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Premier tableau. | |
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I. Scène première |
Le cabinet du Roi. Philippe, plongé dans une méditation profonde, est appuyé sur une table couverte de papiers, où des flambeaux achèvent de se consumer. Le jour commence à éclairer les vitraux des fenêtres. Philippe. |
Q
Philippe
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[Scène et cantabile] | N
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(comme en un rêve)
Elle ne m'aime pas ! non !
Son cœur m'est fermé,
elle ne m'a jamais aimé !
Je la revois encor,
regardant en silence
mes cheveux blancs,
le jour qu'elle arriva de France.
Non, elle ne m'aime pas !
Elle ne m'aime pas !
(Revenant à lui-même.)
Où suis-je ? Ces flambeaux
sont consumés... L'aurore argente ces vitraux,
voici le jour ! Hélas ! Le sommeil salutaire,
le doux sommeil a fui pour jamais ma paupière !
Je dormirai dans mon manteau royal,
quand aura lui pour moi l'heure dernière,
je dormirai sous les voûtes de pierre
des caveaux de l'Escurial !
Si la royauté nous donnait le pouvoir
de lire au fond des cœurs où dieu seul peut tout voir !
Si le roi dort, la trahison se trame,
on lui ravit sa couronne et sa femme !
Je dormirai dans mon manteau royal, etc.
Ah ! Si la royauté nous donnait le pouvoir
de lire au fond des cœurs !
Elle ne m'aime pas ! non ! son cœur m'est fermé,
elle ne m'aime pas !
(Il retombe dans sa rêverie.)
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I. Scène deuxième |
Philippe, Le comte de Lerme, L'inquisiteur. |
<- Le comte de Lerme, L'inquisiteur, Dominicains
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LE COMTE DE LERME |
(entrant)
Le Grand Inquisiteur !
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| (Lerme sort. Le Grand Inquisiteur, aveugle, 90 ans, entrant appuyé sur deux Dominicains) | Le comte de Lerme ->
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L'INQUISITEUR |
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PHILIPPE |
Oui, j'ai recours à vous, mon père, éclairez-moi.
L'infant remplit mon cœur d'une tristesse amère,
l'infant est un rebelle armé contre son père.
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L'INQUISITEUR |
Qu'avez-vous décidé contre lui ?
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PHILIPPE |
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L'INQUISITEUR |
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PHILIPPE |
Qu'il fuie... ou que le glaive...
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L'INQUISITEUR |
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PHILIPPE |
Si je frappe l'infant, ta main m'absoudrait-elle ?
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L'INQUISITEUR |
La paix du monde vaut le sang d'un fils rebelle.
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PHILIPPE |
Puis-je immoler mon fils au monde, moi chrétien ?
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L'INQUISITEUR |
Dieu, pour nous sauver tous, sacrifia le sien.
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PHILIPPE |
Peux-tu fonder partout une foi si sévère ?
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L'INQUISITEUR |
Partout où le chrétien suit la foi du Calvaire.
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PHILIPPE |
La nature et le sang se tairont-ils en moi ?
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L'INQUISITEUR |
Tout s'incline et se tait lorsque parle la foi !
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PHILIPPE |
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L'INQUISITEUR |
Philippe deux n'a plus rien à me dire ?
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PHILIPPE |
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L'INQUISITEUR |
C'est donc moi qui vous parlerai, sire !
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Dans ce beau pays, pur d'hérétique levain,
un homme ose saper l'édifice divin.
Il est l'ami du roi, son confident intime,
le démon tentateur qui le pousse à l'abîme,
les desseins criminels dont vous chargez l'infant
ne sont auprès des siens que les jeux d'un enfant;
et moi, l'inquisiteur, moi, pendant que je lève
sur d'obscurs criminels la main qui tient le glaive,
pour les puissants du monde abjurant mon courroux,
je laisse vivre en paix ce grand coupable... et vous !
