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Premier tableau. | |
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Des appartements magnifiquement éclairés dans l'hôtel de Sens. | Q
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[N. 25 - Entr'acte et Ballet] | N
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Scène première |
Damville, de Guerchy et tous les principaux protestants sont réunis. Des dames de la cour, en habit de gala, garnissent les banquettes du bal, ou dansent avec de jeunes cavaliers. - Les passe-pieds, les sarabandes se succèdent gaîment. - Paraît au fond Marguerite avec Henri de Navarre, son mari, suivie de son page Urbain. Les dames et seigneurs vont au-devant de la reine et lui font les honneurs de cette fête, donnée à l'occasion de son mariage. Le groupe royal traverse la salle du bal, et disparaît dans un autre appartement. Au milieu d'une musique bruyante, on croit entendre le son lointain d'une cloche. - Les danseurs s'arrêtent, écoutent un instant, puis avec indifférence se remettent à danser; et au moment où tout présente l'aspect du bal le plus animé, on entend un grand bruit. - Raoul paraît à la porte du fond, pâle, en désordre, et les habits ensanglantés. |
De Guerchy, Seigneurs protestants, Dames
<- Marguerite, Henri de Navarre, Urbain
Marguerite, Henri de Navarre, Urbain ->
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Scène deuxième |
Les mêmes; Raoul se précipitant au milieu de la salle du bal. |
<- Raoul
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[N. 26 - Récitatif et Air] | N
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RAOUL |
Aux armes, mes amis ! on immole nos frères !
L'autre bord de la Seine est inondé de sang !
Des assassins gagés les hordes meurtrières
seront ici dans un instant.
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LE CHŒUR |
(entourant Raoul et formant en désordre différents groupes, se parlant entre eux)
Non, non, c'est impossible;
non, non, je ne puis croire à ce crime odieux,
à cette trahison horrible !...
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RAOUL |
Vainement ma raison veut démentir mes yeux.
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RAOUL |
À la lueur de leurs torches funèbres
j'ai vu courir des soldats forcenés !
Ils s'écriaient au milieu des ténèbres:
« Frappez, frappez ! Dieu les a condamnés ! »
J'ai vu tomber des guerriers sans défense.
De notre chef l'asile est assailli,
et leurs poignards altérés de vengeance
de mille coups ont percé Coligny !
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LE CHŒUR |
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RAOUL
Ce noble front que la victoire honore,
ils n'osaient sans pâlir le contempler vivant,
et mort ~ ils l'insultaient !
(montrant son habit ensanglanté)
Amis, voilà son sang !
Maintenant doutez-vous encore ?
(avec douleur et indignation)
Et ce sont des Français ! et ce sont des chrétiens
qui du trône et du ciel se disent les soutiens !
Errant et furieux, maudissant leur supplice,
des hommes et du ciel invoquant la justice,
au Louvre je courais, à travers le danger,
implorer le roi Charle ! Ô forfait !... anathème !...
Du haut de son balcon j'ai vu le roi lui-même
immoler ses sujets, qu'il devait protéger.
Partout le meurtre et l'incendie !
Partout des prêtres en furie
du ciel proclament le courroux !
Et la jeune fille en prière,
l'enfant sur le sein de sa mère,
rien, hélas ! n'échappe à leurs coups !
Verrons-nous couler sans défense
ce sang qui demande vengeance ?...
Il l'attend ! il l'aura de nous !
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RAOUL, LE CHŒUR |
Aux armes ! à la vengeance !
Courons tous à la défense
des martyrs et des héros !
Oui, rendons guerres pour guerres !
Vengeons la mort de nos frères
dans le sang de leurs bourreaux !
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RAOUL |
Courons au Louvre, où Charles nous délie
de nos serments, de notre foi !
Lui-même en nous frappant brisa son sceptre impie;
chef de nos meurtriers, il n'est plus notre roi !
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LE CHŒUR |
Aux armes ! à la vengeance !
Courons tous à la défense
des martyrs et des héros !
Oui, rendons guerres pour guerres !
