ALCESTE
Tragédie-opéra.
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Livret de François-Louis GAND LE BLAND DU ROULLET.
Musique de Christoph Willibald GLUCK.
Première représentation : 16 avril 1776, Paris.
Personnages:
ADMETTE roi de Thessalie |
ténor |
ALCESTE épouse d'Admette |
soprano |
HERCULE |
basse |
APOLLON protecteur de la maison d'Admette |
baryton |
LE GRAND-PRÊTRE d'Apollon |
baryton |
ÉVANDRE une des chefs du peuple de Phere |
ténor |
UN DIEU INFERNAL |
baryton |
Deux enfants d'Admette et d'Alceste.
Officiers du palais d'Admette, Femmes d'Alceste, Divinités infernales, Peuples de Phere.
Personnages dansants:
Prêtresses d'Apollon, Peuples Grecs.
La scène est dans la ville de Phere en Thessalie.
Avertissement
Si ce poëme a quelque succès, ce sera à m. Calzabigi, que nous en ferons redevables. Non seulement, nous avons suivi en partie la plan de son Alceste, mais nous en avons encore emprunté plusieurs détails, afin de conserver un grande nombre de morceaux de la musique la plus passionnée, la plus energique, la plus thèâtrale (I) qu'on a entendue sur aucun thèâtre de l'Europe, depuis la renaissance de ce bel art. C'est cette raison qui nous a fait sacrifier un dénouement que nous ouson croire heureux pour y en substituer un dont nous ne nous dissimulerons pas la défectuosité; mais nous espérons que le public s'en trouvera dédommagé par la musique.
Nous espérons que la contrainte à laquelle nous avons été forcés de nous assujétir, nous fera pardonner quelques licences que nous avons cru pouvoir nous permettre; d'ailleurs nous croyons que dans les vers lyriques, on peut s'affranchir de beaucoup d'entraves auxquelles on se soumet dans toute autre genre de poésie, et qui n'existeroient pas, si parmi nous, comme autrefois chez les Grecs, la musique et la poésie étoient deux artes inséparables.
(I) Il ne faut pas confondre la musique de thèâtre, avec la musique de chambre, de concert, etc. I colori di Raffaello, e la musica di Gluck, a dit, en parlant de la musique d'Alceste, un des plus grands connoisseurs qu'ait aujourd’hui l'Italie, le chevalier Planelli, dans son traité del l'Opera in musica, imprimé à Naples en 1772, quelli e questa destinati a servire all'espressione, vanno esaminati nell'azione. Solo allora si può giudicare se più diletti una bussola ben tinta che una tela animata dal pennello d'Urbino.
Nota. Le public ayant témoigné qu'il souhaitoit voir paroître Hercule dans cet ouvrage, nous avons cru devoir l'y introduire de la même maniere qu'Euripide l'a fait, et dans la même place qu'il lui a assignée dans son Alceste.
Le thèâtre représente une place publique, sur un des côtés on voit en avancement le palais d'Admette, sur la porte duquel est un balcon en saillie: le fond du thèâtre représente le portique du temple d'Apollon. Une foule de peuple dans l'agitation et dans l'attitude de la crainte et de la douleur, remplit la place.
Un héraut d'armes, Évandre, Chœur.
LE CHŒUR
Dieux ! rendés-nous notre roi, notre père.
LE HÉRAUT
(sur le balcon)
Peuple ! votre roi touche à son heure dernière,
l’impitoyable mort est prête à le saisir,
et nuls secours humains ne peuvent le ravir
à sa man meurtrière.
LE CHŒUR
Ô dieux ! qu’allons-nous devenir ?
Non, jamais le courroux céleste,
sur des mortels qu’il veut punir,
n’a frappé de coup plus funeste.
ÉVANDRE
Suspendés vos gémissemens,
le palais s'ouvre.
PLUSIEURS VOIX
Ah, je frémis, je tremble.
ÉVANDRE
La reine vient à nous, vous voyés ses enfants.
Dieux ! que d’infortunés, ce lieu fatal rassemble.
Les acteurs de la scène précédente, Alceste et ses enfants
LE CHŒUR
(à deux parties)
Ô malheureux Admette ! ô malheureuse Alceste !
Ô trop cruel destin ! ô sort vraiment funeste !
TOUS
Objets si tendrement chéris,
enfant infortunés ! faible espoir qui nous reste !
Nous ses sujets !... ou plutôt ses amis,
pour qui cent fois il exposa sa vie.
