L'HEURE ESPAGNOLE
Comédie musicale.
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Livret de FRANC-NOHAIN.
Musique de Maurice RAVEL.
Première représentation : 19 mai 1911, Paris.
Personnages:
CONCEPCION femme de Torquemada |
soprano |
GONZALVE bachelier poète |
ténor |
TORQUEMADA horloger |
ténor |
RAMIRO muletier |
baryton |
Don INIGO banquier |
basse |
La scène se passe à Toledo au XVIIIe siècle.
La boutique d'un horloger espagnol, port au fond à gauche, large fenêtre au fond au milieu, à gauche escalier menant à l'appartement de Concepcion, à droite au premier plan deux grandes horloges catalanes c'est a dire normandes, ça et là des automates: un oiseau des îles, un petit coq, des marionettes a musiques - Au lever du rideau, Torquemada, le dos tourné au public, est assis devant son établi. On entend les balanciers qui s'agitent, et toutes les pendules de la boutique sonnent des heures différentes.
RAMIRO
TORQUEMADA
Torquemada, c'est moi, monsieur.
RAMIRO
TORQUEMADA
Voilà qui va des mieux, voilà qui va des mieux.
RAMIRO
TORQUEMADA
Voyons la montre.
(Il la prend et l'examine.)
Elle est de style !
RAMIRO
TORQUEMADA
Nous allons donc la démonter.
CONCEPCION
(Dans la coulisse.)
Totor !
TORQUEMADA
On m'appelle... ma femme...
Totor est de Torquemada,
le diminutif plein de charme.
CONCEPCION
(entrant)
Eh ! Quoi ! vous n'êtes point parti ?
L'étourderie est sans égale !
Vous souvient il plus qu'aujourd'hui
if faut aller régler comme chaque jeudi
les horloges municipales ?
TORQUEMADA
Mais quelle heure est il donc ?
RAMIRO
TORQUEMADA
Que voulez vous !
Les horloges, monsieur, on n'entend plus leurs coups:
ce serait a devenir fou !
CONCEPCION
(Montrant les horloges.)
Pourquoi, depuis que je vous en réclame
une pour ma chambre a coucher
garder ici ces deux horloges catalanes !
TORQUEMADA
Si vous croyez que c'est léger,
une horloge, et facile a prendre !
CONCEPCION
(Avec un mépris très significatif et a mi-voix.)
De force musculaire, oui, vous avez sujet
de vous montrer avare, ou, du moins, ménager:
vous n'en avez pas a revendre !
(Haut.)
Mais plus longtemps ne faites pas attendre
les balanciers municipaux.
TORQUEMADA
(S'apprêtant a sortir.)
J'ai mes outils ? J'ai mon chapeau ?
RAMIRO
TORQUEMADA
Je cours, mon cher monsieur, je cours
demeurez jusqu'à mon retour !
CONCEPCION
(À part.)
Voilà qui ne fait pas mon compte !
TORQUEMADA
Excusez moi. Je reviens de ce pas:
l'heure officielle n'attend pas.
(Il sort.)
CONCEPCION
Il reste, voilà bien ma chance !
Le jour de la semaine où mon époux est loin,
mon unique jour de vacances,
me sera t'il gâté par ce fâcheux témoin ?
RAMIRO
CONCEPCION
(Hésitante, montrant a Ramiro une des deux horloges.)
Cette horloge, monsieur, la jugez vous d'un poids
tel, pour la déplacer, qu'il faille
l'effort de deux hommes ou trois ?
RAMIRO
CONCEPCION
Au premier étage... Mais.
RAMIRO
CONCEPCION
Quoi ! vous consentiriez ?
RAMIRO
CONCEPCION
Je n'osais pas vous en prier !
RAMIRO
CONCEPCION
Je suis confuse !
RAMIRO
CONCEPCION
(À part.)
Tout s'arrange fort bien ainsi !
(Haut.)
L'escalier est au fonds du coaloir que voici...
Vraiment, monsieur, vraiment, j'abuse !
RAMIRO
(On entend vocaliser Gonzalve dans la coulisse. Ramiro sort, emportant l'horloge sur son épaule.)