Vengeons la mort de nos frères
dans le sang de leurs bourreaux !
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| (Les femmes, pâles d'effroi, s'enfuient suivies de leurs pages et écuyers; les hommes tirent leurs épées et sortent tout en désordre par toutes les portes du salon.) | De Guerchy, Seigneurs protestants, Dames, Raoul ->
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Deuxième tableau. | |
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Un cloître. - Au fond un temple protestant dont on voit les vitraux. À gauche une petite porte qui conduit dans l'intérieur du temple. À droite une grille qui donne sur un carrefour. | Q
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Scène troisième |
Des femmes huguenotes conduisant et portant leurs enfants traversent la scène en fuyant. Marcel bléssé, au milieu des femmes et des enfants qui se pressent autour de lui, leur indique de la main la porte du temple. - Puis Raoul. |
Femmes huguenotes, Leurs enfants, Marcel
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[N. 27 - Scène et Grand trio] | N
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N. 27.a - Scène | |
MARCEL |
Là !... là... dans notre temple !... au pied du saint autel,
nous mourrons tous en priant l'Éternel !
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| (Les femmes et les enfants se réfugient dans le temple qui est à gauche. Marcel tombe à genoux et prie.) | Femmes huguenotes, Leurs enfants ->
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| <- Raoul
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RAOUL |
(entrant par la grille à droite)
C'est toi, mon vieux Marcel que j'ai cru reconnaître.
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MARCEL |
Ah !... je priais pour vous !...
(se relevant)
Je vous revois, mon maître !
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RAOUL |
Éloigne-toi... Pourquoi t'exposer à leurs coups ?
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MARCEL |
Maître... c'est mon devoir de mourir près de vous.
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RAOUL |
(le regardant)
Blessé ! blessé !
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MARCEL |
(avec résignation)
Qu'importe, en ce moment terrible !
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RAOUL |
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MARCEL |
Hélas ! c'est impossible,
mon maître, il faut mourir ! Les soldats, les bourreaux,
cernent de toutes parts un reste de héros.
Dans ce temple encor libre, hélas ! dernier asile
des femmes, des enfants, la foule en pleurs s'exile
pour mourir saintement ! ~ Venez... pour tout effort,
il ne nous reste plus qu'à partager leur sort !
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Scène quatrième |
Les mêmes; Valentine entrant. |
<- Valentine
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VALENTINE |
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RAOUL |
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MARCEL |
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VALENTINE |
Non, tu ne mourras point !... et le ciel qui m'inspire
conduit mes pas !... Je viens te sauver.
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RAOUL |
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VALENTINE |
Cette écharpe à ton bras... nous pouvons sans péril
parvenir jusqu'au Louvre, et là dans sa clémence
la reine épargnera tes jours, si tu veux, toi...
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RAOUL |
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VALENTINE |
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RAOUL |
Quand je serais flétri seriez-vous plus à moi ?
Tout nous sépare.
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VALENTINE |
Oh ! non ! je puis aimer sans crime
à présent !
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MARCEL |
Oui, Nevers, ennemi généreux,
m'arrachant aux bourreaux dont j'étais la victime,
a succombé lui-même, assassiné par eux !
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RAOUL |
Eh quoi ! Nevers n'est plus !
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VALENTINE |
Que son cœur me pardonne
de suivre en te sauvant l'exemple qu'il me donne.
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RAOUL |
Quoi ! Nevers... mort ! Devoir, amour, supplice affreux !
Marcel ! ne vois-tu pas que mon bonheur s'apprête ?
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MARCEL |
Ne vois-tu pas la main du seigneur qui t'arrête ?
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VALENTINE |
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RAOUL |
(montrant Marcel)
Non, près de lui je reste pour mourir !
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MARCEL |
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VALENTINE |
Ainsi je te verrai périr !
Ainsi pour toi la honte est d'accepter la vie
que m'accordait la reine et que je viens t'offrir !
et quand ma destinée à la tienne est unie,
quand pour toi je vivais... sans moi tu veux mourir !