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PHILIPPE |
Pour traverser les jours d'épreuves où nous sommes,
j'ai cherché dans ma cour, ce vaste désert d'hommes,
un homme, un ami sûr... Je l'ai trouvé !
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L'INQUISITEUR |
Pourquoi
un homme ? Et de quel droit vous nommez-vous le roi,
sire, si vous avez des égaux ?
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PHILIPPE |
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L'INQUISITEUR |
L'esprit des novateurs chez vous déjà pénètre !
Vous voulez secouer de votre faible main
le saint joug étendu sur l'univers romain !
Rentrez dans le devoir ! l'église en bonne mère,
peut encore accueillir un repentir sincère.
Livrez-nous le marquis de Posa !
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PHILIPPE |
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L'INQUISITEUR |
O roi, si je n'étais ici, dans ce palais
aujourd'hui: par le dieu vivant, demain vous-même,
vous seriez devant nous au tribunal suprême !
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PHILIPPE |
Prêtre ! J'ai trop souffert ton orgueil criminel !
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L'INQUISITEUR |
Pourquoi l'évoquiez-vous, l'ombre de Samuel ?
J'avais donné deux rois à ce puissant empire,
l'oeuvre de tous mes jours, vous voulez la détruire...
Que viens-je faire ici ? De moi que voulez-vous ?
(Il va pour sortir.)
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PHILIPPE |
Mon père, que la paix redescende entre nous.
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L'INQUISITEUR |
(en s'éloignant toujours)
La paix ?
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PHILIPPE |
Que le passé soit oublié !
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L'INQUISITEUR |
(sur la porte en sortant)
Peut-être !
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PHILIPPE |
L'orgueil du roi fléchit devant l'orgueil du prêtre !
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| L'inquisiteur, Dominicains ->
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I. Scène troisième |
Philippe, Élisabeth. |
<- Élisabeth
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[Scène et Quatuor] | N
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ÉLISABETH |
(entrant, et se jetant aux pieds du roi)
Justice ! sire ! J'ai foi
dans la loyauté du roi !
Je suis dans votre cour indignement traitée
et par des ennemis inconnus insultée...
Mon coffret, il contient, sire, tout un trésor,
mes bijoux des objets plus précieux encor...
On l'a volé ! chez moi ! justice ! je réclame
de votre majesté !
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| (En voyant l'expression terrible du visage de Philippe, Élisabeth s'arrête, épouvantée. Le roi se lève lentement, prend un coffret sur la table et le présente à la reine.) | |
PHILIPPE |
Votre coffret, madame,
le voilà !
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ÉLISABETH |
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PHILIPPE |
Vous plaît-il de l'ouvrir ?
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| (Élisabeth refuse du geste) | |
PHILIPPE |
Je l'ouvrirai donc, moi !
(il brise le coffret)
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ÉLISABETH |
(à part)
Dieu ! viens me secourir !
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PHILIPPE |
Un portrait de l'infant !...
Un portrait de l'infant ?
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ÉLISABETH |
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PHILIPPE |
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ÉLISABETH |
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PHILIPPE |
Quoi ! vous l'avouez devant moi ?
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ÉLISABETH |
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Ce portrait... je l'avais en France.
Lorsque dieu vous fit mon époux,
à l'infant j'étais fiancée !
Comment chasser da ma pensée
le lien qui fut entre nous ?
J'ai pour Carlos un cœur de mère.
Si dieu daigne m'entendre
un jour l'infant trouvera chez son père
ah ! plus de justice et plus d'amour !
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PHILIPPE |
Vous me parlez avec hardiesse !
Vous ne m'avez connu qu'en des jours de faiblesse
mais la faiblesse un jour peut devenir fureur.
Alors, malheur, malheur sur vous. Ah !
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ÉLISABETH |
Quel crime ai-je commis ?
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PHILIPPE |
Parjure !
Si l'infamie a comblé la mesure,
si vous m'avez trahi... par le dieu tout puissant,
tremblez ! tremblez ! je verserai le sang !