CONCEPCION
(Qui guette a la fenêtre.)
Il était temps, voici Gonzalve !
GONZALVE
Enfin revient le jour si doux;
harpes, chantez, éclatez salves !
Enfin revient le jour si doux,
le jour où, d'un époux jaloux,
ma maitresse n'est plus l'esclave.
CONCEPCION
(passionément)
Gonzalve ! Gonzalve ! Gonzalve !
GONZALVE
Enfin revient le jour si doux...
CONCEPCION
Oui mon ami... Dépêchons nous,
ne perdons pas, à de vaines paroles
l'heure qui s'envole,
et qu'il faut cueillir.
GONZALVE
(déclamant)
L'émail de ces cadrans dont s'orne ta demeure,
c'est le jardin de mon bonheur émaillé d'heures,
que l'on voit éclore et fleurir...
CONCEPCION
(impatiente)
Oui, mon ami...
(À part.)
Le muletier va revenir...
GONZALVE
Cette image est très poétique.
J'en veux faire un sonnet et le mettre en musique
« Le Jardin des Heures... » sonnet !
CONCEPCION
(À part.)
Si le muletier revenait!...
(Haut.)
Oui, mon ami, mais profitons de l'heure unique...
Tiens, sens, comme battait mon coeur en l'attendant !
GONZALVE
(déclamant)
Horloge, c'est ton coeur, le rythme en est le même.
Ton coeur ballant, ton coeur battant,
que, mélancolique, on entend...
« Le Coeur de l'Horloge... » poème !
CONCEPCION
(À part.)
Le muletier va revenir dans un instant!
(Haut.)
Oui, mon ami, mais vois, le temps s'achève,
où réaliser le doux rêve...
GONZALVE
(distrait)
La, la, la, la... La, la, la, la.
CONCEPCION
...après lequel nous soupirons.
GONZALVE
Les baisers qu'appellent tes lèvres
égrèneront leurs carillons !
CONCEPCION
(excédée)
Oh !
(À mi-voix.)
Mon ami... Oui, mon ami,
mais l'heure fuit, prends garde,
le temps nous est mesuré sans pitié !
GONZALVE
« Le Carillon des Amours » ... sérénade.
CONCEPCION
(Avec dépit, apercevant Ramiro qui revient.)
Et puis, voici le muletier.
RAMIRO
CONCEPCION
Déjà ? Ah ! monsieur, que de grâces !
(À part.)
Il n'y a pas à dire, il faut
qu'à nouveau
je m'en débarasse !
(Haut.)
Vous allez me trouver bien folle, cher monsieur,
comment vous faire cet aveu ?
Donc, à peine étiez vous parti
avec l'horloge vers ma chambre,
(Montrant l'autre horloge.)
j'ai réfléchi
que celle ci
y serait mieux...
Que vous en semble ?
RAMIRO
CONCEPCION
Tant d'indulgence à mon caprice !...
Ah ! monsieur, je me sens rougir !
RAMIRO
CONCEPCION
(vivement)
Quand vous aurez remporté l'autre !...
Quelle courtoisie est la votre !...
Vous êtes un vrai paladin.
GONZALVE
C'est ainsi que ton coeur, éternel féminin,
apparait plus mouvant que les plis d'une jupe !
« Caprice de Femme » ... Chanson !
RAMIRO
GONZALVE
(Lui lançant un regard dédaigneux.)
Le muletiers n'ont pas de conversation.
CONCEPCION
(Outrant précipitamment le coffre de l'horloge.)
Maintenant, pas de temps a perde !
Là dedans, vite, il faut entrer !
GONZALVE
(tragique)
Dans cette boite de cyprès,
de sapin, de chêne, ou de cèdre ?
CONCEPCION
Oui, c'est fou je te le concède,
mais cède !
Songe donc, ici de nous voir
en tête-a-tête, nul espoir !
Car le muletier à l'oeil noir
se dresse entre nous, et je tremble !
Au contraire, sans le savoir,
l'horloge et toi, tous deux ensemble,
il vous emporte dans ma chambre !