Ô dieux ! qu’allons-nous devenir ?
Malheureuse patrie !
Ô dieux ! qu’allés-vous devenir ?
Non, jamais le courroux céleste,
sur des mortels qu'il veut punir,
n'a frappé de coup plus funeste.
ALCESTE
Sujets du roi le plus aimé,
vous répandés des pleurs, hélas ! trop légitime !
Par son amour pour vous, par ses vertus sublimes,
il faisoit le bonheur de son peuple charmé,
il faisoit le bonheur d’une épouse chérie,
qui ne sçauroit vivre sans lui.
Foibles enfants, sans espoir, sans appui,
les yeux à peine ouverts au néant de la vie,
ô dieux ! qu’allés-vous devenir ?
LE CHŒUR
Malheureuse patrie !
Ô dieux ! qu’allés-vous devenir ?
ALCESTE
Hélas ! dans ce malheur extrême,
nous n’avons plus d’espoir qu’en leur bonté suprême,
eux seuls peuvent nous secourir
Air.
Grands dieux ! du destin qui m’accable
suspendés du moins la rigueur;
et sur l’excès de mon malheur
jettés un regard secourable.
Rien n’égale mon désespoir,
mes tourments, ma douleur amère;
si l’on n’est pas épouse et mère,
on ne sçauroit les concevoir.
Ô vous dont les tendres appas
sont l’image à mes yeux si chère;
de mon époux, de votre père,
venés ! jettés-vous dans mes bras !...
Quand je vous presse sur mon sein,
mes chers fils ! mon cœur se déchire;
je sens augmenter mon martyre,
en pensant à votre destin.
LE CHŒUR
(à deux parties)
Ô malheureux Admette ! ô malheureuse Alceste !
Ô trop cruel destin ! ô sort vraiment funeste !
ALCESTE
(au peuple)
Suivés-moi dans le temple; allons offrir aux dieux
nos sacrifices et nos vœux.
Au pied de leurs autels, arrosés de mes larmes,
ils verront une épouse en pleurs,
de enfants menacés du plus grand des malheurs:
tout un peuple accablé des plus justes alarmes.
Peut-être à cet aspect touchant,
ces dieux, notre unique espérance,
ces dieux, dont la bonté réclame la clémence,
laisseront-ils fléchir leur courroux menaçant.
(Elle sort.)
LE CHŒUR
Non, jamais le courroux céleste,
sur des mortels qu’il veut punir,
n’a frappé de coup plus funeste.
Ô dieux ! qu’allons-nous devenir ?
Le thèâtre représente le temple d'Apollon: la statue colossale de ce dieu parôit au milieu du temple.
Les prêtres et les prêtresses dansants les danses sacrées
LE GRAND-PRÊTRE, LE CHŒUR
(alternativement)
Dieu puissant, écarte du trône !
De la mort la glaive effrayant,
perce d’un rayon éclatant,
le voile affreux qui l’environne !
LE GRAND-PRÊTRE
LE CHŒUR
Dieu puissant, écarte du trône !
De la mort la glaive effrayant,
perce d’un rayon éclatant,
le voile affreux qui l’environne !
LE GRAND-PRÊTRE
LE CHŒUR
Dieu puissant, écarte du trône !
De la mort la glaive effrayant,
perce d’un rayon éclatant,
le voile affreux qui l’environne !
Les prêtres et les prêtresses, continuent les cérémonies sacrées pendant le chœur.
LE GRAND-PRÊTRE
Le grand-prêtre, Le chœur, Alceste.
ALCESTE
Immortel Apollon, toi ! dont l’oeil pénétrant,
des replis de nos cœurs perce la nuit obscure;
si dans le mien, à ton culte constant,
tu n’aperçus jamais qu’une piété pure,
un chaste amour, des désirs innocents,
daigne prendre pitié du tourment qui m’accable,
et jette un regard favorable
sur cette offrande et ces présents !
On porte des présents au dieu; on brûle des parfums: les prêtres et prêtresses vont chercher la victime, le grand-prêtre l'immole et en examine les entrailles.
LE GRAND-PRÊTRE
L’ORACLE
(sortant de la statue)
Le roi doit mourir aujourd’hui,
si quelque autre au trépas ne se livre pour lui.
LE GRAND-PRÊTRE, LE CHŒUR
(à la fois)
Tout se tait ! Qui de vous à la mort veut s’offrir ?
Personne ne répond; votre roi va mourir.
LE CHŒUR
Quel oracle funeste !
