Acte troisième

 

Scène première

Le préau extérieur d'un cabaret. À droite la taverne. À gauche des arbres. Au fond une porte et un petit mur très bas qui clôt le préau. Au loin la croupe de Notre-Dame, avec ses deux tours et sa flèche, et une silhouette sombre du vieux Paris qui se détache sur le ciel rouge du couchant. La Seine au bas du tableau.
Phœbus, Le vicomte de Gif, M. de Morlaix, M. de Chevreuse, et plusieurs autres amis de Phœbus, assis à des tables, buvant et chantant; puis Claude Frollo.

 Q 

Phœbus, Le vicomte de Gif, M. de Morlaix, M. de Chevreuse, Autres amis de Phœbus

 
[N. 7 - Chanson et chœur]

 N 

 

CHŒUR

Sois propice et salutaire,  

Notre-Dame de Saint-Lô,

au soudard qui sur la terre

n'a de haine que pour l'eau!

PHŒBUS

Donne au brave,

en tous lieux,

bonne cave

et beaux yeux !

L'heureux drille !

Fais qu'il pille

jeune fille

et vin vieux !

CHŒUR

Sois propice et salutaire,

etc.

PHŒBUS

Qu'une belle

au cœur froid

soit rebelle,

~ On en voit, ~

il plaisante

la méchante,

puis il chante,

puis il boit !

CHŒUR

Sois propice et salutaire,

etc.

PHŒBUS

Le jour passe;

ivre ou non,

il embrasse

sa Toinon,

et, farouche,

il se couche

sur la bouche

d'un canon.

CHŒUR

Sois propice et salutaire,

etc.

PHŒBUS

Et son âme,

qui souvent

d'une femme

va rêvant,

est contente

quand la tente

palpitante

tremble au vent.

CHŒUR

Sois propice et salutaire,

Notre-Dame de Saint-Lô,

au soudard qui sur la terre

n'a de haine que pour l'eau !

 
(Entre Claude Frollo qui va s'asseoir à une table éloignée de celle où est Phœbus, et paraît d'abord étranger à ce qui se passe autour de lui.)

<- Claude Frollo

 
[N. 8 - Scène et air avec chœur]

 N 

 

LE VICOMTE DE GIF
(à Phœbus)

Cette égyptienne si belle,  

qu'en fais-tu donc, décidément ?

 
(Mouvement d'attention de Claude Frollo.)
 

PHŒBUS

Ce soir, dans une heure, avec elle,

j'ai rendez-vous.

TOUS

Vraiment ?

PHŒBUS

Vraiment !

 
(L'agitation de Claude Frollo redouble.)
 

LE VICOMTE DE GIF

Dans une heure ?

PHŒBUS

Dans un moment !

 

PHŒBUS

Oh ! l'amour, volupté suprême !  

Se sentir deux dans un seul cœur !

Posséder la femme qu'on aime !

Être l'esclave et le vainqueur !

Avoir son âme, avoir ses charmes !

Son chant qui sait vous apaiser !

Et ses beaux yeux remplis de larmes

qu'on essuie avec un baiser !

 
(Pendant qu'il chante, les autres boivent et choquent leurs verres.)
 

CHŒUR

C'est le bonheur suprême,

en quelque temps qu'on soit,

de boire à ce qu'on aime

et d'aimer ce qu'on boit !

PHŒBUS

Amis, la plus jolie,

une grâce accomplie !

Ô délire! ô folie!

Amis, elle est à moi!

CLAUDE FROLLO
(à part)

A l'enfer je m'allie.

Malheur sur elle et toi !

PHŒBUS

Le plaisir nous convie !

Épuisons sans retour

le meilleur de la vie

dans un instant d'amour !

Qu'importe après que l'on meure !

Donnons cent ans pour une heure,

l'éternité pour un jour !

 
(Le couvre-feu sonne. Les amis de Phœbus se lèvent de table, remettent leurs épées, leurs chapeaux, leurs manteaux, et s'apprêtent à partir.)
 

CHŒUR

Phœbus l'heure t'appelle;

oui, c'est le couvre-feu.

Va retrouver ta belle.

À la garde de dieu !

PHŒBUS

Vraiment! l'heure m'appelle;

oui, c'est le couvre-feu.

Je vais trouver ma belle.

À la garde de dieu !

 
(Les amis de Phœbus sortent.)

Le vicomte de Gif, M. de Morlaix, M. de Chevreuse, Autres amis de Phœbus ->

 

Scène deuxième

Claude Frollo, Phœbus.

 
[N. 9 - Scène et duo]

 N 

 

CLAUDE FROLLO

(arrêtant Phœbus au moment où il se dispose à sortir)  

Capitaine !

PHŒBUS

Quel est cet homme ?

CLAUDE FROLLO

Écoutez-moi.

PHŒBUS

Dépêchons-nous !

CLAUDE FROLLO

Savez-vous bien comment se nomme

celle qui vous attend ce soir au rendez-vous ?