GONZALVE
Il me plait de franchir ton seuil,
entre ces planches clos, comme dans un cercueil...
J'y goûterai des sensations neuves,
(Il s'installe dans l'horloge.)
et cette horloge ou m'enferme le sort,
ô mon amante, est-ce pas une épreuve
de l'amour plus fort
que la mort ?
CONCEPCION
(Sombre et tragique.)
Oui, mon ami...
(À part.)
Il exagère !
INIGO
(Passant devant la fenêtre.)
Salut à la belle horlogère !
CONCEPCION
(Fermant brusquement l'horloge.)
Don Inigo Gomez !
Qui peut ici lui plaire ?
INIGO
Sournoise qui le demanda !
Eh ! le seigneur Torquemada
ne serait il pas chez l'alcade ?
CONCEPCION
Vous voulez le voir ?
INIGO
Dieu m'en garde !
Aurais je s'il n'était parti,
pris le chemin de sa boutique ?
Moi qui, précisément, usai de mon crédit
pour faire confier à cet heureux mari
le soin des horloges publiques ?
Car il est raisonnable, il est juste, il est bon
que l'époux ait dehors une occupation
régulière et périodique.
CONCEPCION
Don Inigo Gomez est un seigneur puissant !
INIGO
Que ma puissance apparait vaine,
si, quand son mari est absent,
certaine belle me consent
à se montrer un peu moins inhumaine,
vous seule pouvez tout !
(Il veut lui prendre la main.)
CONCEPCION
(se dégageant)
Excusez moi, seigneur !
(Avec un regard inquiet sur l'horloge où se cache Gonzalve.)
Parlez plus bas... les horloges ont des oreilles !
INIGO
(plaintif)
J'attends de votre arrêt l'excès de mon malheur...
(Résolu.)
ou félicité sans pareille !
(Il la presse, elle se dégage encore. On voit poindre l'extrémité de l'horloge que Ramiro rapporte sur son épaule.)
CONCEPCION
(Dans la plus grande agitation.)
Seigneur, excusez moi !
J'ai les déménageurs !
RAMIRO
CONCEPCION
Cel'e ci est peut être un peu...
je vous préviens... un peu plus lourde...
RAMIRO
CONCEPCION
(À part.)
Cet homme a des muscles de fer !
Mais s'il secoue ainsi Gonzalve,
il finira par lui donner le mal de mer...
je vous accompagne...
RAMIRO
INIGO
Quoi ! faut il que vous me quittiez ?
CONCEPCION
(à Inigo)
Le mécanisme est très fragile,
et notamment le balancier...
j'en demande pardon a votre seigneurie !...
(Elle s'éloigne.)
INIGO
Evidemment, elle me congédie,
et s'il me fallait écouter
les conseils de ma dignité,
j'abandonnerais la partie...
Cependant je n'ai qu'une envie,
et cette envie est de rester !
Dans ces conjonctures extrêmes
un amant, pensêje, avec art
s'introduirait dans un placard:
tant pis, ma foi, si je déroge !
Je conçois à l'instant le fantasque projet
de me cacher
dans cette horloge:
ces horloges sont les placards des horlogers.
(Il s'introduit avec effort dans l'horloge trop étroit pour sa corpulence.)
Ma mine imposante et sévère
à la pauvrette faisait pour.
Montrons un autre caractère
conforme a sa galante humeur.
Et que nous sommes, au contraire,
dans le fond, un petit farceur !
(Il entend des pas.)
Elle revient... coucou...
(Ramiro parait. Inigo referme brusquement l'horloge.)
Ramiro seul, Inigo dans l'horloge.
RAMIRO
CONCEPCION
(Accourant vers Ramiro.)
Monsieur ! Ah ! Monsieur !
(À part.)
Dans ma gorge
les mots s'arrêtent de dépit.
(Haut.)
Traitez moi de folle, tant pis
mais comment voulez vous qu'en ma chambre je garde
une horloge qui va, monsieui, tout de travers,
(Douloureusement.)
quel martyre affreux pour mes nerfs !