Nul espoir ne nous reste.
Admette, du destin tu vas subir les coups.
Fuyons !
Alceste seule.
Où suis-je, malheureuse Alceste !
Voilà donc le secours que j’attendais de vous,
dieux puissants ! cher époux, tu vas perdre la vie,
sans espoir elle t’est ravie,
si quelque autre pour toi ne se livre à la mort.
Il n’est plus pour moi d’espérance;
tout fuit, tout m’abandonne à mon funeste sort:
de l’amitié, de la reconnaissance,
j’espérerois en vain un si pénible effort.
Ah ! l’amour seul en est capable,
cher époux ! tu vivras, tu me devras le jour,
ce jour dont te privoit la parque impitoyable,
te sera rendu par l’amour.
Air.
Non, ce n’est point un sacrifice,
eh ! pourrois-je vivre sans toi ?
Sans toi, cher Admette, ah ! pour moi
la vie est un affreux supplice.
Effort cruel ! ô désespoir !
Il faut donc renoncer, cher objet de ma flâme,
renoncer pour jamais à régner dans ton âme,
au plaisir de t’aimer, au bonheur de te voir.
Ô mes enfants ! ô regrets superflus !
Objets si chers à ma tendresse extrême,
images d’un époux que j’adore et qui m’aime !
Ô mes fils ! mes chers fils, je ne vous verrai plus !
Non, ce n’est point un sacrifice,
eh ! pourrois-je vivre sans toi ?
Sans toi, cher Admette, ah ! pour moi
la vie est un affreux supplice.
Arbitres du sort des humains,
terribles déités, qui tenés dans vos mains
nos fragiles destinées,
j’invoque vos serments, ne les trahissés pas !
Tranchés le fil de mes années,
pour mon époux, je me livre au trépas.
Alceste, Le grand-prêtre.
LE GRAND-PRÊTRE
ALCESTE
J’y volerai remplir un devoir qui m’est cher !
Alceste.
Air.
Divinités du Styx, ministres de la mort,
je n’invoquerai point votre pitié cruelle,
j’enlève un tendre époux à son funeste sort;
mais je vous abandonne une épouse fidèle.
Mourir pour ce qu’on aime, est un si doux effort,
une vertu si naturelle,
mon cœur est animé du plus noble transport.
Je sens une force nouvelle,
je vôle où mon amour m’appelle.
Mon cœur est animé du plus noble transport.
Divinités du Styx, ministres de la mort,
je n’invoquerai point votre pitié cruelle.
Fin du premier acte.
Le thèâtre représente un vaste salon du palais d'Admette.
Évandre, Peuple, qui entre en dansant et en chantant.
LE CHŒUR
Que les plus doux transports succèdent aux alarmes,
le ciel vient de tarir la source de nos larmes.
Vive Admette, vive à jamais,
un roi, l'amour de ses sujets.
Reprise du chœur, avec la danse.
Que les plus doux transports succèdent aux alarmes !
Le ciel vient de tarir la source de nos larmes.
Le plus aimé des rois à nos vœux est rendu,
des mains de la mort implacable,
les dieux ont arraché le glaive redoutable,
sur lui, sur tout son peuple à la fois suspendu.
Admette, et les acteurs précédents, plusierus embrassent les genoux d'Admette.
LE CHŒUR
Ô mon roi !... notre appui !... notre père !... ô mon maître !
Ô roi le plus chéri, le plus digne de l’être !
ADMETTE
Ô mes enfants ! ô mes amis !
Vous enchantés mon cœur de la plus douce ivresse;
je verse dans vos bras des larmes de tendresse.
Ô mes enfants ! ô mes amis !
vous m’aimés, mes vœux sont remplis.
Mais par quel art nouveau, par quel heureux miracle
des portes du trépas ramené parmi vous,
goutai-je des plaisirs si sensibles, si doux ?
ÉVANDRE
Sur vos destins s’est expliqué l’oracle !
Vos jours alloient finir, si quelqu’un à la mort
ne s’offroit pour victime.
Un héros inconnu, par un effort sublime
a satisfait pour vous à la rigueur du sort.
ADMETTE
Oracle affreux ! ô rigueur inouïe !
De vos faveurs, grands dieux ! sont-ce là les effets ?
Croyés-vous qu’à ce prix je puisse aimer la vie;
moi qui consentirois qu’elle me fût ravie,
pour le dernier de mes sujets ?
