CENDRILLON
Opéra-féerie en trois actes et en prose.
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Livret de Charles-Guillaume ÉTIENNE.
Musique de Nicolas ISOUARD.
Première représentation : 22 février 1810, Paris.
Personnages:
Ramir, LE PRINCE de Salerne |
ténor |
ALIDOR son précepteur; grand astrologue |
basse |
DANDINI écuyer du prince |
ténor |
LE BARON de Montefiascone |
basse |
CLORINDE sa fille aînée |
soprano |
TISBÉ sa fille cadette |
soprano |
CENDRILLON sa belle-fille |
soprano |
Seigneurs, Pages, Écuyers, Dames de la cour.
La scène est en Italie, chez le baron de Montefiascone, dans un vieux castel.
Costumes
Ramir
Premier acte, habit de chevalier français; troisième acte, scène cinqième, habit royale.
Alidor
Premier acte, scène première, habit de mendiant; scène cinqième, grand robe de velours noir, parmentée en satin cerise; soubreveste idem.
Dandini
Premier acte, habit de chasse; deuxième acte, habit royale couleur de rose.
Le baron de Montefiascone
Première entrée, en robe de chambre; deuxième entrée, habit de cour riche et ridicule.
Clorinde
Première scène, robe de soie blanche riche; deuxième entrée, robe de cour en velours très-riche.
Tisbé
Même costume.
Cendrillon
Premier acte, robe de serge grise; deuxième acte, robe blanche très-riche.
Au lever de la toile, Clorinde et Tisbé sont assises sur le devant du théâtre à gauche; l'une ajuste des
dentelles à une robe de velours rouge, l'autre met une garniture de fleurs à une tunique bleue céleste.
Au coin du théâtre, à droite, on voit une cheminée devant laquelle Cendrillon est assise sur un petit
tabouret; elle est occupée à souffler le feu, et à préparer un déjeûner. Il doit y avoir une toilette à gauche du théâtre, et une glace avant la cheminée.
Clorinde, Tisbé, Cendrillon.
[Trio]
CLORINDE ET TISBÉ
Arrangeons ces fleurs, ces dentelles;
ah! ma soeur, que nous serons belles !
ces robes nous iront au mieux;
nous allons fixer tous les yeux.
TISBÉ
Ma parure sera nouvelle.
CLORINDE
Dans la mienne l'or étincelle.
CLORINDE ET TISBÉ
Nous allons fixer tous les yeux.
CENDRILLON
(tisonnant toujours, chante)
Il était un p'tit homme
quis'app'lait Guilleri,
carabi.
Il allait à la chasse,
à la chasse aux perdrix,
carabi.
Tôt, tôt, carabo,
marchand caraban;
compère Guilleri,
te lairas-tu mouri ?
TISBÉ ET CLORINDE
Taisez-vous, Cendrillon;
petite impertinente !
Avec sa vieille chanson,
dieu ! qu'elle m'impatiente !
CENDRILLON
Te lairas-tu mouri ?
TISBÉ ET CLORINDE
Voulez-vous bien finir ?
CENDRILLON
Il monta sur un arbre
pour voir son chien couri,
carabi.
Mais v'là qu'la branche casse,
et Guilleri tombi,
carabi,
tôt, tôt, carabo,
marchand de caraban;
compère Guilleri,
te lairas-tu mouri ?
Les mêmes, Alidor.
Alidor paraît à la porte, déguisé en vieux mendiant. Il chante.
ALIDOR
(Le pauvre)
Ayez pitié de ma misère;
transi de froid, mourant de faim,
je demande un morceau de pain.
Soyez sensible à ma prière;
la charité, s'il vous plaît.
CENDRILLON
Ah ! qu'il m'inspire d'intérêt !
Hélas ! de rien je ne dispose;
mes soeurs, donnez-lui quelque chose.
CLORINDE ET TISBÉ
Ici, nous sommes assaillis
par tous les pauvres du pays.
ALIDOR
(le pauvre)
Ayez pitié de ma misère.
Soyez sensible à ma prière:
la charité, s'il vous plaît.
CENDRILLON
Ah ! qu'il m'inspire d'intérêt!
CLORINDE ET TISBÉ
Comment ! encore ?... il insiste.
CENDRILLON
Que lui dire ?
CLORINDE ET TISBÉ
Dieu vous assiste.
Ah ! que le bal sera charmant !
Dieux ! que d'éclat, que de richesse !
(Cendrillon va à la porte où est le pauvre.)
ALIDOR
(le pauvre)
Chère enfant, voyez ma détresse.
CENDRILLON
(le faisant entrer)
Ah ! j'ai pitié de sa vieillesse.
Entrez, entrez... bien doucement.
CLORINDE
Ah ! oui, le bal sera charmant !
Le jeune roi doit y paraîtlre.
TISBÉ
Il nous remarquera peut-être.
CENDRILLON
Pauvre vieillard ! il est transi;
chauffez-vous, mettez-vous ici.
(Elle le fait asseoir sur sa petite chaise, et lui donne du café qui est devant le feu.)
Buvez cela, prenez ceci.
ALIDOR
(le pauvre)
Qu'elle est aimable !... ah ! grand merci !
CENDRILLON
(se met devant lui pour qu'on ne le voie pas)
Chut !
Il était un p'tit homme,
etc.
(Clorinde et Tisbé, se levant.)
CLORINDE
Ma robe est à ravir;
est-il de plus belles dentelles ?
TISBÉ
Est-il des fleurs aussi nouvelles ?
Ah ! ma soeur, que nous serons belles !
CENDRILLON
Te lairas-tu mourir ?
CLORINDE ET TISBÉ
Voulez-vous bien finir ?
Qu'elle m'impatiente !
CENDRILLON
Buvez, buvez; ah ! que je suis contente !
CLORINDE ET TISBÉ
Comment donc ! le pauvre est ici ?
CENDRILLON
Mon dieu ! c'est qu'il était transi:
partez, partez !
ALIDOR
(le pauvre)
Ah ! grand merci !
CLORINDE ET TISBÉ
(à Cendrillon)
Vous agissez toujours ainsi.
ALIDOR
(le pauvre)
Je pars: que la paix soit ici.
CLORINDE ET TISBÉ
Ô ciel ! quelle insolence!
Voyez quelle imprudence !
Bientôt on nous volera:
vous êtes détestable.
ALIDOR
(le pauvre)
Moi seul, je suis coupable.
CLORINDE ET TISBÉ
Voyez s'il s'en ira !
CENDRILLON
Pourquoi gronder ? il partira.
ALIDOR
(le pauvre)
Ma chère enfant, soyez tranquille;
restez en paix dans cet asile.
Vous avez un bon cœur, tout vous réussira,
le ciel vous récompensera.
(Il sort.)
Les mêmes, le baron de Montefiascone, en robe de chambre et en bonnet de velours.
LE BARON
Quel est donc ce tapage que vous faites là depuis une heure ? vous m'avez réveillé dans le moment où je faisais le plus beau rêve... je parie que c'est encore Cendrillon !
CLORINDE
Oui, mon père... c'est elle-même.
CENDRILLON
Monsieur, je vous jure...
LE BARON
Paix ! vous avez tort. Bonjour, Clorinde.
CENDRILLON
Mais vous ne savez pas...
LE BARON
Vous avez tort, vous dis-je. Bonjour, Tisbé... Vous voilà éveillées de bon matin, mes enfans... Ah ! ah ! je ne m'en étonne pas; la veille d'un bal, les filles ne dorment guère... les menuets, les rondes, les sarabandes, tout cela leur trotte dans la tête... Cendrillon, donne-nous à déjeüner.
CENDRILLON
Oui, monsieur.
(Cendrillon apporte des tasses, du café, et met la table.)
CLORINDE
Mon père, ma robe sera charmante.
TISBÉ
La mienne sera délicieuse.
CLORINDE
J'ai de superbes dentelles.
TISBÉ
J'ai des perles magnifiques.
LE BARON
Tout cela me coûte bien cher, mes enfans; mais n'importe, il n'est rien que je ne sacrifie pour vous faire paraître, pour soutenir l'honneur de votre haute naissance... Je vous ai donné une brillante éducation; je vous ai donné des talens, parce que, voyez-vous, les talens sont tout... il n'y a que les talens... je le sais bien, moi; toute ma vie j'ai été un ignorant; aussi me suis-je ruiné pour vous faire apprendre quelque chose... Dépêche-toi donc, Cendrillon.
CENDRILLON
Oui, monsieur.
(Cendrillon met la table contre la cheminée.)
CLORINDE
Comment ! mon père, vous êtes ruiné ?
LE BARON
Pas encore tou-à-fait;
(ils se mettent à table, à l'exception de Cendrillon)
mais peu s'en faut... au reste, si je ne suis plus riche, je suis toujours noble, et c'est l'essentiel.
(à Cendrillon)
Allons, verse.
CLORINDE
Oh ! la maladroite !
TISBÉ
Faites donc attention à ce que vous faites.
CENDRILLON
Aussi vous me pressez tant !...
LE BARON
Comment ! c'est là tout le déjeuné ?
CENDRILLON
Oui, monsieur; c'est que je...
CLORINDE
Je m'en vais vous le dire, mon père.
TISBÉ
Elle a donné le reste à un vieux mendiant qu'elle a fait entrer ici malgré nous,
CLORINDE
C'est pour cela que nous la querellions lorsque vous êtes entré.
LE BARON
Mânes de mes aïeux ! un mendiant dans mon château !
CLORINDE
Tous les jours, elle accueille ici une foule de vagabonds...
CENDRILLON
C'est qu'il y a tant de malheureux !
TISBÉ
Ces misérables-là ont tous une histoire lamentable qu'ils racontent à tout propos, et elle en est
sottement la dupe.
CLORINDE
L'autre jour, je l'ai encore surprise portant à la vieille concierge la moitié de notre dîner.
CENDRILLON
Elle est si pauvre ! si infirme !...
LE BARON
Apprenez, mademoiselle, que vous n'avez pas le droit de donner la moindre chose ici... Pour votre punition, vous n'aurez rien.
CLORINDE ET TISBÉ
Non, vous n'aurez rien.
LE BARON
Allons, retournez au coin du feu.
CENDRILLON
Ça m'est égal...
(en retournant dans son coin)
le bon vieillard a déjeûné, je mangerai mon pain sec.
(Elle s'assied auprès du feu, et mange une croûte.)
CLORINDE
Mon père, n'avez-vous pas entendu ce matin le bruit du cor ? on dit que le roi chasse dans la forêt.
LE BARON
Voila bien un jeune prince ! arrivé d'hier, il chasse aujourd'hui, donne un bal ce soir, et se marie demain.
