| |
La scène se passe dans le palais du prince. Le théâtre représente un salon magnifiquement décoré pour une fête; à droite du théâtre est élevé un trône, sur les degrés duquel on aperçoit Cendrillon, avec une parure très élégante, elle dort profondément, et se trouve absolument dans la même position où elle s'est endormie auprès du feu, à la fin du premier acte. | Q
|
|
|
Scène première |
À gauche du théâtre, un choeur aérien qui est censé chanté par des Génies. |
Cendrillon, génies
|
| |
|
LE CHŒUR
Ô doux sommeil ! sur l'innocence
daigne répandre tes pavots;
songes rians, prolongezson repos,
et berce-la, douce espérance.
| |
| |
CENDRILLON (en rêvant) |
Ils sont partis, plus d'espérance !
| |
|
LE CHŒUR (reprend)
Ô doux sommeil ! sur l'innocence
daigne répandre tes pavots;
songes rians, prolongezson repos,
et berce-la, douce espérance.
| |
| |
| (Le chœur sort.) | génies ->
|
| |
CENDRILLON (ouvrant les yeux) |
Ah ! comme j'ai dormi long-temps ! que vois je ? ah ! mon dieu ! que de richesses !... suis-je bien éveillée ? oh ! comme me voilà belle ! est-ce bien moi ?
(elle descend avec une grande agitation les marches du trône.)
Qu'est-ce que tout cela signifie ? Je n'ai pas la force de me soutenir.
| |
| |
|
LE CHŒUR (sans être vu)
Ma chère enfant, soyez tranquille,
restez en paix dans cet asile:
vous avez un bon cœur, tout vous réussira;
le ciel vous récompensera.
| |
|
|
Scène seconde |
Alidor, Cendrillon. |
<- Alidor
|
| |
CENDRILLON |
Ah ! seigneur, c'est vous ?
| |
ALIDOR |
Eh bien ! vous avais-je trompée ?
| |
CENDRILLON |
| |
ALIDOR |
Vous êtes à la cour. Je vous avais promis que vous viendriez à la fête; vous voyez que j'ai tenu ma parole, car vous arrivez la première.
| |
CENDRILLON |
Mais comment suis-je venue ? qui m'a donné ces beaux habits ?
| |
ALIDOR |
C'est un mystère que vous ne devez pas chercher à pénétrer.
| |
CENDRILLON |
Et mes sœurs?... mon père ?...
| |
ALIDOR |
Ils ne sont point arrivés.
| |
CENDRILLON |
Ah ciel ! je tremble; ils vont me reconnaître; je suis perdue.
| |
ALIDOR |
Rassurez-vous, ils ne vous reconnaîtront pas.
| |
CENDRILLON |
Mais moi, qui ne suis jamais sortie du coin du feu, comment oserai-je paraître à la cour ? Je me
trouve déjà toute gênée dans ces beaux habits; c'est tout au plus si je puis marcher.
| |
ALIDOR |
Soyez tranquille. prenez cette rose; avec elle personne ne vous reconnaîtra; vous aurez de l'assurance, vous aurez des talens... C'est à cette rose qu'est attaché votre bonheur, que sont attachés des destins de la plus haute importance.
| |
CENDRILLON |
| |
ALIDOR |
Mon enfant, ne la quittez jamais.
| |
CENDRILLON |
(après avoir placé la rose sur son sein)
En effet !
(elle lève la tête avec grâce)
quel changement s'est tout à coup opéré en moi ! il me semble que mes idées se développent, que je reçois une nouvelle existence... c'est singulier,
(elle marche avec assurance)
je ne suis plus la même !
| |
|
|
Scène troisième |
Les mêmes, un Page. |
<- un page
|
| |
LE PAGE |
Madame, vos écuyers, vos pages et toute votre suite viennent d'arriver au château.
| |
CENDRILLON |
C'est bien ! qu'ils attendent mes ordres... Ah ! sage Alidor, c'est à vous que je dois ce prodige étonnant.
| |
ALIDOR |
| |
| un page ->
|
[Air] | N
|
|
Conservez bien votre bonté,
cet heureux don de la nature;
n'altérez point, par l'imposture,
cette aimable simplicité:
la plus élégante parure,
c'est la bonté.
