SAMSON ET DALILA
Opéra en trois actes.
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Livret de Ferdinand LEMAIRE.
Musique de Camille SAINT-SAËNS.
Première représentation : 3 mars 1890, Rouen.
Personnages:
SAMSON chef des Israélites |
ténor |
DALILA prêtresse de Dagon |
mezzo-soprano |
ABIMÉLECH satrape de Gaza |
basse |
LE GRAND-PRÊTRE de Dagon |
baryton |
UN VIEILLARD HÉBREU |
basse |
PREMIER PHILISTIN |
ténor |
DEUXIÈME PHILISTIN |
baryton |
Un MESSAGER Philistin |
ténor |
Chœur de Hébreux, Chœur de Philistins.
Ville de Gaza, en Palestine.
Samson, Les Hébreux.
Une place publique dans la ville de Gaza, en Palestine. À gauche le portique du temple de Dagon. Au lever du rideau une foule d'Hébreux, hommes et femmes, sont réunis sur la place dans l'attitude de la douleur et de la prière. Samson est parmi eux. Il fait nuit.
LES HÉBREUX
(derrière la toile)
Dieu! Dieu d'Israël! Ecoute la prière
de tes enfants t'implorant à genoux.
Prends en pitié ton peuple et sa misère!
Que sa douleur désarme ton courroux!
Un jour, de nous tu détournas ta face,
et de ce jour ton peuple fut vaincu!
Quoi! veux-tu donc qu'à jamais on efface
des nations, celle qui t'a connu!
Mais vainement tout le jour je l'implore;
sourd à ma voix, il ne me répond pas!
Et cependant, du soir jusqu'à l'aurore,
j'implore ici le secours de son bras!
Nous avons vu nos cités renversées,
et les gentils profanant ton autel;
et sous leur joug nos tribus dispersées
ont tout perdu, jusqu'au nom d'Israël!
N'es-tu donc plus ce dieu de délivrance
qui de l'Égypte arrachait nos tribus ?
Dieu! As-tu rompu cette sainte alliance,
divins serments, par nos aïeux reçus ?
SAMSON
(sortant de la foule, à droit)
Arrêtez, ô mes frères!
Et bénissez le nom
du dieu saint de nos pères!
Car l'heure du pardon
est peut-être arrivée!
Oui, j'entends dans mon cœur
une voix élevée!
C'est la voix du seigneur
qui parle par ma bouche.
Ce dieu plein de bonté,
que la prière touche,
promet la liberté!
Frères, brisons nos chaînes,
et relevons l'autel
du seul dieu d'Israël!
LES HÉBREUX
Hélas! paroles vaines!
Pour marcher aux combats,
où donc trouver des armes ?
Comment armer nos bras ?
Nous n'avons que nos larmes!
SAMSON
L'as-tu donc oublié,
celui dont la puissance
se fit ton allié ?
Lui qui, plein de clémence,
a si souvent pour toi
fait parler ses oracles
et rallumé ta foi
au feu de ses miracles ?
Lui qui, dans l'océan,
sut frayer un passage
a nos pères fuyant
un honteux esclavage ?
LES HÉBREUX
Ils ne sont plus, ces temps
où le dieu de nos pères
protégeait ses enfants,
entendait leurs prières!
SAMSON
Malheureux, taisez-vous!
Le doute est un blasphème!
Implorons à genoux
le seigneur qui nous aime!
Remettons dans ses mains
le soin de notre gloire,
et puis ceignons nos reins,
certains de la victoire!
C'est le dieu des combats,
c'est le dieu des armées!
Il armera vos bras d'invincibles épées!
LES HÉBREUX
Ah! le souffle du seigneur a passé dans son âme!
Ah! chassons de notre cœur
une terreur infâme!
Et marchons avec lui
pour notre délivrance!
Jéhovah le conduit
et nous rend l'espérance!
Les mêmes, Abimélech, Satrape de Gaza, Philistins.