TISBÉ
Il se marie demain ?
(Ici on se lève de table.)
LE BARON
Oui, mes enfans. Son père lui a ordonné, par un article formel de son testament, de prendre une femme dans un mois, et c'est aujourd'hui le terme fatal; voilà pourquoi il réunit ce soir, dans une fête, toutes les jeunes filles nobles de sa principauté.
CLORINDE
C'est donc pour cela que nous sommes invitées ?
LE BARON
Certainement.
TISBÉ
Dites-moi, le roi est-il beau ?
LE BARON
Cela se demande-t-il ?
TISBÉ
Vous l'avez donc vu ?
LE BARON
Non.
CLORINDE
A-t-il de l'esprit ?
LE BARON
Cela va sans dire.
CLORINDE
Vous le connaissez donc ?
LE BARON
Non, mais je sais qu'il a été élevé par le sage Alidor.
TISBÉ
Qu'est-ce que c'est que le sage Alidor ?
LE BARON
C'est un savant, c'est un homme dont on raconte des choses fort extraordinaires; il sait toutes les langues, il lit dans les astres; on dit même qu'il est en intelligence avec des génies. Je ne le connais pas non plus: dés l'âge de neuf ans, le jeune prince fut confié à ses soins; il l'a d'abord conduit à Padoue, pour y faire ses premières études; depuis ce temps, ils ont constamment voyagé, et ce n'est que lorsqu'ils ont appris la mort du dernier roi, qu'ils sont revenus à la cour.
CLORINDE
Comment ! mon père, il faut que te prince se marie demain ?
LE BARON
Il le faut, et j'espère bien que l'une de vous fixera son choix.
CLORINDE
Oui, en effet, ma sœur pourrait bien lui praire.
TISBÉ
Pas plus que vous, ma soeur.
LE BARON
Eh ! qui pourrait vous disputer sa main ? qui mieux que vous, mes filles, a tout ce qu'il faut pour rendre un mari heureux ? est-il une femme qui danse, qui chante aussi bien que vous ?
CLORINDE
Ah ! mon père...
TISBÉ
Mais cette alliance...
LE BARON
Est très-sortable... Je suis aussi noble que le roi, si je ne le suis pas davantage; hier encore, je me suis endormi en lisant mes parchemins, et j'y ai vu très-clairement que nous avions eu dans notre famille des princes on ne peut pas plus illustres; car nous descendons en droite ligne de Charles-le-Simple, par les hommes, et de Frédéric-le-Cruel par les femmes, et nous n'avons pas dégénéré, mes enfans.
(On entend un bruit de cor.)
Qu'entends-je?
CENDRILLON
(regardant à la porte du fond)
Ah ! mon dieu ! qu'est-ce que c'est que cela ?
CLORINDE
C'est peut-être le roi qui passe ?
CENDRILLON
C'est une troupe de beaux messieurs à cheval; ils viennent ici.
LE BARON
Ils viennent ici ?...
CLORINDE
Ah ! ciel ! moi qui suis dans un négligé à faire peur !
TISBÉ
Ah ! dieu ! si l'on me voyait habillée de la sorte !
LE BARON
Et moi donc ! qui suis en robe de chambre et en bonnet de nuit !... Cendrillon !...
CENDRILLON
Monsieur ?
CLORINDE ET TISBÉ
Cendrillon!...
CENDRILLON
Ma soeur ?... mamselle ?...
CLORINDE
(en s'en allant)
Tu vas venir me lacer.
CENDRILLON
Oui, mamselle.
TISBÉ
(en sortant)
Tu vas m'apporter mes bouffantes.
CENDRILLON
Oui, mamselle.
LE BARON
(en s'en allant)
N'oublie pas ma perruque.
CENDRILLON
Non, monsieur.
Cendrillon, seule.
En vérité, on ne sait auquel entendre... Ah ! mon dieu ! mon dieu ! si on allait trouver la chambre comme cela ! dépêchons-nous d'ôter la table... On entre ici, cachons-nous.
Alidor, Cendrillon, Le prince.
ALIDOR
(bas au prince)
Prince, vous l'avez désiré, nous voilà dans le château du baron.
LE PRINCE
Qu'il me tarde de voir ses filles ! on dit qu'elles sont charmantes.
ALIDOR
Vous les verrez.
LE PRINCE
Eh ! quelle est cette petite ?
ALIDOR
C'est la plus jeune des trois sœurs.
LE PRINCE
Approchez-vous, la belle enfant.
CENDRILLON
Non, monsieur, je m'en vas.
ALIDOR
Est-ce que nous vous faisons peur ?
CENDRILLON
Oh ! non; mais c'est que mesdemoiselles m'attendent.
LE PRINCE
Vous n'êtes donc pas une des filles de la maison ?
CENDRILLON
Non, monsieur; je l'étais, mais je ne la suis plus.
ALIDOR
Vous ne l'êtes plus ?
LE PRINCE
Eh ! comment cela se peut-il ?
CENDRILLON
C'est que, voyez-vous, M. le baron a eu deux filles d'un premier mariage; il a épousé en secondes noces ma mère, qui était veuve, et dont j'étais l'unique enfant. Ah ! mon dieu, je crois que je
m'embrouille.
ALIDOR
Point du tout; cela est fort bien.
LE PRINCE
Ensuite ?
CENDRILLON
Hélas ! j'avais à peine sept ans, que ma pauvre mère mourut, et je suis restée orpheline avec deux sœurs et un beau-pére.
LE PRINCE
(à part)
Pauvre enfant !
ALIDOR
Et vos sœurs ?
CENDRILLON
Mes sœurs ? oh ! c'est bien différent !... ce sont deux grandes dames; elles ont des diamans, de beaux habits, de belles parures; et puis... elles ont des talens...
LE PRINCE
Et vous ?
CENDRILLON
Oh ! moi, on n'en parle pas.
[Romance]
CENDRILLON
Je suis modeste et soumise;
le monde me voit fort peu,
car je suis toujours assise
dans un petit coin du feu:
cette place n'est pas belle,
mais pour moi tout parait bon:
voilà pourquoi l'on m'appelle
la petite Cendrillon.
Mes sœurs, des soins du ménage,
ne s'occupent pas du tout.
C'est moi qui fais tout l'ouvrage,
et pourtant j'en viens à bout.
Attentive, obéissante,
je sers toute la maison,
et je suis votre servante,
la petite Cendrillon.
(On entend la voix du père et des soeurs qui appellent Cendrillon.)
CENDRILLON
On y va !
LE PRINCE
Continuez.
CENDRILLON
C'est en vain que je m'empresse;
mon zèle est bien mal payé,
et jamais on ne m'adresse
un petit mot d'amitié.
Mais n'importe, on a beau faire,
je me tais, et j'ai raison.
Dieu protégera, j'espère,
la petite Cendrillon.
LE BARON, CLORINDE ET TISBÉ
(continuant d'appeler)
Allons donc, Cendrillon !
CENDRILLON
Oui... eh ! mon dieu, on m'appelle encore ! je vais être grondée.
ALIDOR
Allez, allez, ma chère enfant.
LE PRINCE
Si l'on vous dit quelque chose, je prendrai votre défense.
CENDRILLON
(faisant la révérence)
Monsieur est bien bon.
(à part, en sortant.)
Il est gentil, ce jeune seigneur-là.
Alidor, Le prince.
LE PRINCE
Elle est charmante; se pourrait-il que ses deux sœurs, dont on vante partout les grâces...
ALIDOR
Mon fils, le monde ne juge que sur les apparences: le langage naïf de cette enfant ne serait jamais parvenu jusqu'à vous, sans le déguisement que je vous ai fait prendre en arrivant dans cette cour. Confondu dans la foule, que de choses vous découvrirez encore ! Ah ! mon prince, croyez-moi, vous en saurez plus par ces deux jours d'épreuve, que quinze années de mes leçons ne vous en ont appris. J'ai fait à dessein passer pour vous votre sénéchal Dandini, le plus maniéré, le plus sot des hommes de votre suite.
LE PRINCE
Mais croyez-vous qu'il puisse soutenir le personnage difficile dont vous l'avez chargé ? il est si simple, si ridicule; il a si peu d'usage...
ALIDOR
Il n'en est pas moins comblé de louanges. Apprenez, par les flatteries qu'on lui prodigue, le cas que vous devez faire un jour de celles dont on cherchera à vous enivrer. Un seigneur plus accompli n'aurait pas atteint mon but; il me fallait un homme de cette espèce pour l'épreuve que je veux faire: vous le voyez, déjà les savans vantent sa science; les hommes du monde admirent ses manières; les femmes le trouvent adorable.
LE PRINCE
Les femmes !... quelle idée mon père a-t-il eue de me fixer un si court délai pour en choisir une ?... Fatale situation ! a peine arrivé, j'apprends hier qu'il faut que je sois marié demain. Ô mon cher maître ! dites-moi donc où je pourrai trouver une femme bonne, douce, modeste, vertueuse; qui ne soit ni vaine, ni coquette, ni dissimulée ?...
ALIDOR
Prince, vous êtes exigeant.
LE PRINCE
Eh quoi ! votre profond savoir, votre puissance magique...
ALIDOR
Mon fils, il est plus aisé de lire dans les astres que dans le cœur des femmes: on ne peut faire, à cet égard, que des épreuves morales. Ce soir, sous l'habit d'un simple écuyer, vous verrez réunies toutes les belles de vos états... Cherchez à plaire; si vous réussissez, vous serez du moins certain d'être aimé pour vous-même.
LE PRINCE
Ô mon père ! je mets toute ma confiance en vous.
[Duo]
ALIDOR
Mon fils, que ce momentest doux !
Vousn'avez pas un ami plus sincère.
LE PRINCE
Je crois toujours, auprès de vous,
que je n'ai pas perdu mon père.
ALIDOR
Ah ! je vous aime comme un père.
Mon fils, que ce moment est doux !
Puisse une femme accomplie,
faire le charme de vos jours !
Puisse une épouse chérie,
en embellir long-temps le cours !
LE PRINCE
Je conserverai dans mon âme
le souvenir de vos bienfaits.
Il est un bien que je réclame,
près de moi restez à jamais.
ALIDOR
Je ne vous quitterai jamais.
LE PRINCE
Promettez-moi de guider ma jeunesse.
ALIDOR
Oui, je vous en fais la promesse.
Mon fils que ce moment est doux !
Vous n'avez pas un ami plus sincère.
LE PRINCE
Je crois toujours, auprès de vous,
que je n'ai pas perdu mon père.
ALIDOR
Oui, je vous aime comme un père.
Ensemble
LE PRINCE
Vous qui lisez dans le fond de mon cœur,
ô dieu puissant ! écoutez ma prière !