Que tout l'éclat del'opulence
ne rende point votre cœur orgueilleux;
pour devise, prenez simplicité, constance,
et que toujours ces mots soient présens à vos yeux.
Conservez bien votre bonté,
cet heureux don de la nature;
n'altérez point, par l'imposture,
cette aimable simplicité:
la plus élégante parure,
c'est la bonté.
| |
| |
|
Mais j'entends du bruit; c'est le retour de la chasse; ne vous montrez pas encore; retirez-vous de ce côté; il sera temps de paraître quand j'irai vous avertir.
| |
| |
| (Elle sort, conduite par Alidor, du côté du trône.) | Cendrillon ->
|
|
|
Scène quatrième |
Le prince, Alidor, Dandini, Le baron, Clorinde, Tisbé, Suite. |
<- Le prince, Dandini, Le baron, Clorinde, Tisbé, gardes, deux écuyers
|
| |
DANDINI |
Enfin, nous voila arrivés; il était temps, car je meurs de faim et de soif; n'êtes-vous pas de mon avis, baron de Montefiascone ?
| |
LE BARON |
Oui, seigneur; en effet, il n'y a rien qui altère comme le froid.
| |
DANDINI |
Ah ! ah ! vous êtes un habile homme.
(à Alidor)
Mon cher précepteur, je vous le donne comme l'homme le plus érudit de mon royaume; vous n'imaginez pas combien sa conversation est instructive. Pendant toute la route, il n'a cessé de me parler des vignobles les plus renommés de mes états: aussi, je veux le récompenser d'une manière analogue à ses connaissances: je le nomme mon grand échanson.
| |
LE BARON |
Seigneur, soyez assuré que je m'acquitterai de cette charge importante avec toute l'énergie... toute la probité...
| |
DANDINI |
C'est bien ! allez vous faire installer.
| |
| |
| (Le baron sort avec deux écuyers.) | Le baron, deux écuyers ->
|
| |
DANDINI |
Mille pardons, mesdames, si j'ai été obligé de donner un moment aux soins de mon empire; je suis maintenant tout à vous. Qu'on nous laisse !
| |
| |
| (Les gardes sortent.) | gardes ->
|
| |
LE PRINCE (bas, à Alidor) |
Il n'ira jamais jusqu'au bout.
| |
ALIDOR |
| |
DANDINI |
| |
| |
| (Le prince et Alidor sortent.) | Le prince, Alidor ->
|
|
|
Scène cinquième |
Clorinde, Dandini, Tisbé. |
|
| |
CLORINDE |
Que vous êtes heureux, seigneur ! entouré d'un peuple qui vous aime...
| |
DANDINI |
| |
TISBÉ |
D'une cour qui vous adore...
| |
DANDINI |
| |
CLORINDE |
Mais que vous méritez bien tant d'hommages !...
| |
DANDINI |
| |
TISBÉ |
| |
DANDINI |
| |
CLORINDE |
| |
DANDINI |
Oh ! pour le coup, c'en est trop; épargnez ma modestie.
| |
CLORINDE |
En célébrant les louanges de son altesse, je ne suis que l'écho de ses sujets.
| |
DANDINI |
Laissons là mon altesse, je vous en conjure; point de cérémonie entre nous.
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
| |
DANDINI |
Il est vrai que je suis assez simple... aussi, je serai bien le meilleur des maris !... cela me rappelle que je dois prendre une femme ce soir, et je vous avoue que je suis dans une étrange perplexité.
| |
CLORINDE |
Il en est tant qui seraient heureuses...
| |
DANDINI (soupirant profondément) |
| |
TISBÉ |
Votre altesse soupire ?...
| |
DANDINI |
Je vous regarde toutes deux, et n'ose choisir; en vous voyant, je suis plus embarrassé que Pâris, obligé de donner la pomme à l'une des trois Grâces.
| |
CLORINDE |
| |
DANDINI |
Ah ! pourquoi le ciel ne m'a-t-il pas donné deux cœurs ?
| |
TISBÉ (à part) |
Il faut pourtant bien qu'il se prononce.
| |
DANDINI |
(se retournant du côté de Clorinde)
Que j'aime cet air modeste !