RAMIRO
INIGO
(Entrovant l'horloge, à mi-voix.)
Enfin, il part !
Dieu! que ces muletiers sont de fâcheux bavards !...
(Haut.)
Coucou...
(À part.)
Amusons cette belle !...
(Haut.)
Coucou...
CONCEPCION
(Se retournant vers l'horloge dont Inigo a refermé aussitôt la porte sur lui.)
Tiens, l'horloge...
INIGO
(Même jou.)
Coucou...
CONCEPCION
(rageuse)
L'allusion est de haut goût, par saint
Jacques de Compostelle !
Et le moment est bien choisi
pour parler de coucou ici !...
INIGO
(Même jou.)
Coucou...
CONCEPCION
(apercevant Inigo)
Don Inigo !
INIGO
Coucou!... Coucou!...
(Noblement.)
Oui dà vous avez devant vous
don Inigo Gomez, roi de la haute banque !...
et même y serais-je à genoux,
si ce n'était que la place me manque...
CONCEPCION
Cessez ce jou, don Inigo, vous êtes fou !
INIGO
Oui, fou de toi, ô ma jolie.
Fou a faire mille folies !
Ceci n'est qu'un commencement.
Un tout petit exercice d'entrainment !
CONCEPCION
Mais je n'en veux point davantage !
Tenez vous en là simplement !
Et sortez, je vous y engage,
de ce bizarre logement !
INIGO
Eh quoi ! lorsque j'eus de peine,
tant de peine à entrer, faut il déjà sortir ?
Où il y eut beaucoup de gêne,
on mérite un peu de plaisir !
Manqué je à votre fantaisie,
de jeunesse, de poésie ?
Trop de jeunesse aussi a son mauvais côté.
Un jeune homme est souvent inexpérimenté !
CONCEPCION
(nostalgique)
En vérité!... en vérité!
INIGO
Un rien l'arrête et l'embarasse !...
Et les poètes, affairés
à poursuivre un rêve éthéré,
oublient que la réalité sous leur nez passe...
CONCEPCION
(Avec une conviction navrée.)
Si vous saviez combien vous dites vrai !...
INIGO
Un amant comme moi offre plus de surface !
RAMIRO
CONCEPCION
(indifférente)
Ah ! l'horloge !...
C'est bon !... Merci!... mettez ça là...
RAMIRO
CONCEPCION
(troublée)
Dans ma chambre ?...
INIGO
(par l'horloge entr'ouverte)
Dans votre chambre !
RAMIRO
CONCEPCION
(bas à Inigo)
C'est un guet apens !
INIGO
(bas à Concepcion en lui baisant la main)
C'est un rêve!...
RAMIRO
INIGO
O ivresse !...
CONCEPCION
(se décidant brusquement)
Enlevez!...
Mais n'est ce pas plus lourd ?
RAMIRO
CONCEPCION
(le regardant pleine d'admiration, cependant qu'il emporte l'horloge, et Inigo dans cette horloge, avec la plus grande facilité)
À coup sûr cet homme est doué.
CONCEPCION
(ouvrant l'horloge où est Gonzalve)
Ah ! vous, n'est ce pas, preste ! leste !
Trêve aux poèmes étoiles !
Vous aller, j'espère filer,
et sans demander votre reste.
GONZALVE
(exstatique)
Ô impérieuse maîtresse,
laisse!
CONCEPCION
(evasive et rageuse, entre ses dents)
La, la, la, la, la, la, la, la, la.
GONZALVE
Je veux graver ici nos chifïies enlacés
au tour d'un coeur, de flèches transpersé
comme font emmi les sites sylvestres
où l'amour complaisant égara leurs baisers.
CONCEPCION
(excédée)
Ah !...
GONZALVE
Comme font deux amants sur l'écorce des trembles...
CONCEPCION
Demeurez donc, si bon vous semble,
mais n'attendez pas, s'il vous plait,
que j'écoute encore les couplets
de la romance
qui recommence.
Vous avez de l'esprit, mais manquez d'à-propos...
J'en ai assez, de vos pipeaux !
(Elle sort.)
