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Scène première |
La boutique d'un horloger espagnol, port au fond à gauche, large fenêtre au fond au milieu, à gauche escalier menant à l'appartement de Concepcion, à droite au premier plan deux grandes horloges catalanes c'est a dire normandes, ça et là des automates: un oiseau des îles, un petit coq, des marionettes a musiques - Au lever du rideau, Torquemada, le dos tourné au public, est assis devant son établi. On entend les balanciers qui s'agitent, et toutes les pendules de la boutique sonnent des heures différentes. |
Q
Torquemada
<- Ramiro
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RAMIRO |
(entrant)
Senor Torquemada, horloger de Tolède.
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TORQUEMADA |
Torquemada, c'est moi, monsieur.
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RAMIRO |
Ma montre, à chaque instant s'arrête.
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TORQUEMADA |
Voilà qui va des mieux, voilà qui va des mieux.
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RAMIRO |
Or, je suis a votre service.
Muletier du gouvernment
connaitre l'heure exactement
en conséquence est mon office
car chaque jour, a heure fixe
mes mulets doivent, sur leur dos,
emporter les colis postaux.
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TORQUEMADA |
Voyons la montre.
(Il la prend et l'examine.)
Elle est de style !
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RAMIRO (gravement) |
Oui, c'est un bijou de famille.
Mon oncle, le toréador,
par elle fut sauvé des cornes de la mort.
Aux arènes de Barcelone,
alors que le taureau fonçait,
cette montre en son gousset,
le préserva du coup de corne;
mais si le monstre par la montre fut arrêté
c'est a présent la montre qui s'arrête.
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TORQUEMADA |
Nous allons donc la démonter.
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CONCEPCION (Dans la coulisse.) |
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TORQUEMADA |
On m'appelle... ma femme...
Totor est de Torquemada,
le diminutif plein de charme.
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Scène deuxième |
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<- Concepcion
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CONCEPCION |
(entrant)
Eh ! Quoi ! vous n'êtes point parti ?
L'étourderie est sans égale !
Vous souvient il plus qu'aujourd'hui
if faut aller régler comme chaque jeudi
les horloges municipales ?
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TORQUEMADA |
Mais quelle heure est il donc ?
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RAMIRO |
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TORQUEMADA |
Que voulez vous !
Les horloges, monsieur, on n'entend plus leurs coups:
ce serait a devenir fou !
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CONCEPCION |
(Montrant les horloges.)
Pourquoi, depuis que je vous en réclame
une pour ma chambre a coucher
garder ici ces deux horloges catalanes !
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TORQUEMADA |
Si vous croyez que c'est léger,
une horloge, et facile a prendre !
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CONCEPCION |
(Avec un mépris très significatif et a mi-voix.)
De force musculaire, oui, vous avez sujet
de vous montrer avare, ou, du moins, ménager:
vous n'en avez pas a revendre !
(Haut.)
Mais plus longtemps ne faites pas attendre
les balanciers municipaux.
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TORQUEMADA |
(S'apprêtant a sortir.)
J'ai mes outils ? J'ai mon chapeau ?
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RAMIRO |
(intervenant)
Pardon. . . monsieur. . . pardon ... ma montre ?...
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TORQUEMADA |
Je cours, mon cher monsieur, je cours
demeurez jusqu'à mon retour !
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CONCEPCION (À part.) |
Voilà qui ne fait pas mon compte !
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TORQUEMADA |
Excusez moi. Je reviens de ce pas:
l'heure officielle n'attend pas.
(Il sort.)
| Torquemada ->
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Scène troisième |
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CONCEPCION |
Il reste, voilà bien ma chance !
Le jour de la semaine où mon époux est loin,
mon unique jour de vacances,
me sera t'il gâté par ce fâcheux témoin ?
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RAMIRO (À part.) |
Il faut pourtant qu'avec la senora je cause.
Mais... de quoi diable lui parler ?