Conservez-le pour mon bonheur.
ALIDOR
Vous qui lisez dans le fond de mon cœur,
ô dieu puissant ! écoutez ma prière !
Conservez-moi pour son bonheur.
ALIDOR
Mais j'entends le baron et ses deux filles qui s'avancent; prenez garde de vous trahir.
Le prince, Alidor, Le baron, en vieil habit de cour, Clorinde, Tisbé.
ALIDOR
Est-ce à monsieur le baron de Montefiascone que nous avons l'honneur ?...
LE BARON
Oui, messieurs; puis-je savoir qui vous êtes ?
ALIDOR
Je me nomme Alidor.
LE BARON
Alidor ! quoi ! vous seriez ce sage, ce savant... cet homme illustre... dont les talens, les lumieres...
les... J'ai l'honneur de vous présenter mes filles... comment les trouvez-vous ?
ALIDOR
Elles sont mises à merveille.
LE BARON
Ah ! ah ! c'est que le goût est héréditaire dans notre famille.
LE PRINCE
(à part)
On s'en aperçoit.
LE BARON
(à Alidor)
Que je suis ravi de voir l'homme qui a fait de notre jeune roi le prince le plus accompli ! Monsieur
est sans doute l'un des premiers seigneurs de sa cour ?
ALIDOR
C'est un écuyer.
LE BARON
(avec un ton familier)
Bonjour, mon ami.
CLORINDE
(qui le regardait, se retournant avec dédain)
Oh! ce n'est qu'un écuyer... je m'en étais doutée; il a un air commun !...
LE BARON
Homme vénérable ! m'apprendrez-vous ce qui me procure l'avantage...
ALIDOR
Vous allez le savoir. Le roi chasse dans la forêt; ayant entendu parler de vos filles, il a désiré les connaître.
LE BARON
Certes, c'est beaucoup d'honneur...
(a ses filles.)
Entendez-vous ?
ALIDOR
Son intention est de s'arrêter ici à son retour, et d'offrir à ces dames une place dans son carrosse,
afin de les conduire à la fête qu'il donne ce soir à toute sa cour.
LE BARON
Comment ! le roi viendrait...
ALIDOR
Oui, vous dis-je.
LE BARON
Il viendrait lui même ?
TISBÉ
Entends-tu, ma sœur, dans le carrosse du roi ?
CLORINDE
Ah ! je ne me sens pas de joie.
ALIDOR
J'ai cru devoir vous prévenir de cet insigne honneur, et je me suis écarté de la chasse pour vous l'annoncer.
LE BARON
Que d'obligation !
ALIDOR
Maintenant, nous allons rejoindre son altesse.
LE BARON
Je vous accompagnerai, si vous le permettez. J'irai moi-même recevoir le prince sur les limites de mon territoire.
ALIDOR
Ne vous donnez pas tant de peine, n'allez pas si loin.
LE BARON
Oh ! ce n'est qu'à deux pas d'ici; mais ne perdons pas de temps, je sais ce que prescrivent l'étiquette et le cérémonial.
ALIDOR
Je vous guiderai, si vous le permettez.
LE BARON
Je vais vous suivre.
(a Clorinde et à Tisbé.)
Entendez-vous, mes filles ? le roi lui-même !
LE PRINCE
(à part)
Qu'ai-je entendu ? comme on m'avait trompé !
(Au moment où le prince va pour sortir, Le baron passe devant lui sans cérémonie.)
Clorinde, Tisbé.
[Duo]
CLORINDE ET TISBÉ
Ah ! quel plaisir ! ah ! quel beau jour !
Nous allons paraître à la cour.
Ah ! ma sœur, pour nous quelle gloire !
Est-il un triomphe plus doux ?
Tout nous assure la victoire;
qui pourrait l'emporter sur nous ?
Ah ! ma sœur, embrassons-nous.
CLORINDE
Vous brillez par toutes les grâces.
TISBÉ
Les plaisirs volent sur vos traces.
CLORINDE
Tout doit obéir à vos lois.
TISBÉ
Vous captiveriez tous les rois.
CLORINDE
Votre tournure est élégante.
TISBÉ
Votre démarche est imposante.
CLORINDE ET TISBÉ
Oui, tout doit fléchir sous vos lois.
Ah ! ma sœur, pour nous quelle gloire !
Est-il un triomphe plus doux ?
Tout nous assure la victoire;
qui pourrait l'emporter sur nous ?
Ah ! ma sœur, embrassons-nous.
CLORINDE
Pour lui plaire,
je chanterai.
TISBÉ
Et moi, ma chère,
je danserai.
CLORINDE
De ma voix je suis contente.
TISBÉ
Ma danse sera charmante.
CLORINDE ET TISBÉ
Ah ! quel plaisir ! ah ! quel beau jour !
Nous allons paraître à la cour.
Ah ! ma sœur, pour nous quelle gloire !
Est-il un triomphe plus doux ?
Tout nous assure la victoire;
qui pourrait l'emporter sur nous ?
Ah ! ma sœur, embrassons-nous.
TISBÉ
Ah ! mon dieu ! je me suis habillée si vite !... j'ai oublié de mettre tous mes diamans.
CLORINDE
Moi, j'ai eu à peine le temps de me coiffer...
(appelant)
Cendrillon !...
TISBÉ
(appelant aussi)
Cendrillon !...
(à Clorinde)
ah ! ma sœur, nous verrons le roi.
CLORINDE
Il nous donnera la main.
TISBÉ
Comme on va nous regarder ! quel honneur !
CLORINDE
Comme toutes les femmes seront furieuses ! quel plaisir !
TISBÉ
(appelant encore)
Cendrillon !
Les mêmes, Cendrillon.
CENDRILLON
Me voici !
TISBÉ
Allons, vite, arrangez mes cheveux, posez mes diamans.
CLORINDE
Serrez-moi ma ceinture.
CENDRILLON
Par qui faut-il que je commence ?
CLORINDE ET TISBÉ
C'est par moi.
CENDRILLON
Écoutez donc; je suis toute seule; je ne puis vous servir que l'une après l'autre.
TISBÉ
Aurez-vous bientôt fini ?
CLORINDE
Mais laissez-lui donc le temps.
CENDRILLON
Ah ! que vous êtes heureuses d'aller au bal !
CLORINDE
Tu ne sais pas tout ? le roi vient nous chercher.
CENDRILLON
Le roi !
TISBÉ
Oui, ma chère, le roi.
CLORINDE
Tu serais bien aise de venir, n'est-ce pas ?
CENDRILLON
Oh ! oui, j'aurais bien du plaisir à voir tout ce beau monde-là.
TISBÉ
En effet, tu ferais là une jolie figure !
CENDRILLON
Pourquoi donc pas ! est-ce parce que j'ai de vilains habits ? Eh bien ! ma sœur, prêtez-moi seulement la robe jaune que vous mettez tous les jours, laissez-moi vous suivre; je ne dirai à personne que je vous connais; je me mettrai dans un petit coin où l'on ne me verra pas: si vous l'exigez même, je me tiendrai derrière la porte, et je regarderai par le trou de la serrure.
CLORINDE
Tu me fais pitié !
TISBÉ
Vous êtes bien bonne de l'écouter.
(on entend une chasse)
CLORINDE
Voici le roi.
CENDRILLON
Ô mon dieu ! que de monde !
TISBÉ
Allons, allons, retournez au près du feu, et ne vous montrez pas.
Le prince, Alidor, Dandini, Le baron, Clorinde, Tisbé, Suite.
CHŒUR
Oh ! la belle journée !
Toujours nouveau plaisir.
La chasse est terminée,
et le bal va s'ouvrir.
Que chacun applaudisse
au meilleur de nos rois;
que l'écho retentisse
du bruit de ses exploits !
DANDINI
Je suis content de ma chasse... Vous dites donc que c'est moi qui ai tué la bête ?
UN CHASSEUR
Oui, monseigneur.
DANDINI
Oh bien, le diable m'emporte si je m'en doutais.
ALIDOR
(bas, au prince)
Je n'en suis pas surpris; c'est vous.
DANDINI
Je puis même vous dire une chose entre nous; c'est que je crois que je n'ai pas tiré.
UN CHASSEUR
Je puis protester a votre altesse que c'est elle même.
DANDINI
Allons, puisque vous le voulez, il faut bien que cela soit... mais laissons la chasse, et occupons nous
des nymphes de ces bois. Baron, le sort, m'a-t-on dit, vous a fait père de deux filles charmantes !
LE BARON
Elles sont devant vous, seigneur.
(Clorinde et Tisbé font une grande révérence)
DANDINI
Je vous en fais mon compliment. Voilà, parbleu ! deux filles de fort bonne mine.
LE BARON
Seigneur, elles sont fort honorées que par l'événement de la circonstance... de l'occasion qui fait
qu'elles...
DANDINI
C'est bon: je devine ce que vous voulez dire.
(Il passe entre Clorinde et Tisbé.)
CLORINDE
(à part)
Qu'il est aimable!
TISBÉ
(à part)
Comme il a l'air distingué !
DANDINI
Mes belles demoiselles, depuis long-temps, c'est-à-dire, depuis hier, car je ne fais que d'arriver, la renommée m'avait entretenu de vos charmes. Je me suis mis en route sur-le-champ, par le temps le plus rigoureux; et si j'ai supporté le froid, c'est que je brûlais du désir de vous voir.
CLORINDE
Qu'il a d'esprit !
TISBÉ
Comme il parle bien !
LE BARON
(à Alidor)
Sage Alidor, je vous félicite; voilà un élève qui vous fait honneur. Comme vous devez jouir, en
admirant votre ouvrage !
DANDINI
Permettez-moi, belles dames, de vous offrir le produit de ma chasse. (à deux piqueurs) Mon
carrosse.
[Finale]
DANDINI
Partez, que tout s'apprête.
Mesdames, vous serez l'ornement de la fête.
CENDRILLON
Ô ciel ! excepté moi, tous partent pour la fête.
LE BARON
Tu resteras,
tu garderas,
CENDRILLON
Ah ! de loin, laissez-moi vous suivre.
LE BARON, TISBÉ ET CLORINDE
Non, non, non, non, tu resteras,
tu garderas.
ALIDOR
De sa présence on se délivre.
CENDRILLON
Ce bois est rempli de voleurs.
ALIDOR
La pauvre enfant est tout en pleurs.
TOUS
(excepté Cendrillon)
Allons que tout s'apprête,
partons tous pour la fête.
CENDRILLON
Ô ciel ! excepté moi, tous partent pour la fête.
LE BARON, TISBÉ ET CLORINDE
Vous resterez.
ALIDOR
(bas, à Cendrillon)
Vous y viendrez.
