IPHIGÉNIE EN TAURIDE
Tragédie lirique en quatre actes.
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Livret de Nicolas-François GUILLARD.
Musique de Christoph Willibald GLUCK.
Première représentation : 18 mai 1779, Paris.
Personnages:
IPHIGÉNIE |
soprano |
THOAS |
basse |
ORESTE |
baryton |
PYLADE |
ténor |
PREMIÈRE PRÊTRESSE |
soprano |
DEUXIÈME PRÊTRESSE |
soprano |
DIANE |
soprano |
UN SCYTHE |
basse |
LE MINISTRE |
basse |
UNE FEMME GRECQUE |
soprano |
Chœurs des Prêtresses, des Scythes, des Euménides, des Gardes du roi, des Grecs.
La scéne est en Tauride.
Le thèâtre représente, dans le fond, une mer qui devient orageuse, d'aprés la progression dela musique; sur les côtés des rochers; sur le devant, une colonnade représentant le vestibule du temple de Diane; on voit dans le lontain deux vaisseaux qui s'abîment. On entend dés le commencement de la symphonie, quelques coups de tonnerre qui se succèdent plus rapidement, à mesure qu'elle marche. Elle finit par une tempête furieuse. Le jour est commencé, mais il reste obscuré par les nuages et le thèâtre n'est éclairé que par la lueur des éclats.
Iphigénie, Les Prêtresses.
IPHIGÉNIE
(pendant que la tempête cesse)
Grands dieux ! soyez-nous secourables,
détournez vos foudres vengeurs;
tonnez sur les têtes coupables;
l'innocence habite nos cœurs.
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Grands dieux ! soyez-nous secourables,
détournez vos foudres vengeurs;
tonnez sur les têtes coupables;
l'innocence habite nos cœurs.
IPHIGÉNIE
Si ces bords cruels et sinistres
sont l'objet de votre courroux,
daignez à vos faibles ministres
offrir des asiles plus doux.
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Grands dieux ! soyez-nous secourables,
détournez vos foudres vengeurs;
tonnez sur les têtes coupables;
l'innocence habite nos cœurs.
IPHIGÉNIE
Que nos mains saintement barbares
n'ensanglantent plus vos autels !
Rendez ces peuples plus avares
du sang des malheureux mortels.
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Grands dieux ! soyez-nous secourables,
détournez vos foudres vengeurs;
tonnez sur les têtes coupables;
l'innocence habite nos cœurs.
Pendant les deux dernières strophes, l'orage diminue insensiblement, le tonnerre s'éloigne, cesse, et le jour croît et s'éclaircit à mesure que la scène avance.
IPHIGÉNIE
Ces dieux que notre voix implore
apaisent enfin leur rigueur:
le calme reparaît. Mais au fond de mon cœur,
hélas ! l'orage habite encore.
PREMIÈRE PRÊTRESSE
Iphigénie, ô ciel, craindrait-elle un malheur ?
DEUXIÈME PRÊTRESSE
D'où naît le trouble affreux dont votre âme est saisie ?
IPHIGÉNIE
Juste ciel !
PREMIÈRE PRÊTRESSE
Ah ! parlez, divine Iphigénie,
nos malheurs sont communs; loin de notre patrie,
conduites avec vous sur ce funeste bord,
n'avons-nous pas toujours partagé votre sort ?
IPHIGÉNIE
Cette nuit... j'ai revu le palais de mon père,
j'allais jouir de ses embrassements.
J'oubliais, en ces doux moments,
ses anciennes rigueurs et quinze ans de misère...
La terre tremble sous mes pas,
le soleil indigné fuit ces lieux qu'il abhorre,
le feu brille dans l'air, ei la foudre en éclats
tombe sur le palais, l'embrase et le dévore !
Du milieu des débris fumants
sort une voix plaintive et tendre:
jusqu'au fond de mon cœur elle se fait entendre;
je vole à ces tristes accents...
A mes yeux aussitôt se présente mon père,
sanglant, percé de coups, et d'un spectre inhumain
fuyant la rage meurtrière;
ce spectre affreux, c'était ma mère !
