Acte premier

 
Au lever de la toile, Clorinde et Tisbé sont assises sur le devant du théâtre à gauche; l'une ajuste des

 Q 

dentelles à une robe de velours rouge, l'autre met une garniture de fleurs à une tunique bleue céleste.
Au coin du théâtre, à droite, on voit une cheminée devant laquelle Cendrillon est assise sur un petit
tabouret; elle est occupée à souffler le feu, et à préparer un déjeûner. Il doit y avoir une toilette à gauche du théâtre, et une glace avant la cheminée.
 

Scène première

Clorinde, Tisbé, Cendrillon.

Clorinde, Tisbé, Cendrillon

 
[Trio]

 N 

CLORINDE ET TISBÉ

Arrangeons ces fleurs, ces dentelles;    

ah! ma soeur, que nous serons belles !

ces robes nous iront au mieux;

nous allons fixer tous les yeux.

S

TISBÉ

Ma parure sera nouvelle.

CLORINDE

Dans la mienne l'or étincelle.

CLORINDE ET TISBÉ

Nous allons fixer tous les yeux.

CENDRILLON
(tisonnant toujours, chante)

Il était un p'tit homme

quis'app'lait Guilleri,

carabi.

Il allait à la chasse,

à la chasse aux perdrix,

carabi.

Tôt, tôt, carabo,

marchand caraban;

compère Guilleri,

te lairas-tu mouri ?

 

TISBÉ ET CLORINDE

Taisez-vous, Cendrillon;

petite impertinente !

Avec sa vieille chanson,

dieu ! qu'elle m'impatiente !

CENDRILLON

Te lairas-tu mouri ?

TISBÉ ET CLORINDE

Voulez-vous bien finir ?

 

CENDRILLON

Il monta sur un arbre

pour voir son chien couri,

carabi.

Mais v'là qu'la branche casse,

et Guilleri tombi,

carabi,

tôt, tôt, carabo,

marchand de caraban;

compère Guilleri,

te lairas-tu mouri ?

 

Scène seconde

Les mêmes, Alidor.

<- Alidor

 
Alidor paraît à la porte, déguisé en vieux mendiant. Il chante.
 

ALIDOR
(Le pauvre)

Ayez pitié de ma misère;  

transi de froid, mourant de faim,

je demande un morceau de pain.

Soyez sensible à ma prière;

la charité, s'il vous plaît.

CENDRILLON

Ah ! qu'il m'inspire d'intérêt !

Hélas ! de rien je ne dispose;

mes soeurs, donnez-lui quelque chose.

CLORINDE ET TISBÉ

Ici, nous sommes assaillis

par tous les pauvres du pays.

ALIDOR
(le pauvre)

Ayez pitié de ma misère.

Soyez sensible à ma prière:

la charité, s'il vous plaît.

CENDRILLON

Ah ! qu'il m'inspire d'intérêt!

CLORINDE ET TISBÉ

Comment ! encore ?... il insiste.

CENDRILLON

Que lui dire ?

CLORINDE ET TISBÉ

Dieu vous assiste.

Ah ! que le bal sera charmant !

Dieux ! que d'éclat, que de richesse !

 
(Cendrillon va à la porte où est le pauvre.)
 

ALIDOR
(le pauvre)

Chère enfant, voyez ma détresse.

CENDRILLON
(le faisant entrer)

Ah ! j'ai pitié de sa vieillesse.

Entrez, entrez... bien doucement.

CLORINDE

Ah ! oui, le bal sera charmant !

Le jeune roi doit y paraîtlre.

TISBÉ

Il nous remarquera peut-être.

CENDRILLON

Pauvre vieillard ! il est transi;

chauffez-vous, mettez-vous ici.

(Elle le fait asseoir sur sa petite chaise, et lui donne du café qui est devant le feu.)

Buvez cela, prenez ceci.

ALIDOR
(le pauvre)

Qu'elle est aimable !... ah ! grand merci !

CENDRILLON

(se met devant lui pour qu'on ne le voie pas)

Chut !

Il était un p'tit homme,

etc.

 
(Clorinde et Tisbé, se levant.)
 

CLORINDE

Ma robe est à ravir;

est-il de plus belles dentelles ?

TISBÉ

Est-il des fleurs aussi nouvelles ?

Ah ! ma soeur, que nous serons belles !

CENDRILLON

Te lairas-tu mourir ?

CLORINDE ET TISBÉ

Voulez-vous bien finir ?