CENDRILLON
Que dites-vous ?
ALIDOR
Vous y viendrez.
CHŒUR GÉNÉRAL
Ah ! l'heureuse journée !
Toujours nouveau plaisir.
La chasse est terminée
et le bal va s'ouvrir.
(Ils partent.)
Cendrillon, seule.
CENDRILLON
Vous y viendrez... m'a dit ce sage;
ah ! c'est peut-être un badinage.
(Allant à la fenêtre.)
Hélas ! ils sont déjà bien loin;
retournons dans mon petit coin.
(On entend Alidor chanter dans l'éloignement.).
ALIDOR
Ma chère enfant, soyez tranquille,
restez en paix dans votre asile.
Vous avez un bon cœur, tout vous réussira;
le ciel vous récompensera.
CENDRILLON
Comment ! le pauvre est encor là !
(Elle s'endort.)
La scène se passe dans le palais du prince. Le théâtre représente un salon magnifiquement décoré pour une fête; à droite du théâtre est élevé un trône, sur les degrés duquel on aperçoit Cendrillon, avec une parure très élégante, elle dort profondément, et se trouve absolument dans la même position où elle s'est endormie auprès du feu, à la fin du premier acte.
À gauche du théâtre, un choeur aérien qui est censé chanté par des Génies.
LE CHŒUR
Ô doux sommeil ! sur l'innocence
daigne répandre tes pavots;
songes rians, prolongezson repos,
et berce-la, douce espérance.
CENDRILLON
(en rêvant)
Ils sont partis, plus d'espérance !
LE CHŒUR
(reprend)
Ô doux sommeil ! sur l'innocence
daigne répandre tes pavots;
songes rians, prolongezson repos,
et berce-la, douce espérance.
(Le chœur sort.)
CENDRILLON
(ouvrant les yeux)
Ah ! comme j'ai dormi long-temps ! que vois je ? ah ! mon dieu ! que de richesses !... suis-je bien éveillée ? oh ! comme me voilà belle ! est-ce bien moi ?
(elle descend avec une grande agitation les marches du trône.)
Qu'est-ce que tout cela signifie ? Je n'ai pas la force de me soutenir.
LE CHŒUR
(sans être vu)
Ma chère enfant, soyez tranquille,
restez en paix dans cet asile:
vous avez un bon cœur, tout vous réussira;
le ciel vous récompensera.
Alidor, Cendrillon.
CENDRILLON
Ah ! seigneur, c'est vous ?
ALIDOR
Eh bien ! vous avais-je trompée ?
CENDRILLON
Où suis-je ?
ALIDOR
Vous êtes à la cour. Je vous avais promis que vous viendriez à la fête; vous voyez que j'ai tenu ma parole, car vous arrivez la première.
CENDRILLON
Mais comment suis-je venue ? qui m'a donné ces beaux habits ?
ALIDOR
C'est un mystère que vous ne devez pas chercher à pénétrer.
CENDRILLON
Et mes sœurs?... mon père ?...
ALIDOR
Ils ne sont point arrivés.
CENDRILLON
Ah ciel ! je tremble; ils vont me reconnaître; je suis perdue.
ALIDOR
Rassurez-vous, ils ne vous reconnaîtront pas.
CENDRILLON
Mais moi, qui ne suis jamais sortie du coin du feu, comment oserai-je paraître à la cour ? Je me
trouve déjà toute gênée dans ces beaux habits; c'est tout au plus si je puis marcher.
ALIDOR
Soyez tranquille. prenez cette rose; avec elle personne ne vous reconnaîtra; vous aurez de l'assurance, vous aurez des talens... C'est à cette rose qu'est attaché votre bonheur, que sont attachés des destins de la plus haute importance.
CENDRILLON
Eh quoi ! une rose ?...
ALIDOR
Mon enfant, ne la quittez jamais.
CENDRILLON
(après avoir placé la rose sur son sein)
En effet !
(elle lève la tête avec grâce)
quel changement s'est tout à coup opéré en moi ! il me semble que mes idées se développent, que je reçois une nouvelle existence... c'est singulier,
(elle marche avec assurance)
je ne suis plus la même !
Les mêmes, un Page.
LE PAGE
Madame, vos écuyers, vos pages et toute votre suite viennent d'arriver au château.
CENDRILLON
C'est bien ! qu'ils attendent mes ordres... Ah ! sage Alidor, c'est à vous que je dois ce prodige étonnant.
ALIDOR
C'est à vos vertus.
[Air]
Conservez bien votre bonté,
cet heureux don de la nature;
n'altérez point, par l'imposture,
cette aimable simplicité:
la plus élégante parure,
c'est la bonté.
Que tout l'éclat del'opulence
ne rende point votre cœur orgueilleux;
pour devise, prenez simplicité, constance,
et que toujours ces mots soient présens à vos yeux.
Conservez bien votre bonté,
cet heureux don de la nature;
n'altérez point, par l'imposture,
cette aimable simplicité:
la plus élégante parure,
c'est la bonté.
Mais j'entends du bruit; c'est le retour de la chasse; ne vous montrez pas encore; retirez-vous de ce côté; il sera temps de paraître quand j'irai vous avertir.
(Elle sort, conduite par Alidor, du côté du trône.)
Le prince, Alidor, Dandini, Le baron, Clorinde, Tisbé, Suite.
DANDINI
Enfin, nous voila arrivés; il était temps, car je meurs de faim et de soif; n'êtes-vous pas de mon avis, baron de Montefiascone ?
LE BARON
Oui, seigneur; en effet, il n'y a rien qui altère comme le froid.
DANDINI
Ah ! ah ! vous êtes un habile homme.
(à Alidor)
Mon cher précepteur, je vous le donne comme l'homme le plus érudit de mon royaume; vous n'imaginez pas combien sa conversation est instructive. Pendant toute la route, il n'a cessé de me parler des vignobles les plus renommés de mes états: aussi, je veux le récompenser d'une manière analogue à ses connaissances: je le nomme mon grand échanson.
LE BARON
Seigneur, soyez assuré que je m'acquitterai de cette charge importante avec toute l'énergie... toute la probité...
DANDINI
C'est bien ! allez vous faire installer.
(Le baron sort avec deux écuyers.)
DANDINI
Mille pardons, mesdames, si j'ai été obligé de donner un moment aux soins de mon empire; je suis maintenant tout à vous. Qu'on nous laisse !
(Les gardes sortent.)
LE PRINCE
(bas, à Alidor)
Il n'ira jamais jusqu'au bout.
ALIDOR
Laissez-le faire.
DANDINI
Qu'on nous laisse donc !
(Le prince et Alidor sortent.)
Clorinde, Dandini, Tisbé.
CLORINDE
Que vous êtes heureux, seigneur ! entouré d'un peuple qui vous aime...
DANDINI
Ah ! mademoiselle...
TISBÉ
D'une cour qui vous adore...
DANDINI
Ah !
CLORINDE
Mais que vous méritez bien tant d'hommages !...
DANDINI
Ah !
TISBÉ
Tant d'amour...
DANDINI
Ah !
CLORINDE
Tant d'idolâtrie...
DANDINI
Oh ! pour le coup, c'en est trop; épargnez ma modestie.
CLORINDE
En célébrant les louanges de son altesse, je ne suis que l'écho de ses sujets.
DANDINI
Laissons là mon altesse, je vous en conjure; point de cérémonie entre nous.
TISBÉ
Quelle bonté touchante !
CLORINDE
Quelle simplicité !
DANDINI
Il est vrai que je suis assez simple... aussi, je serai bien le meilleur des maris !... cela me rappelle que je dois prendre une femme ce soir, et je vous avoue que je suis dans une étrange perplexité.
CLORINDE
Il en est tant qui seraient heureuses...
DANDINI
(soupirant profondément)
Ah !
TISBÉ
Votre altesse soupire ?...
DANDINI
Je vous regarde toutes deux, et n'ose choisir; en vous voyant, je suis plus embarrassé que Pâris, obligé de donner la pomme à l'une des trois Grâces.
CLORINDE
Il est charmant !
DANDINI
Ah ! pourquoi le ciel ne m'a-t-il pas donné deux cœurs ?
TISBÉ
(à part)
Il faut pourtant bien qu'il se prononce.
DANDINI
(se retournant du côté de Clorinde)
Que j'aime cet air modeste !
(à Tisbé)
Que ce petit minois fripon me plaît !
(à Clorinde)
Cette tendre langueur...
(à Tisbé)
Cette aimable étourderie...
(à Clorinde)
Ces grands yeux mourans...
(à Tisbé)
Ce regard éveillé... enflamment mon cœur...
CLORINDE
(à part)
C'est moi qu'il aime !
DANDINI
Troublent ma raison.
TISBÉ
(à part)
C'est moi qu'il choisit !
DANDINI
Et mon esprit incertain... mes belles demoiselles, je crois que je me suis fait entendre ?
CLORINDE
(à part)
Ah ! je l'ai bien compris.
TISBÉ
(à part)
Je l'ai bien deviné.
DANDINI
Au reste, celle qui ne sera pas ma femme ne sera pas la plus malheureuse; je la donnerai à mon écuyer; il me vaut bien, et j'ai pour lui beaucoup de respect... c'est-à-dire, d'estime. Mais j'oublie auprès de vous les affaires les plus graves; on m'attend pour le festin; il faut ensuite que je paraisse au tournoi: j'y ferai publier que vous êtes les personnes les plus belles, les plus aimables de toute l'Italie. Malheur à l'audacieux chevalier qui oserait soutenir le contraire ! il aurait affaire à moi; oui, je donnerais sur-le-champ mes pleins pouvoirs pour le combattre. Adieu... adieu... je vais au festin, où je figurerai moi-même; j'irai ensuite au tournoi, où on figurera pour moi, et de là au bal, où nous figurerons tous les trois.
(Il sort.)
Clorinde, Tisbé
TISBÉ
Quel prince accompli !
CLORINDE
Ma sœur, je dois en convenir, vous méritiez la préférence.
TISBÉ
Ma sœur...
CLORINDE
Vous êtes plus belle, plus aimable que moi.
TISBÉ
Ma sœur...
CLORINDE
Que voulez-vous ? il faut prendre son parti.
TISBÉ
C'est sagement pensé.
CLORINDE
D'ailleurs, cet écuyer ne m'a pas paru mal.
TISBÉ
C'est ce que j'allais vous dire, ma sœur; je l'ai trouvé fort bien.
CLORINDE
Je suis enchantée que vous ayez cette bonne opinion de lui.
TISBÉ
Je suis charmée qu'il vous plaise.
CLORINDE
Quelle que soit la distance qui doive nous séparer, point de fierté entre nous.
TISBÉ
Oh ! non, jamais.