Abimélech entre, suivi de plusieurs soldais et guerriers Philistins.
ABIMÉLECH
Qui donc élève ici la voix ?
Encor ce vil troupeau d'esclaves,
osant toujours braver nos lois
et voulant briser leurs entraves!
Cachez vos soupirs et vos pleurs
qui lassent notre patience;
invoquez plutôt la clémence
de ceux qui furent vos vainqueurs!
Ce dieu que votre voix implore
est demeuré sourd à vos cris,
et vous l'osez prier encore,
quand il vous livre à nos mépris ?
Si sa puissance n'est pas vaine,
qu'il montre sa divinité!
Qu'il vienne briser votre chaîne,
qu'il vous rende la liberté!
Croyez-vous ce dieu comparable
à Dagon, le plus grand des dieux,
guidant de son bras redoutable
nos guerriers victorieux ?
Votre divinité craintive,
tremblante fuyait devant lui,
comme la colombe plaintive
fuit le vautour qui la poursuit!
SAMSON
C'est toi que sa bouche invective,
et la terre n'a point tremblé ?
O seigneur, l'abîme est comblé!
Je vois aux mains des anges
briller l'arme de feu,
et du ciel les phalanges
accourent venger dieu.
Oui, l'ange des ténèbres,
en passant devant eux,
pousse des cris funèbres
qui font frémir les cieux!
Enfin, l'heure est venue,
l'heure du dieu vengeur,
et j'entends dans la nue
eclater sa fureur.
Oui, devant sa colère
tout s'épouvante et fuit!
On sent trembler la terre,
aux cieux la foudre luit!
LES HÉBREUX
Oui, devant sa colère
tout s'épouvante et fuit!
ABIMÉLECH
Arrête! insensé, téméraire,
ou crains d'exciter ma colère!
SAMSON
Israël! romps ta chaîne!
O peuple, lève-toi!
Viens assouvir ta haine!
Le seigneur est en moi!
O toi, dieu de lumière,
comme aux jours d'autrefois
exauce ma prière
et combats pour tes lois!
LES HÉBREUX
Israël! romps ta chaîne!
O peuple, lève-toi!
Viens assouvir ta haine!
Le seigneur est en moi!
O toi, dieu de lumière,
comme aux jours d'autrefois
exauce ma prière
et combats pour tes lois!
SAMSON
Oui, devant sa colère
tout s'épouvante et fuit!
On sent trembler la terre,
aux cieux la foudre luit!
Il déchaîne l'orage,
commande à l'ouragan;
on voit sur son passage
reculer l'océan!
Israël! romps ta chaîne!
LES HÉBREUX, SAMSON
Israël! romps ta chaîne!
O peuple, lève-toi!
Viens assouvir ta haine!
Le seigneur est en moi!
O toi, dieu de lumière,
comme aux jours d'autrefois
exauce ma prière
et combats pour tes lois!
Israël! lève-toi! lève-toi!
Abimélech se précipite sur Samson l'épée à la main pour le frapper; Samson lui arrache l'épée des mains et le frappe. Abimélech tombe en criant: « A moi! ». Les Philistins qui accompagnent le satrape veulent le secourir; Samson, brandissant son épée, les éloigne. Ils occupent la droite de la scène, la plus grande confusion règne parmi eux. Samson et les Hébreux sortent à droite.
Les mêmes, le Grand-Prêtre, serviteurs, gardes.
Les portes du temple de Dagon s'ouvrent; le Grand-Prêtre, suivi de nombreux serviteurs et gardes, descend les degrés du portique; il s'arrête devant le cadavre d'Abimélech; les Philistins s'écartent devant lui.
LE GRAND-PRÊTRE
PREMIER PHILISTIN
J'ai senti dans mes veines
tout mon sang se glacer;
il semble que des chaînes
soudain vont m'enlacer.
DEUXIÈME PHILISTIN
LE GRAND-PRÊTRE
Les mêmes, un messager Philistin.