Elle m'arme d'un glaive et disparaît soudain,
je veux fuir... on me crie: Arrête ! c'est Oreste:
je vois un malheureux, et je lui tends la main,
je veux le secourir; un ascendant funeste
forçait mon bras à lui percer le sein !
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Ô songe affreux ! nuit effroyable !
ô douleur ! ô mortel effroi !
Ton courroux est-il implacable ?
Entends nos cris, ô ciel ! apaise-toi !
IPHIGÉNIE
Ô race de Pélops ! race toujours fatale !
Jusque dans ses derniers neveux
le ciel poursuit encore le crime de Tantale.
Le roi des rois, le sang des dieux,
Agamemnon descend dans la nuit infernale.
Son fils du moins restait à ma douleur,
j'attendais de lui seul la fin de ma misère;
Ô mon cher Oreste, ô mon frère !
Tu ne sécheras pas les larmes de ta sœur.
DEUXIÈME PRÊTRESSE
Calmez ce désespoir où votre âme est livrée,
les dieux conserveront cette tête sacrée,
osez tout espérer.
IPHIGÉNIE
Non, je n'espère plus.
Depuis que je respire, en butte a leur colère,
d'opprobre et de malheur tous mes jours sont tissus;
ils y mettent le comble: ils m'enlèvent mon frère !
Ô toi qui prolongeas mes jours,
reprends un bien que je déteste,
Diane, je t'implore, arrêtes-en le cours,
rejoins Iphigénie au malheureux Oreste.
Hélas ! tout m'en fait une loi,
la mort me devient nécessaire;
j'ai vu s'élever contre moi
les dieux, ma patrie et mon père.
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Quand verrons-nous tarir nos pleurs ?
La source en est-elle infinie ?
Ah, dans un cercle de douleurs
le ciel marque le cours de notre vie !
Iphigénie, Les Prêtresses, Thoas, Gardes.
THOAS
(à part)
Dieux ! le malheur en tous lieux suit mes pas;
des cris du désespoir ces voûtes retentissent...
(à Iphigénie)
Prêtresse, dissipez les terreurs de Thoas,
interprète des dieux, que vos vœux les fléchissent !
IPHIGÉNIE
A mes gémissements le ciel est sourd, hélas !
THOAS
Ce ne sont pas des pleurs, c'est du sang qu'il demande.
IPHIGÉNIE
Quelle effroyable offrande !
Apaise-t-on les dieux par des assassinats ?
THOAS
Le ciel par d'éclatants miracles
a daigné s'expliquer à vous;
mes jours sont menacés par la voix des oracles,
si d'un seul étranger relégué parmi nous,
le sang échappe à leur courroux !
De noirs pressentiments mon âme intimidée,
de sinistres terreurs est sans cesse obsédée.
Le jour blesse mes yeux et semble s'obscurcir,
j'éprouve l'effroi des coupables !
Je crois voir sous mes pas la terre s'entrouvrir
et l'enfer prêt à m'engloutir
dans ses abîmes effroyables !
Je ne sais quelle voix crie au fond de mon cœur:
« Tremble, ton supplice s'apprête ! »
La nuit de ces tourments redouble encore l'horreur,
et les foudres d'un dieu vengeur
semblent suspendus sur ma tête.
Les précédents, Les Scythes entrent en foule.
CHŒUR DES SCYTHES
Les dieux apaisent leur courroux,
ils nous amènent des victimes;
a ces justes vengeurs de crimes
que leur sang soit offert pour nous !
IPHIGÉNIE
(à part)
Malheureuse !
THOAS
Grands dieux, recevez nos offrandes !
Moins je les espérais, plus vos faveurs sont grandes !
UN SCYTHE
Deux jeunes Grecs échoués sur ces bords,
ont longtemps, contre nous, tenté de se défendre;
ils viennent enfin de se rendre,
après de pénibles efforts;
l'un d'eux était rempli d'un désespoir farouche:
les mots de crime, de remords,
etaient sans cesse dans sa bouche:
il détestait la vie, il appelait la mort !
CHŒUR DES SCYTHES
Les dieux apaisent leur courroux,
ils nous amènent des victimes;
a ces justes vengeurs de crimes
que leur sang soit offert pour nous !