CLORINDE
Nous nous aimerons toujours comme deux sœurs, n'est-il pas vrai ?
TISBÉ
Ah ! sans doute; vous me serez toujours bien chère; il n'y a que les petits esprits qui s'oublient dans la grandeur.
CLORINDE
Cependant, en public, on doit de certains égards à la princesse.
TISBÉ
En public, soit; mais j'y mets une condition, ma sœur, c'est que, dans l'intimité, vous me parlerez tout comme si je n'étais pas voire souveraine.
CLORINDE
Comment ! votre souveraine ?
TISBÉ
Puisque c'est sur moi que le prince a jeté les yeux.
CLORINDE
Allons donc, ma sœur, vous plaisantez, c'est sur moi.
TISBÉ
Sur vous !
[Duo]
CLORINDE
Qui ? vous, ma souveraine ?
TISBÉ
Oui, moi.
CLORINDE
Vous ?
TISBÉ
Moi.
CLORINDE
Vous ?
TISBÉ
Le roi sera mon époux.
CLORINDE
À quel point vous abusez-vous ?
En moi reconnaissez la reine.
TISBÉ
Qui ? vous, ma soveraine ?
CLORINDE
Oui, moi.
TISBÉ
Vous ?
CLORINDE
Moi.
TISBÉ
Vous ?
Ensemble
CLORINDE ET TISBÉ
Non, non, le roi n'est pas pour vous.
TISBÉ
Rendons hommage à la princesse.
CLORINDE
Rendons hommage à son altesse.
TISBÉ
Voudrez-vous bien me protéger ?
CLORINDE
Daignerez-vous ne pas changer ?
CLORINDE ET TISBÉ
Craignez pourtant de déroger.
Ah ! quelle altesse !
Quelle princesse !
Quelle noblesse !
Quel agrément !
Quel enjouement !
Quel air charmant !
Les mêmes, Le prince.
LE PRINCE
Mesdames, pardon si j'ose me présenter devant vous, mais son altesse m'a flatté de l'espoir que je pouvais aspirer...
TISBÉ
Il vous sied bien, monsieur l'écuyer, d'élever vos regards jusqu'à moi !... adressez-vous à ma sœur. A-t-on idée d'une pareille prétention ? un écuyer à une femme telle que moi ! ah ! c'est incroyable !
(Elle sort.)
Le prince, Clorinde.
LE PRINCE
Quoi ! madame, c'est donc vous ?
CLORINDE
Je vous trouve bien audacieux !
LE PRINCE
Mais le prince m'a dit qu'une des sœurs...
CLORINDE
Une des sœurs ! en effet, nous en avons encore une, et c'est d'elle, sans doute, que son altesse a voulu vous parler; dans le fait, monsieur l'écuyer, elle vous conviendrait peut-être.
LE PRINCE
Peut-être ?
CLORINDE
Et bien ! je vous permets d'aspirer à sa main, vous pouvez compter sur mon agrément... Mais conçoit-on une telle insolence ? est-il permis de se méconnaître ?... Adieu, monsieu l'écuyer.
(Elle sort.)
Le prince, seul.
Il faut en convenir, jamais prince ne fut mieux traité; que dis-je ? ce ne pas le prince, c'est l'écuyer que l'on rebute. Que ces deux femmes sont vaines ! L'ambition, l'orgueil, voilà leur seul mobile... On va cependant proclamer qu'elles sont les plus belles, les plus aimables... et je le souffrirais !... mais hélas ! dans la foule des femmes que cette fête attire à la cour, je n'en ai pas trouvé une seule qui daignât m'entendre... toutes aspirent à la couronne d'un roi, aucunne ne cherche à mériter le cœur d'un époux.
[Romance]
Premier couplet.
Ô sexe aimable, mais trompeur !
Tu rends mon infortune extréme.
Faut-il renoncer au bonheur,
de n'être aimé que pour soi-même ?
Ah ! s'il existe dans ces lieux
femme sensible, aimable et belle,
qu'elle se présente à mes yeux,
mon cœur l'attend, ma voix l'appelle.
Cendrillon, Le prince.
CENDRILLON
(sans être aperçue du prince)
Ah ! voilà le jeune écuyer.
Deuxième couplet.
LE PRINCE
Comment, avec un air si doux,
cacher l'orgueil, la perfidie ?
Le premier bien, pour un époux,
c'est la bonté, la modestie.
Ah ! s'il existe dans ces lieux
femme sensible, aimable et belle,
qu'elle se présente à mes yeux,
mon cœur l'attend, ma voix l'appelle.
CENDRILLON
Oh ! comme sa voix est touchante ! je me sens toute émue. Il a l'air malheureux: approchons... Chevalier...
LE PRINCE
Qui m'appelle ? Ô ciel ! la charmante personne !
CENDRILLON
Vous paraissez affligé ?
LE PRINCE
Helàs ! oui, madame.
CENDRILLON
J'ai interrompu vos plaintes ?
LE PRINCE
Je ne me plaignais pas; j'adressais des vœux au ciel: les aurait-il exaucés ?
CENDRILLON
Qui peut vous causé de la peine ? vous avez l'air si bon ! je suis sûre que vous n'avez fait de mal à personne.
LE PRINCE
Je n'ai jamais fait que le bien. Est-ce une raison pour être heureux ?
CENDRILLON
Oh ! non sans doute... Je l'ai bien appris par moi-même; mais consolez-vous, et ecoutez ces paroles que je n'oublierai jamais: « Vous avez un bon cœur, tout vous réussira, le ciel vous récompensera. »
LE PRINCE
(à part)
Ah ! quels accens delicieux ! ils pénètrent mon cœur.
CENDRILLON
Quelle est donc la cause de vos malheurs ? seriez-vous abandonné par les personnes qui vous sont chères ?
LE PRINCE
Je n'ai point aimé jusqu'à ce jour.
CENDRILLON
(à part)
Ah ! quel bien il me fait !
LE PRINCE
(à part)
Quel charme inconnu vient tout-à-coup s'emparer de moi ?
CENDRILLON
Vous n'avez point aimé ?
LE PRINCE
Qui daignerait jeter ses regards sur moi ? je ne suis ni riche, ni puissant. Simple écuyer, je n'ai qu'un
cœur à offrir.
CENDRILLON
Eh ! quel autre bien faut-il donc ?
LE PRINCE
(à part)
Dieux !
(à Cendrillon)
Mais vous, madame, permettez qu'à mon tour je vous demande qui vous ête; quel peuple est assez heureux pour obéir à vos lois ? où sont situés vos états ?...
CENDRILLON
Mes états ! ah ! si vous les connaissiez...
LE PRINCE
Vous méritez d'être assise sur le premier trône du monde.
CENDRILLON
Il est impossible d'en avoir un plus modeste.
LE PRINCE
Au nom du ciel ! daignez vous faire connaitre.
CENDRILLON
Je desire rester inconnue.
LE PRINCE
Vous ne pouvez l'être dans une cour où votre beauté doit fixer tous les regards.
CENDRILLON
Moi ! fixer les regards !... je cherche plutôt à les éviter.
LE PRINCE
Qoi ! n'ètes-vous point venue pour fixer le choix du prince ?
CENDRILLON
Oh ! non, je vous le jure, ce n'est pas là mon ambition.
LE PRINCE
Si j'en crois mon cœur, vous devez l'emporter sur toutes vos rivales.
CENDRILLON
Je ne veux qu'assister à leur triomphe.
(On entend la trompette qui donne le signal du tournois.)
LE PRINCE
Voilà le premier signal du tournois; on va combattre pour la beautè. Madame, avez-vous un chevalier ?
CENDRILLON
Un chevalier ! oh ! non, seigneur, jamais personne n'a pris ma defense.
LE PRINCE
Eh bien ! daignez m'accepter pour le vôtre; je veux soutenir en champ clos qu'il n'existe pas dans le monde une femme qui vous soit comparable.
CENDRILLON
Moi, seigneur, moi, y pensez-vous ?
LE PRINCE
Tant de modestie ajoute encore un nouvel éclat à vos charmes. Rien ne peut me retenir; de grâce, accordez-moi la faveur que je vous demande; je me jette à vos genoux pour l'obtenir.
CENDRILLON
Eh bien donc ! soyez mon chevalier.
[Duo]
LE PRINCE
Ah ! la victoire m'est promise !
Mais donnez-moi votre devise;
je veux la porter sur mon cœur.
CENDRILLON
Simplicité, constance,
ces deux mots pour toujours son gravés dans mon cœur.
LE PRINCE
Ah ! j'en ai l'assurance,
je reviendrai vainqueur.
Simplicité, constance,
ces deux mots pour toujours son gravés dans mon cœur.
LE PRINCE ET CENDRILLON
(à part)
Quelle flamme subite
vient embraser mon cœur:
il s'élance, il palpite
de joie et de bonheur.
(On entend le second signal.)
LE PRINCE
Mais le signal m'appelle;
à la gloire fidèle,
je vole aux combats.
CENDRILLON
Dieu protecteur, guide ses pas !
LE PRINCE
Le souvenir de tant de charmes
va doubler encor ma valeur.
CENDRILLON
Cependant, de quelques alarmes,
je ne puis défendre mon cœur.
LE PRINCE
Tout me présage le bonheur.
CENDRILLON
Ah ! vous me rendez l'espérance.
LE PRINCE, CENDRILLON
Simplicité, constance,
ces deux mots pour toujours
sont gravés dans mon cœur.
(Le prince sort.)
Alidor, Cendrillon.
CENDRILLON
Dans quel trouble il m'a jetée ! je ne puis me rendre compte de tout ce qui se passe en moi... Ah ! seigneur, venez à mon secours.
ALIDOR
Qu'est-ce, mon enfant ?
CENDRILLON
Je vous en prie, dites-moi donc ce que j'éprouve ? c'est une agitation, une inquiétude, un plaisir, une peine !... Je ne sais que vous dire...
ALIDOR
Vous n'étiez pas seule ?
CENDRILLON
Non, j'étais avec le jeune écuyer qui vous accompagnait ce matin.
ALIDOR
Ah ! et comment le trouvez-vous ?
CENDRILLON
Je n'ose pas vous le dire.
ALIDOR
Je vous entends.
CENDRILLON
Ah ! seigneur, vous m'avez dit qu'avec cette rose je n'avais rien à craindre, et cependant elle ne m'a pas préservée du mal que je ressens.
ALIDOR
Que voulez-vous, mon enfant, elle ne peut rien contre l'amour.
CENDRILLON
L'amour !... ah ! c'est donc l'amour...
ALIDOR
Oui, mon enfant; mais consolez-vous: soyez toujours bonne, soyez toujours modeste, et peut-être...
