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Scène première |
Le thèâtre représente une galerie extérieure de l'Alhambra; on voit à droite le pavillon qu'habite Noraïme. Alémar, Kaled, Alamir. |
Q
Alémar, Kaled, Alamir
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[Trio] | N
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KALED (à Alémar) |
Son triomphe s'apprête:
vous ne frémissez pas ?
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ALAMIR |
Quelle odieuse fête !
Je ne le verrai pas.
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ALÉMAR (avec ironie) |
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ALAMIR, KALED |
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KALED |
Celui dont l'orgueil nous opprime
de nous va triompher encor.
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ALAMIR |
La belle Noraïme
devient l'épouse d'Almanzor.
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KALED |
Cet insolente Abencérage
l'emporte sur les fiers Zégris:
de la noblesse et due courage
le roi lui décerne le prix.
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KALED, ALAMIR
Son triomphe s'apprête:
vous ne frémissez pas ?
Quelle odieuse fête !
Je ne la verrai pas.
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Ensemble
ALÉMAR
Son triomphe s'apprête:
l'abyme est sous ses pas.
Croyez-moi, cette fête
ne s'achèvera pas.
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KALED |
Se peut-il qu'Alémar oublie
que Noraïme est du sang de nos rois ?
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ALAMIR |
Que si leur attente est remplie
à son époux elle apporte ses droits ?
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ALÉMAR |
Quoi ! vous me connaissez, et vous paraissez craindre
que j'abjure jamais mon fier ressentiment ?
À tous les yeux forcé de feindre,
je puis avec vous seuls m'expliquer librement.
Amis, je suis Zégris; ma haine est immortelle:
je hais dans Almanzor jusques à ses vertus.
Des long-temps la discorde a sur nos deux tribus
versé tous les poisons de sa bouche cruelle.
Cherchant la gloire et les combats
tandis que sur d'autres rivages
Muley-Hassem de ses Albencérages
conduit l'élite sur ses pas;
Grenade, pendant son absence,
reconnaît mon autorité;
mais d'un roi soupçonneux l'inquiete prudence
ne me laissa qu'un pouvoir limité.
Ce conseil des vieillards me surveille et m'obsède.
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ALAMIR |
Ainsi ton courage lui cède ?
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KALED |
Pour l'hymen d'Almanzor les autels sont parés;
et d'une trêve glorieuse
les garants les plus assurés
promettent à l'amour une journée heureuse.
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ALÉMAR |
L'Abencérages ici n'a-t-il point de rivaux ?
Faut-il plus d'un moment pour rallumer la guerre ?
Octaïr, le gardien du plus saint des dépôts,
de l'étendard sacré que Grenade révère,
Octaïr troublera la fête du héros...
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KALED |
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ALÉMAR |
Sortons; je prétends vous instruire
d'un dessein que j'ai su conduire,
et qui peut de l'hymen attrister les flambeaux !
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| (Ils sortent tous trois.) | Alémar, Kaled, Alamir ->
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Scène deuxième |
Almanzor seul. |
<- Almanzor
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[Air] | N
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Enfin j'ai vu naître l'aurore !
Le soleil éclaire ces lieux,
ces lieux où tout ce que j'adore
va bientôt enchanter mes yeux !
Que l'air est pur ! Que la nature est belle !
Noraïme, mon cœur fidèle
croit s'enivrer de ses attraits:
mais en toi seule est sa puissance,
et le charme de ta présence
se répand sur tous les objets.
| S
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Scène troisième |
Noraïme, Almanzor, Égilone. |
<- Noraïme, Égilone
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ALMANZOR |
(allant au-devant de Noraïme, qui sort du palais)
Fille des rois, ma tendre impatience
guide mes pas dans ce séjour;
j'y réclame à tes pieds les serments de l'amour:
confirme d'un regard ma timide espérance.
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NORAÏME |
Un monarque adoré,
en m'imposant sa loi suprême,
par mon cœur en secret fut sans doute inspiré:
jugez de mon bonheur extrême,
il m'unit au héros que j'aime,
et d'un plaisir si pur fait un devoir sacré.
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[Duo] | N
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Qu'il est doux de pouvoir se dire:
la gloire autorise mon choix !
Ce guerrier que l'Espagne admire,
l'honneur, le soutien de l'empire,
l'hymen l'enchaîne sous mes lois !
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ALMANZOR |
Qu'il est doux de pouvoir se dire:
l'univers envîrait mon choix !