LES CORYPHÉES
(alternativement avec le chœur)
Vivés, aimés des jours dignes d’envie,
jouissés du bonheur de combler tous les vœux
de l’épouse la plus chérie:
de rendre tout un peuple heureux.
Ah ! quel que soit cet ami généreux
qui pour son roi se sacrifie,
mourant pour vous, pour la patrie,
son sort est assez glorieux.
ADMETTE
Alceste, chère Alceste, ah ! qu’il m’est doux de vivre,
pour adorer encor vos vertus, vos appas !
Mais, pourquoi ne vient-elle pas
partager les transports où tout mon cœur se livre ?
ÉVANDRE
C’est à ses cris, c’est à ses pleurs puissant,
que les dieux en courroux ont calmé leur colère;
à ces dieux adoucis sa touchante prière
adresse en ce moment des vœux reconnaissants.
Les acteurs précédents, Alceste, avec sa suite.
ADMETTE
(vivement, en courant à Alceste)
Alceste !
ALCESTE
Cher époux !
ADMETTE, ALCESTE
O moment fortuné !
Je te revois !
ALCESTE
Tu vis ! Les dieux m’ont exaucée.
ADMETTE, ALCESTE
Je ne crains plus du sort le courroux obstiné,
et ma douleur est effacée.
Plus de pleurs, plus de tristesse,
livrons-nous à l’allégresse;
quel moment plein de douceur !
Admette va faire encore,
de son peuple qui l’adore,
et la gloire et le bonheur !
ALCESTE
Ces chants me déchirent le cœur !
LE CHŒUR
Plus de pleurs, plus de tristesse,
livrons-nous à l’allégresse;
quel moment plein de douceur !
Admette va faire encore,
de son peuple qui l’adore,
et la gloire et le bonheur !
ADMETTE
Transports flatteurs que tout mon cœur partage,
qu’il sent bien tout le prix d’un aussi tendre hommage !
Oui, les dieux adoucis, après tant de rigueurs,
me sont enfin jouir de toutes leurs faveurs.
UN CORYPHÉE, LE CHŒUR, LA DANSE
Parés vos fronts de fleurs nouvelles,
tendre amants, heureux époux,
et l’hymen et l’amour, de leurs mains immortelles,
s’empressent d’en cuëillir pour vous.
Puissent vos belles destinées
se prolonger au gré de vos désirs !
Puissent la gloire et les plaisirs
compter seuls les instants de vos longues années.
Parés vos fronts de fleurs nouvelles,
tendre amants, heureux époux,
et l’hymen et l’amour, de leurs mains immortelles,
s’empressent d’en cuëillir pour vous.
UNE CORYPHÉE
Heureuse épouse, tendre Alceste,
jouissés de cet heureux jour,
de tous les dons de la faveur céleste,
et des bienfaits que vous offre l’amour.
Parés vos fronts de fleurs nouvelles,
tendre amants, heureux époux,
et l’hymen et l’amour, de leurs mains immortelles,
s’empressent d’en cuëillir pour vous.
ALCESTE
Ô dieux ! soutenés mon courage;
je ne puis plus cacher l’excès de mes douleurs,
et malgré moi des pleurs
s’échappent de mes yeux, et baignent mon visage.
LE CHŒUR
Parés vos fronts de fleurs nouvelles,
tendre amants, heureux époux,
et l’hymen et l’amour, de leurs mains immortelles,
s’empressent d’en cuëillir pour vous.
ADMETTE
Ô moments délicieux !
Alceste, cher objet de toute ma tendresse;
c’est toi, c’est ton amour, qui me rend précieux !...
Mais que vois-je, et pourquoi la plus sombre tristesse
se peint-elle encor dans tes yeux ?
ALCESTE
Hélas !
Air.
ADMETTE
Bannis la crainte et les alarmes;
que le plaisir succède à la douleur:
c’est à lui de sécher nos larmes;
c’est par toi qu’il plaît à mon cœur.
La vie est un bienfait de la bonté céleste;
mais ce qui me la fait chérir,
mais tout le charme d’en jouir,
est un don de l’amour d’Alceste.
Bannis la crainte et les alarmes,
que le plaisir succède à la douleur:
c’est à lui de sécher nos larmes;
c’est par toi qu’il plaît à mon cœur.
ALCESTE
Dieux !
ADMETTE
Tu pleures !... je tremble... à de nouveaux malheurs
serions-nous réservés encore ?
Mes enfants, où sont-ils ? dissipe mes frayeurs.