IPHIGÉNIE
(à part)
Dieux ! Étouffez en moi le cri de la nature !
Si mon devoir est saint, hélas, qu'il est cruel !
THOAS
(à Iphigénie)
Allez, et les captifs vont vous suivre à l'autel.
Pour moi, qu'un trop sinistre augure
menace du courroux des dieux,
ma présence pourrait nuire à vos saints mystères.
Iphigénie et les prêtresses sortent.
Thoas, Gardes, Scythes.
THOAS
(au peuple)
Et vous, à nos dieux tutélaires
adressez vos chants belliqueux,
que vos justes transports pénètrent jusqu'aux cieux !
(Ici le peuple exprime sa joie barbare dans un divertissement très court.)
CHŒUR DES SCYTHES
Il nous fallait du sang pour expier nos crimes;
les captifs sont aux fers ei les autels sont prêts:
les dieux nous ont eux-mêmes amené les victimes;
que la reconnaissance égale les bienfaits.
Sous le couteau sacré que leur sang rejaillisse,
que leur aspect impur n'infecte plus ces lieux !
Offrons leur sang en sacrifice,
c'est un encens digne des dieux !
Ballet.
Les précédents, Oreste e et Pylade enchaînés (Oreste a les yeux fixés à terre et parait accabblé).
THOAS
Malheureux ! quel dessein à vous-mêmes contraire
vous amenait dans mes etats ?
PYLADE
Notre projet est un mystère.
C'est le secret des dieux. Tu ne le sauras pas.
THOAS
De ton arrogance hautaine
la mort sera le prix. Gardes, qu'on les emmène !
(Les gardes emmènent Oreste et Pylade)
ORESTE
Thoas, Gardes, Peuple.
CHŒUR DES SCYTHES
Il nous fallait du sang pour expier nos crimes;
les captifs sont aux fers ei les autels sont prêts:
les dieux nous ont eux-mêmes amené les victimes;
que la reconnaissance égale les bienfaits.
Sous le couteau sacré que leur sang rejaillisse,
que leur aspect impur n'infecte plus ces lieux !
Offrons leur sang en sacrifice,
c'est un encens digne des dieux !
Le thèâtre représent un appartement intérieur du temple destine aux victimes. Sur un des côtés ce trouve un autel.
Oreste et Pylade, enchainés.
PYLADE
Quel silence effrayant ! quelle douleur funeste !
Quoi ! tu ne me réponds que par des longs sanglots ?
Que peut la mort sur l'âme des héros ?
Ne suis-je plus Pylade, et n'es-tu plus Oreste ?
ORESTE
PYLADE
Que dis-tu ? quel est ce remord ?
Quel nouveau crime enfin ?
ORESTE
PYLADE
Quel langage accablant pour un ami qui t'aime !
Reviens à toi, mourons dignes de nous:
cesse, dans ta fureur extrême,
d'outrager et les dieux, et Pylade, et toi-même.
Si le trépas nous est inévitable,
quelle vaine terreur te fait pâlir pour moi ?
Je ne suis pas si miserable,
puisqu'enfin je meurs près de toi !
Unis dès la plus tendre enfance
nous n'avions qu'un même désir;
ah ! mon cœur applaudit d'avance
au coup qui va nous réunir;
le sort nous fait périr ensemble,
n'en accuse point la rigueur:
la mort même est une faveur,
puisque le tombeau nous rassemble.
Oreste, Pylade, un Ministre du sanctuaire, Gardes du temple.
LE MINISTRE
Etrangers malheureux, il faut vous séparer !
(à Pylade)
Vous, suivez-moi !
PYLADE, ORESTE
Grands dieux ! qu'ordonnes-tu, barbare ?
ORESTE
PYLADE, ORESTE
Cruels, faut-il vous implorer ?
(aux gardes)
Hâtez la mort qu'on nous prépare;
mais laissez-nous la recevoir tous deux.
Vos glaives, vos bûchers sont cent fois moins affreux
que le moment qui nous sépare !
LE MINISTRE
J'obéis â nos lois, j'obéis à nos dieux.
(aux gardes)
Qu'on le conduise !