J'aurais mieux fait de m'en aller,
car je n'ai jamais su dire aux femmes des choses...
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CONCEPCION |
(Hésitante, montrant a Ramiro une des deux horloges.)
Cette horloge, monsieur, la jugez vous d'un poids
tel, pour la déplacer, qu'il faille
l'effort de deux hommes ou trois ?
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RAMIRO |
Ça, madame ?
C'est une paille,
c'est une coquille de noix,
on lève ça avec un doigt.
C'est de la très petite ouvrage.
Votre chambre ?
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CONCEPCION |
Au premier étage... Mais.
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RAMIRO |
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CONCEPCION |
Quoi ! vous consentiriez ?
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RAMIRO |
C'est dit, senora, je m'en charge !
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CONCEPCION |
Je n'osais pas vous en prier !
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RAMIRO |
If fallait oser au contraire !
Tout muletier a dans son coeur
un déménageur amateur
et voilà qui va me distraire
en attendant votre mari.
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CONCEPCION |
| |
RAMIRO |
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CONCEPCION |
(À part.)
Tout s'arrange fort bien ainsi !
(Haut.)
L'escalier est au fonds du coaloir que voici...
Vraiment, monsieur, vraiment, j'abuse !
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RAMIRO |
C'est moi, senora, qui m'excuse:
je fais si piètre mine, hélas ! dans un salon!...
Les muletiers n'ont pas de conversation.
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| (On entend vocaliser Gonzalve dans la coulisse. Ramiro sort, emportant l'horloge sur son épaule.) | Ramiro ->
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Scène quatrième |
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<- Gonzalve
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CONCEPCION |
(Qui guette a la fenêtre.)
Il était temps, voici Gonzalve !
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GONZALVE |
Enfin revient le jour si doux;
harpes, chantez, éclatez salves !
Enfin revient le jour si doux,
le jour où, d'un époux jaloux,
ma maitresse n'est plus l'esclave.
| |
CONCEPCION (passionément) |
Gonzalve ! Gonzalve ! Gonzalve !
| |
GONZALVE |
Enfin revient le jour si doux...
| |
CONCEPCION |
Oui mon ami... Dépêchons nous,
ne perdons pas, à de vaines paroles
l'heure qui s'envole,
et qu'il faut cueillir.
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| |
GONZALVE (déclamant) |
L'émail de ces cadrans dont s'orne ta demeure,
c'est le jardin de mon bonheur émaillé d'heures,
que l'on voit éclore et fleurir...
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| |
CONCEPCION |
(impatiente)
Oui, mon ami...
(À part.)
Le muletier va revenir...
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GONZALVE |
Cette image est très poétique.
J'en veux faire un sonnet et le mettre en musique
« Le Jardin des Heures... » sonnet !
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| |
CONCEPCION |
(À part.)
Si le muletier revenait!...
(Haut.)
Oui, mon ami, mais profitons de l'heure unique...
Tiens, sens, comme battait mon coeur en l'attendant !
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| |
GONZALVE (déclamant) |
Horloge, c'est ton coeur, le rythme en est le même.
Ton coeur ballant, ton coeur battant,
que, mélancolique, on entend...
« Le Coeur de l'Horloge... » poème !
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| |
CONCEPCION |
(À part.)
Le muletier va revenir dans un instant!
(Haut.)
Oui, mon ami, mais vois, le temps s'achève,
où réaliser le doux rêve...
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| |
GONZALVE (distrait) |
La, la, la, la... La, la, la, la.
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CONCEPCION |
...après lequel nous soupirons.
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GONZALVE |
Les baisers qu'appellent tes lèvres
égrèneront leurs carillons !
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CONCEPCION |
(excédée)
Oh !
(À mi-voix.)
Mon ami... Oui, mon ami,
mais l'heure fuit, prends garde,
le temps nous est mesuré sans pitié !