ALCESTE
Le ciel n’a point sur eux étendu ses rigueurs.
ADMETTE
Ils respirent, tu vis, tu sais que je t’adore
pourquoi donc verses-tu des pleurs ?
Tu ne me réponds pas ?
ALCESTE
Dieux ! que puis-je lui dire ?
ADMETTE
Je cherche tes regards, tu détournes les yeux !
Ton cœur me fuit, je l’entends qui soupire.
ALCESTE
Ô douleur ! ô tourment affreux !
ADMETTE
Ce cœur pour ton époux n’est-il donc plus le même ?
Il versoit dans le mien ses peines, ses plaisirs.
ALCESTE
Les dieux ont entendu mes vœux et mes soupirs,
ils savent, ces dieux, si je t’aime.
Air.
Je n’ai jamais chéri la vie,
que pour te prouver mon amour.
Ah ! pour te conserver le jour,
qu’elle me soit cent fois ravie.
Je t’aimerai jusqu’au trépas,
jusque dans la nuit éternelle;
et da ma tendresse fidelle,
la mort ne triomphera pas.
Je n’ai jamais chéri la vie,
que pour te prouver mon amour.
Ah ! pour te conserver le jour,
qu’elle me soit cent fois ravie.
ADMETTE
Tu m’aimes, je t’adore, et tu remplis mon cœur
des plus vives alarmes.
ALCESTE
Ah ! cher époux, pardonne à ma douleur;
je n’ai pu te cacher mes larmes.
ADMETTE
Et qui le fait couler ?
ALCESTE
On t’a dit à quel prix
les dieux ont consenti de calmer leur colère,
et t’ont rendu ces jours si tendrement chéris.
ADMETTE
Connois-tu cet ami, victime volontaire ?
ALCESTE
Il n’auroit pu survivre à ton trépas.
ADMETTE
Nomme-moi ce héros ?
ALCESTE
Ne m’interroge pas !
ADMETTE
Réponds-moi ?
ALCESTE
Je ne puis.
ADMETTE
Tu ne peux ?
ALCESTE
Quel martyre !
ADMETTE
Explique-toi !
ALCESTE
Tout mon cœur se déchire.
ADMETTE
Alceste !
ALCESTE
Je frémis !
ADMETTE
Alceste ! au nom des dieux,
au nom de cet amour si tendre, si fidèle,
qui fait tout mon bonheur, qui comble tous mes vœux;
romps ce silence odieux
dissipe ma frayeur mortelle !
ALCESTE
Mon cher Admette, hélas !
ADMETTE
Tu me glace d’effroi;
parle ! quel est celui, dont la pitié cruelle
l’entraîne à s’immoler pour moi ?
ALCESTE
Peux-tu le demander ?
ADMETTE
Ô silence funeste !
Parle ! enfin je l’exige.
ALCESTE
Eh ! quel autre qu’Alceste
devoit mourir pour toi ?
LE CHŒUR
Ô dieux !
ADMETTE
Toi !... ciel !... Alceste !...
LE CHŒUR
Ô malheureuse Admette,
que poursuit le sort en courroux !
Ô généreux effort d’une vertu parfaite,
Alceste meurt pour son époux !
ADMETTE
Ô coup affreux !
ALCESTE
Admette !
ADMETTE
Ah ! laisse-moi, cruelle !
Laisse-moi !
ALCESTE
Cher époux !...
ADMETTE
Non, laisse-moi mourir !
Laisse-moi succomber à ma douleur mortelle,
à des tourments que je ne puis souffrir.
ALCESTE
Calme cette douleur, ce désespoir extrême,
vis ! conserve des jours si chers à mon amour.
ADMETTE
Tu veux mourir, tu veux me quitter sans retour ?
et tu veux que je vive ? et tu dis que tu m’aimes ?
Qui t’a donné le droit de disposer de toi ?
Les serments de l’amour et ceux de l’hyménée,
ne te tiennent-ils pas à mes lois enchaînée ?
Tes jours, tous tes moments ne sont-ils pas à moi ?
Peux-tu me les ravir sans être criminelle ?
Peux-tu vouloir mourir, cruelle !
sans trahir tes serments, ton époux et ta foi ?
Et les dieux souffriraient cet affreux sacrifice ?
ALCESTE
Ils ont été sensibles à mes pleurs.
ADMETTE
D’un amour insensé, leur barbare caprice
approuveroit les fureurs ?