PHŒBUS

Eh, pardieu ! c'est mon amoureuse,

celle qui m'aime et me plaît fort;

c'est ma chanteuse, ma danseuse,

c'est Esmeralda.

CLAUDE FROLLO

C'est la mort.

PHŒBUS

L'ami, vous êtes fou, d'abord;

ensuite, allez au diable !

CLAUDE FROLLO

Écoutez !

PHŒBUS

Que m'importe ?

CLAUDE FROLLO

Phœbus si vous passez le seuil de cette porte...

PHŒBUS

Vous êtes fou !

CLAUDE FROLLO

Vous êtes mort !

 

CLAUDE FROLLO

Tremble ! c'est une égyptienne !  

Elles n'ont ni loi, ni remord.

Leur amour déguise leur haine,

et leur couche est un lit de mort !

PHŒBUS

(riant)

Mon cher, rajustez votre cape.

Rentrez à l'hôpital des fous.

Il me paraît qu'on s'en échappe.

Que Jupiter, saint Esculape,

et le diable soient avec vous !

CLAUDE FROLLO

Ce sont des femmes infidèles.

Crois-en les publiques rumeurs.

Tout est ténèbres autour d'elles.

Phœbus ! n'y va pas, ou tu meurs !

 
(L'insistance de Claude Frollo paraît troubler Phœbus qui considère son interlocuteur avec anxiété.)

PHŒBUS

Il m'étonne.

Il me donne

malgré moi quelques soupçons !

Cette ville,

peu tranquille,

est pleine de trahisons !

Ensemble

CLAUDE FROLLO

Je l'étonne,

je lui donne

malgré lui quelques soupçons.

L'imbécille,

dans la ville,

ne voit plus que trahisons !

 

CLAUDE FROLLO

Croyez-moi, monseigneur, évitez la sirène

dont le piége vous attend.

Plus d'une bohémienne

a poignardé dans sa haine

un cœur d'amour palpitant.

 
(Phœbus qu'il veut entraîner, se ravise et le repousse.)

PHŒBUS

Mais suis-je fou moi-même ?

Maure, juive ou bohème,

qu'importe quand on aime ?

L'amour doit tout couvrir.

Laisse-nous ! il m'appelle !

Ah ! si la mort, c'est elle,

quand la mort est si belle,

il est doux de mourir !

Ensemble

CLAUDE FROLLO
(le retenant)

Arrête ! Une bohème !

Ta folie est extrême !

Oses-tu donc toi-même

à ta perte courir ?

Crains la femme infidèle

qui dans l'ombre t'appelle.

Mais quoi ! tu cours près d'elle ?

Va, si tu veux mourir !

 
(Phœbus sort vivement, malgré Claude Frollo. Claude Frollo reste un moment sombre et comme indécis; puis il suit Phœbus.)

Phœbus, Claude Frollo ->

 
 

Scène troisième

Une chambre. Au fond, une fenêtre qui donne sur la rivière.
Clopin Trouillefou entre, son flambeau à la main; il est accompagné de quelques hommes auxquels il fait un geste d'intelligence, et qu'il place dans un coin obscur où ils disparaissent; puis il retourne vers la porte et semble faire signe à quelqu'un de monter. Dom Claude paraît.

 Q 

<- Clopin, Hommes, Claude Frollo

 
[N. 10 - Scène et trio]

 N 

 

CLOPIN
(à Claude Frollo)

D'ici vous pourrez voir, sans être vu vous-même,  

le capitaine et la bohème.

 
(Il lui montre un enfoncement derrière une tapisserie.)
 

CLAUDE FROLLO

Les hommes apostés sont-ils prêts ?

CLOPIN

Ils sont prêts.

CLAUDE FROLLO

Que jamais de ceci l'on ne trouve la source.

Silence ! prenez cette bourse.

Vous en aurez autant après !

 
(Claude Frollo se place dans la cachette. Clopin sort avec précaution. Entrent la Esmeralda et Phœbus.)

<- La Esmeralda, Phœbus

 

CLAUDE FROLLO
(à part)

Ô fille adorée,    

au destin livrée !

Elle entre parée

pour sortir en deuil !

S

LA ESMERALDA
(à Phœbus)

Monseigneur le comte,

mon cœur que je dompte

est rempli de honte

et rempli d'orgueil !

PHŒBUS
(à la Esmeralda)

Oh ! comme elle est rose !

Quand la porte est close,

ma belle, on dépose

toute crainte au seuil.

 
(Phœbus fait asseoir la Esmeralda sur le banc près de lui.)
 

PHŒBUS

M'aimes-tu ?  

LA ESMERALDA

Je t'aime !

CLAUDE FROLLO
(à part)

Ô torture !

PHŒBUS

Ô l'adorable créature !

Vous êtes divine, en honneur !

LA ESMERALDA

Votre bouche est une flatteuse !

Tenez, je suis toute honteuse !

N'approchez pas tant, monseigneur !