(à Tisbé)
Que ce petit minois fripon me plaît !
(à Clorinde)
Cette tendre langueur...
(à Tisbé)
Cette aimable étourderie...
(à Clorinde)
Ces grands yeux mourans...
(à Tisbé)
Ce regard éveillé... enflamment mon cœur...
| |
CLORINDE (à part) |
| |
DANDINI |
| |
TISBÉ (à part) |
C'est moi qu'il choisit !
| |
DANDINI |
Et mon esprit incertain... mes belles demoiselles, je crois que je me suis fait entendre ?
| |
CLORINDE (à part) |
Ah ! je l'ai bien compris.
| |
TISBÉ (à part) |
| |
DANDINI |
Au reste, celle qui ne sera pas ma femme ne sera pas la plus malheureuse; je la donnerai à mon écuyer; il me vaut bien, et j'ai pour lui beaucoup de respect... c'est-à-dire, d'estime. Mais j'oublie auprès de vous les affaires les plus graves; on m'attend pour le festin; il faut ensuite que je paraisse au tournoi: j'y ferai publier que vous êtes les personnes les plus belles, les plus aimables de toute l'Italie. Malheur à l'audacieux chevalier qui oserait soutenir le contraire ! il aurait affaire à moi; oui, je donnerais sur-le-champ mes pleins pouvoirs pour le combattre. Adieu... adieu... je vais au festin, où je figurerai moi-même; j'irai ensuite au tournoi, où on figurera pour moi, et de là au bal, où nous figurerons tous les trois.
(Il sort.)
| Dandini ->
|
|
|
Scène sixième |
Clorinde, Tisbé |
|
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
Ma sœur, je dois en convenir, vous méritiez la préférence.
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
Vous êtes plus belle, plus aimable que moi.
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
Que voulez-vous ? il faut prendre son parti.
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
D'ailleurs, cet écuyer ne m'a pas paru mal.
| |
TISBÉ |
C'est ce que j'allais vous dire, ma sœur; je l'ai trouvé fort bien.
| |
CLORINDE |
Je suis enchantée que vous ayez cette bonne opinion de lui.
| |
TISBÉ |
Je suis charmée qu'il vous plaise.
| |
CLORINDE |
Quelle que soit la distance qui doive nous séparer, point de fierté entre nous.
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
Nous nous aimerons toujours comme deux sœurs, n'est-il pas vrai ?
| |
TISBÉ |
Ah ! sans doute; vous me serez toujours bien chère; il n'y a que les petits esprits qui s'oublient dans la grandeur.
| |
CLORINDE |
Cependant, en public, on doit de certains égards à la princesse.
| |
TISBÉ |
En public, soit; mais j'y mets une condition, ma sœur, c'est que, dans l'intimité, vous me parlerez tout comme si je n'étais pas voire souveraine.
| |
CLORINDE |
Comment ! votre souveraine ?
| |
TISBÉ |
Puisque c'est sur moi que le prince a jeté les yeux.
| |
CLORINDE |
Allons donc, ma sœur, vous plaisantez, c'est sur moi.
| |
TISBÉ |
| |
| |
[Duo] | N
|
| |
CLORINDE |
Qui ? vous, ma souveraine ?
| S
|
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
À quel point vous abusez-vous ?
En moi reconnaissez la reine.
| |
TISBÉ |
Qui ? vous, ma soveraine ?
| |
CLORINDE |
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
| |
TISBÉ |
| |
| |
Ensemble | |
| |
CLORINDE ET TISBÉ |
Non, non, le roi n'est pas pour vous.
| |
TISBÉ |
Rendons hommage à la princesse.
| |
CLORINDE |
Rendons hommage à son altesse.
| |
TISBÉ |
Voudrez-vous bien me protéger ?
| |
CLORINDE |
Daignerez-vous ne pas changer ?
| |
CLORINDE ET TISBÉ |
Craignez pourtant de déroger.