ORESTE
PYLADE
(s'arrachant avec peine des bras d'Oreste)
Hélas !
(Pylade, le Ministre et les gardes sortent.)
ORESTE
Oreste seul.
Les Euménides, Oreste.
(Les Euménides sortent du fond du thèâtre et entourent Oreste. Les unes exécutent autour de lui un ballet-pantomine de terreur; les autres lui parlent. Oreste est sence connaissance pendant toute cette scène.)
LES EUMÉNIDES
Vengeons et la nature et les dieux en courroux !
Inventons des tourments... il a tué sa mère.
ORESTE
LES EUMÉNIDES
Point de grâce ! Il a tué sa mère !
Vengeons et la nature et les dieux en courroux !
ORESTE
LES EUMÉNIDES
Ils sont encore trop doux.
Vengeons et la nature et les dieux en courroux !
Il a tué sa mère !
L'ombre de Clytemnestre paraît au milieu des furies et s'abîme aussitôt.
ORESTE
LES EUMÉNIDES
Point de grâce, il a tué sa mère !
ORESTE
LES EUMÉNIDES
De la pitié ? le monstre ! il a tué sa mère !
Égalons, s'il se peut, sa rage meurtrière,
ce crime affreux ne peut être expié !
ORESTE
LES EUMÉNIDES
Ton forfait ne peut être expié !
Le portes de l'appatement s'ouvrent. Les Prêtresses paraissent, les Furies s'abîment sans pouvoir être aperçues.
Oreste, Iphigénie, Les Prêtresses.
ORESTE
IPHIGÉNIE
(à Oreste)
Je vois toute l'horreur
que ma présence vous inspire.
Mais au fond de mon cœur,
etranger malheureux, si vos yeux pouvaient lire,
autant que je vous plains, vous plaindriez mon sort.
ORESTE
IPHIGÉNIE
(aux Prêtresses)
Qu'on détache ses fers.
(à Oreste)
Quels bords vous ont vu naître ?
Que veniez-vous chercher dans ces climats affreux ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
Parlez !
ORESTE
IPHIGÉNIE
D'où vient que votre cœur soupire ?
Qu'êtes-vous ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
De grâce, répondez: de quels lieux venez-vous ?
Quel sang vous donna l'être ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
Dieux, qu'entends-je ? Achevez, dites... informez-nous
du sort d'Agamemnon, de celui de la Grèce !
ORESTE
IPHIGÉNIE
D'où naît la douleur qui vous presse ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
Je vois couler vos pleurs !
ORESTE
IPHIGÉNIE
(à part)
Je me meurs !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Et quel monstre exécrable
a sur un roi si grand osé lever le bras ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
Au nom des dieux, parlez !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Achevez ! vous me faites frémir.
ORESTE
IPHIGÉNIE
Grands dieux ! Clytemnestre ?
ORESTE
LES PRÊTRESSES
Ciel !
IPHIGÉNIE
Et des dieux vengeurs la justice suprême
a vu ce crime atroce ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
Ô ciel !
ORESTE
Ensemble
IPHIGÉNIE, LES PRÊTRESSES
De forfaits sur forfaits quel assemblage affreux !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Et ce fils qui du ciel a servi la colère,
ce fatal instrument de la vengeance des dieux...
ORESTE
IPHIGÉNIE
(se ritirant sur un des côtés de la scène)
C'en est fait ! Tous les miens ont subi le trépas.
Tristes pressentiments, vous ne me trompez pas.
(à Oreste)
Eloignez-vous, je suis assez instruite.
(Deux Prêtresses accompagnent Oreste.)
Iphigénie, Les Prêtresses.
IPHIGÉNIE
Ô ciel ! de mes tourments la cause et le témoin,
jouissez des malheur où vous m'avez réduite;
il ne pouvait aller plus loin.
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Patrie infortunée,
où par des noeuds si doux
notre âme est enchaînée,
vous avez disparu pour nous.
IPHIGÉNIE
Ô malheureuse Iphigénie !
Ta famille est anéantie !
(aux Prêtresses)
Vous n'avez plus de rois, je n'ai plus de parents;
mêlez vos cris plaintifs à mes gémissements !