La beauté que l'Espagne admire,
l'amour, l'ornement de l'empire,
m'enchaîne sous ses douces lois !
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NORAÏME |
À mes vœux tout rit, tout conspire:
d'où vient qu'une vaine terreur
agite et tourmente mon cœur ?
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ALMANZOR |
D'où naît le trouble de ton cœur ?
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NORAÏME |
Des fiers Zégris la jalousie
me cause un invincible effroi.
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ALMANZOR |
Mon bonheur afflige l'envie.
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NORAÏME |
Elle peut s'armer contre toi.
D'Alémar tu connais la haine ?
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ALMANZOR |
Il en abjure les transports.
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NORAÏME |
Du roi la volonté l'enchaîne;
il dissimule avec efforts.
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ALMANZOR |
Noraïme, amante adorée,
souris à ton heureux époux,
et de ta crainte délivrée,
abandonne ton cœur au charme le plus doux.
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NORAÏME |
Oui, de ma crainte délivrée,
j'abandonne mon cœur au charme le plus doux.
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ALMANZOR, NORAÏME
Qu'il est doux de pouvoir se dire:
l'univers envîrait mon choix !
J'enchaîne sous mes douces lois,
l'amour, l'ornement de l'empire !
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Scène quatrième |
Les mêmes, Kaled. |
<- Kaled
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KALED |
Paraissez; Alémar attend le couple heureux:
à sa voix appelées,
nos tribus assemblées
pour fêter votre hymen ont préparé leurs jeux.
Gonzalve est dans nos murs; il amène à sa suite
de guerrieres espagnols une brillante élite.
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ALMANZOR |
La paix amène dans ces lieux
ce guerrier ami de la gloire !
Gonzalve à qui mon bras dispute la victoire !
Le ciel en un seul jour a comblé tous mes vœux.
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| (Ils sortent.) | Almanzor, Noraïme, Kaled, Égilone ->
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Scène cinquième |
Le thèâtre change, et représente la cour des lions. Le peuple entoure de fleurs deux jeunes palmiers qu'il vient de planter, et achève les préparatifs de la fête. |
Q
Peuple
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[Chœur et danses] | N
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CHŒUR
Que l'amitié, que l'hymen vous rassemble:
pour embellir ce beau séjour,
vivez, croissez, brillez ensemble,
riants palmiers, doux arbres de l'amour.
Que zéphyr sans cesse
agite, caresse
vos jeunes rameaux;
et sous leur verdure
qu'une source pure
épanche ses eaux.
Gages des conquêtes
qu'appellent nos vœux,
soyez de nos fêtes
les témoins heureux;
que vos nobles têtes
s'élèvent aux cieux.
Ombragez d'un riant feuillage
deux époux, l'honneur de ces lieux;
et puissent nos derniers neveux
se reposer sous votre ombrage !
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Scène sixième |
Les danses sont interrompues par l'arrivée du cortège; Gonzalve, Almanzor, Espagnols de la suite de Gonzalve; les Abencérages, les Zégris, Noraïme, Égilone, femmes de la suite de Noraïme; Abderame, Alémar, Kaled, Alamir, peuple, écuyers, etc. etc. |
<- Gonzalve, Almanzor, Espagnols de la suite de Gonzalve, Abencérages, Zégris, Noraïme, Égilone, Femmes de la suite de Noraïme, Abderame, Alémar, Kaled, Alamir, Écuyers
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CHŒUR |
Palais de rois, noble séjour,
retentissez des chants de l'allégresse !
À la plus aimable princesse
adressons nos vœux, notre amour.
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GONZALVE |
Braves Zégris, nobles Abencérages,
la beauté, la vaillance, en tous lieux ont des droits:
aux pieds de la fille des rois
Gonzalve apporte les hommages
du monarque puissant qui nos donne des lois.
Pour prix de l'auguste ambassade
dont il m'a confié l'honneur,
je revois désarmé le héros de Grenade;
je suis témoin de son bonheur.
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[Air] | N
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Poursuis tes belles destinées,
honneur des preux, jeune héros,
que le plus doux des hyménées
couronne tes nobles travaux.
Des guerriers le plus magnanime
devait obtenir ce trésor;
l'amour inspirait Noraïme,
la gloire nommait Almanzor !
| S
(♦)
(♦)
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ALMANZOR |
Gonzalve, dans ce jour paisible
qu'en ma faveur le ciel a voulu signaler,
au dernier de mes vœux s'il se montre sensible,
nos ennemis doivent trembler;
te surpasser est impossible;
mais Almanzor aspire à t'égaler
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ALMANZOR, GONZALVE, NORAÏME, ABENCÉRAGES
Laissons respirer la victoire,
volage amante des guerriers;
que l'hymen, conduit par la gloire
se repose sur des lauriers.