Ah ! quelle altesse !
Quelle princesse !
Quelle noblesse !
Quel agrément !
Quel enjouement !
Quel air charmant !
| |
|
|
Scène septième |
Les mêmes, Le prince. |
<- Le prince
|
| |
LE PRINCE |
Mesdames, pardon si j'ose me présenter devant vous, mais son altesse m'a flatté de l'espoir que je pouvais aspirer...
| |
TISBÉ |
Il vous sied bien, monsieur l'écuyer, d'élever vos regards jusqu'à moi !... adressez-vous à ma sœur. A-t-on idée d'une pareille prétention ? un écuyer à une femme telle que moi ! ah ! c'est incroyable !
(Elle sort.)
| Tisbé ->
|
|
|
Scène huitième |
Le prince, Clorinde. |
|
| |
LE PRINCE |
Quoi ! madame, c'est donc vous ?
| |
CLORINDE |
Je vous trouve bien audacieux !
| |
LE PRINCE |
Mais le prince m'a dit qu'une des sœurs...
| |
CLORINDE |
Une des sœurs ! en effet, nous en avons encore une, et c'est d'elle, sans doute, que son altesse a voulu vous parler; dans le fait, monsieur l'écuyer, elle vous conviendrait peut-être.
| |
LE PRINCE |
| |
CLORINDE |
Et bien ! je vous permets d'aspirer à sa main, vous pouvez compter sur mon agrément... Mais conçoit-on une telle insolence ? est-il permis de se méconnaître ?... Adieu, monsieu l'écuyer.
(Elle sort.)
| Clorinde ->
|
|
|
Scène neuvième |
Le prince, seul. |
|
| |
|
Il faut en convenir, jamais prince ne fut mieux traité; que dis-je ? ce ne pas le prince, c'est l'écuyer que l'on rebute. Que ces deux femmes sont vaines ! L'ambition, l'orgueil, voilà leur seul mobile... On va cependant proclamer qu'elles sont les plus belles, les plus aimables... et je le souffrirais !... mais hélas ! dans la foule des femmes que cette fête attire à la cour, je n'en ai pas trouvé une seule qui daignât m'entendre... toutes aspirent à la couronne d'un roi, aucunne ne cherche à mériter le cœur d'un époux.
| |
| |
[Romance] | N
|
| |
| Premier couplet. | |
|
Ô sexe aimable, mais trompeur !
Tu rends mon infortune extréme.
Faut-il renoncer au bonheur,
de n'être aimé que pour soi-même ?
Ah ! s'il existe dans ces lieux
femme sensible, aimable et belle,
qu'elle se présente à mes yeux,
mon cœur l'attend, ma voix l'appelle.
| S
(♦)
(♦)
|
|
|
Scène dixième |
Cendrillon, Le prince. |
<- Cendrillon
|
| |
CENDRILLON |
(sans être aperçue du prince)
Ah ! voilà le jeune écuyer.
| |
| |
| Deuxième couplet. | |
|
LE PRINCE
Comment, avec un air si doux,
cacher l'orgueil, la perfidie ?
Le premier bien, pour un époux,
c'est la bonté, la modestie.
Ah ! s'il existe dans ces lieux
femme sensible, aimable et belle,
qu'elle se présente à mes yeux,
mon cœur l'attend, ma voix l'appelle.
| |
| |
CENDRILLON |
Oh ! comme sa voix est touchante ! je me sens toute émue. Il a l'air malheureux: approchons... Chevalier...
| |
LE PRINCE |
Qui m'appelle ? Ô ciel ! la charmante personne !
| |
CENDRILLON |
| |
LE PRINCE |
| |
CENDRILLON |
J'ai interrompu vos plaintes ?
| |
LE PRINCE |
Je ne me plaignais pas; j'adressais des vœux au ciel: les aurait-il exaucés ?