Mais j'aperçois votre pére et vos soeurs qui viennent de ce côté.
CENDRILLON
Vous dites donc qu'ils ne me reconnaîtront pas ?
ALIDOR
ils sont bien loin de vous croire ici; d'ailleurs, ce talisman vous change à leurs yeux.
Les mêmes, Le baron, Clorinde, Tisbé.
LE BARON
(en entrant)
Au diable soit la charge d'échanson ! j'ai cru que je n'aurais rien à faire; mais si cela continue, je serai la personne la plus occupée de l'état: il faut toujours lui verser à ce prince !
CLORINDE
Ah ! voilà sans doute cette dame arrivée avec une suite si brillante.
TISBÉ
Elle vient, je le gage, pour nous disputer la couronne.
CLORINDE
Je ne puis la voir.
TISBÉ
Je sens déjà que je la déteste.
LE BARON
Allons, allons, vous êtes bien sûres de l'emporter.
CENDRILLON
Quelles sont ces aimables personnes ?
LE BARON
Ce sont mes filles, madame.
CENDRILLON
Elles sont charmantes.
CLORINDE
(à part)
C'est fort heureux !
CENDRILLON
Quelle douceur dans leurs traits ! quelle physionomie gracieuse ! voulez-vous bien me permettre
de vous embrasser ?
(Elle passe entre les deux soeurs.)
LE BARON
Ah ! madame.
ALIDOR
(à part)
Son bon cœur ne se dément pas.
CENDRILLON
J'éprouve un grand plaisir à vous voir; je me sens disposée à vous aimer.
LE BARON
Madame, c'est beaucoup d'honneur que vous leur faites.
CLORINDE
Quoi ! madame, dés la première vue, vous...
CENDRILLON
Oh ! je vous connais depuis long-temps; on m'a beaucoup parlé de vous. Voulez-vous accepter
mon amitié ?
CLORINDE
Nous nous estimerons trop heureuses...
TISBÉ
Nous serons charmées...
CENDRILLON
Permettez-moi de vous faire accepter ces faibles gages d'un attachement qui, je l'espère, ne finira jamais.
(Elle ôte de sa tête une gerbe de diamans, et détache un collier de perles fines qu'elle offre à ses soeurs.)
CLORINDE
Des perles !
TISBÉ
Des diamans !
CLORINDE
Quoi ! madame, vous vous en privez pour nous ?
CENDRILLON
C'est avec grand plaisir. Monsieur le baron, avez-vous d'autres enfans ?
LE BARON
Non, madame; le ciel ne m'en a donné que deux.
ALIDOR
Monsieur le baron oublie sa belle-fille.
LE BARON
Qui, Cendrillon ? ah ! elle n'est pas de ma famille.
CENDRILLON
Elle est votre belle-fille; ce titre seul suffit pour la rendre intéressante à mes yeux. Donnez-lui, de ma part, ce brillant.
(Elle donne un brillant au baron.)
CLORINDE
Ah ! madame, vous êtes trop bonne.
LE BARON
Voilà une personne qui est nécessairement très noble. Heureux celui qui en est le pére !
ALIDOR
Son père la méconnaît !
LE BARON
Eh bien ! vous m'avouerez que c'est affreux.
(On entend une marche.)
CENDRILLON
Mais qu'entends-je ?
ALIDOR
C'est le retour du tournoi: la fête va commencer.
CENDRILLON
(à Alidor)
Ah ! mon père, je tremble.
ALIDOR
Rassurez-vous.
Les mêmes, Le prince, Dandini, en habit royal; il va s'asseoir sur le trône; Gardes, Suite.
[Finale]
CHŒUR
À la plus belle offrons nos vœux;
que sa gloire soit immortelle !
Que nos cris montent jusqu'aux cieux !
Honneur, honneur à la plus belle !
La beauté seule enflamme les guerriers,
on triomphe toujours par elle.
Offrons nos cœurs et nos lauriers
à la plus belle.
LE PRINCE
(faisant paraître devant Cendrillon les deux chevaliers vaincus, qui mettent leurs épées à ses pieds)
Vous seule avez guidé mon bras,
vous m'avez conduit à la gloire;
ainsi, je dois à vos appas
le prix de la victoire.
CENDRILLON
Guerriers généreux,
calmez vos alarmes;
vous fûtes malheureux,
de ma main recevez vos armes.
CHŒUR
À la plus belle offrons nos vœux;
que sa gloire soit immortelle !
Que nos cris montent jusqu'aux cieux.
Honneur, honneur, à la plus belle !
TISBÉ ET CLORINDE
Comment, sur nous l'emporte-t-elle ?
DANDINI
(leur parlant tour-à-tour)
Rassurez-vous; à mes yeux
vous êtes toujours la plus belle.
CHŒUR
La beauté seule enflamme les guerriers;
on triomphe toujours par elle.
Offrons nos cœurs et nos lauriers
à la plus belle.
LE BARON
(à ses filles)
Bon ! la fête va commencer;
il faut chanter, il faut danser,
et vous l'emporterez sur elle.
(Des enfans exécutent quelques danses. - Le baron donne la main à Clorinde, la mène sur le devant de la scène; Tisbé prende une lyre, s'assied à la gauche du thèâtre et accompagne sa sœur.)
CLORINDE
(chante, après avoir salué le roi)
Assez long-temps le bruit des armes
a retenti dans ce palais.
Guerriers, suspendez nos allarmes;
chantons les douceurs de la paix.
[Air]
CLORINDE
Par des hymnes d'allégresse,
et par de célestes accords,
de nos plaisirs, de notre ivresse,
faisons éclater les transports;
que la lyre enchanteresse
accompagne nos aceens,
et que l'amant à sa maîtresse,
répète les plus doux sermens.
On a supprimé, dans le cours des représentations à Paris, le morceau suivant, pour y substituer l'ariette ci-dessus; mais le musicien ayant cru devoir faire graver les deux airs dans sa partition, afin de laisser le choix aux troupes des départimens.
LE PRINCE
(à Cendrillon)
À votre tour, rendez-vous à mes vœux.
CENDRILLON
Je ne puis me rendre à vos vœux;
elle mérite la couronne.
LE PRINCE
Dansez, je vous en prie, et le roi vous l'ordonné.
DANDINI
Oui, dansez, je le veux.
Premier couplet
CENDRILLON
(chantant et dansant tour à tour, en s'accompagnant avec un tambour de basque)
À quoi bon la richesse,
à quoi bon la grandeur,
si l'on n'était sans cesse
en paix avec son cœur ?
S'aimer et se le dire,
deviner un sourire,
est-il un plus grand bien, même au sein de la cour ?
Il n'est point de bonheur, de plaisir, sans l'amour.
(Nous rétablissons ici les paroles que nous avios retranchées dans la seconde edition de cette pièce.)
CLORINDE
(chante)
(Traduction d'une ode d'Horace, par Lamotte.)
Couronnons-nous de fleurs nouvelles,
nous en verrons bientôt l'éclat s'évanouir.
Profitons du printemps qui passera comme elles;
l'amour nous presse d'en jouir.
Nos bois reprennent leurs feuillages;
après les noirs frimats le printemps à son tour,
et le soleil plus pur dissipant les nuages,
sans obstacle répand le jour.
Déjà dans la plaine fleurie,
le berger laisse errer ses troupeaux bondissants,
et du son de sa flûte, Écho même, attendrie,
en imite les doux accens,
Cythérée avec ses compagnes,
le soir, d'un pas léger, danse aux bords des ruisseaux,
tandis que son époux ébranle les montagnes
du bruit fréquent de ses marteaux.
Couronnons-nous de fleurs nouvelles,
nous en verrons bientôt l'éclat s'évanouir.
Profitons du printemps qui passera comme elles;
l'amour nous presse d'en jouir.
Deuxième couplet
CENDRILLON
Un beau jour Colinette
fut conduite à la cour.
Elle était inquiète,
dans ce brillant séjour.
Il fallait se contraindre,
ou bien il fallait feindre;
car on ne peut ici s'expliquer sans détour.
Il n'est point de plaisir, de bonheur, sans l'amour.
Troisième couplet
Colinette au village
reprit sa liberté.
Elle aimait davantage
sa douce obscurité.
Là, jamais d'artifice,
de fierté, de caprice.
Auprès de son amant elle était tout le jour.
Il n'est point de plaisir, de bonheur, sans l'amour..
LE PRINCE
Madame, c'en est trop, acceptez la couronne;
c'est aujourd'hui le roi qui vous la donne.
CENDRILLON
Le roi !...
DANDINI
Qui vous la donne.
CENDRILLON
Non, jamais.
(Elle jette la rose, et s'enfuit.)
ALIDOR
Elle n'en veut pas !
Juste ciel ! je te rends grâce,
son bon cœur ne se dément pas.
DANDINI ET LE CHŒUR
Quelle audace !
Suivons, suivons ses pas.
Fin du second acte.
Même décoration qu'au deuxième acte.
Tisbé.
(seule)
Dieu ! quel événement ! le dépit, la fureur,
s'emparent de mon coeur.
Par un perfide amant, je suis abandonnée;
à cet affront cruel étais-je destinée ?
Oui, c'en est fait,
tout disparaît;
un seul instant, hélas ! détruit mon espérance.
Ne songeons plus qu'à la vengeance,
j'allais fixer le cœur d'un roi,
tout devait fléchir sous ma loi,
déjà le trône était à moi;
chacun s'empressait sur mes traces;
je pouvais répandre des grâces;
captivant tous les voeux, régnant sur tous les cœurs,
je parvenais enfin au faite des grandeurs;
mais, hélas ! un instant détruit mon espérance.
Ne songeons plus qu'à la vengeance.
Oui, c'en est fait,
tout disparaît.
Par un perfide amant, je suis abandonnée;
à cet affront cruel étais-je destinée ?
Tisbé, Clorinde.
TISBÉ
Eh bien ! ma sœur, quelle nouvelle ?
CLORINDE
Impossible de rien apprendre; la plus grande confusion règne dans le palais.
TISBÉ
Et cette princesse ?...
CLORINDE
On a fait en vain courir sur ses traces; on ne sait ce qu'elle est devenue. La princesse, les pages, les officiers, dans un instant, tout cela a disparu.
TISBÉ
Tant mieux !... le roi est bien puni.
CLORINDE
On n'a plus trouvé qu'un de ses jolis petits souliers verts qu'elle a laissé tomber au moment où elle s'échappait... C'est bien le plus joli soulierl !... on dirait qu'il a été travaillé par la main des fées.
TISBÉ
Eh bien ?
CLORINDE
Le roi, m'a-t-on dit, s'en est saisi avec transport, et il ne veut plus s'en séparer.