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GONZALVE |
« Le Carillon des Amours » ... sérénade.
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CONCEPCION |
(Avec dépit, apercevant Ramiro qui revient.)
Et puis, voici le muletier.
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Scène cinquième |
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<- Ramiro
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RAMIRO |
C'est fait ! l'horloge est a sa place.
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CONCEPCION |
Déjà ? Ah ! monsieur, que de grâces !
(À part.)
Il n'y a pas à dire, il faut
qu'à nouveau
je m'en débarasse !
(Haut.)
Vous allez me trouver bien folle, cher monsieur,
comment vous faire cet aveu ?
Donc, à peine étiez vous parti
avec l'horloge vers ma chambre,
(Montrant l'autre horloge.)
j'ai réfléchi
que celle ci
y serait mieux...
Que vous en semble ?
| |
RAMIRO |
Senora, c'est votre plaisir ?
Je suis tout a votre service !
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CONCEPCION |
Tant d'indulgence à mon caprice !...
Ah ! monsieur, je me sens rougir !
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RAMIRO |
Voilà
c'est celle ci, à l'instant que j'emporte...
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CONCEPCION (vivement) |
Quand vous aurez remporté l'autre !...
Quelle courtoisie est la votre !...
Vous êtes un vrai paladin.
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GONZALVE |
C'est ainsi que ton coeur, éternel féminin,
apparait plus mouvant que les plis d'une jupe !
« Caprice de Femme » ... Chanson !
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RAMIRO (s'éloignant) |
Moi, ça m'est égal, ça m'occupe.
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GONZALVE |
(Lui lançant un regard dédaigneux.)
Le muletiers n'ont pas de conversation.
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| Ramiro ->
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Scène sixième |
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CONCEPCION |
(Outrant précipitamment le coffre de l'horloge.)
Maintenant, pas de temps a perde !
Là dedans, vite, il faut entrer !
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GONZALVE (tragique) |
Dans cette boite de cyprès,
de sapin, de chêne, ou de cèdre ?
| S
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CONCEPCION |
Oui, c'est fou je te le concède,
mais cède !
Songe donc, ici de nous voir
en tête-a-tête, nul espoir !
Car le muletier à l'oeil noir
se dresse entre nous, et je tremble !
Au contraire, sans le savoir,
l'horloge et toi, tous deux ensemble,
il vous emporte dans ma chambre !
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GONZALVE |
Il me plait de franchir ton seuil,
entre ces planches clos, comme dans un cercueil...
J'y goûterai des sensations neuves,
(Il s'installe dans l'horloge.)
et cette horloge ou m'enferme le sort,
ô mon amante, est-ce pas une épreuve
de l'amour plus fort
que la mort ?
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CONCEPCION |
(Sombre et tragique.)
Oui, mon ami...
(À part.)
Il exagère !
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Scène septième |
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<- Inigo
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INIGO |
(Passant devant la fenêtre.)
Salut à la belle horlogère !
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CONCEPCION |
(Fermant brusquement l'horloge.)
Don Inigo Gomez !
Qui peut ici lui plaire ?
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INIGO |
Sournoise qui le demanda !
Eh ! le seigneur Torquemada
ne serait il pas chez l'alcade ?
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CONCEPCION |
| |
INIGO |
Dieu m'en garde !
Aurais je s'il n'était parti,
pris le chemin de sa boutique ?
Moi qui, précisément, usai de mon crédit
pour faire confier à cet heureux mari
le soin des horloges publiques ?
Car il est raisonnable, il est juste, il est bon
que l'époux ait dehors une occupation
régulière et périodique.
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CONCEPCION |
Don Inigo Gomez est un seigneur puissant !
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INIGO |
Que ma puissance apparait vaine,
si, quand son mari est absent,
certaine belle me consent
à se montrer un peu moins inhumaine,
vous seule pouvez tout !
