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Scène première |
Le thèâtre représente une place publique, sur un des côtés on voit en avancement le palais d'Admette, sur la porte duquel est un balcon en saillie: le fond du thèâtre représente le portique du temple d'Apollon. Une foule de peuple dans l'agitation et dans l'attitude de la crainte et de la douleur, remplit la place. Un héraut d'armes, Évandre, Chœur. |
Q
Héraut d'armes, Évandre, Chœur
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LE CHŒUR |
Dieux ! rendés-nous notre roi, notre père.
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LE HÉRAUT (sur le balcon) |
Peuple ! votre roi touche à son heure dernière,
l’impitoyable mort est prête à le saisir,
et nuls secours humains ne peuvent le ravir
à sa man meurtrière.
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LE CHŒUR
Ô dieux ! qu’allons-nous devenir ?
Non, jamais le courroux céleste,
sur des mortels qu’il veut punir,
n’a frappé de coup plus funeste.
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ÉVANDRE |
Suspendés vos gémissemens,
le palais s'ouvre.
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PLUSIEURS VOIX |
Ah, je frémis, je tremble.
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ÉVANDRE |
La reine vient à nous, vous voyés ses enfants.
Dieux ! que d’infortunés, ce lieu fatal rassemble.
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Scène seconde |
Les acteurs de la scène précédente, Alceste et ses enfants |
<- Alceste, Ses enfants
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LE CHŒUR (à deux parties) |
Ô malheureux Admette ! ô malheureuse Alceste !
Ô trop cruel destin ! ô sort vraiment funeste !
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TOUS |
Objets si tendrement chéris,
enfant infortunés ! faible espoir qui nous reste !
Nous ses sujets !... ou plutôt ses amis,
pour qui cent fois il exposa sa vie.
Ô dieux ! qu’allons-nous devenir ?
Malheureuse patrie !
Ô dieux ! qu’allés-vous devenir ?
Non, jamais le courroux céleste,
sur des mortels qu'il veut punir,
n'a frappé de coup plus funeste.
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ALCESTE |
Sujets du roi le plus aimé,
vous répandés des pleurs, hélas ! trop légitime !
Par son amour pour vous, par ses vertus sublimes,
il faisoit le bonheur de son peuple charmé,
il faisoit le bonheur d’une épouse chérie,
qui ne sçauroit vivre sans lui.
Foibles enfants, sans espoir, sans appui,
les yeux à peine ouverts au néant de la vie,
ô dieux ! qu’allés-vous devenir ?
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LE CHŒUR |
Malheureuse patrie !
Ô dieux ! qu’allés-vous devenir ?
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ALCESTE |
Hélas ! dans ce malheur extrême,
nous n’avons plus d’espoir qu’en leur bonté suprême,
eux seuls peuvent nous secourir
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Air. | |
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Grands dieux ! du destin qui m’accable
suspendés du moins la rigueur;
et sur l’excès de mon malheur
jettés un regard secourable.
Rien n’égale mon désespoir,
mes tourments, ma douleur amère;
si l’on n’est pas épouse et mère,
on ne sçauroit les concevoir.
Ô vous dont les tendres appas
sont l’image à mes yeux si chère;
de mon époux, de votre père,
venés ! jettés-vous dans mes bras !...
Quand je vous presse sur mon sein,
mes chers fils ! mon cœur se déchire;
je sens augmenter mon martyre,
en pensant à votre destin.
| S
(♦)
(♦)
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LE CHŒUR (à deux parties) |
Ô malheureux Admette ! ô malheureuse Alceste !
Ô trop cruel destin ! ô sort vraiment funeste !
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ALCESTE (au peuple) |
Suivés-moi dans le temple; allons offrir aux dieux
nos sacrifices et nos vœux.
Au pied de leurs autels, arrosés de mes larmes,
ils verront une épouse en pleurs,
de enfants menacés du plus grand des malheurs:
tout un peuple accablé des plus justes alarmes.
Peut-être à cet aspect touchant,
ces dieux, notre unique espérance,
ces dieux, dont la bonté réclame la clémence,
laisseront-ils fléchir leur courroux menaçant.
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| (Elle sort.) | Alceste, Ses enfants ->
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LE CHŒUR |
Non, jamais le courroux céleste,
sur des mortels qu’il veut punir,
n’a frappé de coup plus funeste.
Ô dieux ! qu’allons-nous devenir ?
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Scène troisième |
Le thèâtre représente le temple d'Apollon: la statue colossale de ce dieu parôit au milieu du temple. Les prêtres et les prêtresses dansants les danses sacrées |
Q
Le grand-prêtre, Les prêtres, Les prêtresses
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LE GRAND-PRÊTRE, LE CHŒUR (alternativement) |
Dieu puissant, écarte du trône !
De la mort la glaive effrayant,
perce d’un rayon éclatant,
le voile affreux qui l’environne !
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LE GRAND-PRÊTRE |
Ressouviens-toi ! que sur ce bord fertile,
banni des cieux, dans ta course incertain,
Admette t’offrit un asile
contre les rigueurs du destin.
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LE CHŒUR |
Dieu puissant, écarte du trône !
De la mort la glaive effrayant,
perce d’un rayon éclatant,
le voile affreux qui l’environne !
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LE GRAND-PRÊTRE |
Dispensateur de la lumière,
toi ! qui fais l’ornement des cieux,
et qui de ton char radieux,
répands dans ta vaste carrière,
autant des bienfaits que de feux;
d’un peuple gémissant daigne écouter les vœux:
rends-lui son roi, son protecteur, son père !
rends-lui le plus grand des bienfaits,
dont le ciel ait jamais favorisé la terre:
un roi, l’ami de ses sujets.