LES PRÊTRESSES
Mêlons nos cris plaintifs à ses gémissements !
IPHIGÉNIE
Vous n'avez plus de rois, je n'ai plus de parents.
LES PRÊTRESSES
Nous n'avions d'espérance, hélas ! que dans Oreste:
nous avons tout perdu, nul espoir ne nous reste.
IPHIGÉNIE
Honorez avec moi ce héros qui n'est plus;
du moins qu'aux mânes de mon frère
les derniers devoirs soient rendus !
Apportez-moi la coupe funéraire,
offrons à cette ombre si chère
les froids honneurs qui lui sont dus.
(On apporte la coupe et l'on commence les cérémonies funèbres.)
LES PRÊTRESSES
Contemplez ces tristes apprêts,
mânes sacrés, ombre plaintive,
que nos larmes, que nos regrets,
pénètrent l'infernale rive !
IPHIGÉNIE
Ô mon frère, daignez entendre
les accents de ma douleur;
que les regrets de ta sour
jusqu'à toi puissent descendre !
LES PRÊTRESSES
Contemplez ces tristes apprêts,
mânes sacrés, ombre plaintive,
que nos larmes, que nos regrets,
pénètrent l'infernale rive !
Le thèâtre représente l'appartement d'Iphigénie.
Iphigénie, Les Prêtresses.
IPHIGÉNIE
Je cède à vos désirs: du sort qui nous opprime
instruisons Electre, ma sour:
aux horreurs du trépas j'arrache une victime
et je sers à la fois la nature et mon cœur...
Hélas ! je ne puis m'en défendre;
pour l'un de ces infortunés,
par nos barbares lois à la mort condamné,
je sens la pitié la plus tendre.
Mon cœur s'unit à lui par des rapports secrets...
Oreste serait de son âge;
ce captif malheureux m'en rappelle l'image,
et sa noble fierté m'en retrace les traits.
D'une image, hélas ! trop chérie
j'aime encore à m'entretenir.
Mon âme se plaît à nourrir
l'espérance qui m'est ravie.
Inutiles et chers transports !
Chassons une vaine chimère:
ah ! ce n'est plus qu'aux sombres bords
que je puis retrouver mon frère.
Iphigénie, Les prêtresses, Oreste, Pylade.
UNE PRÊTRESSE
Voici ces captifs malheureux.
IPHIGÉNIE
Allez ! laissez-moi seule un instant avec eux.
(Les prêtresses sortent.)
Iphigénie, Oreste, Pylade.
ORESTE
PYLADE
Mon sort est moins affreux, puisque je te revois.
IPHIGÉNIE
Qu'à leur aspect touchant je sens mon âme émue !
Vous avez vu mes pleurs, je n'ai pu m'en défendre.
Hélas ! qui n'en verserait pas au récit
que je viens d'entendre ?
Si sur ces bords sanglants le ciel fixe nos pas,
nous avons vu le jour dans de plus doux climats,
et la Grèce est notre patrie.
PYLADE
Quoi ? des mains d'une Grecque il faut perdre la vie ?
IPHIGÉNIE
Ah ! pour sauver vos jours je donnerais les miens.
Mais Thoas veut du sang: sa piété barbare
ajouterait aux maux qu'on vous prépare,
si de tous deux je brisais les liens.
IPHIGÉNIE
Je pourrais du tyran tromper la barbarie...
de l'un de vous au moins que les jours conservés...
PYLADE, ORESTE
Mon ami, tu vivras, tes jours seront sauvés.
IPHIGÉNIE
De celui de vous deux qui me devra la vie
pourrais-je attendre un service ?
PYLADE, ORESTE
Achevez;
je vous réponds de sa reconnaissance !
IPHIGÉNIE
Dans Argos, comme vous, j'ai reçu la naissance:
il m'y reste encore des amis.
Jurez-moi qu'un billet fidèlement remis...
PYLADE, ORESTE
J'en atteste les dieux, vos vœux seront remplis.
IPHIGÉNIE
Il faut donc entre vous choisir une victime.
Hélas ! dans le soin qui m'anime,
que ne puis-je à tous deux rendre un service égal !