Qu'elle m'impatiente !

CENDRILLON

Buvez, buvez; ah ! que je suis contente !

CLORINDE ET TISBÉ

Comment donc ! le pauvre est ici ?

CENDRILLON

Mon dieu ! c'est qu'il était transi:

partez, partez !

ALIDOR
(le pauvre)

Ah ! grand merci !

CLORINDE ET TISBÉ
(à Cendrillon)

Vous agissez toujours ainsi.

ALIDOR
(le pauvre)

Je pars: que la paix soit ici.

CLORINDE ET TISBÉ

Ô ciel ! quelle insolence!

Voyez quelle imprudence !

Bientôt on nous volera:

vous êtes détestable.

ALIDOR
(le pauvre)

Moi seul, je suis coupable.

CLORINDE ET TISBÉ

Voyez s'il s'en ira !

CENDRILLON

Pourquoi gronder ? il partira.

ALIDOR
(le pauvre)

Ma chère enfant, soyez tranquille;

restez en paix dans cet asile.

Vous avez un bon cœur, tout vous réussira,

le ciel vous récompensera.

(Il sort.)

Alidor ->

 

Scène troisième

Les mêmes, le baron de Montefiascone, en robe de chambre et en bonnet de velours.

<- Le baron

 

LE BARON

Quel est donc ce tapage que vous faites là depuis une heure ? vous m'avez réveillé dans le moment où je faisais le plus beau rêve... je parie que c'est encore Cendrillon !  

CLORINDE

Oui, mon père... c'est elle-même.

CENDRILLON

Monsieur, je vous jure...

LE BARON

Paix ! vous avez tort. Bonjour, Clorinde.

CENDRILLON

Mais vous ne savez pas...

LE BARON

Vous avez tort, vous dis-je. Bonjour, Tisbé... Vous voilà éveillées de bon matin, mes enfans... Ah ! ah ! je ne m'en étonne pas; la veille d'un bal, les filles ne dorment guère... les menuets, les rondes, les sarabandes, tout cela leur trotte dans la tête... Cendrillon, donne-nous à déjeüner.

CENDRILLON

Oui, monsieur.

 
(Cendrillon apporte des tasses, du café, et met la table.)
 

CLORINDE

Mon père, ma robe sera charmante.

TISBÉ

La mienne sera délicieuse.

CLORINDE

J'ai de superbes dentelles.

TISBÉ

J'ai des perles magnifiques.

LE BARON

Tout cela me coûte bien cher, mes enfans; mais n'importe, il n'est rien que je ne sacrifie pour vous faire paraître, pour soutenir l'honneur de votre haute naissance... Je vous ai donné une brillante éducation; je vous ai donné des talens, parce que, voyez-vous, les talens sont tout... il n'y a que les talens... je le sais bien, moi; toute ma vie j'ai été un ignorant; aussi me suis-je ruiné pour vous faire apprendre quelque chose... Dépêche-toi donc, Cendrillon.

CENDRILLON

Oui, monsieur.

 
(Cendrillon met la table contre la cheminée.)
 

CLORINDE

Comment ! mon père, vous êtes ruiné ?

LE BARON

Pas encore tou-à-fait;

(ils se mettent à table, à l'exception de Cendrillon)

mais peu s'en faut... au reste, si je ne suis plus riche, je suis toujours noble, et c'est l'essentiel.

(à Cendrillon)

Allons, verse.

CLORINDE

Oh ! la maladroite !

TISBÉ

Faites donc attention à ce que vous faites.

CENDRILLON

Aussi vous me pressez tant !...

LE BARON

Comment ! c'est là tout le déjeuné ?

CENDRILLON

Oui, monsieur; c'est que je...

CLORINDE

Je m'en vais vous le dire, mon père.

TISBÉ

Elle a donné le reste à un vieux mendiant qu'elle a fait entrer ici malgré nous,

CLORINDE

C'est pour cela que nous la querellions lorsque vous êtes entré.

LE BARON

Mânes de mes aïeux ! un mendiant dans mon château !

CLORINDE

Tous les jours, elle accueille ici une foule de vagabonds...

CENDRILLON

C'est qu'il y a tant de malheureux !

TISBÉ

Ces misérables-là ont tous une histoire lamentable qu'ils racontent à tout propos, et elle en est

sottement la dupe.

CLORINDE

L'autre jour, je l'ai encore surprise portant à la vieille concierge la moitié de notre dîner.