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| |
| (Il veut lui prendre la main.) | |
| |
CONCEPCION |
(se dégageant)
Excusez moi, seigneur !
(Avec un regard inquiet sur l'horloge où se cache Gonzalve.)
Parlez plus bas... les horloges ont des oreilles !
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INIGO |
(plaintif)
J'attends de votre arrêt l'excès de mon malheur...
(Résolu.)
ou félicité sans pareille !
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| (Il la presse, elle se dégage encore. On voit poindre l'extrémité de l'horloge que Ramiro rapporte sur son épaule.) | |
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CONCEPCION |
(Dans la plus grande agitation.)
Seigneur, excusez moi !
J'ai les déménageurs !
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Scène huitième |
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<- Ramiro
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RAMIRO |
(posant l'horloge)
Voilà !
Et maintenant à l'autre !
(Il va pour prendre la 2ème horloge dans laquelle est enfermé Gonzalve.)
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CONCEPCION |
Cel'e ci est peut être un peu...
je vous préviens... un peu plus lourde...
| |
RAMIRO |
(Chargeant la 2ème horloge, sur son épaule.)
Peuh !
C'est seulement que l'on dirait que ça ballette...
mais ça n'en est pas plus ardu...
C'est moins le poids, ces objets là que le volume,
car, pour le poids, c'est un fétu.
C'est une plume!...
(Il fait passer l'horloge d'une épaule à l'autre avec une aisance prodigieuse.)
On porte ça, les bras tendus,
des combles jusqu'à la cave...
| |
CONCEPCION (À part.) |
Cet homme a des muscles de fer !
Mais s'il secoue ainsi Gonzalve,
il finira par lui donner le mal de mer...
je vous accompagne...
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RAMIRO |
| Ramiro, Gonzalve ->
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INIGO |
Quoi ! faut il que vous me quittiez ?
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CONCEPCION (à Inigo) |
Le mécanisme est très fragile,
et notamment le balancier...
j'en demande pardon a votre seigneurie !...
(Elle s'éloigne.)
| Concepcion ->
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Scène neuvième |
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INIGO |
Evidemment, elle me congédie,
et s'il me fallait écouter
les conseils de ma dignité,
j'abandonnerais la partie...
Cependant je n'ai qu'une envie,
et cette envie est de rester !
Dans ces conjonctures extrêmes
un amant, pensêje, avec art
s'introduirait dans un placard:
tant pis, ma foi, si je déroge !
Je conçois à l'instant le fantasque projet
de me cacher
dans cette horloge:
ces horloges sont les placards des horlogers.
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| |
| (Il s'introduit avec effort dans l'horloge trop étroit pour sa corpulence.) | |
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|
Ma mine imposante et sévère
à la pauvrette faisait pour.
Montrons un autre caractère
conforme a sa galante humeur.
Et que nous sommes, au contraire,
dans le fond, un petit farceur !
(Il entend des pas.)
Elle revient... coucou...
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| (Ramiro parait. Inigo referme brusquement l'horloge.) | <- Ramiro
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Scène dixième |
Ramiro seul, Inigo dans l'horloge. |
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RAMIRO |
Voilà ce que j'appelle une femme charmante !
Maintenant elle me demande
de venir garder la boutique...
voilà qui est bien compris et pratique.
Et c'est ainsi qu'une maîtresse de maison
à chaque visiteur doit assigner un rôle
en rapport avec ses façons,
moi, ma façon... c'est mes épaules !
Quand je vois ici rassemblés
toutes ces machines subtiles,
tous ces ressorts menus, à plaisir embrouillés,
je songe au mécanisme qu'est
la femme, mécanisme autrement compliqué
s'y reconnaître est difficile !
À dieu ne plaise aussi que je m'arroge
le soin minutieux d'en toucher les resserts.
Tout le talent que m'a donné le sort
se borne à porter des horloges...
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Scène onzième |
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<- Concepcion
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CONCEPCION |
(Accourant vers Ramiro.)
