONDEL |
Et à la croisade, vous avez donc connu le brave roi Richard, ce héros, ce grand homme ?
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WILLIAMS |
Oui, puisque j'ai servi sous lui.
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BLONDEL |
Et sans doute vous avez...
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WILLIAMS |
Mais, j'ai affaire, et je crois que voilà cette voyageuse qui va arriver.
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| Williams ->
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Scène sixième |
Laurette, Blondel, Antonio. |
<- Laurette
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| (Antonio, pendant cette scène, tire du pain d'un bissac, et va le manger un peu loin.) | |
| |
LAURETTE |
Ah ! bon homme ! dites-moi, je vous en prie, dites-moi ce que vous a dit mon père.
| |
BLONDEL |
C'est vous qui êtes la belle Laurette ?
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LAURETTE |
| |
BLONDEL |
Votre père est fort irrité; il sait ce que contient la lettre du chevalier Florestan.
| |
LAURETTE |
Oui, Florestan; c'est son nom. Est-ce qu'on a lu la lettre à mon père ?
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BLONDEL |
Non pas moi; je suis aveugle, mais c'est mon petit conducteur.
| |
ANTONIO |
Oui, c'est moi; mais, est-ce que vous ne me l'aviez pas dit, de la lire ?
| |
LAURETTE |
On aurait bien fait de ne pas le faire.
| |
BLONDEL |
Il l'aurait fait lire par un autre.
| |
LAURETTE |
C'est vrai. Et que disait la lettre ?
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BLONDEL |
Que sans le prisonnier qu'il garde... et qu'est-ce que c'est que ce prisonnier?
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LAURETTE |
On ne dit pas ce qu'il est.
| |
BLONDEL |
Que sans le prisonnier qu'il garde, il viendrait se jeter à vos pieds.
| |
LAURETTE |
| |
BLONDEL |
| |
LAURETTE |
Cette nuit... ah ! la nuit !...
(Elle soupire.)
| |
| |
|
Je crains de lui parler la nuit:
j'écoute trop tout ce qu'il dit.
Il me dit, je vous aime; et je sens malgré moi,
je sens mon cœur qui bat, et je ne sais pourquoi.
Puis, il prend ma main, il la presse
avec tant de tendresse,
que je ne sais plus où j'en suis;
je veux le fuir, mais je ne puis.
Ah, pourquoi lui parler la nuit
etc.
| S
(♦)
(♦)
|
| |
BLONDEL |
Vous l'aimez donc bien, belle Laurette ?
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LAURETTE |
Ah, mon dieu, oui, je l'aime bien.
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BLONDEL |
En vérité, votre aveu est si naïf, que je ne peux m'empêcher de vous donner un conseil.
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LAURETTE |
Dites, dites. Je ne sais ici à qui me confier; mais votre air, votre âge: et puis vous ne pouvez me voir; tout cela me donne la hardiesse de vous parler, et me fait, je crois, moins rougir.
| |
BLONDEL |
Eh bien, belle Laurette...
| |
LAURETTE |
Mais, qui vous a dit que j'étais belle ?
| |
BLONDEL |
Hélas ! pour moi, pauvre aveugle, la beauté d'une femme est dans le charme, dans la douceur de sa voix.
| |
LAURETTE |
| |
BLONDEL |
Je vous dirai donc que lorsque ces chevaliers, ces gens de haute condition s'adressent à une jeune personne d'un état inférieur, moins touchés souvent de la beauté, de la noblesse de son âme, que de celle de leur extraction...
| |
LAURETTE |
| |
BLONDEL |
Ils ne se font quelquefois aucun scrupule de la tromper.
| |
LAURETTE |
Mais ma noblesse est égale à la sienne.
| |
BLONDEL |
| |
LAURETTE |
Sans doute. Quoique mon père ait peu d'aisance, nous avons toujours vécu noblement; et si je ne craignais sa vivacité, vivacité qui heureusement l'a forcé de s'établir dans ce pays-ci, je lui aurais confié les intentions du chevalier.
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BLONDEL |
C'est lui qui est le gouverneur de ce château ?
| |
LAURETTE |
| |
BLONDEL |
Et tout en attendant cette confiance en votre père, vous le recevrez cette nuit: cette nuit ! ce chevalier que vous aimez, vous lui parlerez cette nuit ! Écoutez-moi, ceci n'est qu'une chansonnette.
| |
| |
|
Un bandeau couvre les yeux
du dieu qui rend amoureux;
cela nous apprend, sans doute,
que ce petit dieu badin
n'est jamais, jamais plus malin,
que quand il n'y voit goutte.
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| |
|
LAURETTE
Ah ! redites-moi, s'il vous plaît,
ce joli couplet.
Ah ! je ne dois pas l'oublier;
je veux l'apprendre au chevalier.
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| |
BLONDEL |
| |
| |
| (Ils reprennent ensemble.) | |
BLONDEL, LAURETTE |
Un bandeau couvre les yeux
etc.