TISBÉ
Quel caprice !
CLORINDE
Il reviendra à nous, ma sœur.
TISBÉ
Vous croyez ?
CLORINDE
J'en suis sûre; il faut de toute nécessité qu'il se marie ce matin. Suivant toutes les apparences, cette étrangère ne reviendra plus, et alors. il n'y a que moi ou vous...
TISBÉ
Ah ! que vous me faites de bien !
CLORINDE
Ma sœur, le voyez-vous qui vient de ce côté ?
TISBÉ
Oui, c'est lui-même. ah ! comme le cœur me bat !
CLORINDE
Je vous l'avais bien dit; il faut prendrel'air un peu fâché.
Les mêmes, Dandini.
DANDINI
(à part)
Ah ! voilà mes deux amantes; j'ai un bien triste aveu à leur faire. Diable ! elles ne me regardent pas; est-ce qu'elles sauraient déjà que je ne suis plus roi ?... Mademoiselle...
CLORINDE
Ah ! monseigneur, c'est vous ?
TISBÉ
Quoi! votre altesse daigne encore ?...
DANDINI
Oui, je daigne... Vous me voyez bien confus, bien humilié...
CLORINDE
Ah ! ne pensons plus à ce qui s'est passé.
DANDINI
(à part)
Elles ne savent rien.
TISBÉ
Pour moi, j'oublie tout.
DANDINI
Vous êtes bien bonne; mais en me retrouvant avec vous, je suis plus embarrassé que jamais.
TISBÉ
Eh ! pourquoi donc ?
DANDINI
C'est que je suis romanesque, voyez-vous; j'ai la faiblesse de vouloir être aimé pour moi-même.
Dites-le-moi sans détour: n'est-ce pas mon trône, ma couronne, qui...
CLORINDE
Quoi ! monseigneur, penseriez-vous ?...
TISBÉ
Pouvcz-vous nous faire l'injure ?...
DANDINI
Écoutez donc... on ne sait pas...
CLORINDE
Eh ! qu'importe ? vous seriez le dernier de vos sujets, que je vous préférerais encore.
DANDINI
Ah ! vous m'enchantez.
TISBÉ
Une chaumière et votre cœur, voilà tout ce que je désire.
DANDINI
Est-il possible ?
CLORINDE ET TISBÉ
Nous vous le jurons.
Les mêmes, Le baron, arrivant avec précipitation.
LE BARON
Ah ! mes filles ! ah ! quel événement !
TISBÉ
Qu'est-ce donc, mon père ?
LE BARON
Figurez-vous que le roi...
TISBÉ
Eh bien ! le roi ?...
LE BARON
Le roi n'était pas le roi.
DANDINI
(à part)
Allons, me voilà détrôné.
TISBÉ
Qu'entends-je ?
CLORINDE
Est-il possible ?
LE BARON
C'était tout simplement un des hommes de sa suite, nommé...
DANDINI
Dandini !
TISBÉ
Dandini !
CLORINDE
Et quel est donc le véritable roi ?
LE BARON
Vous en seriez-vous jamais doutée ? c'est cet écuyer qui s'est présenté hier dans mon château; c'est ce héros qui a terrassé les plus vaillans guerriers, et qui est sorti vainqueur du tournoi.
TISBÉ ET CLORINDE
Est-il possible ?
LE BARON
Entendez-vous ? c'est lui qui s'avance.
Les mêmes, Le prince, en costume magnifique et précédé de ses Gardes; Alidor.
LE PRINCE
Alidor, a-t-on continué les recherches ?
ALIDOR
Elles ont été vaines.
LE PRINCE
Ô fatale destinée ! mais du moins a-t-on proclamé mes ordres ?
ALIDOR
Oui, prince; avant quelques instans, vous verrez en ces lieux toutes les jeunes beautés qui sont dignes de partager votre couronne.
LE PRINCE
Vous savez à quelle condition on pourra mériter mon choix. Ah ! du moins, puisqu'il ne me reste qu'un seul gage...
LE BARON
Seigneur, moi et mes filles... mes filles et moi...
LE PRINCE
Vos filles seront heureuses, baron; je me charge de leur fortune. Je connais leur amour pour ce cavalier; j'ordonne que l'une d'elles l'épouse aujourd'hui même.
CLORINDE ET TISBÉ
Ô ciel !
LE BARON
Mais, seigneur...
LE PRINCE
Je le veux.
LE BARON
Oui, seigneur.
LE PRINCE
C'en est assez. Je me rends à l'assemblée det états; je vais lui communiquer mes résolutions; je vais déposer dans son sein tous mes vœux, toutes mes espérances... Cher Alidor, ne m'abandonnez pas.
LE BARON
Ah ! seigneur, le respect, la reconnaissance... Parlez; qu'ordonnez-vous ? que faut-il faire encore pour réparer ?
LE PRINCE
Laissez-moi.
LE BARON
Oui, seigneur.
Dandini, Le baron, Tisbé, Clorinde.
LE BARON
Eh bien ! mes filles, avez-vous entendu comme je lui ai parlé ?
DANDINI
Ah ! mesdemoiselles, je n'ai pas tout perdu, puisque je régne encore dans vos cœurs.
TISBÉ
Je ne veux pas me marier, mon père.
LE BARON
Comment ! vous ne voulez pas vous marier, mademoiselle ?
CLORINDE
Je ne veux prendre un époux qu'après ma sœur.
DANDINI
En voici bien d'un autre !
LE BARON
Allons ! allons ! elles se sont disputées hier à qui l'aurait, vous allez voir qu'elles se disputeront
aujourd'hui à qui ne l'aura pas.
CLORINDE
Et quel est-il pour oser aspirer ?
DANDINI
Le dernier de mes sujets.
TISBÉ
Qu'a-t-il à nous offrir ?
DANDINI
Une chaumière et mon cœur.
LE BARON
C'est cela même. Point de raisonnemens, mesdemoiselles, point d'explication, point de propos; arrangez-vous, tirez même au sort, si vous voulez, mais il faut qu'une de vous soit aujourd'hui sa femme.
(a Dandini)
Laissons-les un instant, pour qu'elles puissent se décider. Suivez-moi; soyez tranquille, vous serez mon gendre; c'est le roi qui le veut, et c'est moi qui l'ordonne.
Tisbé, Clorinde.
TISBÉ
Quelle humiliation !
CLORINDE
J'étouffe de dépit !
TISBÉ
On aura beau faire, je ne serai pas sa femme.
CLORINDE
Je jure bien qu'il ne sera jamais mon mari.
TISBÉ
Ah ! ma sœur, je ne me trompe pas, je crois que c'est Cendrillon.
CLORINDE
Cendrillon !... oui vraiment, c'est elle-même.
TISBÉ
Ah ! la malheureuse ! il ne manquait plus que sa présence pour achever de nous perdre.
Les mèmes, Cendrillon.
TISBÉ
Que venez-vous faire ici, mademoiselle ?
CLORINDE
Il faut que vous soyez bien osée, pour vous présenter à la cour dans un pareil état !
CENDRILLON
Écoutez donc ! j'ai veillé toute la nuit; ce matin, ne voyant venir personne, j'ai été dans une inquiétude !... je n'ai pu y résister, et je suis bien vite accourue pour avoir des nouvelles de tout ce qui m'intéresse.
TISBÉ
On se moque bien de votre intérêt !
CENDRILLON
Et puis j'ai entendu la proclamation.
TISBÉ
Quelle proclamation ?
CENDRILLON
N'a-t-on pas invité ce matin toutes les jeunes filles nobles à se rendre au palais ?
TISBÉ
Comment ! vous avez cru que cela vous regardait ?
CENDRILLON
Pourquoi donc pas ? je suis aussi noble que vous; vous n'êtes pas plus jeunes que moi...
CLORINDE
Voyez-vous quelle insolence ?... Comment ! vous osez vous flatter ?...
TISBÉ
La princesse Cendrillon !... cela serait trop plaisant.
CENDRILLON
Écoutez donc... on peut, comme une autre...
CLORINDE
Voulez-vous bien vous cacher !... si l'on vous voyait avec nous, que penserait-on ?
CENDRILLON
Soyez tranquilles. Je dirai que je suis votre servante, et je ne mentirai pas.
TISBÉ
(bas, à Clorinde)
Ah ! ma sœur, il me vient une excellente idée ! Le roi a demandé l'une de nous pour Dandini;
Cendrillon est notre sœur... ne pourrions-nous pas ?...
CLORINDE
À merveille ! je vous entends... il faut lui parler avec douceur.
CENDRILLON
(à part)
Ô ciel ! comment savoir où il est ?
CLORINDE
Cendrillon, tu serais donc bien aise d'avoir un mari ?
CENDRILLON
Cela dépend, mesdemoiselles... s'il me plaisait, je pourrais bien...
TISBÉ
Mais a-t-on idée...
CLORINDE
Te rappelles-tu t'écuyer du roi qui est venu hier à la maison ?
CENDRILLON
(à part)
Si je me le rappelle !
CLORINDE
Te plairait-il ?
CENDRILLON
Ah ! oui, beaucoup.
TISBÉ
Un moment ! pas de méprise. Ce n'est pas ce jeune homme qui est venu avec Alidor.
CENDRILLON
Ah bien ! c'est de celui-là que je parle, moi.
CLORINDE
Vraiment ! tu n'es pas difficile: c'était le roi.
CENDRILLON
(extrêmement surprise)
Comment ! c'était le roi ?
TISBÉ
Sans doute; il avait pris ce déguisement
CENDRILLON
C'était le roi !
(à part)
Ah ! malheureuse !...
CLORINDE
Oui, c'était le roi; que vous importe ? vous avez un air...
CENDRILLON
C'était le roi !... et de qui me parliez-vous donc ?
TISBÉ
Eh mais ! de l'homme qui passait pour lui, et qui nous a amenées dans son carrosse.
CENDRILLON
Quoi ! celui que vous aimiez tant ?
CLORINDE
L'impertinente !
CENDRILLON
Oh bien ! je n'en veux point. Je ne le trouvait pas beau quand il était roi, et depuis qu'il ne l'est plus, ça ne l'a pas embelli.
[Trio]
CLORINDE ET TISBÉ
Vous l'épouserez,
vous l'aimerez.
CENDRILLON
Non, je vous proteste,
car je le déteste.
CLORINDE ET TISBÉ
Ah ! comment sortir d'embarras ?
Que dites-vous, mademoiselle ?
sortez d'ici, fille rebelle !
CENDRILLON
Non, non, je ne sortirai pas.
CLORINDE ET TISBÉ
On veut la rendre heureuse,
on veut lui donner un époux;
elle fait la dédaigneuse !