Il faut que l'un des deux expire.
(à part)
Mon âme se déchire
mais puisqu'il faut enfin faire un choix si fatal,
(à Oreste)
c'est vous qui partirez.
ORESTE
IPHIGÉNIE
Répondez à mes vœux:
soyez prêt à partir, je cours en presser l'heure.
(Iphigénie sort)
Oreste, Pylade.
PYLADE
Ô moment trop heureux !
Ma mort, a mon ami va donc sauver la vie !
ORESTE
PYLADE
Ô dieux ! tu l'oses demander ?
ORESTE
PYLADE
Quel discours ! quelle fureur te presse ?
ORESTE
PYLADE
Ah ! ce choix m'est trop cher pour le pouvoir céder.
ORESTE
PYLADE
Ils veillent sur les tiens; ils protègent leur cours;
je remplis leur décret suprême.
ORESTE
PYLADE
Que me demandes-tu ?
ORESTE
PYLADE
Non, ne l'espère pas !
ORESTE
PYLADE
Cruel !
PYLADE, ORESTE
Dieux, fléchissez son cœur,
rendez-moi mon ami, qu'il m'accorde sa grâce,
que tout mon sang vous satisfasse,
qu'il suffise a votre rigueur !
ORESTE
(Il tombe dans les bras de Pylade.)
PYLADE
Eh quoi ! méconnais-tu Pylade qui t'implore ?
ORESTE
PYLADE
O dieux ! votre courroux ne peut-il se fléchir ?
ORESTE
PYLADE
Ah ! mon ami, j'implore ta pitié,
Oreste, hélas ! peut-il me méconnaître ?
Qu'il s'attendrisse aux pleurs de l'amitié !
Ton cœur au mien n'est pas fermé peut-être.
Cet ami qui te fut si cher,
Pylade, est à tes pieds, il conjure, il te presse;
a tes fureurs laisse-moi t'arracher.
Souscris au choix dicté par la prêtresse.
Souscris, souscris.
ORESTE
PYLADE
Ah, mon ami, j'implore ta pitié !
Oreste, helas ! peut-il me méconnaître !
ORESTE
PYLADE
Qu'il s'attendrisse aux pleurs de l'amitié !
Ton cœur au mien n'est pas fermé peut-être.
Oreste, Pylade, Iphigénie, Les Prêtresses.
ORESTE
IPHIGÉNIE
(à Pylade)
Que je vous plains !
(aux prêtresses)
Vous, conduisez ses pas.
ORESTE
IPHIGÉNIE
Que dites-vous ?
ORESTE
PYLADE
N'écoutez point ses transports furieux.
IPHIGÉNIE
(à Oreste)
Vivez ! et me servez !
ORESTE
PYLADE
Cruel, quelle fureur t'anime ?
IPHIGÉNIE
Ah ! je sens que mon choix est dicté par les dieux.
ORESTE
PYLADE
Arrête...
ORESTE
PYLADE
(l'interrompant)
Arrête... justes dieux.
IPHIGÉNIE
(à Pylade)
Quelle soudaine horreur de votre âme s'empare ?
ORESTE
IPHIGÉNIE
Non, ne l'espérez pas:
un pouvoir inconnu, puissant, irresistible,
sur l'autel des dieux même, arrêterait mon bras !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Ô dieux ! Eh bien, cruel, remplissez vos désirs.
ORESTE
Iphigénie, Pylade.
IPHIGÉNIE
Puisque le ciel à vos jours s'intéresse,
prêtez-moi le secours que vous m'avez promis.
Portez cet écrit dans la Grèce,
qu'entre les mains d'Electre il soit par vous remis.
PYLADE
Qu'entends-je ? et quel rapport l'une à l'autre vous lie ?
IPHIGÉNIE
J'ai respecté votre secret;
n'exigez rien de plus.
PYLADE
Vous serez obéie.
Je remplirai vos vœux, si le ciel le permet.
(Iphigénie sort.)
Pylade (seul).
Divinité des grandes âmes,
amitié ! viens armer mon bras,
remplis mon cœur de tes célestes flammes,
je vais sauver Oreste ou courir au trépas.