Non, je cours réclamer leur suprême justice;
ils tourneront sur moi leurs coups;
ils reprendront leur première victime,
ou ma main, ne suivant qu’un transport légitime,
satisfera doublement leur courroux.
ALCESTE
Arrête, ô ciel ! ah ! cher époux !
Air.
ADMETTE
Barbare ! non, sans toi je ne puis vivre;
tu le sais, tu n’en doutes pas;
et pour sauver mes jours, ta tendresse me livre
à des maux plus cruels cent fois que le trépas.
La mort est le seul bien qu’il me reste à prétendre,
elle est mon seul recours dans mes tourments affreux,
et l’unique faveur que j’ose encore attendre
de l’équité des dieux.
Barbare ! non; sans toi je ne puis vivre.
(Il sort.)
ALCESTE
Opposés à ces vœux un invincible obstacle,
grands dieux, pour mon époux, j’implore vos secours,
calmés son désespoir, et conservés ses jours !
Laissés-moi seule accomplir votre oracle.
Alceste, Peuple.
UNE VOIX, LE CHŒUR
Tant de grâces !
UNE AUTRE
I
Tant de beauté,
UNE AUTRE
II
son amour,
UNE AUTRE
III
sa fidélité.
UNE AUTRE
IV
Tant de vertus,
UNE AUTRE
V
de si doux charmes.
TOUS
Nos vœux, nos prières et nos larmes,
grands dieux ! ne peuvent vous fléchir ?
Et vous allés nous la ravir.
ALCESTE
Dérobés-moi vos pleurs, cessés de m’attendrir.
Air.
Ah ! malgré moi, mon foible cœur partage
vos tendres pleurs, vos regrets si touchants;
et je sens trop dans ces cruels instants
que j’ai besoin du plus ferme courage.
Voyés quelle est la rigueur de mon sort,
épouse, mère et reine si chérie...
rien ne manquoit au bonheur de ma vie,
et je n’ai plus d’autre espoir que la mort.
Quel supplice, quelle rigueur !
Il faut quitter pour jamais ce que j’aime.
Cet effort, ce tourment extrême
et me déchire, et m’arrache le cœur.
LE CHŒUR
Ô que le songe de la vie
avec rapidité s’enfuit,
comme la fleur épanouie,
qu’un souffle des autans flétrit.
Alceste, si jeune, si belle,
meurt au plus brillant de ses jours;
et la parque injuste et cruelle,
de son bonheur tranche le cours.
Fin du second acte.
Le thèâtre représente la même decoration qu'au seconde acte, mais moins éclairée, parce que le jour commence à tomber.
Évandre, Coriphées, Peuple.
ÉVANDRE, LES CORYPHÉES
Nous ne pouvons trop répandre de larmes,
Alceste touche au moment du trépas.
Son époux ne survivra pas
à la perte de tant de charmes.
ÉVANDRE
Ô, peuple infortuné !
UN CORYPHÉE
Quel funeste avenir !...
TOUS
Pleure, ô patrie !
ô Thessalie !
Alceste va mourir.
Les acteurs de la scène précédente, Hercule et sa suite.
HERCULE
(au fond du thèâtre)
Après de longs travaux entrepris pour la gloire,
l’implacable Junon me laisse respirer.
Hercule à l’amitié pourra donc se livrer,
et jouir dans se bras du fruit de la victoire.
(Au peuple.)
Mais que vois-je ? Pourquoi répandés-vous des larmes ?
ÉVANDRE
Vous ignorés donc nos malheurs,
Admette... Alceste...
HERCULE
Admette !...
ÉVANDRE
Hélas !
Nous ne pouvons trop répandre de larmes,
Alceste touche au moment du trépas.
Aux portes de la mort elle a porté ses pas.
Malgré nos pleurs, nos cris, Admette l’a suivie.
Pleure, ô patrie !
ô Thessalie !
Alceste va mourir !
HERCULE
(avec transport)
Au pouvoir de la mort je saurai la ravir.
Reposés-vous sur un ami sensible.
Reposés-vous sur ce bras invincible.
Au pouvoir de la mort je saurai la ravir.
Mais tandis que Phœbus brille sur l'émisphere,
esclave du destin à qui tout obéit,
la mort n'ôse franchir la fatale barrière,
qui sépare le jour de l'éternelle nuit.
Air.
C’est en vain que l’enfer compte sur sa victime.
Non, vous ne perdrés pas l’objet de votre amour,
je descendrai plutôt aux ténébreux abîme.
J’en jure par le dieu qui me donna le jour.