MESSAGER
Seigneur ! la troupe furieuse
que conduit et guide Samson
dans sa révolte audacieuse,
accourt, ravageant a moisson !
DEUX PHILISTINS, MESSAGER
Fuyons un danger inutile !
Quittons au plus vite ces lieux;
seigneur, abandonnons la ville
et cachons notre honte aux yeux.
LE GRAND-PRÊTRE
MESSAGER, DEUX PHILISTINS
Fuyons dans les montagnes,
abandonnons ces lieux,
nos maisons, nos compagnes,
et jusques à nos dieux !
Ils sortent par la gauche, emportant le cadavre d'Abimélech, suivis du Grand-Prêtre. Entrent les Hébreux, vieillards et femmes, à droite.
Les femmes et Les vieillards Hébreux, puis Samson, suivi des Hébreux victorieux.
Le jour se lève progressivement. Le soleil se lève complètement.
VIEILLARDS HÉBREUX
Hymne de joie, hymne de délivrance,
montez vers l'eternel !
Il a daigné dans sa toute-puissance
secourir Israël !
Par lui le faible est devenu le maître
du fort qui l'opprimait !
Il a vaincu l'orgueilleux et le traître
dont la voix l'insultait !
(Les jeunes Hébreux conduits par Samson entrent à droite.)
UN VIEILLARD HÉBREU
Il nous frappait dans sa colère,
car nous avions bravé ses lois.
Plus tard, le front dans la poussière,
vers lui nous élevions la voix.
Il dit à ses tribus aimées:
levez-vous, marchez aux combats !
Je suis le seigneur des armées,
je suis la force dc vos bras !
VIEILLARDS HÉBREUX
Il est venu vers nous dans la détresse,
car ses fils lui sont chers.
Que l'univers tressaille d'allégresse !
Il a rompu nos fers !
Hymne de joie, hymne de délivrance,
montez vers l'eternel !
Il a daigné dans sa toute-puissance
secourir Israël !
Samson, Dalila, les Philistines, Le vieillard Hébreu, Les Hébreux.
Les portes du temple de Dagon s'ouvrent. Dalila entre suivie des femmes Philistines tenant dans leurs mains des guirlandes de fleurs.
LES PHILISTINES
Voici le printemps nous portant des fleurs
pour orner le front des guerriers vainqueurs !
Mêlons nos accents aux parfums des roses
a peine écloses !
Avec l'oiseau chantons, mes sœurs !
Beauté, don du ciel, printemps de nos jours,
doux charme des yeux, espoir des amours,
pénètre les cœurs, verse dans les âmes
tes douces flammes !
Aimons, mes sœurs, aimons toujours !
DALILA
(s'adressant à Samson)
Je viens célébrer la victoire
de celui qui règne en mon cœur.
Dalila veut pour son vainqeur
encor plus d'amour que de gloire !
O mon bien-aimé, suis mes pas
vers Soreck, la douce vallée,
dans cette demeure isolée
où Dalila t'ouvre ses bras !
SAMSON
(à part)
Ô dieu ! Toi qui vois ma faiblesse,
prends pitié de ton serviteur !
Ferme mes yeux, ferme mon cœur
à la douce voix qui me presse !
DALILA
Pour toi, j'ai couronné mon front
des grappes noires du troène,
et mis des roses de Sharon
dans ma chevelure d'ébène !
UN VIEILLARD HÉBREU
Détourne-toi, mon fils, de son chemin !
Evite et crains cette fille étrangère !
Ferme l'oreille à sa voix mensongère,
et du serpent évite le venin !
SAMSON
(à part)
Voile ses traits dont la beauté
trouble mes sens, trouble mon âme !
Et de ses yeux éteins a flamme
qui me ravit la liberté !
DALILA
Doux est le muguet parfumé;
mes baisers le sont plus encore;
et le suc de la mandragore
est moins suave, ô bien-aimé !