Monsieur ! Ah ! Monsieur !
(À part.)
Dans ma gorge
les mots s'arrêtent de dépit.
(Haut.)
Traitez moi de folle, tant pis
mais comment voulez vous qu'en ma chambre je garde
une horloge qui va, monsieui, tout de travers,
(Douloureusement.)
quel martyre affreux pour mes nerfs !
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RAMIRO |
La rapporter, ça me regarde...
à tout à l'heure !
| Ramiro ->
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Scène douzième |
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INIGO |
(Entrovant l'horloge, à mi-voix.)
Enfin, il part !
Dieu! que ces muletiers sont de fâcheux bavards !...
(Haut.)
Coucou...
(À part.)
Amusons cette belle !...
(Haut.)
Coucou...
| |
CONCEPCION |
(Se retournant vers l'horloge dont Inigo a refermé aussitôt la porte sur lui.)
Tiens, l'horloge...
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INIGO |
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CONCEPCION (rageuse) |
L'allusion est de haut goût, par saint
Jacques de Compostelle !
Et le moment est bien choisi
pour parler de coucou ici !...
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INIGO |
| |
CONCEPCION (apercevant Inigo) |
| |
INIGO |
Coucou!... Coucou!...
(Noblement.)
Oui dà vous avez devant vous
don Inigo Gomez, roi de la haute banque !...
et même y serais-je à genoux,
si ce n'était que la place me manque...
| |
CONCEPCION |
Cessez ce jou, don Inigo, vous êtes fou !
| |
INIGO |
Oui, fou de toi, ô ma jolie.
Fou a faire mille folies !
Ceci n'est qu'un commencement.
Un tout petit exercice d'entrainment !
| |
CONCEPCION |
Mais je n'en veux point davantage !
Tenez vous en là simplement !
Et sortez, je vous y engage,
de ce bizarre logement !
| |
INIGO |
Eh quoi ! lorsque j'eus de peine,
tant de peine à entrer, faut il déjà sortir ?
Où il y eut beaucoup de gêne,
on mérite un peu de plaisir !
Manqué je à votre fantaisie,
de jeunesse, de poésie ?
Trop de jeunesse aussi a son mauvais côté.
Un jeune homme est souvent inexpérimenté !
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CONCEPCION (nostalgique) |
| |
INIGO |
Un rien l'arrête et l'embarasse !...
Et les poètes, affairés
à poursuivre un rêve éthéré,
oublient que la réalité sous leur nez passe...
| |
CONCEPCION |
(Avec une conviction navrée.)
Si vous saviez combien vous dites vrai !...
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INIGO |
Un amant comme moi offre plus de surface !
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Scène treizième |
|
<- Ramiro, Gonzalve
|
| |
RAMIRO |
(entrant avec l'horloge où est enfermé Gonzalve)
Voilà l'objet ! Que faut il que j'en fasse ?
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CONCEPCION (indifférente) |
Ah ! l'horloge !...
C'est bon !... Merci!... mettez ça là...
| |
RAMIRO |
(après avoir posé l'horloge, montrant celle d'Inigo)
Et maintenant, c'est celle là
que dans votre chambre l'on place ?
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CONCEPCION (troublée) |
| |
INIGO |
(par l'horloge entr'ouverte)
Dans votre chambre !
| |
RAMIRO |
Vous n'avez qu'un mot a dire et je l'enlève !
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CONCEPCION (bas à Inigo) |
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INIGO |
(bas à Concepcion en lui baisant la main)
C'est un rêve!...
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RAMIRO |
| |
INIGO |
| |
CONCEPCION |
(se décidant brusquement)
Enlevez!...
Mais n'est ce pas plus lourd ?
| |
RAMIRO |
(chargeant l'horloge sur son épaule)
Goutte d'eau, grain de sable.
| |
CONCEPCION |
(le regardant pleine d'admiration, cependant qu'il emporte l'horloge, et Inigo dans cette horloge, avec la plus grande facilité)
À coup sûr cet homme est doué.