CENDRILLON

Elle est si pauvre ! si infirme !...

LE BARON

Apprenez, mademoiselle, que vous n'avez pas le droit de donner la moindre chose ici... Pour votre punition, vous n'aurez rien.

CLORINDE ET TISBÉ

Non, vous n'aurez rien.

LE BARON

Allons, retournez au coin du feu.

CENDRILLON

Ça m'est égal...

(en retournant dans son coin)

le bon vieillard a déjeûné, je mangerai mon pain sec.

(Elle s'assied auprès du feu, et mange une croûte.)

CLORINDE

Mon père, n'avez-vous pas entendu ce matin le bruit du cor ? on dit que le roi chasse dans la forêt.

LE BARON

Voila bien un jeune prince ! arrivé d'hier, il chasse aujourd'hui, donne un bal ce soir, et se marie demain.

TISBÉ

Il se marie demain ?

 
(Ici on se lève de table.)
 

LE BARON

Oui, mes enfans. Son père lui a ordonné, par un article formel de son testament, de prendre une femme dans un mois, et c'est aujourd'hui le terme fatal; voilà pourquoi il réunit ce soir, dans une fête, toutes les jeunes filles nobles de sa principauté.

CLORINDE

C'est donc pour cela que nous sommes invitées ?

LE BARON

Certainement.

TISBÉ

Dites-moi, le roi est-il beau ?

LE BARON

Cela se demande-t-il ?

TISBÉ

Vous l'avez donc vu ?

LE BARON

Non.

CLORINDE

A-t-il de l'esprit ?

LE BARON

Cela va sans dire.

CLORINDE

Vous le connaissez donc ?

LE BARON

Non, mais je sais qu'il a été élevé par le sage Alidor.

TISBÉ

Qu'est-ce que c'est que le sage Alidor ?

LE BARON

C'est un savant, c'est un homme dont on raconte des choses fort extraordinaires; il sait toutes les langues, il lit dans les astres; on dit même qu'il est en intelligence avec des génies. Je ne le connais pas non plus: dés l'âge de neuf ans, le jeune prince fut confié à ses soins; il l'a d'abord conduit à Padoue, pour y faire ses premières études; depuis ce temps, ils ont constamment voyagé, et ce n'est que lorsqu'ils ont appris la mort du dernier roi, qu'ils sont revenus à la cour.

CLORINDE

Comment ! mon père, il faut que te prince se marie demain ?

LE BARON

Il le faut, et j'espère bien que l'une de vous fixera son choix.

CLORINDE

Oui, en effet, ma sœur pourrait bien lui praire.

TISBÉ

Pas plus que vous, ma soeur.

LE BARON

Eh ! qui pourrait vous disputer sa main ? qui mieux que vous, mes filles, a tout ce qu'il faut pour rendre un mari heureux ? est-il une femme qui danse, qui chante aussi bien que vous ?

CLORINDE

Ah ! mon père...

TISBÉ

Mais cette alliance...

LE BARON

Est très-sortable... Je suis aussi noble que le roi, si je ne le suis pas davantage; hier encore, je me suis endormi en lisant mes parchemins, et j'y ai vu très-clairement que nous avions eu dans notre famille des princes on ne peut pas plus illustres; car nous descendons en droite ligne de Charles-le-Simple, par les hommes, et de Frédéric-le-Cruel par les femmes, et nous n'avons pas dégénéré, mes enfans.

(On entend un bruit de cor.)

Qu'entends-je?

CENDRILLON

(regardant à la porte du fond)

Ah ! mon dieu ! qu'est-ce que c'est que cela ?

CLORINDE

C'est peut-être le roi qui passe ?

CENDRILLON

C'est une troupe de beaux messieurs à cheval; ils viennent ici.

LE BARON

Ils viennent ici ?...

CLORINDE

Ah ! ciel ! moi qui suis dans un négligé à faire peur !

TISBÉ

Ah ! dieu ! si l'on me voyait habillée de la sorte !

LE BARON

Et moi donc ! qui suis en robe de chambre et en bonnet de nuit !... Cendrillon !...

CENDRILLON

Monsieur ?

CLORINDE ET TISBÉ

Cendrillon!...

CENDRILLON

Ma soeur ?... mamselle ?...

CLORINDE

(en s'en allant)

Tu vas venir me lacer.

CENDRILLON

Oui, mamselle.

TISBÉ

(en sortant)

Tu vas m'apporter mes bouffantes.