(Ils sortent.)
Le thèâtre représente un site affreux: le fond est rempli par des arbres desséchés et brisés. Sur un des côtés on voit des rochers suspendus et menaçants; de l'autre une caverne, d'où il sort de tems en tems un feu obscur. C'est l'entrée des enfers: en avancement des arbres, et un peu de côté, est l'autel de la mort, il est de pierre brute, et paré d'une faux. Le jour est palé et tombant, et il diminue progressivement.
Alceste, Dieux infernales, qu'on ne voit pas.
ALCESTE
(entrant)
Grands dieux ! soutenés mon courage !
Avançons, je frémis !... consommons notre ouvrage.
Ciel ! quel affreux séjour ! où suis-je, justes dieux ?
Tous mes sens sont saisis d’une terreur soudaine:
tout de la mort dans ces horribles lieux
reconnoît la loi souveraine.
Ces arbres desséchés, ces rochers menaçants;
la terre dépouillée, aride et sans verdure,
le bruit lugubre et sourd de l’onde qui murmure,
des oiseaux de la nuit le ténébreux accents:
cet antre, cet autel... ces spectre effrayants,
cette pâle clarté dont la lumière obscure
répand sur ces objets une nouvelle horreur,
tout de mon cœur glacé redouble la terreur,
dieux ! que mon entreprise est pénible et cruelle !
La terre se refuse à mes pas chancelants,
et mes genoux tremblants
s’affaissent sous le poids de ma frayeur mortelle.
(Elle tombe sur un rocher.)
(Elle se reléve, et fait un pas vers l'autel de la mort.)
Ah ! l’amour me redonne une force nouvelle,
à l’autel de la mort lui-même il me conduit,
et des antres profonds de l’éternelle nuit
j’entends sa voix qui m’appelle.
LE CHŒUR DES DIVINITÉS INFERNALES
Malheureuse, où vas-tu ?
ALCESTE
Dieux, je succombe.
(Elle retombe.)
LE CHŒUR
Attends.
Pour tenter de descendre aux rivage funèbres,
que le jour qui te fuit fasse place aux ténèbres,
tu n’attendras pas long-tems.
Air.
ALCESTE
Ah ! divinités implacables !
Ne craignés pas que par mes pleurs,
je veuille fléchir les rigueurs
de vos cœurs impitoyables.
La mort a pour moi trop d’appas,
elle est mon unique espérance:
ce n’est pas vous faire une offense,
que de vous conjurer de hâter mon trépas.
Alceste, Dieux infernales, qu'on ne voit pas, Admette, qui entre égaré.
ALCESTE
Ciel ! Admette, ô moment terrible !
(Elle retombe.)
ADMETTE
Que vois-je ! Alceste, Alceste !... justes dieux !
Aux portes des enfers, Alceste !
ALCESTE
Ah ! malheureux !
Eh ! que viens-tu chercher dans ce séjour horrible ?
ADMETTE
La mort... les dieux ont rejetté mes vœux,
Apollon même est insensible,
et sourd à mes cris douloureux:
la mort... la mort... est tout ce que je veux.
ALCESTE
Que dis-tu ? Ciel !... Admette ! ô désespoir affreux !
Tes sujets ! nos enfants ! n’es-tu donc plus leur père ?
Air.
Vis pour garder le souvenir
d’une épouse qui te fut chère,
qui ne vivait que pour te plaire,
et qui, pour toi, voulut mourir.
ADMETTE
Vivre sans toi ! moi ! vivre sans Alceste;
vivre pour abhorrer la lumière céleste,
et ces barbares dieux, auteurs de tous nos maux,
sans cesse déchiré par des tourments nouveaux,
j’irois traîner des jour que je déteste;
je pourrois ?... ciel !...
Air.
Alceste ! Alceste, au nom des dieux !
Sois sensible au sort qui m’accable,
ah ! prends pitié d’un époux misérable,
et ne le livre point à ces tourments affreux.
Errant dans ce palais qu’embellissoient tes charmes,
je chercherois en vain la trace de tes pas,
en proie à la douleur, les yeux baigné de larmes,
je pousserois des cris que tu n’entendrais pas.
Pour adoucir l’excès de ma misère,
j’irois embrasser mes enfants,
j’entendrais leurs plaintifs accents,
je les verrois frémir à l’aspect de leur père;
me reprocher ta mort, me demander leur mère.
Alceste ! Alceste, au nom des dieux !