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ÉLISABETH |
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PHILIPPE |
Vous ! Me plaindre ? Une femme adultère !
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ÉLISABETH |
(elle tombe évanouie)
Ah !
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PHILIPPE |
(ouvrant les portes)
Secourez la reine !
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I. Scène quatrième |
Les mêmes, Eboli, Rodrigue. |
<- Eboli, Rodrigue
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| (Eboli entre précipitamment, Rodrigue un peu après.) | |
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EBOLI |
(Effrayée en voyant la reine évanouie.)
Oh... ciel ! Que vois-je ? Hélas !
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RODRIGUE |
(à Philippe)
Sire !... à vous obéit la moitié de la terre:
êtes-vous donc, dans vos vastes états,
le seul à qui vous ne commandiez pas ?
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PHILIPPE |
(à part)
Maudit soit le soupçon infâme,
œuvre d'un démon odieux !
Non ! la fierté de cette femme
n'est pas le crime audacieux !
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RODRIGUE |
(à part)
Il faut agir et voici l'heure.
La foudre gronde au sein des cieux !
Que pour l'Espagne un homme meure
en lui léguant des jours heureux !
En lui léguant l'avenir radieux !
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EBOLI |
Ô remords ! amère tristesse !
Que mon pardon vienne de cieux.
Cruel remords !...
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ÉLISABETH |
(revenant elle)
Où suis-je ? hélas ! ma pauvre mère,
vois les pleurs qui brûlent mes yeux,
je suis sur la terre étrangère !
Mon seul espoir est dans les cieux.
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| (Le roi sort après un peu d'hésitation. Rodrigue le suit avec un geste résolu. Eboli reste seule auprès de la reine.) | Philippe, Rodrigue ->
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I. Scène cinquième |
Eboli, Élisabeth, Le comte de Lerme. |
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[Scène et Air] | N
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EBOLI |
(se jetant aux pieds d'Élisabeth)
Pitié ! Pardon pour la femme coupable !
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ÉLISABETH |
Relevez-vous ! Quel crime ?...
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EBOLI |
Ah ! le remords m'accable !
Mon cœur est désolé.
Ange du ciel, reine auguste et sacrée,
sachez à quel démon l'enfer vous a livrée !
Votre coffret... c'est moi qui l'ai volé !
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ÉLISABETH |
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EBOLI |
Oui, par moi vous fûtes accusée !
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ÉLISABETH |
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EBOLI |
Oui ! L'amour, la fureur, ma haine contre vous !
Tous les tourments jaloux déchaînés dans mon cœur.
J'aimais l'infant... l'infant m'a repoussée !
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ÉLISABETH |
J'ai tout compris... à mon œil étonnéé
se montre la trame effroyable...
mais de ce cœur au remords condamné,
je plains la douleur misérable.
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EBOLI |
L'affreux remords, enfer au feu vengeur
brûle mon âme misérable,
et rien jamais ne finira l'horreur
de cette torture effroyable.
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ÉLISABETH |
(à part)
(Ah ! Que le ciel pardonne
à ses amers regrets,
que sa bonté lui donne
l'espérance et la paix !)
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EBOLI |
Mon cœur brisé frissonne
de douleur, de regrets,
dieu jamais ne pardonne
à de pareils forfaits.
(Elle tombe à genoux.)
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ÉLISABETH |
Vous l'aimiez ? Levez-vous... j'ai déjà pardonné !
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EBOLI |
Point de pardon ! encore un aveu terrible.
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ÉLISABETH |
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EBOLI |
Le crime irrémissible
dont je vous accusais, je l'avais commis, moi...
une séduction... le roi !
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ÉLISABETH |
(à part)
Horreur !
(Elle se voile et sort en silence.)
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| Élisabeth ->
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EBOLI |
Elle m'a condamnée !
Tout est fini, je suis du ciel abandonnée !
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| <- Le comte de Lerme
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LE COMTE DE LERME |
Princesse, rendez-moi votre croix !