CENDRILLON
Hélas ! je suis bien malheureuse.
Eh ! que ne le prenez-vous ?
CLORINDE ET TISBÉ
Comme elle est insolente !
Qu'elle est impertinente !
Vous l'épouserez,
vous l'aimerez.
CENDRILLON
Non, je vous proteste,
car je le déteste.
CLORINDE
Ah ! ma sœur quel embarras !
Sortez.
CENDRILLON
Je ne sortirai pas.
CLORINDE
Taisez-vous, fille rebelle !
TISBÉ
Mais le roi vient. Ah ! ma sœur, avec elle
ne nous montrons pas;
sortons, sortons : quel embarras !
CENDRILLON
(pleurant)
Ma destinée est affreuse !
Je suis pourtant bien malheureuse;
mais cette fois, je n'obéirai pas.
Cendrillon seul.
C'était le roi !... Ah ! mon dieu ! qu'ai-je fait ? pourquoi ai-je quitté ce precieux talisman ?... Et mes sœurs... comme elles me traitent !... moi qui les avais si bien accueillies... moi qui les aime !... J'ai tout fait pour obtenir leur amitié... Je les ai series sans qu'il me soit jamais échappé une plainte, un murmure; et elles me repoussent sans pitié !... Mon dieu ! je suis bien malheureuse !
Le prince, Cendrillon.
LE PRINCE
Que vois-je ? une jeune personne en pleurs !... Je ne me trompe pas: c'est cette petite Cendrillon, dont le sort m'a si vivement intéressé... Qui peut vous avoir fait de la peine, mon enfant ?
CENDRILLON
(à part)
C'est lui !...
(au prince, en s'efforçant de retenir ses larmes)
Ce n'est rien, monseigneur, ce n'est rien.
LE PRINCE
Malheur à l'audacieux qui oserait vous maltraiter ici !
CENDRILLON
(à part)
Ah ! mon dieu ! comme il est devenu beau depuis qu'il est roi ! est-ce qu'il aurait trouvé ma rose ?
LE PRINCE
Vous pleuriez quand je vous ai quittée, et je vous retrouve encore répandant des larmes.
CENDRILLON
C'est qu'on n'avait pas voulu me laisser aller à la fête... aussi, toute la nuit j'y ai rêvé.
LE PRINCE
Vous y avez rêvé ?
CENDRILLON
Oui, et si mon songe est vrai, il doit s'y être passé des choses bien extraordinaires.
LE PRINCE
Ah ! sans doute. Et qu'avez-vous vu dans votre rêve ?
CENDRILLON
Je vous ai vu d'abord; vous n'étiez pas encore roi, personne ne faisait attention à vous.
LE PRINCE
Personne ?...
CENDRILLON
À l'exception d'une dame qui est arrivée tout à coup avec des pages, des écuyers, des seigneurs...
LE PRINCE
Grands dieux ! se peut-il ? quoi ! vous avez rêvé...
CENDRILLON
Oui, j'ai rèvé tout cela. Vous aviez l'air de l'aimer un peu, celle dame.
LE PRINCE
Ah ! jamais elle ne sortira de mon souvenir... jamais amour ne fut plus tendre, plus ardent que
celui que je ressens pour elle.
CENDRILLON
(à part)
S'il savait que c'est la pauvre Cendrillon !
LE PRINCE
Mais pourquoi est-elle partie, pourquoi m'a-t-elle abandonné ?
CENDRILLON
Je vais vous le dire: c'est qu'elle ne voulait pas d'une couronne qu'elle ne croyait pas être la vôtre.
LE PRINCE
Est-il possible ? c'est la raison ?... Ah ! pourquoi ne me suis-je pas fait connaître !... Alidor ! vous
m'avez perdu !
(il semble anéanti.)
CENDRILLON
(allant le prendre par le bras)
Écoutez donc, tout ceci n'est qu'un songe, et il se pourrait bien...
LE PRINCE
N'importe ! tout ce qui me la rappelle... Où est elle ? de quel côté a-t-elle tourné ses pas ?
CENDRILLON
Elle est revenue.
LE PRINCE
Elle est revenue ?
CENDRILLON
Oui, elle est ici.
LE PRINCE
Elle est ici ! eh bien ! à son retour, que s'est-il passé ?
CENDRILLON
(vivement)
À son retour !... je me suis éveillée.
[Duo]
CENDRILLON
Vousl'aimiez donc avec tendresse ?
LE PRINCE
Oui, je l'aimais avec ivresse.
Je crois entendre ses accens;
ils étaient si doux, si touchans !
Ensemble
LE PRINCE
Mais quel charme m'entraîne !
J'éprouve en la voyant,
un plaisir, une peine,
un doux saisissement.
CENDRILLON
Mais quel charme m'entraîne !
j'éprouve en le voyant,
un plaisir, une peine,
un doux saisissement.
LE PRINCE
Ah ! quel plaisir ! ah ! quelle ivresse !
En ces lieux toujours je la voi.
CENDRILLON
Il ne pense qu'à la princesse;
mais il ne songe plus à moi.
LE PRINCE
Oui, je crois toujours l'entendre;
quelle voix aimable et tendre !
CENDRILLON
Ciel ! il croit toujours m'entendre;
que sa voix est aimable et tendre !
LE PRINCE
Quel enjouement !
Quel air charmant !
Quelle danse aimable et légère !
CENDRILLON
Hélas ! en ce moment,
c'est la princesse qu'il préfère,
et Cendrillon ne peut lui plaire.
Pour mon cœur, ah ! quel tourment !
Cendrillon, Le prince, Le baron, Clorinde, Tisbé, Alidor, Dandini.
ALIDOR
Prince, voici le moment de fixer votre choix; toute votre cour se rend en ces lieux, il faut vous décider.
Les mêmes, les Prêtres, les Ministres, les Jeunes filles, et les Gardes.
(deux femmes portent sur un riche coussin le petit soulier vert, et un diadème.)
[Morceau d'ensemble et marche]
CHŒUR
À l'instant que tout s'apprête
pour célébrer ce beau jour;
car c'est aujourd'hui la fête
de l'hymen et de l'amour.
LE PRINCE
Mais quel est donc ce mystère ?
Je ne puis le concevoir.
De trouver celle qui m'est chère,
il n'est donc plus d'espoir !
CENDRILLON
Mais quel est donc ce mystère ?
Je ne puis le concevoir.
Pauvre Cendrillon ! de lui plaire,
ah ! tu n'a plus d'espoir !
CLORINDE ET TISBÉ
Nous avons encore de l'espoir.
(Cendrillon veut se placer au milieu des femmes.)
CHŒUR DES FEMMES
Mais quelle est cette étrangère
qui se glisse parmi nous ?
Retirez-vous, retirez-vons.
CENDRILLON
(allant se réfugier auprès du baron et de ses sœurs)
Ô mes sœurs ! ô mon père !
LE BARON, CLORINDE ET TISBÉ
Cachez-vous, retirez-vous !
ALIDOR
(s'avançant)
Des destins arbitre suprême,
je proclame leur volonté.
Vous qui voulez le diadème,
jeunes filles, écoutez.
CENDRILLON ET LE PRINCE
Ô ciel ! mon trouble est extrême !
ALIDOR
Pour obtenir la main du roi,
il faut mériter cette rose.
CHŒUR
Écoutons ce qu'il propose.
CENDRILLON
(à part)
Ah ! dieu, que vois-je ? elle est à moi...
TOUTES LES FEMMES
Que faut-il pour avoir la rose ?
ALIDOR
À l'instant, pour la mériter,
il est une épreuve à tenter.
CHŒUR
Quelle épreuve faut-il tenter ?
Écoutons ce qu'il propose.
ALIDOR
Celle à qui peu taller un si joli soulier,
méritera la couronne et la rose.
CENDRILLON
(à part, et regardant le soulier vert qui lui reste)
Ô ciel ! c'est mon soulier.
ALIDOR
Approchez-vous pour l'essayer.
Approchez-vous.
TOUTES
Je n'ose.
CENDRILLON
Eh bien ! c'est moi qui mérite la rose.
TOUTES
Quoi ! le roi serait son époux ?
Cachez-vous, retirez-vous !
ALIDOR ET LE ROI
Mon enfant, approchez-vous.
TOUS
Quel espoir est le votre ?
CENDRILLON
Je veux essayer
ce joli soulier.
TOUS
Quel espoir est le votre?
CENDRILLON
Mais c'est le mien;
il m'ira bien,
car voilà l'autre.
(Elle met le soulier qui était sur le coussin.)
TOUS
Ô ciel !
ALIDOR
La rose est à vous.
(Au moment où elle met la rose sur son sein, toutes les femmes se gruppent devant elle; il se fait un changement à vue, et on l'aperçoit un trône. Cendrillon paraît vêtue comme au deuxième acte.)
LE PRINCE
Je tombe à vos genoux.
CHŒUR
À la plus belle offrons nos vœux;
que sa gloire soit immortelle !
Que nos cris montent jusqu'aux cieux !
Honneur, honneur à la plus belle !
La beauté seule enflamme les guerriers,
on triomphe toujours par elle.
Offrons nos cœurs et nos lauriers
à la plus belle.
(Pendant le chœur, Le prince conduit Cendrillon sur le trône, et lui pose la couronne sur la tête.)
CLORINDE ET TISBÉ
Dieu ! que vois-je ? Cendrillon !
CENDRILLON
Oui, c'est elle qui vous demande votre amitié, qui vous promet d'oublier tout, mais qui se rappellera toujours qu'elle est votre sœur.
LE BARON
L'aimable enfant !
LE PRINCE
Que tous les nuages se dissipent; ne songeons qu'à célébrer un si beau jour. Vertueux Alidor, que ne vous dois-je pas ?
ALIDOR
Mon fils, je n'ai jamais eu en vue que votre bonheur; pour qu'il fût bien assuré, il vous fallait une compagne douce, aimable, parée de toutes les grâces, de toute les vertus. Je l'ai trouvée; elle a été humble dans l'adversité, modeste dans les grandeurs; enfin, elle a triomphé de toutes les éprouves, vous n'avez plus rien à désirer.
CENDRILLON
(se jetant dans ses bras)
Ah ! mon père !
ALIDOR
Eh bien ! avais-je tort de vous dire:
«Ma chere enfant, soyez tranquille,
restez en paix dans cet asile:
vous avez un bon cœur, tout vous réussira;
le ciel vous recompensera.»
CHŒUR GÉNÉRAL
À l'instant que tout s'apprête
pour célébrer ce beau jour;
car c'est aujourd'hui la fête
de l'hymen et de l'amour.
Fin du livret.
Generazione pagina: 07/01/2017
Pagina: ridotto, rid
Versione H: 3.00.40
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