Sois sensible au sort qui m’accable,
ah ! prends pitié d’un époux misérable,
et ne le livre point à ces tourments affreux.
Air.
UN DIEU INFERNAL
ADMETTE
Alceste ! si pour moi ta tendresse est extrême,
Alceste, il faut me le prouver.
ALCESTE
Cruel ! tu voudrois me priver
du bonheur de sauver les jours de ce que j'aime.
ADMETTE
Ciel ! aux dépens des tiens !
ALCESTE
Ne sont-ils pas à toi,
ces jours que je te sacrifie ?
Ah ! depuis que l'hymen nous lie,
Admette, tu le sais, ils ne sont plus à moi.
ADMETTE
Et cruelle, tu veux renoncer à la vie ?
ALCESTE
Le devoir et l'amour m'en imposent la loi.
ADMETTE
Si tu meurs, croi-tu donc qu'Admette puisse vivre ?
Non, si je ne puis t'attendrir,
si ton barbare cœur ne se laisse fléchir,
ton malheureux époux aux enfers va te suivre.
ALCESTE
Calme la douleur qui te presse,
et sur les gages précieux
de notre hymen et des nos feux,
réunis toute ta tendresse.
LE CHŒUR DES DIVINITÉS INFERNALES
Alceste, Alceste: le jour fuit,
et le destin qui te poursuit,
a marqué ta heure fatale;
suis-nous dans la nuit infernale.
ALCESTE
Adieu, cher époux !
ADMETTE
Arrêtés !
ALCESTE
C’en est fait.
ADMETTE
Arrêtés, barbares déités;
exercés sur moi seul votre rage inhumaine,
ensevelissés-moi dans la nuit du trépas.
LE CHŒUR DES DIVINITÉS INFERNALES
L’enfer parle, obéis à sa loi souveraine.
ADMETTE
Vous n’arracherés pas Alceste de mes bras,
cruelles !
ALCESTE
Un pouvoir invincible m’entraîne.
LE CHŒUR
L'enfer parle, obéis à sa loi souveraine.
Les acteurs précédens, Hercule.
HERCULE
(volé à Alceste, la remet dans les bras d'Admette, et combat les dieux infernales)
Fuyés, troupe inhumaine,
craignés mon bras vengeur !
LE CHŒUR DES DIVINITÉS INFERNALES
Non, non, ta rage est vaine.
Nous bravons ta valeur.
ADMETTE
(aux divinités)
Que rien ne nous sépare,
je me livre à vos coups.
ALCESTE
Que votre main barbare
épargne mon époux !
HERCULE
Dans la nuit du Tartare,
rentrés ! replongés-vous ?
Fuyés troupe inhumaine !
Craignés mon bras vengeur !
LE CHŒUR
(s'abîmant avec l'autel de la mort)
Le fils de Jupiter, de l’enfer est vainqueur !
Hercule, Admette, Alceste, Apollon.
APOLLON
Le thèâtre change, et représente une avant-cour du palais d'Admette. Le peuple entre en foule.
Les acteurs de la scène précédente, et le peuple.
APOLLON
HERCULE, ADMETTE, ALCESTE
(à Apollon qui remonte au ciel)
Dieu bienfaisant, ô puissance éternelle !
Hercule, Admette, Alceste, Peuple.
ADMETTE
(au peuple)
Ô mes amis ! Alceste m’est rendue.
ALCESTE
(courant à ses enfants, qui entrent)
Ô mes enfants !
ADMETTE
Les dieux sont adoucis.
ALCESTE, ADMETTE
(aux enfants)
Je vous revois, nos malheurs sont finis.
LE CHŒUR
Ô bonheur inoui, faveur inattendue !
ADMETTE, ALCESTE
(montrant Hercule)
C’est ce héros qui nous a réunis.
Ensemble
ADMETTE, ALCESTE
Reçois, digne héros, l’hommage de deux cœurs,
dont le bonheur surpasse l’espérance.
Par les transports de leur reconnaissance,
juge du prix de tes faveurs !
HERCULE
Tendres époux, c’est dans votre bonheur
que je trouve ma récompense.
Qu’il soit le prix de ma valeur !
LE CHŒUR
Qu’ils vivent à jamais, ces fortunés époux,
le ciel les a sauvés pour le bonheur du monde;
qu’à nos vœux, qu’à nos chants tout l’univers réponde,
l’art de nous rendre heureux fait leur soin le plus doux.
Fin.
Fin du livret.
Generazione pagina: 06/01/2017
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(D)