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EBOLI |
Se peut-il que je revoie encore ma noble souveraine ?
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LE COMTE DE LERME |
Vous choisirez avant l'aube
prochaine entre un cloître et l'exil !
Vivez heureuse !
(Il sort.)
| Le comte de Lerme ->
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I. Scène sixième |
Eboli, seul. |
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Ah ! Je ne verrai plus la reine !
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Ô don fatal et détesté,
présent du ciel en sa colère !
ô toi qui rends la femme si fière,
je te maudis, ô ma beauté !
Tombez, tombez, larmes amères !
mes trahisons et mes forfaits,
mes souillures et mes misères,
vous ne les laverez jamais !
Je te maudis, ô ma beauté !
Adieu, reine, victime pure
de mes déloyales et folles amours !
Dans un couvent et sous la bure,
je m'ensevelis pour toujours !
Et Carlos ?... Oui ! demain, peut-être,
il tombera sous le fer sacré !
Ah ! un jour me reste ! Ah ! je me sens renaître !
Béni ce jour... Je le sauverai !
| S
(♦)
(♦)
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Deuxième tableau. | |
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II. Scène première |
Prison de Don Carlos. Au fond des grilles de fer séparent la prison d'une cour qui la domine, et dans laquelle les gardes vont et viennent. Un escalier de pierre descend dans cette cour des étages supérieurs du palais. Rodrigue, Don Carlos |
Q
Don Carlos
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| (Don Carlos est assis, la tête dans ses mains, perdu dans ses pensées. Rodrigue entre et parle bas à quelques officiers. Il fait un mouvement qui tire Don Carlos de sa rêverie.) | <- Rodrigue
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RODRIGUE |
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DON CARLOS |
(lui donnant la main)
Mon Rodrigue ! Il est beau
à toi de me venir trouver dans ce tombeau !
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RODRIGUE |
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DON CARLOS |
Tu l'as compris, ma force est abattue !
L'amour d'Élisabeth me torture et me tue...
Non ! je ne puis plus rien pour les hommes ! Mais toi,
donne-leur les jours d'or qu'ils attendaient de moi !
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RODRIGUE |
Ah ! connais mieux mon âme et ma tendresse;
tu vas sortir de ce funèbre lieu.
Avec quel doux orgueil sur mon cœur je te presse !
Je t'ai sauvé !
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DON CARLOS |
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RODRIGUE |
Il faut nous dire adieu !
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| (Don Carlos reste immobile, regardant Rodrigue avec stupeur) | |
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Oui, Carlos ! C'est mon jour suprême,
échangeons l'adieu solennel.
Dieu permet encore qu'on s'aime
près de lui, quand on est au ciel.
Dans tes yeux tout baignés de larmes,
pourquoi donc ce muet effroi ?
Qui plains-tu ? La mort a des charmes,
ô mon Carlos, à qui meurt pour toi !
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DON CARLOS |
(tremblant)
Que parles-tu de mort ?...
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RODRIGUE |
Écoute ! Le temps presse...
J'ai détourné de toi la foudre vengeresse !
Aujourd'hui... le rival du roi,
le traître agitateur de la Flandre... c'est moi !
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DON CARLOS |
Malheureux ! qui croira ?...
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RODRIGUE |
Vingt preuves amassées !
Tes papiers chez moi surpris,
preuves de trahison qu'à dessein j'ai laissées...
Ma tête en ce moment sans doute est mise à prix !
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| (Deux hommes descendent l'escalier de pierre de la prison; l'un d'eux vêtu de l'habit du Saint-Office, l'autre armé d'une arquebuse. Ils s'arrêtent et se montrent Don Carlos et Rodrigue qui ne les voient pas-) | <- Deux hommes
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DON CARLOS |
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RODRIGUE |
Garde-toi pour la Flandre !
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|
Garde-toi pour notre œuvre, il la faudra défendre...