| |
CENDRILLON |
Qui peut vous causé de la peine ? vous avez l'air si bon ! je suis sûre que vous n'avez fait de mal à personne.
| |
LE PRINCE |
Je n'ai jamais fait que le bien. Est-ce une raison pour être heureux ?
| |
CENDRILLON |
Oh ! non sans doute... Je l'ai bien appris par moi-même; mais consolez-vous, et ecoutez ces paroles que je n'oublierai jamais: « Vous avez un bon cœur, tout vous réussira, le ciel vous récompensera. »
| |
LE PRINCE (à part) |
Ah ! quels accens delicieux ! ils pénètrent mon cœur.
| |
CENDRILLON |
Quelle est donc la cause de vos malheurs ? seriez-vous abandonné par les personnes qui vous sont chères ?
| |
LE PRINCE |
Je n'ai point aimé jusqu'à ce jour.
| |
CENDRILLON (à part) |
Ah ! quel bien il me fait !
| |
LE PRINCE (à part) |
Quel charme inconnu vient tout-à-coup s'emparer de moi ?
| |
CENDRILLON |
| |
LE PRINCE |
Qui daignerait jeter ses regards sur moi ? je ne suis ni riche, ni puissant. Simple écuyer, je n'ai qu'un
cœur à offrir.
| |
CENDRILLON |
Eh ! quel autre bien faut-il donc ?
| |
LE PRINCE |
(à part)
Dieux !
(à Cendrillon)
Mais vous, madame, permettez qu'à mon tour je vous demande qui vous ête; quel peuple est assez heureux pour obéir à vos lois ? où sont situés vos états ?...
| |
CENDRILLON |
Mes états ! ah ! si vous les connaissiez...
| |
LE PRINCE |
Vous méritez d'être assise sur le premier trône du monde.
| |
CENDRILLON |
Il est impossible d'en avoir un plus modeste.
| |
LE PRINCE |
Au nom du ciel ! daignez vous faire connaitre.
| |
CENDRILLON |
Je desire rester inconnue.
| |
LE PRINCE |
Vous ne pouvez l'être dans une cour où votre beauté doit fixer tous les regards.
| |
CENDRILLON |
Moi ! fixer les regards !... je cherche plutôt à les éviter.
| |
LE PRINCE |
Qoi ! n'ètes-vous point venue pour fixer le choix du prince ?
| |
CENDRILLON |
Oh ! non, je vous le jure, ce n'est pas là mon ambition.
| |
LE PRINCE |
Si j'en crois mon cœur, vous devez l'emporter sur toutes vos rivales.
| |
CENDRILLON |
Je ne veux qu'assister à leur triomphe.
| |
| |
| (On entend la trompette qui donne le signal du tournois.) | |
| |
LE PRINCE |
Voilà le premier signal du tournois; on va combattre pour la beautè. Madame, avez-vous un chevalier ?
| |
CENDRILLON |
Un chevalier ! oh ! non, seigneur, jamais personne n'a pris ma defense.
| |
LE PRINCE |
Eh bien ! daignez m'accepter pour le vôtre; je veux soutenir en champ clos qu'il n'existe pas dans le monde une femme qui vous soit comparable.
| |
CENDRILLON |
Moi, seigneur, moi, y pensez-vous ?
| |
LE PRINCE |
Tant de modestie ajoute encore un nouvel éclat à vos charmes. Rien ne peut me retenir; de grâce, accordez-moi la faveur que je vous demande; je me jette à vos genoux pour l'obtenir.
| |
CENDRILLON |
Eh bien donc ! soyez mon chevalier.
| |
| |
[Duo] | N
|
| |
LE PRINCE |
Ah ! la victoire m'est promise !
Mais donnez-moi votre devise;
je veux la porter sur mon cœur.
| |
CENDRILLON |
Simplicité, constance,
ces deux mots pour toujours son gravés dans mon cœur.
| |
LE PRINCE |
Ah ! j'en ai l'assurance,
je reviendrai vainqueur.
