Acte troisième

 

Scène première

Le thèâtre représente l'appartement d'Iphigénie.
Iphigénie, Les Prêtresses.

 Q 

Iphigénie, Les prêtresses

 

IPHIGÉNIE

Je cède à vos désirs: du sort qui nous opprime  

instruisons Electre, ma sour:

aux horreurs du trépas j'arrache une victime

et je sers à la fois la nature et mon cœur...

Hélas ! je ne puis m'en défendre;

pour l'un de ces infortunés,

par nos barbares lois à la mort condamné,

je sens la pitié la plus tendre.

Mon cœur s'unit à lui par des rapports secrets...

Oreste serait de son âge;

ce captif malheureux m'en rappelle l'image,

et sa noble fierté m'en retrace les traits.

 

D'une image, hélas ! trop chérie  

j'aime encore à m'entretenir.

Mon âme se plaît à nourrir

l'espérance qui m'est ravie.

Inutiles et chers transports !

Chassons une vaine chimère:

ah ! ce n'est plus qu'aux sombres bords

que je puis retrouver mon frère.

 

Scène deuxième

Iphigénie, Les prêtresses, Oreste, Pylade.

<- Oreste, Pylade

 

UNE PRÊTRESSE

Voici ces captifs malheureux.  

IPHIGÉNIE

Allez ! laissez-moi seule un instant avec eux.

 
(Les prêtresses sortent.)

Les prêtresses ->

 

Scène troisième

Iphigénie, Oreste, Pylade.

 

ORESTE

(courant à Pylade)  

O joie inattendue !

Je puis donc t'embrasser pour la dernière fois !

PYLADE

Mon sort est moins affreux, puisque je te revois.

IPHIGÉNIE

Qu'à leur aspect touchant je sens mon âme émue !

Vous avez vu mes pleurs, je n'ai pu m'en défendre.

Hélas ! qui n'en verserait pas au récit

que je viens d'entendre ?

Si sur ces bords sanglants le ciel fixe nos pas,

nous avons vu le jour dans de plus doux climats,

et la Grèce est notre patrie.

PYLADE

Quoi ? des mains d'une Grecque il faut perdre la vie ?

IPHIGÉNIE

Ah ! pour sauver vos jours je donnerais les miens.

Mais Thoas veut du sang: sa piété barbare

ajouterait aux maux qu'on vous prépare,

si de tous deux je brisais les liens.

 

IPHIGÉNIE

Je pourrais du tyran tromper la barbarie...  

de l'un de vous au moins que les jours conservés...

PYLADE, ORESTE

Mon ami, tu vivras, tes jours seront sauvés.

IPHIGÉNIE

De celui de vous deux qui me devra la vie

pourrais-je attendre un service ?

PYLADE, ORESTE

Achevez;

je vous réponds de sa reconnaissance !

IPHIGÉNIE

Dans Argos, comme vous, j'ai reçu la naissance:

il m'y reste encore des amis.

Jurez-moi qu'un billet fidèlement remis...

PYLADE, ORESTE

J'en atteste les dieux, vos vœux seront remplis.

IPHIGÉNIE

Il faut donc entre vous choisir une victime.

Hélas ! dans le soin qui m'anime,

que ne puis-je à tous deux rendre un service égal !

Il faut que l'un des deux expire.

(à part)

Mon âme se déchire

mais puisqu'il faut enfin faire un choix si fatal,

(à Oreste)

c'est vous qui partirez.

ORESTE

Que je parte ! qu'il meure ?

O ciel !

IPHIGÉNIE

Répondez à mes vœux:

soyez prêt à partir, je cours en presser l'heure.

(Iphigénie sort)

Iphigénie ->

 

Scène quatrième

Oreste, Pylade.

 

PYLADE

Ô moment trop heureux !  

Ma mort, a mon ami va donc sauver la vie !

ORESTE

Et je consentirais qu'elle te fût ravie ?

M'aimes-tu ? Parle !

PYLADE

Ô dieux ! tu l'oses demander ?

ORESTE

M'aimes-tu ?

PYLADE

Quel discours ! quelle fureur te presse ?

ORESTE

Renonce au choix de la prêtresse !

PYLADE

Ah ! ce choix m'est trop cher pour le pouvoir céder.

 

ORESTE

Et tu prétends encore que tu m'aimes,  

lorsqu'au mépris des dieux, sacrifiant tes jours...

PYLADE

Ils veillent sur les tiens; ils protègent leur cours;

je remplis leur décret suprême.

ORESTE

A ces dieux conjurés prétends-tu donc t'unir

pour ajouter aux tourments que j'endure ?

PYLADE

Que me demandes-tu ?

ORESTE

De me laisser mourir !

PYLADE

Non, ne l'espère pas !

ORESTE

Oreste t'en conjure !

PYLADE

Cruel !

PYLADE, ORESTE

Dieux, fléchissez son cœur,

rendez-moi mon ami, qu'il m'accorde sa grâce,

que tout mon sang vous satisfasse,

qu'il suffise a votre rigueur !

 

ORESTE

Quoi ! je ne vaincrai pas ta constance funeste ?  

Quoi ! ton âme toujours se refuse à mes vœux ?

Ne sais-tu pas que pour Oreste

la vie est un supplice affreux ?

Ne sais-tu pas que ces mains parricides

fument encore du sang que j'ai versé ?

Ne sais-tu pas que l'enfer courroucé

rassemble autour de moi ses noires Euménides,

qu'elles m'obsèdent en tous lieux ?...

Les voici... des serpents leurs mains s'arment encore !

Où fuir ?... Eh ! quoi ? Pylade me fuit et m'abhorre !