Eh bien ! tu connaîtras tout l'amour d'une femme !
Ingrat !... tu veux en vain que nos nœuds soient rompus !
A toi seul désormais et ma vie et mon âme !
Enfer ou paradis, je ne te quitte plus;
juge à présent, Raoul, et ton cœur et le mien:
tu maudissais mon culte, et j'adopte le tien !
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Dieu maintenant peut faire
selon sa volonté !
Ensemble sur la terre
et dans l'éternité !
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MARCEL |
(la regardant avec attendrissement)
Le seigneur de sa flamme et l'échauffe et l'éclaire.
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VALENTINE |
Oui, c'est lui qui m'inspire en ma nouvelle foi;
venez et vers lui guidez-moi,
mon bon Marcel, mon père !
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RAOUL |
Nul ministre du ciel ne peut bénir ici
cet hymen chaste et pur dont la mort est le gage;
par le droit des vertus et par le droit de l'âge,
jadis mon serviteur, sois mon prêtre aujourd'hui.
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MARCEL |
Ah ! qu'il en soit ainsi...
(on entend dans l'intérieur du temple les femmes et les enfants qui chantent le cantique de Luther)
Mais écoutez ces anges !
Du dieu vivant ils chantent les louanges
en attendant la mort. ~ Vous, dans ce triste lieu,
répondez, comme devant Dieu !...
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N. 27.b - Bénédiction nuptiale | |
| (Les deux amants se mettent à genoux. Marcel debout entre eux, d'une voix grave et sévère.) | |
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Savez-vous qu'en joignant vos mains dans ces ténèbres
je consacre et bénis
le moment des adieux et des noces funèbres ?...
| S
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RAOUL, VALENTINE |
Nous savons qu'au ciel seul nous devons être unis.
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MARCEL |
Avez-vous rejeté toute chaîne mortelle,
tout espoir d'ici-bas ?
Et la foi seulement dans vos cœurs survit-elle ?
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RAOUL, VALENTINE |
Oui, la foi dans nos cœurs règne enfin sans combats.
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MARCEL |
Verrez-vous sans trembler le fer, la flamme luire ?
Et cette foi d'un jour,
la renîrez-vous pas en face du martyre ?
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RAOUL, VALENTINE |
Dieu nous donna la force en nous donnant l'amour.
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| (Marcel les bénit. - Tout à coup on entend dans l'intérieur du temple un grand bruit d'armes et des cris menaçants. - A travers les vitraux on voit briller des torches et le fer des lances. - Les meurtriers viennent de pénétrer dans le temple, dont ils ont brisé les portes.) | |
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N. 27.c - Chœur des meurtriers | |
CHŒUR DES MEURTRIERS |
(dans l'intérieur du temple)
Abjurez, huguenots, ou mourez !
Renégats, grâce ou mort !... abjurez !
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VALENTINE |
Ah ! les infâmes !
Massacrer sans pitié des enfants et des femmes
qui reçoivent la mort
en louant le seigneur !...
(écoutant près du temple la prière des huguenots qui continue toujours)
Dieux !... ils chantent encor.
(Valentine Marcel et Raoul se jettent à genoux et prient avec ferveur. - Un grand silence succède aux cris et au bruit des armes. Valentine écoutant)
O vœux superflus !
(avec désespoir)
Ils ne chantent plus !
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| (Marcel qui était à genoux, se relève soudain; ses yeux se portent vers le ciel: une sainte joie brille en tous ses traits, et à l'enthousiasme qui s'empare de lui il semble qu'une vision céleste lui apparaisse.) | |
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N. 27.d - Vision | |
MARCEL
(avec exaltation)
Voyez ! le ciel s'ouvre et rayonne.
Hosanna ! le divin clairon sonne,
et la marche des anges résonne,
conduisant les martyrs jusqu'à dieu;
ces harpes que j'écoute
m'indiquent la route;
j'y vole moi-même,
délice suprême !
Noble trépas que j'aime,
terre, terre, adieu !