Simplicité, constance,
ces deux mots pour toujours son gravés dans mon cœur.
| |
LE PRINCE ET CENDRILLON (à part) |
Quelle flamme subite
vient embraser mon cœur:
il s'élance, il palpite
de joie et de bonheur.
| |
| |
| (On entend le second signal.) | |
| |
LE PRINCE |
Mais le signal m'appelle;
à la gloire fidèle,
je vole aux combats.
| |
CENDRILLON |
Dieu protecteur, guide ses pas !
| |
LE PRINCE |
Le souvenir de tant de charmes
va doubler encor ma valeur.
| |
CENDRILLON |
Cependant, de quelques alarmes,
je ne puis défendre mon cœur.
| |
LE PRINCE |
Tout me présage le bonheur.
| |
CENDRILLON |
Ah ! vous me rendez l'espérance.
| |
LE PRINCE, CENDRILLON |
Simplicité, constance,
ces deux mots pour toujours
sont gravés dans mon cœur.
| |
| |
| (Le prince sort.) | Le prince ->
|
|
|
Scène onzième |
Alidor, Cendrillon. |
<- Alidor
|
| |
CENDRILLON |
Dans quel trouble il m'a jetée ! je ne puis me rendre compte de tout ce qui se passe en moi... Ah ! seigneur, venez à mon secours.
| |
ALIDOR |
| |
CENDRILLON |
Je vous en prie, dites-moi donc ce que j'éprouve ? c'est une agitation, une inquiétude, un plaisir, une peine !... Je ne sais que vous dire...
| |
ALIDOR |
| |
CENDRILLON |
Non, j'étais avec le jeune écuyer qui vous accompagnait ce matin.
| |
ALIDOR |
Ah ! et comment le trouvez-vous ?
| |
CENDRILLON |
Je n'ose pas vous le dire.
| |
ALIDOR |
| |
CENDRILLON |
Ah ! seigneur, vous m'avez dit qu'avec cette rose je n'avais rien à craindre, et cependant elle ne m'a pas préservée du mal que je ressens.
| |
ALIDOR |
Que voulez-vous, mon enfant, elle ne peut rien contre l'amour.
| |
CENDRILLON |
L'amour !... ah ! c'est donc l'amour...
| |
ALIDOR |
Oui, mon enfant; mais consolez-vous: soyez toujours bonne, soyez toujours modeste, et peut-être...
Mais j'aperçois votre pére et vos soeurs qui viennent de ce côté.
| |
CENDRILLON |
Vous dites donc qu'ils ne me reconnaîtront pas ?
| |
ALIDOR |
ils sont bien loin de vous croire ici; d'ailleurs, ce talisman vous change à leurs yeux.
| |
|
|
Scène douzième |
Les mêmes, Le baron, Clorinde, Tisbé. |
<- Le baron, Clorinde, Tisbé
|
| |
LE BARON |
(en entrant)
Au diable soit la charge d'échanson ! j'ai cru que je n'aurais rien à faire; mais si cela continue, je serai la personne la plus occupée de l'état: il faut toujours lui verser à ce prince !
| |
CLORINDE |
Ah ! voilà sans doute cette dame arrivée avec une suite si brillante.
| |
TISBÉ |
Elle vient, je le gage, pour nous disputer la couronne.
| |
CLORINDE |
| |
TISBÉ |
Je sens déjà que je la déteste.
| |
LE BARON |
Allons, allons, vous êtes bien sûres de l'emporter.
| |
CENDRILLON |
Quelles sont ces aimables personnes ?
| |
LE BARON |
Ce sont mes filles, madame.
| |
CENDRILLON |
| |
CLORINDE (à part) |
| |
CENDRILLON |
Quelle douceur dans leurs traits ! quelle physionomie gracieuse ! voulez-vous bien me permettre
de vous embrasser ?