Il me livre à leurs coups ! arrêtez... ah ! grands dieux !

(Il tombe dans les bras de Pylade.)

PYLADE

Eh quoi ! méconnais-tu Pylade qui t'implore ?  

ORESTE

(revenant à lui)

Eh bien ! Pylade, est-ce à toi de mourir ?

PYLADE

O dieux ! votre courroux ne peut-il se fléchir ?

ORESTE

La mort, de mes tourments est l'unique relâche;

je l'obtenais; Pylade me l'arrache !

 

PYLADE

Ah ! mon ami, j'implore ta pitié,  

Oreste, hélas ! peut-il me méconnaître ?

Qu'il s'attendrisse aux pleurs de l'amitié !

Ton cœur au mien n'est pas fermé peut-être.

Cet ami qui te fut si cher,

Pylade, est à tes pieds, il conjure, il te presse;

a tes fureurs laisse-moi t'arracher.

Souscris au choix dicté par la prêtresse.

Souscris, souscris.

ORESTE

Pylade !

PYLADE

Ah, mon ami, j'implore ta pitié !

Oreste, helas ! peut-il me méconnaître !

ORESTE

Grands dieux !

PYLADE

Qu'il s'attendrisse aux pleurs de l'amitié !

Ton cœur au mien n'est pas fermé peut-être.

 

Scène cinquième

Oreste, Pylade, Iphigénie, Les Prêtresses.

<- Iphigénie, Les prêtresses

 

ORESTE

(relevant Pylade avec un mouvement de fureur)

Malgré toi, je saurai t'enlever au trépas.  

IPHIGÉNIE

(à Pylade)

Que je vous plains !

(aux prêtresses)

Vous, conduisez ses pas.

ORESTE

Non, prêtresse, arrêtez, votre pitié s'égare.

IPHIGÉNIE

Que dites-vous ?

ORESTE

C'est à moi de mourir,

mon ami pourra vous servir,

qu'il soit le digne objet d'un service si rare

PYLADE

N'écoutez point ses transports furieux.

IPHIGÉNIE

(à Oreste)

Vivez ! et me servez !

ORESTE

Je ne le puis sans crime.

PYLADE

Cruel, quelle fureur t'anime ?

IPHIGÉNIE

Ah ! je sens que mon choix est dicté par les dieux.

ORESTE

(à Pylade)

C'en est fait... ici même, à l'instant, je déclare...

PYLADE

Arrête...

ORESTE

(à Iphigénie)

Eh bien ! sachez...

PYLADE

(l'interrompant)

Arrête... justes dieux.

IPHIGÉNIE

(à Pylade)

Quelle soudaine horreur de votre âme s'empare ?

ORESTE

(à Iphigénie)

Prononcez que ma mort...

IPHIGÉNIE

Non, ne l'espérez pas:

un pouvoir inconnu, puissant, irresistible,

sur l'autel des dieux même, arrêterait mon bras !

 

ORESTE

Quoi ! toujours à mes vœux vous êtes insensible ?  

Mais c'est en vain, j'en atteste les dieux:

si mon ami n'échappe au sort qu'on lui prepare,

je vais, m'immolant a vos yeux,

répandre tout ce sang dont le ciel est avare.

IPHIGÉNIE

Ô dieux ! Eh bien, cruel, remplissez vos désirs.

ORESTE

(à Pylade)

Vis, mon ami, cours servir la prêtresse,

d'une sœur qui m'est chère adoucis la tristesse,

porte-lui mes derniers soupirs,

adieu !

Oreste, Les prêtresses ->

 

Scène sixième

Iphigénie, Pylade.

 

IPHIGÉNIE

Puisque le ciel à vos jours s'intéresse,  

prêtez-moi le secours que vous m'avez promis.

Portez cet écrit dans la Grèce,

qu'entre les mains d'Electre il soit par vous remis.

PYLADE

Qu'entends-je ? et quel rapport l'une à l'autre vous lie ?

IPHIGÉNIE

J'ai respecté votre secret;

n'exigez rien de plus.

PYLADE

Vous serez obéie.

Je remplirai vos vœux, si le ciel le permet.

(Iphigénie sort.)

Iphigénie ->

 

Scène septième

Pylade (seul).

 

Divinité des grandes âmes,  

amitié ! viens armer mon bras,

remplis mon cœur de tes célestes flammes,

je vais sauver Oreste ou courir au trépas.

 

Fin (Acte troisième)

Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième

Appartement d'Iphigénie.

Iphigénie, Les prêtresses
 

Je cède à vos désirs: du sort qui nous opprime

Iphigénie, Les prêtresses
<- Oreste, Pylade

Voici ces captifs malheureux

Iphigénie, Oreste, Pylade
Les prêtresses ->

O joie inattendue!

Oreste, Pylade
Iphigénie ->

Ô moment trop heureux!

Quoi! je ne vaincrai pas ta constance funeste?

Eh quoi! méconnais-tu Pylade qui t'implore?

Oreste, Pylade
<- Iphigénie, Les prêtresses

Malgré toi, je saurai t'enlever au trépas

Pylade, Iphigénie
Oreste, Les prêtresses ->

Puisque le ciel à vos jours s'intéresse

Pylade
Iphigénie ->
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième
Le thèâtre représente une mer qui devient orageuse, d'aprés la progression dela musique; sur les côtés des... Un appartement intérieur du temple destine aux victimes. Appartement d'Iphigénie. L'intérieur du temple de Diane. La statue de la déesse, élevée sur une estrade, est au milieu, en avant.
Acte premier Acte deuxième Acte quatrième

• • •

Texte PDF Réduit