Ouvre tes bras à ton amante,
et dépose-la sur ton cœur,
comme un sachet de douce odeur
dont la senteur est enivrante !
Ah ! viens !
SAMSON
(à part)
Flamme ardente qui me dévore,
et qu'elle ravive en ce lieu,
apaise-toi devant mon dieu !
Pitié, seigneur, pour celui qui t'implore !
UN VIEILLARD HÉBREU
Jamais tes yeux n'auront assez de larmes
pour désarmer la colère du ciel'
Danse des prêtresses de Dagon.
(Les jeunes filles qui ont accompagné Dalila dansent en agitant des guirlandes de fleurs et semblent provoquer les guerriers Hébreux qui accompagnent Samson. Ce dernier, profondément troublé, cherche en vain à éviter les regards de Dalila; ses yeux, malgré lui, suivent au milieu des jeunes Philistines, prenant part à leurs poses et à leurs gestes voluptueux.)
DALILA
Printemps qui commence,
portant l'espérance
aux cœurs amoureux,
ton souffle qui passe,
de la terre efface
les jours malheureux.
Tout brûle en notre âme,
et ta douce flamme
vient sécher nos pleurs;
tu rends à la terre,
par un doux mystère,
les fruits et les fleurs.
En vain je suis belle !
Mon cœur plein d'amour,
pleurant l'infidèle,
attend sou retour !
Vivant d'espérance,
mon cœur désolé
garde souvenance
du bonheur passé !
À la nuit tombante,
j'irai, triste amante,
m'asseoir au torrent,
l'attendre en pleurant !
Chassant ma tristesse,
s'il revient un jour,
à lui ma tendresse
et la douce ivresse
qu'un brûlant amour
garde à son retour !
UN VIEILLARD HÉBREU
L'esprit du mal a conduit cette femme
sur ton chemin pour troubler ton repos.
De ses regards fuis la brûlante flamme !
C'est un poison qui consume les os !
DALILA
Chassant ma tristesse,
s'il revient un jour,
à lui ma tendresse
et la douce ivresse
qu'un brûlant amour
garde à son retour !
(Dalila regagne en chantant les degrés du temple et provoque Samson du regard. Il hésite, il lutte et trahit le trouble de son âme.)
Prelude.
Dalila seule. Elle est plus parée qu'au premier acte. Au lever du rideau, elle est assise sur une roche, près du portique de sa maison et semble rêveuse.
Le théâtre représente la vallée de Soreck en Palestine. À gauche, la demeure de Dalila, précédée d'un léger portique et entourée de plantes asiatiques et de lianes luxuriantes. Au lever du rideau la nuit commence et se fait plus complète pendant toute la durée de l'acte.
Samson, recherchant ma présence,
ce soir doit venir en ces lieux.
Voici l'heure de la vengeance
qui doit satisfaire nos dieux !
Amour ! viens aider ma faiblesse !
Verse le poison dans son sein !
Fais que, vaincu par mon adresse,
Samson soit enchaîné demain !
Il voudrait en vain de son âme
pouvoir me chasser, me bannir !
Pourrait-il éteindre la flamme
qu'alimente le souvenir ?
Il est à moi ! c'est mon esclave !
Mes frères craignent son courroux;
moi, seule entre tous, je le brave
et le retiens à mes genoux !
Amour ! viens aider ma faiblesse !
Verse le poison dans son sein !
Fais que, vaincu par mon adresse,
Samson soit enchaîné demain !
Contre l'amour, sa force est vaine;
et lui, le fort parmi les forts,
lui, qui d'un peuple rompt la chaîne,
succombera sous mes efforts !
Éclair lointain.
Dalila, le Grand-Prêtre de Dagon.
Le Grand-Prêtre entre et va vers Dalila.
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Salut à vous, mon père !
Soyez le bienvenu, vous qu'ici l'on révère !