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| Ramiro, Inigo ->
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Scène quatorzième |
|
|
| |
CONCEPCION |
(ouvrant l'horloge où est Gonzalve)
Ah ! vous, n'est ce pas, preste ! leste !
Trêve aux poèmes étoiles !
Vous aller, j'espère filer,
et sans demander votre reste.
| |
| |
GONZALVE (exstatique) |
Ô impérieuse maîtresse,
laisse!
| |
CONCEPCION |
(evasive et rageuse, entre ses dents)
La, la, la, la, la, la, la, la, la.
| |
GONZALVE |
Je veux graver ici nos chifïies enlacés
au tour d'un coeur, de flèches transpersé
comme font emmi les sites sylvestres
où l'amour complaisant égara leurs baisers.
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CONCEPCION (excédée) |
| |
GONZALVE |
Comme font deux amants sur l'écorce des trembles...
| |
| |
CONCEPCION |
Demeurez donc, si bon vous semble,
mais n'attendez pas, s'il vous plait,
que j'écoute encore les couplets
de la romance
qui recommence.
Vous avez de l'esprit, mais manquez d'à-propos...
J'en ai assez, de vos pipeaux !
(Elle sort.)
| Concepcion ->
|
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|
Scène quinzième |
|
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| |
GONZALVE |
(seul, dans l'horloge)
En dépit de cette inhumaine,
je ne veux pas quitter l'enveloppe de chêne
où le destin me fit entrer,
sans évoquer les nymphes des forêts
qu'emprisonnait une semblable gaîne.
On n'a pas toujours un motif
pour traiter ce sujet au vif:
« Impressions d'Hamadryade » ...
(Il entend revenir Ramiro.)
Mais prenons garde
car le muletier revient:
ces gens là goûtent peu les symboles paiens !...
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|
|
Scène seizième |
Gonzalve, enfermé dans l'horloge, Ramiro, puis Concepcion. |
<- Ramiro
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| |
RAMIRO |
Voilà ce que j'appelle une femme charmante !
M'avoir si gentiment ce labeur ménagé,
tantôt emménager, tantôt déménager !
Voilà ce que j'appelle une femme charmante !
Et puis cette boutique est un plaisant séjour;
entre chaque montée, après chaque descente,
nul importun, par ses discours,
n'y vient troubler ma quiétude nonchalante...
Rien à dire, rien à penser;
on n'a qu'à se laisser bercer
au tic tac régulier de tous ces balanciers !
Et les timbres de ces pendules
joyeusement tintinnabulent
tout ainsi que, par les sentiers
muletiers,
sonnent les grolots de mes mules...
Si je devais mon sort changer,
n'étais-je muletier, je serais horloger,
dans cette horlogerie, avec cette horlogère.
| |
| <- Concepcion
|
CONCEPCION |
(entrant brusquement à Ramiro)
Monsieur !
| |
RAMIRO |
L'horloge encor ne fait pas votre affaire ?
Bon ! Bien ! laissez, laissez ! je la vais rechercher !...
(Il sort.)
| Ramiro ->
|
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|
Scène dix-septième |
|
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CONCEPCION
Oh ! la pitoyable aventure !
Et faut il que, de deux amants,
l'un manque de tempérament,
et l'autre, à ce point de nature !
Oh ! la pitoyable aventure !
Et ces gens là se disent Espagnols
dans le pays de dona Sol,
à deux pas de l'Estramadure!...
Le temps me dure, dure, dure...
Oh ! la pitoyable aventure !
L'un ne veut mettre ses efforts,
qu'à composer des vers baroques,
et l'autre, plus grotesque encor,
de l'horloge n'a pu sortir rien qu'à mi corps,
avec son ventre empêtré de broloquez !...