CENDRILLON

Oui, mamselle.

LE BARON

(en s'en allant)

N'oublie pas ma perruque.

CENDRILLON

Non, monsieur.

 

Le baron, Clorinde, Tisbé ->

 

Scène quatrième

Cendrillon, seule.

 

 

En vérité, on ne sait auquel entendre... Ah ! mon dieu ! mon dieu ! si on allait trouver la chambre comme cela ! dépêchons-nous d'ôter la table... On entre ici, cachons-nous.  

 

Scène cinquième

Alidor, Cendrillon, Le prince.

<- Alidor, Le prince

 

ALIDOR
(bas au prince)

Prince, vous l'avez désiré, nous voilà dans le château du baron.  

LE PRINCE

Qu'il me tarde de voir ses filles ! on dit qu'elles sont charmantes.

ALIDOR

Vous les verrez.

LE PRINCE

Eh ! quelle est cette petite ?

ALIDOR

C'est la plus jeune des trois sœurs.

LE PRINCE

Approchez-vous, la belle enfant.

CENDRILLON

Non, monsieur, je m'en vas.

ALIDOR

Est-ce que nous vous faisons peur ?

CENDRILLON

Oh ! non; mais c'est que mesdemoiselles m'attendent.

LE PRINCE

Vous n'êtes donc pas une des filles de la maison ?

CENDRILLON

Non, monsieur; je l'étais, mais je ne la suis plus.

ALIDOR

Vous ne l'êtes plus ?

LE PRINCE

Eh ! comment cela se peut-il ?

CENDRILLON

C'est que, voyez-vous, M. le baron a eu deux filles d'un premier mariage; il a épousé en secondes noces ma mère, qui était veuve, et dont j'étais l'unique enfant. Ah ! mon dieu, je crois que je

m'embrouille.

ALIDOR

Point du tout; cela est fort bien.

LE PRINCE

Ensuite ?

CENDRILLON

Hélas ! j'avais à peine sept ans, que ma pauvre mère mourut, et je suis restée orpheline avec deux sœurs et un beau-pére.

LE PRINCE
(à part)

Pauvre enfant !

ALIDOR

Et vos sœurs ?

CENDRILLON

Mes sœurs ? oh ! c'est bien différent !... ce sont deux grandes dames; elles ont des diamans, de beaux habits, de belles parures; et puis... elles ont des talens...

LE PRINCE

Et vous ?

CENDRILLON

Oh ! moi, on n'en parle pas.

 
[Romance]

 N 

CENDRILLON

Je suis modeste et soumise;    

le monde me voit fort peu,

car je suis toujours assise

dans un petit coin du feu:

cette place n'est pas belle,

mais pour moi tout parait bon:

voilà pourquoi l'on m'appelle

la petite Cendrillon.

Mes sœurs, des soins du ménage,

ne s'occupent pas du tout.

C'est moi qui fais tout l'ouvrage,

et pourtant j'en viens à bout.

Attentive, obéissante,

je sers toute la maison,

et je suis votre servante,

la petite Cendrillon.

S

Sfondo schermo () ()

 
(On entend la voix du père et des soeurs qui appellent Cendrillon.)
 

CENDRILLON

On y va !

LE PRINCE

Continuez.

 

CENDRILLON

C'est en vain que je m'empresse;

mon zèle est bien mal payé,

et jamais on ne m'adresse

un petit mot d'amitié.

Mais n'importe, on a beau faire,

je me tais, et j'ai raison.

Dieu protégera, j'espère,

la petite Cendrillon.

 

LE BARON, CLORINDE ET TISBÉ

(continuant d'appeler)  

Allons donc, Cendrillon !

CENDRILLON

Oui... eh ! mon dieu, on m'appelle encore ! je vais être grondée.

ALIDOR

Allez, allez, ma chère enfant.

LE PRINCE

Si l'on vous dit quelque chose, je prendrai votre défense.

CENDRILLON
(faisant la révérence)

Monsieur est bien bon.

(à part, en sortant.)

Il est gentil, ce jeune seigneur-là.

 

Cendrillon ->

 

Scène sixième

Alidor, Le prince.

 

LE PRINCE

Elle est charmante; se pourrait-il que ses deux sœurs, dont on vante partout les grâces...  