(Elle passe entre les deux soeurs.)
| |
LE BARON |
| |
ALIDOR (à part) |
Son bon cœur ne se dément pas.
| |
CENDRILLON |
J'éprouve un grand plaisir à vous voir; je me sens disposée à vous aimer.
| |
LE BARON |
Madame, c'est beaucoup d'honneur que vous leur faites.
| |
CLORINDE |
Quoi ! madame, dés la première vue, vous...
| |
CENDRILLON |
Oh ! je vous connais depuis long-temps; on m'a beaucoup parlé de vous. Voulez-vous accepter
mon amitié ?
| |
CLORINDE |
Nous nous estimerons trop heureuses...
| |
TISBÉ |
| |
CENDRILLON |
Permettez-moi de vous faire accepter ces faibles gages d'un attachement qui, je l'espère, ne finira jamais.
(Elle ôte de sa tête une gerbe de diamans, et détache un collier de perles fines qu'elle offre à ses soeurs.)
| |
CLORINDE |
| |
TISBÉ |
| |
CLORINDE |
Quoi ! madame, vous vous en privez pour nous ?
| |
CENDRILLON |
C'est avec grand plaisir. Monsieur le baron, avez-vous d'autres enfans ?
| |
LE BARON |
Non, madame; le ciel ne m'en a donné que deux.
| |
ALIDOR |
Monsieur le baron oublie sa belle-fille.
| |
LE BARON |
Qui, Cendrillon ? ah ! elle n'est pas de ma famille.
| |
CENDRILLON |
Elle est votre belle-fille; ce titre seul suffit pour la rendre intéressante à mes yeux. Donnez-lui, de ma part, ce brillant.
(Elle donne un brillant au baron.)
| |
CLORINDE |
Ah ! madame, vous êtes trop bonne.
| |
LE BARON |
Voilà une personne qui est nécessairement très noble. Heureux celui qui en est le pére !
| |
ALIDOR |
| |
LE BARON |
Eh bien ! vous m'avouerez que c'est affreux.
| |
| |
| (On entend une marche.) | |
| |
CENDRILLON |
| |
ALIDOR |
C'est le retour du tournoi: la fête va commencer.
| |
CENDRILLON (à Alidor) |
Ah ! mon père, je tremble.
| |
ALIDOR |
| |
|
|
Scène treizième |
Les mêmes, Le prince, Dandini, en habit royal; il va s'asseoir sur le trône; Gardes, Suite. |
<- Le prince, Dandini, gardes, suite
|
| |
[Finale] | N
|
|
CHŒUR
À la plus belle offrons nos vœux;
que sa gloire soit immortelle !
Que nos cris montent jusqu'aux cieux !
Honneur, honneur à la plus belle !
La beauté seule enflamme les guerriers,
on triomphe toujours par elle.
Offrons nos cœurs et nos lauriers
à la plus belle.
| |
| |
LE PRINCE |
(faisant paraître devant Cendrillon les deux chevaliers vaincus, qui mettent leurs épées à ses pieds)
Vous seule avez guidé mon bras,
vous m'avez conduit à la gloire;
ainsi, je dois à vos appas
le prix de la victoire.
| |
CENDRILLON |
Guerriers généreux,
calmez vos alarmes;
vous fûtes malheureux,
de ma main recevez vos armes.
| |
CHŒUR |
À la plus belle offrons nos vœux;
que sa gloire soit immortelle !
Que nos cris montent jusqu'aux cieux.
Honneur, honneur, à la plus belle !
| |
TISBÉ ET CLORINDE |
Comment, sur nous l'emporte-t-elle ?
| |
DANDINI (leur parlant tour-à-tour) |
Rassurez-vous; à mes yeux
vous êtes toujours la plus belle.
| |
CHŒUR |
La beauté seule enflamme les guerriers;
on triomphe toujours par elle.
Offrons nos cœurs et nos lauriers
à la plus belle.
| |
LE BARON (à ses filles) |
Bon ! la fête va commencer;
il faut chanter, il faut danser,
et vous l'emporterez sur elle.
| |
| |
| (Des enfans exécutent quelques danses. - Le baron donne la main à Clorinde, la mène sur le devant de la scène; Tisbé prende une lyre, s'assied à la gauche du thèâtre et accompagne sa sœur.) | |
| |
CLORINDE (chante, après avoir salué le roi) |
Assez long-temps le bruit des armes
a retenti dans ce palais.