Maintenant, le jour va finir,
et mon époux va revenir:
et je reste fidèle et pure...
à deux pas de l'Estramadure,
au pays du Guadalquivir !...
Le temps me dure, dure, dure !...
Ah! pour ma colère passer,
avoir quelque chose a casser,
a mettre en bouillie, en salade !
| S
(♦)
(♦)
|
| |
| (Elle frappe du poing l'horloge où est Gonzalve) | |
| |
GONZALVE |
(entrouvrant l'horloge)
« Impressions d'Hamadryade » ...
| |
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Scène dix-huitième |
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<- Ramiro, Inigo
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| |
RAMIRO |
(rapportant sur son épaule l'horloge qui renferme Inigo)
Voilà !...
Et maintenant, senora, je suis prêt
à rementer dans votre chambre
l'autre horloge, si bon vous semble,
voire même les deux ensemble...
Ce sera comme vous voudrez !
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CONCEPCION (À part.) |
Quelle sérénité, quelle aisance il conserve,
et comme il jongle avec les poids !
Il les soulève, les enlève...
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RAMIRO |
Senora, faites votre choix !
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CONCEPCION (À part.) |
Et toujours le sourire aux lèvres !...
Vraiment cet homme a des biceps
qui dépassent tous mes concepts...
Avec lui, pas de propos mièvres !
(Haut, très aimable.)
Dans ma chambre, monsieur, il vous plaît remonter ?
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RAMIRO |
Mais laquelle y dois je porter
de ces horloges ?
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CONCEPCION (Simple et nette.) |
| |
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| (Elle sort précédée de Ramiro.) | Concepcion, Ramiro ->
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|
Scène dix-neuvième |
Inigo et Gonzalve chacun dans son horloge. |
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| |
| (Inigo entr'ouvre la porte de l'horloge, un coucou chante, il referme précipitamment la porte, puis la rouvre, une horloge sonne, il rentre, puis reparait.) | |
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INIGO |
Mon oeil anxieux interroge,
mélancolique, l'horizon:
amour ! amour ! méchant garçon,
ò quelle enseigne tu me loges !...
Comme on doit être bien chez soi,
dans un large fauteuil, les pieds dans ses pantoufles !
Quand je languis ici, tellement à l'étroit,
que cela me coupe le souffle !...
Et personne pour me haler !...
Personne !...
Cordon, s'il vous plaît !
La porte ! la porte ! la porte !
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| |
| (Il la referme sur lui, au bruit que fait Gonzalve entr'ouvrant à son tour l'horloge) | |
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GONZALVE |
Il m'a semblé qu'on appellait ?...
Aussi bien, il est, je crois, sage
d'abandonner notre ermitage.
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| |
|
Adieu, cellule, adieu, donjon !
Adieu, cuirasse et morion
qu'au chevalier fit revêtir sa dame !
Adieu, tables du violon
dont, poète amant, je fus l'âme.
Adieu cage pour ma chanson,
cheminée aussi pour ma flamme...
Adieu !
(Apeçevant Torquemada qui rentre.)
Sacrebleu !
Voilà le mari !
Pour nous éviter le souci
d'explications sans charme,
regagnons au plus vite un asile opportun...
Dépêchons !
(Il se trompe d'horloge.)
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INIGO |
(apparaissant dans l'horloge)
Il y a quelqu'un !
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Scène vingtième |
Torquemada, Gonzalve, Inigo que l'on voit blotti dans l'horloge. |
<- Torquemada
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TORQUEMADA |
(entrant)
Il n'est, pour l'horloger, de joie égale à celle
de trouver au logis nombreuse clientèle!
Messieurs, soyez les bienvenus,
et veuillez m'excuser: vous avez attendu ?
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INIGO |
(dans l'horloge, un peu embarrassé)
Mais comment donc, je vous en prie !