Le thèâtre représente l'intérieur du temple de Diane. La statue de la déesse, élevée sur une estrade, est au milieu, en avant; sur un des côtés on voi l'autel des sacrifices.
Iphigénie, seule, aux pieds de la statue.
Non, cet affreux devoir je ne puis le remplir.
En faveur de ce Grec un dieu parle sans doute.
Au sacrifice affreux que mon âme redoute,
non, je ne pourrais consentir !
Je t'implore et je tremble, ô déesse implacable !
Dans le fond de mon cœur mets la férocité:
etouffe de l'humanité
la voix plaintive et lamentable.
Hélas ! et quelle est donc la rigueur de mon sort:
d'un sanglant ministère,
victime involontaire,
j'obéis, et mon cœur est en proie au remords.
Iphigénie, Les Prêtresses, Oreste.
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Ô Diane, sois-nous propice !
La victime est parée, et l'on va l'immoler !
Puisse le sang qui va couler,
puissent nos pleurs apaiser ta justice !
IPHIGÉNIE
La force m'abandonne; ô moment douloureux !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Ô ciel !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Ah ! cachez-moi cette horrible vertu.
Les dieux protégeaient votre vie;
mais vous allez mourir, et vous l'avez voulu.
ORESTE
IPHIGÉNIE
Un crime ? ah ! c'en est un de vous donner la mort !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Hélas !
(Les Prêtresses environnent Oreste et le conduisent dans le sanctuaire où elles l'ornent de bandelettes et de guirlandes.)
CHŒUR DES PRÊTRESSES
Chaste fille de Latone,
prête l'oreille à nos chants:
que nous vœux, que notre encens
s'élèvent jusqu'à ton trône.
Dans les cieux et sur la terre
tout est soumis à ta loi.
Tout ce que l'Erèbe enserre,
a ton nom pâlit d'effroi !
En tous temps on te consulte,
dans la paix, dans les combats;
et l'on t'offre le seul culte
révéré dans ces climats.
Chaste fille de Latone
prête l'oreille à nos chants:
que nous vœux, que notre encens
s'élèvent jusqu'à ton trône.
(Lorsqu'Oreste est paré de guirlandes, on le conduit derrière l'autel; on brûle des parfums autour de lui, on le purifie en faisant des libations sur sa tête.)
IPHIGÉNIE
Quel moment ! dieux puissants, secourez-moi !
QUATRE PRÊTRESSES
(guidant Iphigénie vers l'autel; à Iphigénie)
Approchez, souveraine prêtresse,
remplissez votre auguste emploi !
IPHIGÉNIE
(marchant péniblement vers l'autel)
Barbares, arrêtez, respectez ma faiblesse.
(Une prêtresse lui présente le couteau sacré.)
Dieux ! tout mon sang se glace dans mon cœur
je tremble, et mon bras, plus timide...
LES PRÊTRESSES
Frappez.
ORESTE
IPHIGÉNIE
Mon frère !... Oreste !...
LES PRÊTRESSES
Oreste ! notre roi !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Oui, c'est lui, c'est mon frère.
ORESTE
IPHIGÉNIE
Oui, c'est elle qu'aux fureurs d'un père,
qu'à la rage des Grecs, Diane a su soustraire
LES PRÊTRESSES
Oui, c'est Iphigénie !
IPHIGÉNIE
(se jetant dans les bras d'Oreste)
Ô mon frère !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Ô mon frère ! ô mon cher Oreste !
ORESTE
IPHIGÉNIE
Ah ! laissons-là ce souvenir funeste,
laissez-moi ressentir l'excès de mon bonheur:
sans te connaître encore je t'avais dans mon cœur,
au ciel, à l'univers, je demandais mon frère...
le voilà, je le tiens ! il est entre mes bras !...
Mais que vois-je ?
Les précédents, une Femme grecque.
UNE FEMME GRECQUE
Tremblez ! tremblez ! on sait tout le mystère.
Le tyran porte ici ses pas.
Il sait qu'un des captifs destinés au supplice,
sauvé par vous, fuyait loin de ces lieux:
le tyran, furieux,
vient de l'autre à l'instant presser le sacrifice !