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Ensemble
KALED, ZÉGRIS
Pour nous quelle indigne victoire
a réuni ces deux guerriers !
Son hymen insulte à la gloire,
et va flétrir tous nos lauriers.
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ALÉMAR
(aux Abencérages)
Laissons reposer la victoire;
(bas, aux Zégris)
ranimez vos transports guerriers.
(aux Abencérages)
L'hymen vient s'unir à la gloire;
(bas, aux Zégris)
il flétrirait tous vos lauriers.
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ABDERAME |
Peuple, de l'hymen qui s'apprête
que vos chants, que vos jeux, solennisent la fête !
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Tout le monde prend place; les jeux commencent par des danses, auxquelles succède le pas nommé des roseaux (1). Entrée des troubadours provençaux et des jongleurs qui marchent à leur suite. | <- Troubadours
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| (1) Le pas des roseaux était une danse nationale chez les Maures d'Espagne. Tous les historiens en font mention; elle est décrite dans l'"Histoire chevaleresque des Maure de Grenade", de Ginès Perès de Hita, traduite par M. S. | |
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PREMIER TROUBADOUR
Aux rives du Darro qui roule un sable d'or,
le troubadour au son de la harpe amoureuse
mêle sa voix harmonieuse;
il chante Noraïme, amante d'Almanzor.
| S
|
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TROUBADOURS
Guerriers, aux palmes de la lyre
joignez vos lauriers fraternels;
aimez le dieu qui nous inspire:
nos chants vous rendent immortels.
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| (Danse des jongleurs qui marchant à la suite des troubadours.) | |
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[Romance] | N
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PREMIER TROUBADOUR
Vous qui n'aimez rien sur le terre,
vos noms, passeront sans retour;
que je plains le cœur solitaire !
il vit sans gloire et sans amour.
Ô vous qui d'une ardeur extrême,
comme nous, les cherchez tous deux,
soyez vaillans pour qu'on vous aime,
soyez constans pour être heureux.
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TROUBADOURS |
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PREMIER TROUBADOUR
Voyez-vous la flamme céleste,
elle brille au front du héros;
la vierge timide et modeste
va couronner des feux si beaux.
Jeune amans, du bien suprême
vous jouirez un jour comme eux;
soyez vaillans pour qu'on vous aime,
soyez constans pour être heureux.
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TROUBADOURS |
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| (Continuation de la danse e des fêtes; danses des troubadours provençaux, espagnols, etc.) | |
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Scène septième |
Les mêmes, Octaïr. |
<- Octaïr
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ALMANZOR |
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NORAÏME |
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OCTAÏR |
Un envoyé du camp royal
de la guerre à l'instant rapporte le signal.
Jaën est menacée, et la trêve est rompue.
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CHŒUR GÉNÉRAL |
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| (Cette nouvelle est suivie d'un moment de silence, pendant lequel les Zégris se réunissent sur un des côtés du thèâtre, et paraissent méditer quelque dessein secret. Octaïr, Kaled et Alamir sont auprès d'Alémar vers le milieu de la scène. Gonzalve, les Espagnols, les troubadours se rassemblent du côté opposé aux Zégris; Almanzor et le Abencérages se trouvent entre les Espagnols et Alémar.) | |
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[Ensemble] | N
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ESPAGNOLS, GONZALVE, TROUBADOURS (entre eux)
J'aperçois leurs affreux desseins.
Des Zégris la perfide rage
dans le piège ici nous engage;
mais nous sortirons de leurs mains.
ABENCÉRAGES
Nous voyons leurs affreux desseins;
mais nous sommes Abencérages,
et les Espagnols sans outrages
doivent échapper de leurs mains.
ALÉMAR (à Octaïr)
Leurs projet nuit à nos desseins.
Apaisez ce premier orage:
pour mieux achever notre ouvrage,
laissons-le sortir de nos mains.
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Ensemble
ALMANZOR
J'aperçois leurs affreux desseins;
mais nous sommes Abencérages,
et les Espagnols sans outrages
doivent échapper de leurs mains.
ZÉGRIS, OCTAÏR, KALED, ALAMIR
Rendons nos succès plus certains;
le sort nous en offre la gage.