Guerriers, suspendez nos allarmes;
chantons les douceurs de la paix.
| |
| |
[Air] | N
|
|
CLORINDE
Par des hymnes d'allégresse,
et par de célestes accords,
de nos plaisirs, de notre ivresse,
faisons éclater les transports;
que la lyre enchanteresse
accompagne nos aceens,
et que l'amant à sa maîtresse,
répète les plus doux sermens.
| |
| |
On a supprimé, dans le cours des représentations à Paris, le morceau suivant, pour y substituer l'ariette ci-dessus; mais le musicien ayant cru devoir faire graver les deux airs dans sa partition, afin de laisser le choix aux troupes des départimens. | |
| |
LE PRINCE (à Cendrillon) |
À votre tour, rendez-vous à mes vœux.
| |
CENDRILLON |
Je ne puis me rendre à vos vœux;
elle mérite la couronne.
| |
LE PRINCE |
Dansez, je vous en prie, et le roi vous l'ordonné.
| |
DANDINI |
| |
| |
| Premier couplet | |
| |
CENDRILLON |
(chantant et dansant tour à tour, en s'accompagnant avec un tambour de basque)
À quoi bon la richesse,
à quoi bon la grandeur,
si l'on n'était sans cesse
en paix avec son cœur ?
S'aimer et se le dire,
deviner un sourire,
est-il un plus grand bien, même au sein de la cour ?
Il n'est point de bonheur, de plaisir, sans l'amour.
| |
| |
| (Nous rétablissons ici les paroles que nous avios retranchées dans la seconde edition de cette pièce.) | |
| |
CLORINDE (chante) |
(Traduction d'une ode d'Horace, par Lamotte.)
Couronnons-nous de fleurs nouvelles,
nous en verrons bientôt l'éclat s'évanouir.
Profitons du printemps qui passera comme elles;
l'amour nous presse d'en jouir.
Nos bois reprennent leurs feuillages;
après les noirs frimats le printemps à son tour,
et le soleil plus pur dissipant les nuages,
sans obstacle répand le jour.
Déjà dans la plaine fleurie,
le berger laisse errer ses troupeaux bondissants,
et du son de sa flûte, Écho même, attendrie,
en imite les doux accens,
Cythérée avec ses compagnes,
le soir, d'un pas léger, danse aux bords des ruisseaux,
tandis que son époux ébranle les montagnes
du bruit fréquent de ses marteaux.
Couronnons-nous de fleurs nouvelles,
nous en verrons bientôt l'éclat s'évanouir.
Profitons du printemps qui passera comme elles;
l'amour nous presse d'en jouir.
| |
| |
| Deuxième couplet | |
| |
CENDRILLON |
Un beau jour Colinette
fut conduite à la cour.
Elle était inquiète,
dans ce brillant séjour.
Il fallait se contraindre,
ou bien il fallait feindre;
car on ne peut ici s'expliquer sans détour.
Il n'est point de plaisir, de bonheur, sans l'amour.
| |
| |
| Troisième couplet | |
|
Colinette au village
reprit sa liberté.
Elle aimait davantage
sa douce obscurité.
Là, jamais d'artifice,
de fierté, de caprice.
Auprès de son amant elle était tout le jour.
Il n'est point de plaisir, de bonheur, sans l'amour..
| |
| |
LE PRINCE |
Madame, c'en est trop, acceptez la couronne;
c'est aujourd'hui le roi qui vous la donne.
| |
CENDRILLON |
| |
DANDINI |
| |
CENDRILLON |
| |
| |
| (Elle jette la rose, et s'enfuit.) | Cendrillon ->
|
| |
ALIDOR |
Elle n'en veut pas !
Juste ciel ! je te rends grâce,
son bon cœur ne se dément pas.
| |
DANDINI ET LE CHŒUR |
Quelle audace !
Suivons, suivons ses pas.
| |
| |
Fin du second acte. | |
| |