ALIDOR

Mon fils, le monde ne juge que sur les apparences: le langage naïf de cette enfant ne serait jamais parvenu jusqu'à vous, sans le déguisement que je vous ai fait prendre en arrivant dans cette cour. Confondu dans la foule, que de choses vous découvrirez encore ! Ah ! mon prince, croyez-moi, vous en saurez plus par ces deux jours d'épreuve, que quinze années de mes leçons ne vous en ont appris. J'ai fait à dessein passer pour vous votre sénéchal Dandini, le plus maniéré, le plus sot des hommes de votre suite.

LE PRINCE

Mais croyez-vous qu'il puisse soutenir le personnage difficile dont vous l'avez chargé ? il est si simple, si ridicule; il a si peu d'usage...

ALIDOR

Il n'en est pas moins comblé de louanges. Apprenez, par les flatteries qu'on lui prodigue, le cas que vous devez faire un jour de celles dont on cherchera à vous enivrer. Un seigneur plus accompli n'aurait pas atteint mon but; il me fallait un homme de cette espèce pour l'épreuve que je veux faire: vous le voyez, déjà les savans vantent sa science; les hommes du monde admirent ses manières; les femmes le trouvent adorable.

LE PRINCE

Les femmes !... quelle idée mon père a-t-il eue de me fixer un si court délai pour en choisir une ?... Fatale situation ! a peine arrivé, j'apprends hier qu'il faut que je sois marié demain. Ô mon cher maître ! dites-moi donc où je pourrai trouver une femme bonne, douce, modeste, vertueuse; qui ne soit ni vaine, ni coquette, ni dissimulée ?...

ALIDOR

Prince, vous êtes exigeant.

LE PRINCE

Eh quoi ! votre profond savoir, votre puissance magique...

ALIDOR

Mon fils, il est plus aisé de lire dans les astres que dans le cœur des femmes: on ne peut faire, à cet égard, que des épreuves morales. Ce soir, sous l'habit d'un simple écuyer, vous verrez réunies toutes les belles de vos états... Cherchez à plaire; si vous réussissez, vous serez du moins certain d'être aimé pour vous-même.

LE PRINCE

Ô mon père ! je mets toute ma confiance en vous.

 
[Duo]

 N 

ALIDOR

Mon fils, que ce momentest doux !    

Vousn'avez pas un ami plus sincère.

S

LE PRINCE

Je crois toujours, auprès de vous,

que je n'ai pas perdu mon père.

ALIDOR

Ah ! je vous aime comme un père.

Mon fils, que ce moment est doux !

Puisse une femme accomplie,

faire le charme de vos jours !

Puisse une épouse chérie,

en embellir long-temps le cours !

LE PRINCE

Je conserverai dans mon âme

le souvenir de vos bienfaits.

Il est un bien que je réclame,

près de moi restez à jamais.

ALIDOR

Je ne vous quitterai jamais.

LE PRINCE

Promettez-moi de guider ma jeunesse.

ALIDOR

Oui, je vous en fais la promesse.

Mon fils que ce moment est doux !

Vous n'avez pas un ami plus sincère.

LE PRINCE

Je crois toujours, auprès de vous,

que je n'ai pas perdu mon père.

ALIDOR

Oui, je vous aime comme un père.

LE PRINCE

Vous qui lisez dans le fond de mon cœur,

ô dieu puissant ! écoutez ma prière !

Conservez-le pour mon bonheur.

Ensemble

ALIDOR

Vous qui lisez dans le fond de mon cœur,

ô dieu puissant ! écoutez ma prière !

Conservez-moi pour son bonheur.

 

ALIDOR

Mais j'entends le baron et ses deux filles qui s'avancent; prenez garde de vous trahir.  

 

Scène septième

Le prince, Alidor, Le baron, en vieil habit de cour, Clorinde, Tisbé.

<- Le baron, Clorinde, Tisbé

 

ALIDOR

Est-ce à monsieur le baron de Montefiascone que nous avons l'honneur ?...  

LE BARON

Oui, messieurs; puis-je savoir qui vous êtes ?

ALIDOR

Je me nomme Alidor.

LE BARON

Alidor ! quoi ! vous seriez ce sage, ce savant... cet homme illustre... dont les talens, les lumieres...

les... J'ai l'honneur de vous présenter mes filles... comment les trouvez-vous ?

ALIDOR

Elles sont mises à merveille.

LE BARON

Ah ! ah ! c'est que le goût est héréditaire dans notre famille.

LE PRINCE
(à part)

On s'en aperçoit.