LES PRÊTRESSES
Grands dieux ! secourez-nous.
IPHIGÉNIE
Il ne se fera pas,
ce sacrifice abominable, impie...
Vous, sauvez votre roi des fureurs de Thoas;
il est du sang des dieux, ils défendront sa vie !
Les précédents, Thoas, Les Gardes, Suite.
THOAS
(à Iphigénie)
De tes forfaits la trame est découverte:
tu trahissais les deieux et conjurais ma perte.
Il est temps de punir ta noire perfidie,
il est temps que le ciel soit enfin satisfait.
Immole ce captif: que tout son sang expie
et ton audace et ton forfait !
IPHIGÉNIE
Qu'oses-tu proposer, barbare ?
Ensemble
THOAS
Obéissez aux dieux.
LES PRÊTRESSES
Sauvez-nous, justes cieux.
Éloignez les horreurs que ce moment prépare !
THOAS
(aux prêtresses)
Le ciel parle, il suffit.
(aux gardes)
Gardes, secondez-mois !
qu'on la saisisse !
IPHIGÉNIE
Ô ciel ! qu'oses-tu faire ?
THOAS
(aux gardes)
Qu'on le traîne à l'autel !
IPHIGÉNIE
(se precipitant au devant des gardes)
Cruel, il est mon frère !
THOAS
Ton frère !
ORESTE
IPHIGÉNIE
C'est mon frère et mon roi,
le fils d'Agamemnon.
THOAS
Frappez ! quel qu'il puisse être !
IPHIGÉNIE
(aux gardes)
N'approchez pas !
(aux prêtresses)
Et vous, défendez votre maître !
Les prêtresses forment un demi-cercle et placent Oreste entre elles et le sanctuaire.
THOAS
(aux gardes)
Lâches, vous reculez d'effroi !...
J'immolerai moi-même, aux yeux de la déesse,
et la victime et la prêtresse.
ORESTE
On entend un grand bruit derrière le thèâtre.
THOAS
Oui, je dois la punir.
Et tout son sang...
Les précédents, Pylade, troupe de Grecs.
PYLADE
C'est à toi de mourir.
LES GARDES DU ROI
Vengeons le sang de notre roi,
frappons !
Ensemble
IPHIGÉNIE
Grands dieux ! sauvez mon frère !
LES PRÊTRESSES
Grands dieux ! sauvez son frère !
(les Grecs chargent les Scytes)
PYLADE
(aux Grecs)
Courage, mes amis, et suivez-moi !
ORESTE
PYLADE
O mon unique ami !
Ensemble
IPHIGÉNIE
Grands dieux, secourez-nous !
Grands dieux, sauvez mon frére !
LES PRÊTRESSES
Grands dieux, secourez-nous !
Grands dieux, sauvez son frére !
CHŒUR DES GRECS
De ce peuple odieux
exterminons jusqu'au moindre reste;
servons la vengeance céleste,
et purifions ces lieux,
au nom de Pylade et d'Oreste.
Les précédents, Diane (descendant dans un nuage, au milieu des combattants. Les Scythes et les Grecs tombent à genoux à la voix de la déesse. Iphigénie et les prêtresses lèvent les mains vers elle).
DIANE
Arrêtez ! écoutez mes décrets éternels...
Scythes, aux mains des Grecs remettez mes images:
vous avez trop longtemps, dans ces climats sauvages,
déshonoré mes lois et mes autels.
(à Oreste)
Je prends soin de ta destinée, Oreste !
Tes remords effacent tes forfaits;
Mycène attend son roi; vas-y reigner en paix
et rends Iphigénie à la Grèce étonnée.
(Diane remonte au ciel.)
Iphigénie, Oreste, Pylade, Les Prêtresses, Thoas, Scythes, Grecs.
PYLADE
Ta sœur ! qu'ai-je entendu ?
ORESTE
CHŒUR
Les dieux, longtemps en courroux,
ont accompli leurs oracle !
Ne redoutons plus d'obstacles,
un jour plus pur luit sur nous.
Une paix douce et profonde
réigne sur le sein de l'onde;
la mer, la terre et les cieux,
tout favorise nos vœux.
Fin du livret.
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(D)