GONZALVE
(seul, dans l'horloge)
En dépit de cette inhumaine,
je ne veux pas quitter l'enveloppe de chêne
où le destin me fit entrer,
sans évoquer les nymphes des forêts
qu'emprisonnait une semblable gaîne.
On n'a pas toujours un motif
pour traiter ce sujet au vif:
« Impressions d'Hamadryade » ...
(Il entend revenir Ramiro.)
Mais prenons garde
car le muletier revient:
ces gens là goûtent peu les symboles paiens !...
Gonzalve, enfermé dans l'horloge, Ramiro, puis Concepcion.
RAMIRO
CONCEPCION
(entrant brusquement à Ramiro)
Monsieur !
RAMIRO
CONCEPCION
Oh ! la pitoyable aventure !
Et faut il que, de deux amants,
l'un manque de tempérament,
et l'autre, à ce point de nature !
Oh ! la pitoyable aventure !
Et ces gens là se disent Espagnols
dans le pays de dona Sol,
à deux pas de l'Estramadure!...
Le temps me dure, dure, dure...
Oh ! la pitoyable aventure !
L'un ne veut mettre ses efforts,
qu'à composer des vers baroques,
et l'autre, plus grotesque encor,
de l'horloge n'a pu sortir rien qu'à mi corps,
avec son ventre empêtré de broloquez !...
Maintenant, le jour va finir,
et mon époux va revenir:
et je reste fidèle et pure...
à deux pas de l'Estramadure,
au pays du Guadalquivir !...
Le temps me dure, dure, dure !...
Ah! pour ma colère passer,
avoir quelque chose a casser,
a mettre en bouillie, en salade !
(Elle frappe du poing l'horloge où est Gonzalve)
GONZALVE
(entrouvrant l'horloge)
« Impressions d'Hamadryade » ...
RAMIRO
CONCEPCION
(À part.)
Quelle sérénité, quelle aisance il conserve,
et comme il jongle avec les poids !
Il les soulève, les enlève...
RAMIRO
CONCEPCION
(À part.)
Et toujours le sourire aux lèvres !...
Vraiment cet homme a des biceps
qui dépassent tous mes concepts...
Avec lui, pas de propos mièvres !
(Haut, très aimable.)
Dans ma chambre, monsieur, il vous plaît remonter ?
RAMIRO
CONCEPCION
(Simple et nette.)
Sans horloge !
(Elle sort précédée de Ramiro.)
Inigo et Gonzalve chacun dans son horloge.
(Inigo entr'ouvre la porte de l'horloge, un coucou chante, il referme précipitamment la porte, puis la rouvre, une horloge sonne, il rentre, puis reparait.)
INIGO
Mon oeil anxieux interroge,
mélancolique, l'horizon:
amour ! amour ! méchant garçon,
ò quelle enseigne tu me loges !...
Comme on doit être bien chez soi,
dans un large fauteuil, les pieds dans ses pantoufles !
Quand je languis ici, tellement à l'étroit,
que cela me coupe le souffle !...
Et personne pour me haler !...
Personne !...
Cordon, s'il vous plaît !
La porte ! la porte ! la porte !
(Il la referme sur lui, au bruit que fait Gonzalve entr'ouvrant à son tour l'horloge)
GONZALVE
Il m'a semblé qu'on appellait ?...
Aussi bien, il est, je crois, sage
d'abandonner notre ermitage.
Adieu, cellule, adieu, donjon !
Adieu, cuirasse et morion
qu'au chevalier fit revêtir sa dame !
Adieu, tables du violon
dont, poète amant, je fus l'âme.
Adieu cage pour ma chanson,
cheminée aussi pour ma flamme...
Adieu !
(Apeçevant Torquemada qui rentre.)
Sacrebleu !
Voilà le mari !
Pour nous éviter le souci
d'explications sans charme,
regagnons au plus vite un asile opportun...
Dépêchons !
(Il se trompe d'horloge.)
INIGO
(apparaissant dans l'horloge)
Il y a quelqu'un !
Torquemada, Gonzalve, Inigo que l'on voit blotti dans l'horloge.