LE BARON
(à Alidor)

Que je suis ravi de voir l'homme qui a fait de notre jeune roi le prince le plus accompli ! Monsieur

est sans doute l'un des premiers seigneurs de sa cour ?

ALIDOR

C'est un écuyer.

LE BARON
(avec un ton familier)

Bonjour, mon ami.

CLORINDE

(qui le regardait, se retournant avec dédain)

Oh! ce n'est qu'un écuyer... je m'en étais doutée; il a un air commun !...

LE BARON

Homme vénérable ! m'apprendrez-vous ce qui me procure l'avantage...

ALIDOR

Vous allez le savoir. Le roi chasse dans la forêt; ayant entendu parler de vos filles, il a désiré les connaître.

LE BARON

Certes, c'est beaucoup d'honneur...

(a ses filles.)

Entendez-vous ?

ALIDOR

Son intention est de s'arrêter ici à son retour, et d'offrir à ces dames une place dans son carrosse,

afin de les conduire à la fête qu'il donne ce soir à toute sa cour.

LE BARON

Comment ! le roi viendrait...

ALIDOR

Oui, vous dis-je.

LE BARON

Il viendrait lui même ?

TISBÉ

Entends-tu, ma sœur, dans le carrosse du roi ?

CLORINDE

Ah ! je ne me sens pas de joie.

ALIDOR

J'ai cru devoir vous prévenir de cet insigne honneur, et je me suis écarté de la chasse pour vous l'annoncer.

LE BARON

Que d'obligation !

ALIDOR

Maintenant, nous allons rejoindre son altesse.

LE BARON

Je vous accompagnerai, si vous le permettez. J'irai moi-même recevoir le prince sur les limites de mon territoire.

ALIDOR

Ne vous donnez pas tant de peine, n'allez pas si loin.

LE BARON

Oh ! ce n'est qu'à deux pas d'ici; mais ne perdons pas de temps, je sais ce que prescrivent l'étiquette et le cérémonial.

ALIDOR

Je vous guiderai, si vous le permettez.

LE BARON

Je vais vous suivre.

(a Clorinde et à Tisbé.)

Entendez-vous, mes filles ? le roi lui-même !

LE PRINCE
(à part)

Qu'ai-je entendu ? comme on m'avait trompé !

 
(Au moment où le prince va pour sortir, Le baron passe devant lui sans cérémonie.)

Alidor, Le prince, Le baron ->

 
 

Scène huitième

Clorinde, Tisbé.

 
[Duo]

 N 

CLORINDE ET TISBÉ

Ah ! quel plaisir ! ah ! quel beau jour !  

Nous allons paraître à la cour.

Ah ! ma sœur, pour nous quelle gloire !

Est-il un triomphe plus doux ?

Tout nous assure la victoire;

qui pourrait l'emporter sur nous ?

Ah ! ma sœur, embrassons-nous.

 

CLORINDE

Vous brillez par toutes les grâces.

TISBÉ

Les plaisirs volent sur vos traces.

CLORINDE

Tout doit obéir à vos lois.

TISBÉ

Vous captiveriez tous les rois.

CLORINDE

Votre tournure est élégante.

TISBÉ

Votre démarche est imposante.

 

CLORINDE ET TISBÉ

Oui, tout doit fléchir sous vos lois.

Ah ! ma sœur, pour nous quelle gloire !

Est-il un triomphe plus doux ?

Tout nous assure la victoire;

qui pourrait l'emporter sur nous ?

Ah ! ma sœur, embrassons-nous.

 

CLORINDE

Pour lui plaire,

je chanterai.

TISBÉ

Et moi, ma chère,

je danserai.

CLORINDE

De ma voix je suis contente.

TISBÉ

Ma danse sera charmante.

 

CLORINDE ET TISBÉ

Ah ! quel plaisir ! ah ! quel beau jour !

Nous allons paraître à la cour.

Ah ! ma sœur, pour nous quelle gloire !

Est-il un triomphe plus doux ?

Tout nous assure la victoire;

qui pourrait l'emporter sur nous ?

Ah ! ma sœur, embrassons-nous.

 

TISBÉ

Ah ! mon dieu ! je me suis habillée si vite !... j'ai oublié de mettre tous mes diamans.  

CLORINDE

Moi, j'ai eu à peine le temps de me coiffer...

(appelant)

Cendrillon !...

TISBÉ

(appelant aussi)

Cendrillon !...

(à Clorinde)

ah ! ma sœur, nous verrons le roi.