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| |
LAURETTE |
Ah, voici je ne sais combien de personnes qui arrivent; des chevaux, des chariots. C'est sans doute cette dame qui vient loger ici; j'y cours.
| |
BLONDEL |
Écoutez donc, belle Laurette, j'ai quelque chose à vous dire.
| |
LAURETTE |
| |
BLONDEL |
| |
LAURETTE |
| |
BLONDEL |
Pourrai-je passer cette nuit-ci seulement, dans votre maison ?
| |
LAURETTE |
Non: cela ne se peut pas. Mon père, à la prière d'un ancien ami, a cédé, pour cette nuit seulement, sa maison toute entière, à une grande dame; et, à moins qu'elle ne le permette, nous ne pouvons pas disposer du plus petit endroit: mais demain... Adieu.
| |
BLONDEL |
Allons, prenons patience. Antonio ?
| |
ANTONIO |
| |
BLONDEL |
Va voir s'il n'y a pas d'autre retraite aux environs.
| |
| Laurette, Antonio ->
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|
|
Scène septième |
Blondel, Marguerite, comtesse de Flandres et d'Artois. |
<- Marguerite, Domestiques, Chevaliers, Femmes suivantes, Williams
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| |
| (Alors paraissent des gens de toutes sortes, des domestiques, des chevaliers; ils donnent le bras à Marguerite. Elle paraît descendre de son palefroi, et est accompagnée de femmes suivantes. Elle a l'air de donner des ordres.) | |
| |
BLONDEL |
Ciel ! que vois-je ? c'est la comtesse de Flandres ! c'est Marguerite; c'est le tendre et malheureux objet de l'amour de l'infortuné Richard ! Ah, j'accepte le présage: sa rencontre ici ne peut être qu'un coup du ciel. Si le roi est ici, et si ces tours lui servent de prison... Ah, dieu ! mais, peut-être me trompai-je !... Voyons si vraiment c'est elle. Si c'est Marguerite, son âme ne pourra se refuser aux douces impressions d'un air qu'en des temps bienheureux son amant a fait pour elle.
| |
| |
| (Il joue cet air sur son violon. Dès les premières phrases, Marguerite s'arrête, écoute, s'approche.) | |
| |
MARGUERITE |
O ciel, qu'entends-je !... Bon homme, qui peut vous avoir appris l'air que vous jouez si bien sur votre violon ?
| |
BLONDEL |
Madame, je l'ai appris d'un brave écuyer qui venait de la terre-sainte, et qui, disait-il, l'avait entendu chanter au roi Richard.
| |
MARGUERITE |
| |
BLONDEL |
Mais, madame, vous qui avez la voix d'un ange, n'êtes-vous pas cette grande dame qui doit occuper la maison qu'on m'a dit être ici tout près ?
| |
MARGUERITE |
| |
BLONDEL |
Ayez pitié, je vous prie, d'un pauvre aveugle, et permettez-lui d'y passer cette nuit, dans le lieu où il n'incommodera personne.
| |
MARGUERITE |
Ah ! je le veux bien, pourvu que vous répétiez plusieurs fois l'air que vous venez de jouer.
| |
BLONDEL |
Ah, tant qu'il vous plaira.
| |
MARGUERITE (à ses gens) |
Je vous recommande ce bon vieillard.
| |
| |
| (Williams donne la main à Marguerite, et la conduit dans sa maison.) | Marguerite, Williams ->
|
|
|
Scène huitième |
Blondel se met à jouer plusieurs fois ce même air, avec des variations. Pendant ce temps, tout le bagage se décharge: les gens de la comtesse vont et viennent, on dresse une grande table à la porte, on y met du vin et des verres. |
<- Antonio, Laurette
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| |
UN PREMIER DOMESTIQUE (à Blondel) |
Allons, bon homme, mettez-vous là, vous boirez un coup avec nous.
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BLONDEL |
| |
ANTONIO |
| |
BLONDEL (lui donnant son verre plein) |
Tiens, bois mon fils, bois.
(On verse à Blondel un second verre, et il dit après avoir bu:)
En vous remerciant, mes amis; mais je veux payer mon écot.
| |
UN DOMESTIQUE |
| |
BLONDEL |
En vous disant une chanson, et vous ferez chorus.
| |
UN AUTRE DOMESTIQUE |
Allons, c'est un bon vivant. Courage, père.
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| |
|
BLONDEL (joue de violon en chantant)
Que le sultan Saladin
rassemble dans son jardin
un troupeau de jouvencelles,
toutes jeunes, toutes belles,
pour s'amuser le matin,
c'est bien, c'est bien.
Cela ne nous blesse en rien.
Moi je pense comme Grégoire,
j'aime mieux boire.
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| |
| (Ces deux vers sont repris en chœur.) | |
|
Qu'un seigneur, qu'un haut baron,
vende jusqu'à son donjon
pour aller à la croisade,
qu'il laisse sa camarade
dans les mains de gens de bien,
c'est bien, c'est bien,
cela ne nous blesse en rien.
Moi je pense comme Grégoire,
j'aime mieux boire.
| |
| |
UN OFFICIER DE LA COMTESSE |
Voilà madame qui va se retirer dans son appartement.
| |
UN DOMESTIQUE |
Rachevons: encore un couplet, père.
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| |
|
BLONDEL
Que le vaillant roi Richard,
aille courir maint hasard,
pour aller loin d'Angleterre
conquérir une autre terre
dans le pays d'un payen;
c'est bien, c'est bien,
cela ne nous blesse en rien.
Moi je pense comme Grégoire,
j'aime mieux boire.
| |
| <- Béatrix
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BÉATRIX |
Finissez donc, Madame vous entend de son appartement.
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| |
| (Blondel feint de prendre Béatrix pour son petit garçon, et Antonio l'emmène.) | Blondel, Antonio, Béatrix ->
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