CLAUDE FROLLO

Ils s'aiment ! que je les envie !

LA ESMERALDA

Mon Phœbus je vous dois la vie !

PHŒBUS

Et moi, je te dois le bonheur !

 

LA ESMERALDA

Oh ! sois sage !  

Encourage

d'un visage

gracieux

la petite

qui palpite

interdite

sous tes yeux !

PHŒBUS

Ô ma reine,

ma sirène,

souveraine

de beauté !

Douce fille,

dont l'oeil brille

et pétille

de fierté !

CLAUDE FROLLO

Les attendre !

Les entendre !

Qu'elle est tendre !

Qu'il est beau !

Sois joyeuse !

Sois heureuse !

Moi, je creuse

le tombeau !

PHŒBUS

Fée ou femme,

sois ma dame !

Car mon âme,

nuit et jour,

te désire,

te respire,

et t'admire,

mon amour !

CLAUDE FROLLO

Attends, femme,

que ma flamme

et ma lame

aient leur tour !

Oui, j'admire

leur sourire,

leur délire,

leur amour !

Ensemble

LA ESMERALDA

Je suis femme,

et mon âme,

toute flamme,

tout amour,

est, beau sire,

une lyre

qui soupire

nuit et jour !

PHŒBUS

Sois toujours rose et vermeille !

Rions à notre heureux sort,

à l'amour qui se réveille,

à la pudeur qui s'endort !

Ta bouche, c'est le ciel même !

Mon âme veut s'y poser.

Puisse mon souffle suprême

s'en aller dans ce baiser !

CLAUDE FROLLO

Ne frappez point leur oreille,

pas rapprochés de la mort !

Ma haine jalouse veille

sur leur amour qui s'endort !

La mort décharnée et blême

entre eux deux va se poser !

Phœbus ton souffle suprême

s'en ira dans ce baiser !

Ensemble

LA ESMERALDA

Ta voix plaît à mon oreille;

ton sourire est doux et fort;

l'insouciance vermeille

rit dans tes yeux et m'endort.

Tes vœux sont ma loi suprême,

mais je dois m'y refuser.

Ma vertu, mon bonheur même,

s'en iraient dans ce baiser !

 
Claude Frollo se jette sur Phœbus et le poignarde, puis il ouvre la fenêtre du fond, par laquelle il disparaît. La Esmeralda tombe avec un grand cri sur le corps de Phœbus. Entrent en tumulte les hommes apostés, qui la saisissent et semblent l'accuser. La toile tombe.
 

Fin (Acte troisième)

Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième

Le préau extérieur d'un cabaret. À droite la taverne. À gauche des arbres.

Phœbus, Le vicomte de Gif, M. de Morlaix, M. de Chevreuse, Autres amis de Phœbus
 

[N. 7 - Chanson et chœur]

Phœbus, Le vicomte de Gif, M. de Morlaix, M. de Chevreuse, Autres amis de Phœbus
<- Claude Frollo

[N. 8 - Scène et air avec chœur]

Cette égyptienne si belle

Phœbus, Chœur, Claude Frollo
Oh ! l'amour, volupté suprême !
Phœbus, Claude Frollo
Le vicomte de Gif, M. de Morlaix, M. de Chevreuse, Autres amis de Phœbus ->

[N. 9 - Scène et duo]

Capitaine ! / Quel est cet homme ?

Claude Frollo, Phœbus
Tremble ! c'est une égyptienne !
Phœbus, Claude Frollo ->

Une chambre. Au fond, une fenêtre qui donne sur la rivière.

<- Clopin, Hommes, Claude Frollo

[N. 10 - Scène et trio]

D'ici vous pourrez voir, sans être vu vous-même

Clopin, Hommes, Claude Frollo
<- La Esmeralda, Phœbus
Claude Frollo, La Esmeralda, Phœbus
Ô fille adorée

M'aimes-tu ? / Je t'aime ! / Ô torture !

La Esmeralda, Phœbus, Claude Frollo
Oh ! sois sage !
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième
La Cour des miracles. Il est nuit. La place de Grève. Le pilori. Une salle magnifique. Le préau extérieur d'un cabaret. À droite la taverne. À gauche des arbres. Une chambre. Au fond, une fenêtre qui donne sur la rivière. Une prison. Au fond, une porte. Le parvis Notre-Dame. La façade de l'église.
[Ouverture] [N. 1 - Introduction et chœur] [N. 2 - Air et récitatif] [N. 3 - Final] [N. 4 - « Il enlevait une fille »] [N. 5 - Récitatif et air] [N. 6 - Final] [N. 7 - Chanson et chœur] [N. 8 - Scène et air avec chœur] [N. 9 - Scène et duo] [N. 10 - Scène et trio] [N. 11 - Entracte et récitatif] [N. 12 - Récitatif et duo] [N. 13 - Air de Cloches] [N. 14 - Récitatif et duo] [N. 15 - Final]
Acte premier Acte deuxième Acte quatrième

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