Un nouvel âge d'or renaîtra sous ta loi,
oui, tu devais régner, et moi mourir pour toi !
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| (Un coup de fusil.) | |
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DON CARLOS |
Ciel ! La mort ! Pour qui donc ?
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RODRIGUE |
(blessé mortellement)
Pour moi !...
La vengeance du roi ne se fait pas attendre !
(Il tombe dans les bras de Don Carlos éperdu.)
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DON CARLOS |
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RODRIGUE |
Carlos, écoute... Ta mère
t'attend à Saint-Just demain;
elle sait tout !... Ah ! La terre
me manque... Ô Carlos ! ta main...
ah ! je meurs l'âme joyeuse,
car tu vis sauvé par moi...
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Ah ! je vois l'Espagne heureuse !
Adieu ! Carlos, ah ! souviens-toi !
Carlos, souviens-toi !...
Oui, tu devais régner,
et moi mourir pour toi !
Ah ! Je meurs l'âme joyeuse,
car tu vis sauvé par moi...
Ah ! Je vois l'Espagne heureuse !
Adieu ! Carlos, ah ! souviens-toi !
Ah ! La terre
me manque... Carlos, ta main...
Carlos ! Ah ! sauve la Flandre !
Adieu ! Carlos, ah ! adieu !
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| (Il meurt. Don Carlos tombe désespéré sur son corps.) | |
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II. Scène deuxième |
Philippe, Don Carlos, Suite de Philippe, Grands d'Espagne, Le comte de Lerme. |
<- Philippe, Suite de Philippe, Grands d'Espagne, Le comte de Lerme
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| (Entrent Philippe, sa suite, Grands d'Espagne et le comte de Lerme. Don Carlos agenouillé près du cadavre de Rodrigue) | |
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PHILIPPE |
(à Don Carlos, après un silence)
Mon fils, reprenez votre épée.
Ma confiance fut trompée,
mais le traître a subi son sort !
(Il tend les bras à Don Carlos)
Venez !
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DON CARLOS |
(au désespoir sur le cadavre de Rodrigue)
Arrière ! De ce mort
le sang a rejailli jusqu'à votre visage !
Dieu marque votre front du sceau de son courroux !
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PHILIPPE |
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DON CARLOS |
Vous n'avez plus de fils ! Choisissez-vous
parmi ceux des bourreaux un fils à votre image !
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PHILIPPE |
(à sa suite, voulant sortir)
Suivez-moi !
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DON CARLOS |
(l'arrêtant avec violence)
Connaisseur profond du cœur humain,
vous saurez quel sang pur a versé votre main !
Il m'aimait et nous étions frères...
Nos cœurs étaient liés par d'éternels serments;
méprisant vos bienfaits, méprisant vos colères,
c'est pour moi qu'il est mort !
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PHILIPPE |
Dieu ! Mes pressentiments !
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DON CARLOS |
O roi de meurtre et d'épouvante !
Cherche qui portera ta couronne sanglante
quand ta dernière heure aura lui !
(montrant le cadavre de Rodrigue)
Mes royaumes sont près de lui !
(Il se jette sur le corps de Rodrigue)
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PHILIPPE |
Qui me rendra ce mort ? Ô funèbres abîmes !
Celui-là seul... parmi tant de victimes !
Un homme, un seul, un héros était né,
j'ai brisé cet appui que dieu m'avait donné !
Oui, je l'aimais... sa noble parole
à l'âme révélait un monde nouveau !
Cet homme fier... ce cœur de flamme,
c'est moi qui l'ai jeté dans l'horreur du tombeau !
Qui me rendra ce mort ?
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LES COURTISANS |
Ah ! C'est en vain que nous vivons encore.
Il nous ravit le cœur du roi que le regret dévore !
Espagnols ! descendons dans la nuit du tombeau !
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DON CARLOS |
Ô mon ami, donne-moi ta grande âme,
fais de moi le héros de ton monde nouveau !
Remplis mon cœur de la divine flamme,
ou fais moi près de toi place dans le tombeau.