CLORINDE

Il nous donnera la main.

TISBÉ

Comme on va nous regarder ! quel honneur !

CLORINDE

Comme toutes les femmes seront furieuses ! quel plaisir !

TISBÉ

(appelant encore)

Cendrillon !

 

Scène neuvième

Les mêmes, Cendrillon.

<- Cendrillon

 

CENDRILLON

Me voici !  

TISBÉ

Allons, vite, arrangez mes cheveux, posez mes diamans.

CLORINDE

Serrez-moi ma ceinture.

CENDRILLON

Par qui faut-il que je commence ?

CLORINDE ET TISBÉ

C'est par moi.

CENDRILLON

Écoutez donc; je suis toute seule; je ne puis vous servir que l'une après l'autre.

TISBÉ

Aurez-vous bientôt fini ?

CLORINDE

Mais laissez-lui donc le temps.

CENDRILLON

Ah ! que vous êtes heureuses d'aller au bal !

CLORINDE

Tu ne sais pas tout ? le roi vient nous chercher.

CENDRILLON

Le roi !

TISBÉ

Oui, ma chère, le roi.

CLORINDE

Tu serais bien aise de venir, n'est-ce pas ?

CENDRILLON

Oh ! oui, j'aurais bien du plaisir à voir tout ce beau monde-là.

TISBÉ

En effet, tu ferais là une jolie figure !

CENDRILLON

Pourquoi donc pas ! est-ce parce que j'ai de vilains habits ? Eh bien ! ma sœur, prêtez-moi seulement la robe jaune que vous mettez tous les jours, laissez-moi vous suivre; je ne dirai à personne que je vous connais; je me mettrai dans un petit coin où l'on ne me verra pas: si vous l'exigez même, je me tiendrai derrière la porte, et je regarderai par le trou de la serrure.

CLORINDE

Tu me fais pitié !

TISBÉ

Vous êtes bien bonne de l'écouter.

 
(on entend une chasse)
 

CLORINDE

Voici le roi.

CENDRILLON

Ô mon dieu ! que de monde !

TISBÉ

Allons, allons, retournez au près du feu, et ne vous montrez pas.

 

Scène dixième

Le prince, Alidor, Dandini, Le baron, Clorinde, Tisbé, Suite.

<- Le prince, Alidor, Dandini, Le baron, suite

 

CHŒUR

Oh ! la belle journée !  

Toujours nouveau plaisir.

La chasse est terminée,

et le bal va s'ouvrir.

Que chacun applaudisse

au meilleur de nos rois;

que l'écho retentisse

du bruit de ses exploits !

 

DANDINI

Je suis content de ma chasse... Vous dites donc que c'est moi qui ai tué la bête ?  

UN CHASSEUR

Oui, monseigneur.

DANDINI

Oh bien, le diable m'emporte si je m'en doutais.

ALIDOR
(bas, au prince)

Je n'en suis pas surpris; c'est vous.

DANDINI

Je puis même vous dire une chose entre nous; c'est que je crois que je n'ai pas tiré.

UN CHASSEUR

Je puis protester a votre altesse que c'est elle même.

DANDINI

Allons, puisque vous le voulez, il faut bien que cela soit... mais laissons la chasse, et occupons nous

des nymphes de ces bois. Baron, le sort, m'a-t-on dit, vous a fait père de deux filles charmantes !

LE BARON

Elles sont devant vous, seigneur.

 
(Clorinde et Tisbé font une grande révérence)
 

DANDINI

Je vous en fais mon compliment. Voilà, parbleu ! deux filles de fort bonne mine.

LE BARON

Seigneur, elles sont fort honorées que par l'événement de la circonstance... de l'occasion qui fait

qu'elles...

DANDINI

C'est bon: je devine ce que vous voulez dire.

 
(Il passe entre Clorinde et Tisbé.)
 

CLORINDE
(à part)

Qu'il est aimable!

TISBÉ
(à part)

Comme il a l'air distingué !

DANDINI

Mes belles demoiselles, depuis long-temps, c'est-à-dire, depuis hier, car je ne fais que d'arriver, la renommée m'avait entretenu de vos charmes. Je me suis mis en route sur-le-champ, par le temps le plus rigoureux; et si j'ai supporté le froid, c'est que je brûlais du désir de vous voir.

CLORINDE

Qu'il a d'esprit !

TISBÉ

Comme il parle bien !