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LE CHŒUR |
Dieu puissant, écarte du trône !
De la mort la glaive effrayant,
perce d’un rayon éclatant,
le voile affreux qui l’environne !
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Les prêtres et les prêtresses, continuent les cérémonies sacrées pendant le chœur. | |
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LE GRAND-PRÊTRE |
Suspendés vos sacrés mystères;
la reine vient mêler ses vœux à nos prières.
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Scène quatrième |
Le grand-prêtre, Le chœur, Alceste. |
<- Alceste
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ALCESTE |
Immortel Apollon, toi ! dont l’oeil pénétrant,
des replis de nos cœurs perce la nuit obscure;
si dans le mien, à ton culte constant,
tu n’aperçus jamais qu’une piété pure,
un chaste amour, des désirs innocents,
daigne prendre pitié du tourment qui m’accable,
et jette un regard favorable
sur cette offrande et ces présents !
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On porte des présents au dieu; on brûle des parfums: les prêtres et prêtresses vont chercher la victime, le grand-prêtre l'immole et en examine les entrailles. | |
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LE GRAND-PRÊTRE |
Apollon est sensible à nos gémissements,
et des signes certains m’en donnent l’assurance.
Plein de l’esprit divin qu’inspire sa présence,
je me sens élever au-dessus d’un mortel.
Quelle lumière éclatante
entoure la statue, et brille sur l’autel !
L’horreur d’une sainte épouvante
se répand autour de moi;
la terre sous mes pas fuit et se précipite;
le marbre est animé, le saint trépied s’agite,
tout se remplit d’un juste effroi:
tout m’annonce du dieu la présence suprême,
ce dieu sur nos destins veut s’expliquer lui-même.
Il va parler; saisi de crainte et de respect,
peuple observe un profonde silence;
reine, dépose à son aspect
le vain orgueil de la puissance.
Tremble.
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L’ORACLE (sortant de la statue) |
Le roi doit mourir aujourd’hui,
si quelque autre au trépas ne se livre pour lui.
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LE GRAND-PRÊTRE, LE CHŒUR (à la fois) |
Tout se tait ! Qui de vous à la mort veut s’offrir ?
Personne ne répond; votre roi va mourir.
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LE CHŒUR |
Quel oracle funeste !
Nul espoir ne nous reste.
Admette, du destin tu vas subir les coups.
Fuyons !
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| Le grand-prêtre, Les prêtres, Les prêtresses ->
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Scène cinquième |
Alceste seule. |
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Où suis-je, malheureuse Alceste !
Voilà donc le secours que j’attendais de vous,
dieux puissants ! cher époux, tu vas perdre la vie,
sans espoir elle t’est ravie,
si quelque autre pour toi ne se livre à la mort.
Il n’est plus pour moi d’espérance;
tout fuit, tout m’abandonne à mon funeste sort:
de l’amitié, de la reconnaissance,
j’espérerois en vain un si pénible effort.
Ah ! l’amour seul en est capable,
cher époux ! tu vivras, tu me devras le jour,
ce jour dont te privoit la parque impitoyable,
te sera rendu par l’amour.
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Air. | |
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Non, ce n’est point un sacrifice,
eh ! pourrois-je vivre sans toi ?
Sans toi, cher Admette, ah ! pour moi
la vie est un affreux supplice.
Effort cruel ! ô désespoir !
Il faut donc renoncer, cher objet de ma flâme,
renoncer pour jamais à régner dans ton âme,
au plaisir de t’aimer, au bonheur de te voir.
Ô mes enfants ! ô regrets superflus !
Objets si chers à ma tendresse extrême,
images d’un époux que j’adore et qui m’aime !
Ô mes fils ! mes chers fils, je ne vous verrai plus !
Non, ce n’est point un sacrifice,
eh ! pourrois-je vivre sans toi ?
Sans toi, cher Admette, ah ! pour moi
la vie est un affreux supplice.
| S
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Arbitres du sort des humains,
terribles déités, qui tenés dans vos mains
nos fragiles destinées,
j’invoque vos serments, ne les trahissés pas !
Tranchés le fil de mes années,
pour mon époux, je me livre au trépas.
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Scène sixième |
Alceste, Le grand-prêtre. |
<- Le grand-prêtre
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LE GRAND-PRÊTRE (rentrant, inspiré) |
Tes destins sont remplis, déjà la mort s’apprête
à dévorer sa proie, et plane sur sa tête,
et ton époux respire, aux dépens de tes jours.
Dès que l’astre brillant aura fini son cours,
et que le jour fera place aux ténèbres,
du dieu des morts les ministres funèbres
viendront t’attendre aux portes de l’enfer.
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ALCESTE |
J’y volerai remplir un devoir qui m’est cher !
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| Le grand-prêtre ->
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Scène septième |
Alceste. |
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Air. | |
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Divinités du Styx, ministres de la mort,
je n’invoquerai point votre pitié cruelle,
j’enlève un tendre époux à son funeste sort;
mais je vous abandonne une épouse fidèle.
Mourir pour ce qu’on aime, est un si doux effort,
une vertu si naturelle,
mon cœur est animé du plus noble transport.
Je sens une force nouvelle,
je vôle où mon amour m’appelle.
Mon cœur est animé du plus noble transport.
Divinités du Styx, ministres de la mort,
je n’invoquerai point votre pitié cruelle.
| S
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Fin du premier acte. | |
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