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Ensemble
RAOUL, VALENTINE
(le regardant avec admiration)
Ah ! voyez, son visage rayonne,
son front d'éclairs se couronne,
et sa voix dans l'espace résonne;
hosanna ! c'est l'archange de dieu !
J'admire, j'écoute,
il montre la route;
j'y vole moi-même,
délice suprême !
Noble trépas que j'aime,
terre, terre, adieu ! ! !
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Quelques meurtriers, qui paraissent à l'entrée du carrefour à droite, appellent leurs compagnons et brisent la grille; ils s'élancent sur le théâtre, se précipitent vers Raoul, Marcel et Valentine qui, se tenant par la main, s'avancent lentement en offrant leur poitrine aux coups des assassins. Ceux-ci, étonnés, reculent d'abord quelques pas, puis ils reviennent, les entourent, et leur présentant à chacun la croix de Lorraine et l'écharpe blanche. | <- Meurtriers
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CHŒUR DES MEURTRIERS
Abjurez, huguenots, ou mourez !
Renégats, grâce ou mort !... abjurez !
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Ensemble
VALENTINE, MARCEL, RAOUL
(refusant)
Non, non, je ne crains rien de vous,
dieu nous guide et marche avec nous !
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| (Les meurtriers furieux se jettent sur eux, les séparent, les entraînent; ils disparaissent par le carrefour à droite, et au même moment on entend en dehors et du même côté plusieurs coups de feu.) | Meurtriers, Raoul, Valentine, Marcel ->
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Troisième tableau. | |
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Une vue d'un quartier de Paris en 1572. | Q
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Scène cinquième |
Raoul, Marcel, Valentine, puis Saint-Bris, Arquebusiers. |
Raoul, Marcel, Valentine
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[N. 28 - Scène finale] | N
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LE CHŒUR (en dehors)
Par le fer et par l'incendie
exterminons leur race impie !
Point de pitié ! point d'innocent !
Soldats de la foi catholique,
frappons, poursuivons l'hérétique;
dieu le veut !... oui, dieu veut leur sang !
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| (À droite, Raoul et Marcel blessés mortellement viennent de tomber. - Valentine est près d'eux et leur prodigue ses secours. - On voit venir à gauche Saint-Bris à la tête d'une compagnie d'arquebusiers.) | <- Saint-Bris, arquebusiers
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SAINT-BRIS |
(criant à Raoul et à ses compagnons)
Qui vive ?
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| (Raoul cherche à soulever sa tête mourante. Valentine lui met la main sur la bouche pour l'empêcher de répondre.) | |
VALENTINE |
(à Raoul)
Ah ! de grâce, tais-toi !
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RAOUL |
(fait un effort, se relève et crie)
Huguenot !
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VALENTINE, MARCEL |
(se levant alors, et l'entourant de ses bras, s'écrie ainsi que Marcel)
Nous aussi !
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SAINT-BRIS |
(à ses soldats, dont l'arquebuse est en joue et la mèche allumée)
Frappez au nomdu roi !
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| (Les soldats font feu sur le groupe, et Valentine tombe frappée à mort.) | |
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VALENTINE |
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SAINT-BRIS |
(se précipitant vers elle)
Ah ! qu'entends-je !
Ma fille !
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MARCEL |
(se soulevant)
Oui, déjà dieu nous venge !
Devant son tribunal nous nous reverrons tous !
Je t'y vais accuser !...
(il retombe et meurt)
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VALENTINE |
(à son père)
Et moi, prier pour vous !
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| (Elle tombe sur le corps de Raoul - En ce moment paraît au milieu du théâtre la litière de Marguerite de Valois, qui sort du bal pour rentrer au Louvre. À l'aspect de Valentine expirante, elle jette un cri d'effroi, et de la main elle arrête les soldats catholiques.) | |
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LE CHŒUR
Par le fer et par l'incendie
exterminons la race impie !
Point de pitié ! point d'innocent !
Soldats de la foi catholique,
frappons, poursuivons l'hérétique;
dieu le veut !... oui, dieu veut leur sang.
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