LE BARON
(à Alidor)

Sage Alidor, je vous félicite; voilà un élève qui vous fait honneur. Comme vous devez jouir, en

admirant votre ouvrage !

DANDINI

Permettez-moi, belles dames, de vous offrir le produit de ma chasse. (à deux piqueurs) Mon

carrosse.

 
[Finale]

 N 

DANDINI

Partez, que tout s'apprête.  

Mesdames, vous serez l'ornement de la fête.

CENDRILLON

Ô ciel ! excepté moi, tous partent pour la fête.

LE BARON

Tu resteras,

tu garderas,

CENDRILLON

Ah ! de loin, laissez-moi vous suivre.

LE BARON, TISBÉ ET CLORINDE

Non, non, non, non, tu resteras,

tu garderas.

ALIDOR

De sa présence on se délivre.

CENDRILLON

Ce bois est rempli de voleurs.

ALIDOR

La pauvre enfant est tout en pleurs.

TOUS
(excepté Cendrillon)

Allons que tout s'apprête,

partons tous pour la fête.

CENDRILLON

Ô ciel ! excepté moi, tous partent pour la fête.

LE BARON, TISBÉ ET CLORINDE

Vous resterez.

ALIDOR
(bas, à Cendrillon)

Vous y viendrez.

CENDRILLON

Que dites-vous ?

ALIDOR

Vous y viendrez.

 

CHŒUR GÉNÉRAL

Ah ! l'heureuse journée !

Toujours nouveau plaisir.

La chasse est terminée

et le bal va s'ouvrir.

 
(Ils partent.)

Dandini, Le baron, Tisbé, Clorinde, Alidor, Le prince, suite ->

 

Scène onzième

Cendrillon, seule.

 

CENDRILLON

Vous y viendrez... m'a dit ce sage;  

ah ! c'est peut-être un badinage.

(Allant à la fenêtre.)

Hélas ! ils sont déjà bien loin;

retournons dans mon petit coin.

 
(On entend Alidor chanter dans l'éloignement.).

ALIDOR

Ma chère enfant, soyez tranquille,

restez en paix dans votre asile.

Vous avez un bon cœur, tout vous réussira;

le ciel vous récompensera.

CENDRILLON

Comment ! le pauvre est encor là !

 
(Elle s'endort.)
 

Fin (Acte premier)

Acte premier Acte second Acte troisième

Le vieux castel du baron de Montefiascone

Clorinde, Tisbé, Cendrillon
 

[Trio]

Clorinde, Tisbé, Cendrillon
Arrangeons ces fleurs, ces dentelles
Clorinde, Tisbé, Cendrillon
<- Alidor
Alidor, Clorinde, Tisbé, Cendrillon
Ayez pitié de ma misère
Clorinde, Tisbé, Cendrillon
Alidor ->
Clorinde, Tisbé, Cendrillon
<- Le baron

Quel est donc ce tapage que vous faite là

Cendrillon
Le baron, Clorinde, Tisbé ->

En vérité, on ne sait auquel entendre

Cendrillon
<- Alidor, Le prince

Prince, vous l'avez désiré

[Romance]

 

Allons donc, Cendrillon !

Alidor, Le prince
Cendrillon ->

Elle est charmante

[Duo]

Mais j'entends le baron et ses deux filles

Alidor, Le prince
<- Le baron, Clorinde, Tisbé

Est-ce à monsieur le baron de Montefiascone

Clorinde, Tisbé
Alidor, Le prince, Le baron ->

[Duo]

Ah ! mon dieu ! je me suis habillée si vite !...

Clorinde, Tisbé
<- Cendrillon

Me voici ! / Allons, vite

Clorinde, Tisbé, Cendrillon
<- Le prince, Alidor, Dandini, Le baron, suite

Je suis content de ma chasse...

[Finale]

Dandini, Le baron, Cendrillon, Tisbé, Clorinde, Alidor, Le prince, Chœur
Partez, que tout s'apprête.
Cendrillon
Dandini, Le baron, Tisbé, Clorinde, Alidor, Le prince, suite ->
 
Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième
Le vieux castel du baron de Montefiascone Le palais du prince. Le théâtre représente un salon magnifiquement décoré pour une fête; à droite du théâtre... Même décoration qu'au deuxième acte.
[Trio] [Romance] [Duo] [Duo] [Finale] [Air] [Duo] [Romance] [Duo] [Finale] [Air] [Trio] [Duo] [Morceau d'ensemble et marche]
Acte second Acte troisième

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