TORQUEMADA
(entrant)
Il n'est, pour l'horloger, de joie égale à celle
de trouver au logis nombreuse clientèle!
Messieurs, soyez les bienvenus,
et veuillez m'excuser: vous avez attendu ?
INIGO
(dans l'horloge, un peu embarrassé)
Mais comment donc, je vous en prie !
GONZALVE
(avec un enthousiasme feint)
Vos montres sent de purs bijoux...
TORQUEMADA
(le ramenant à l'horloge où se tient Inigo)
C'est de cette horloge, surtout,
que vous me direz des nouvelles.
INIGO
Devant que vous veniez, je la considérais,
précisément avec tant d'intérêt...
TORQUEMADA
La curiosité est toute naturelle.
INIGO
Qu'à l'intérieur j'ai voulu pénétrer.
Pour examiner de plus près
le fonctionnement merveilleux du pendule...
TORQUEMADA
Quais !
Mais je ne trouve pas cela si ridicule !
Et croyez moi, vous en aurez pour votre argent !
Car vous prenez, bien entendu, l'horloge ?
INIGO
Certes !
TORQUEMADA
(à Gonzalve)
Allons, ne soyez pas jaloux !
(Montrant l'autre horloge.)
J'ai la pareille au même prix: elle est à vous:
c'est une chance !
GONZALVE
Mais... sans doute...
(À part.)
Impossible de dire non.
Il faut endormir ses soupçons;
mais que ce trafiquant âpre au gain me dégoute !
TORQUEMADA
Eh bien ! nous voilà tous d'accord !
INIGO
Je voudrais seulement vous demander encor
de me tirer de cette boîte:
car, soit dit sans reproche,
elle est un peu étroite...
TORQUEMADA
(tirant Inigo et prenant Gonzalve par la main)
Vouillez seconder mes efforts, monsieur...
(Tous deux tirent.)
Hé là... là donc... je t'en souhaite !...
(Cependant que Torquemada et Gonzalve s'efforcent, Inigo aperçoit Ramiro qui relient, suivi de Concepcion)
INIGO
(appelant Ramiro)
Pardieu, déménageur, vous venez à propos !
TORQUEMADA
(apercevant Ramiro)
Je l'avais oublié: où avais je la tête ?
(à Concepcion)
Ma femme, vous non plus, vous n'êtes pas de trop !...
(Torquemada, Gonzalve, Concepcion font la chaîne et tirent Inigo, mais la chaîne se romp et Inigo est toujours dans l'horloge. Ramiro prend Inigo à bras le corps et l'enlève de l'horloge le plus naturellement du monde)
RAMIRO
INIGO
Sacrebleu, quelle peigne !
CONCEPCION
De sa vigueur chacun témoigne !
TORQUEMADA
(à Concepcion)
Vous n'aurez pas encor d'horloge, chère amie. . .
CONCEPCION
(montrant Ramiro)
Régulier comme un chronomètre,
monsieur passe, avec ses mulets
chaque matin, sous ma fenêtre...
TORQUEMADA
(à Ramiro)
Chaque matin, donc, s'il vous plait,
vous lui direz l'heure qu'il est.
(Les acteurs viennent avec intention se placer sur le devant de la scène, après s'être offert mutuellement, en des cérémonies affectées, l'honneur de commencer l'addresse au public).
Quintette final.
GONZALVE
Un financier...
INIGO
et un poète...
CONCEPCION
(pouffant de rire)
un époux ridicule...
TORQUEMADA
une femme coquette...
(ensemble)
GONZALVE
Qui se servent, dans leurs discours,
de vers tantôt longs, tantôt courts...
au rythme qui se casse, à la rime cocasse.
(Tous approuvent.)
RAMIRO
CONCEPCION
C'est la morale de Boccace:
entre tous les amants, seul amant efficace.
RAMIRO
CONCEPCION
où le muletier a son tour.
TOUS
Il arrive un moment dans les déduits d'amour
où le muletier a son tour.
Rideau.
Fin du livret.
Generazione pagina: 13/02/2016
Pagina: ridotto, rid
Versione H: 3.00.40
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