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GONZALVE |
(avec un enthousiasme feint)
Vos montres sent de purs bijoux...
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TORQUEMADA |
(le ramenant à l'horloge où se tient Inigo)
C'est de cette horloge, surtout,
que vous me direz des nouvelles.
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INIGO |
Devant que vous veniez, je la considérais,
précisément avec tant d'intérêt...
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TORQUEMADA |
La curiosité est toute naturelle.
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INIGO |
Qu'à l'intérieur j'ai voulu pénétrer.
Pour examiner de plus près
le fonctionnement merveilleux du pendule...
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TORQUEMADA |
Quais !
Mais je ne trouve pas cela si ridicule !
Et croyez moi, vous en aurez pour votre argent !
Car vous prenez, bien entendu, l'horloge ?
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INIGO |
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TORQUEMADA (à Gonzalve) |
Allons, ne soyez pas jaloux !
(Montrant l'autre horloge.)
J'ai la pareille au même prix: elle est à vous:
c'est une chance !
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GONZALVE |
Mais... sans doute...
(À part.)
Impossible de dire non.
Il faut endormir ses soupçons;
mais que ce trafiquant âpre au gain me dégoute !
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TORQUEMADA |
Eh bien ! nous voilà tous d'accord !
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INIGO |
Je voudrais seulement vous demander encor
de me tirer de cette boîte:
car, soit dit sans reproche,
elle est un peu étroite...
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TORQUEMADA |
(tirant Inigo et prenant Gonzalve par la main)
Vouillez seconder mes efforts, monsieur...
(Tous deux tirent.)
Hé là... là donc... je t'en souhaite !...
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| (Cependant que Torquemada et Gonzalve s'efforcent, Inigo aperçoit Ramiro qui relient, suivi de Concepcion) | |
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Scène vingt et unième |
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<- Ramiro, Concepcion
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INIGO |
(appelant Ramiro)
Pardieu, déménageur, vous venez à propos !
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TORQUEMADA |
(apercevant Ramiro)
Je l'avais oublié: où avais je la tête ?
(à Concepcion)
Ma femme, vous non plus, vous n'êtes pas de trop !...
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| (Torquemada, Gonzalve, Concepcion font la chaîne et tirent Inigo, mais la chaîne se romp et Inigo est toujours dans l'horloge. Ramiro prend Inigo à bras le corps et l'enlève de l'horloge le plus naturellement du monde) | |
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RAMIRO |
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INIGO |
Sacrebleu, quelle peigne !
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CONCEPCION |
De sa vigueur chacun témoigne !
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TORQUEMADA (à Concepcion) |
Vous n'aurez pas encor d'horloge, chère amie. . .
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CONCEPCION (montrant Ramiro) |
Régulier comme un chronomètre,
monsieur passe, avec ses mulets
chaque matin, sous ma fenêtre...
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TORQUEMADA (à Ramiro) |
Chaque matin, donc, s'il vous plait,
vous lui direz l'heure qu'il est.
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| (Les acteurs viennent avec intention se placer sur le devant de la scène, après s'être offert mutuellement, en des cérémonies affectées, l'honneur de commencer l'addresse au public). | |
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Quintette final. | |
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GONZALVE |
| S
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INIGO |
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CONCEPCION (pouffant de rire) |
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TORQUEMADA |
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| (ensemble) | |
GONZALVE |
Qui se servent, dans leurs discours,
de vers tantôt longs, tantôt courts...
au rythme qui se casse, à la rime cocasse.
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| (Tous approuvent.) | |
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RAMIRO |
Avec un peu d'Espagne autour.
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CONCEPCION |
C'est la morale de Boccace:
entre tous les amants, seul amant efficace.
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RAMIRO |
Il arrive un moment, dans les déduits d'amour
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CONCEPCION |
où le muletier a son tour.
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TOUS |
Il arrive un moment dans les déduits d'amour
où le muletier a son tour.
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Rideau. | |
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