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II. Scène troisième |
Les mêmes, Comte de Lerme, Élisabeth, Chœur du peuple, puis Éboli et Le grand inquisiteur. |
<- Comte de Lerme, Élisabeth, Peuple
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| (Le tocsin sonne.) | |
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CHŒUR DES COURTISANS |
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LE COMTE DE LERME |
(entrant, l'épée à la main)
Rébellion ô sire, sauvez vos jours...
Le peuple est en délire...
il a forcé le palais... triomphant !
Il vient pour délivrer l'infant.
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| (On emporte le cadavre de Rodrigue. Carlos le suit désespéré.) | |
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ÉLISABETH |
(entrant, très agitée)
Sauvez le roi !
Sire ! je tremble pour votre majesté !
Fuyons ensemble !
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PHILIPPE |
(avec autorité, désignant les portes du fond derrière lesquelles la foule menaçante est déjà parvenue)
Ouvrez ces portes ! je le veux !
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ÉLISABETH |
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LE COMTE DE LERME |
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CHŒUR DU PEUPLE |
(dans les coulisses, derrière les portes du fond)
La mort, la mort à qui nous arrête !
Frappons sans pitié, sans peur !
Tremblez devant le peuple vengeur !
Frappons, frappons, frappons !
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LE COMTE DE LERME |
Grands d'Espagne, sauvez le roi !
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GRANDS D'ESPAGNE |
(l'épée à la main)
Morts aux rebelles ! Vive le roi !
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| (Le peuple entre en scène violemment) | <- peuple
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CHŒUR DU PEUPLE |
La mort, la mort à qui nous arrête !
Frappons !
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PHILIPPE |
(au peuple)
Frappez ! Que tardez-vous ?
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LES COURTISANS, LE COMTE DE LERME |
| |
PHILIPPE |
| |
CHŒUR DU PEUPLE |
| |
LES COURTISANS, LE COMTE DE LERME |
| |
PHILIPPE |
Egorgez, égorgez un vieillard,
hommes au cœur loyal !
Et sur mon corps sanglant
marchez pour rendre hommage
à mon fils revêtu de mon manteau royal.
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CHŒUR DU PEUPLE |
| |
PHILIPPE |
Frappez !
Me voilà ! du courage !
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CHŒUR DU PEUPLE |
| |
| |
| (Pendant cette scène, un page est entré; se glissant parmi la foule il s'approche de Carlos et lui jette un manteau sur ses épaules. Ce page est Eboli, qui avant de sortir, s'approche de la reine.) | <- Eboli
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LE PEUPLE |
Dieu lui-même a parlé.
Sur nos fronts va tomber l'anathème.
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EBOLI |
(à la reine et à part)
Voyez si je l'aimais !
Courant les carrefours,
j'ai soulevé le peuple
et j'ai sauvé ses jours !
Le cloître m'attend ! Adieu... reine !
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ÉLISABETH |
Grands dieux ! Ah ! je me soutiens à peine !
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| (Le grand inquisiteur paraît au fond.) | <- L'inquisiteur
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L'INQUISITEUR |
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LE PEUPLE, LES COURTISANS, LE COMTE DE LERME |
(reculant)
Le grand inquisiteur !...
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L'INQUISITEUR |
Ô peuple sacrilège
prosterne-toi devant celui que dieu protège !
(avec autorité)
À genoux ! à genoux ! à genoux !
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PHILIPPE, L'INQUISITEUR |
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| |
LE PEUPLE |
(tombant à genoux)
Seigneur ! Pardonnez-nous, pardonnez-nous !
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PHILIPPE |
Grand dieu, gloire à toi !
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LES COURTISANS |
(l'épée à la main)
Vive le Roi !
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| |
| (Le Grand Inquisiteur descend vers Philippe, qui va à sa rencontre au milieu du peuple agenouillé. Eboli se jette aux pieds de la reine, qui lui tend la main en signe de pardon.) | |
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