Gonzalve est pour nous un otage:
doit-il sortir d'entre nos mains ?
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| (Octaïr et Kaled pendant la ritournelle parlent bas aux Zégris.) | |
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ALMANZOR (d'un ton solemnelle) |
Aux combat la patrie appelle
des deux côtés ses nobles fils;
répodons à sa voix fidèle,
mais en généreux ennemis.
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ALÉMAR |
Nous dédaignons une gloire commune;
et des droits qu'en ce jour nous donne la fortune,
Gonzalve, contre toi nous n'abuserons pas:
retourne dans ton camp, nous y suivrons tes pas.
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ABDERAME |
De nos vrais sentimens Alémar est l'organe.
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ZÉGRIS (à part) |
Apaisons-nous;
contraignons un courroux
que le visir condamne.
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GONZALVE |
Adieu, noble Almanzor,
nous nous verrons au milieu des batailles;
et puisssons-nous dans ces murailles,
l'olivier à la main, nous retrouver encor !
De Noraïme à la cour d'Isabelle
le dirai les vertus, les graces, les appas;
je rends à la beauté mon hommage fidèle,
je voue à sa défense et mon cœur et mes bras.
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ESPAGNOLS, TROUBADOURS (en sortant) |
Marchons au champ de la victoire,
l'espoir nous attend au retour.
L'amour récompense la gloire,
et la gloire embellit l'amour.
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| (Gonzalve, les Espagnol et les troubadours sortent, Kaled les suit.) | Gonzalve, Espagnols de la suite de Gonzalve, Troubadours, Kaled ->
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Scène huitième |
Les mêmes, excepté Gonzalve, Kaled, les troubadours, et les Espagnols. |
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ALÉMAR |
L'ennemi vers Jaën dirige son armée;
prévenons-le, marchons vers la ville alarmée,
et d'un coup imprévu punissant l'agresseur,
cette nuit dans son camp répandons le terreur.
Almanzor, cet exploit réclame ta vaillance.
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ALMANZOR |
Visir, je réponds du succès;
que nos guerriers soient prêts,
la victoire suivra ma lance.
Armez-vous, enfans d'Ismaël.
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[Finale] | N
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OCTAÏR (au visir, bas) |
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ALÉMAR (bas, à Octaïr) |
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NORAÏME |
O moment trop cruel !
Étouffons nos soupirs, dévorons ma souffrance.
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KALED |
(qui entre, bas, au visir)
L'avis est parvenu.
| <- Kaled
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ALÉMAR |
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CHŒUR |
Suivons les pas du héros:
le lion brise sa chaîne;
il s'élance dans l'arène,
indigné de son repos.
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| (Sur un signe d'Alémar, Octaïr a été prendre le drapeau de Grenade qu'il remet aux mains du visir. Celui-ci le présente à Almanzor.) | |
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ALÉMAR |
Almanzor, en ce jour Grenade te confie
son étendard et ses destins;
mais tu dois compte à la patrie
du dépôt précieux que je mets en tes mains.
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ABDERAME |
Tu sais à ce gage sublime
quels sermens doivent te lier ?
Tu sais que sa perte est un crime
que la mort peut seule expier ?
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ALMANZOR |
Ce trésor, que j'emporte au milieu des batailles,
rentrera triomphant au sein de nos murailles.
Armez-vous, enfans d'Ismaël.
(Il remet l'étendard à Octaïr.)
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ALÉMAR (à Octaïr, bas) |
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OCTAÏR (bas, au visir) |
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NORAÏME |
(regardant le visir et Octaïr avec inquietude)
Dieux ! quel moment cruel !
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ALMANZOR |
Écoutez le clairon sonore,
le hennissement des coursiers,
cette voix que mon cœur adore,
aux combats appelle le Maure;
aux armes, généreux guerriers !
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CHŒUR GÉNÉRAL |
Écoutez: le clairon sonore,
le hennissement des coursiers,
aux combats appelle le Maure;
aux armes, généreux guerriers !
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| (Pendant ce dernier chœur, les écuyers apportent aux chefs des guerriers leurs boucliers et leurs lances. Noraïme détache son écharpe, qu'elle passe au cou d'Almanzor qui s'agenouille devant elle. Sur le bouclier d'Almanzor est peint un lion que l'Amour enchaîne, avec cette devise, doux et terrible; sur celui de Kaled est peint un glaive avec ces mots, voilà ma loi. Celui d'Alamir représente un roseau courbé, et au dessous on lit, agité, point abattu.) | |
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