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Je sais que son courage
brave votre courroux,
et qu'il n'est pas d'outrage
qu'il ne garde pour vous.
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Je sais que de ses frères
écoutant les discours,
et les plaintes amères
que causent nos amours,
Samson, malgré lui-même,
combat et lutte en vain;
je sais combien il m'aime
et mon cœur ne craint rien.
C'est en vain qu'il me brave,
il est fort aux combats,
mais il est mon esclave
et tremble dans mes bras.
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Qu'importe à Dalila ton or !
Et que pourrait tout un trésor,
si je ne rêvais la vengeance !
Toi-même, malgré ta science,
je t'ai trompé par cet amour.
Samson sut vous dompter un jour;
mais il n'a pu me vaincre encore,
car, autant que toi, je l'abhorre !
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Oui, déjà, par trois fois, déguisant mon projet,
j'ai voulu de sa force éclaircir le secret.
J'allumai cet amour, espérant qu'à sa flamme
je lirais l'inconnu dans le fond de son âme.
Mais, par trois fois aussi, déjouant mon espoir,
il ne s'est point livré, ne m'a rien laissé voir.
En vain d'un fol amour j'imitai les tendresses,
espérant amollir son cœur par mes caresses !
J'ai vu ce fier captif, enlacé dans mes bras,
s'arracher de ma couche et courir aux combats.
Aujourd'hui cependant il subit ma puissance,
car je l'ai vu pâlir, trembler en ma présence,
et je sais qu'à cette heure, abandonnant les siens,
il revient en ces lieux resserrer nos liens.
Pour ce dernier combat j'ai préparé mes armes:
Samson ne pourra pas résister à nies larmes.
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Il faut, pour assouvir ma haine,
il faut que Dalila l'enchaîne !
Je veux que, vaincu par l'amour,
il courbe le front à son tour !
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
À moi l'honneur de la vengeance !
À moi l'honneur ! à moi !
Ensemble
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
À moi l'honneur de la vengeance !
Il faut, pour assouvir ma haine,
il faut que mon pouvoir l'enchaîne;
je veux que, vaincu par l'amour,
il courbe le front à son tour !
Unissons nous tous deux !
Mort au chef des Hébreux !
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Je l'attends !
LE GRAND-PRÊTRE
(Il sort. Dalila se rapproche de la gauche de la scène vers le portique de sa maison et s'appuie, rêveuse, contre un des piliers.)
DALILA
Se pourrait-il que sur son cœur
l'amour eût perdu sa puissance ?
La nuit est sombre et sans lueur
rien ne peut trahir sa présence.
Hélas !
Il ne vient pas !
Dalila, Samson.
Samson arrive par la droite; il semble ému, troublé, hésitant; il regarde autour de lui. La nuit s'assombrit de plus en plus.
Éclairs lointains.
SAMSON
En ces lieux, malgré moi, m'ont ramené mes pas...
Je voudrais fuir, hélas ! et ne puis pas.
Je maudis mon amour et pourtant j'aime encore...
Fuyons, fuyons ces lieux que ma faiblesse adore !
DALILA
(s'avançant vers Samson)
C'est toi, c' est toi, mon bien-aimé !
J'attendais ta présence !
J'oublie, en te voyant, des heures de souffrance !
Salut ! salut ! ô mon doux maître !
SAMSON
Arrête ces transports !
Je ne puis t'écouter sans honte et sans remords !
DALILA
Samson ! ô toi ! mon bien-aimé,
pourquoi, repousser ma tendresse ?
Pourquoi, de mon front parfumé,
pourquoi détourner tes caresses ?
SAMSON
Tu fus toujours chère à mon cœur,
et tu n'en peux être bannie !
J'aurais voulu donner ma vie
à l'amour qui fit mon bonheur !
DALILA
Près de moi pourquoi ces alarmes ?
Aurais-tu douté de mon cœur ?
N'es-tu pas mon maître et seigneur ?
L'amour a-t-il perdu ses charmes ?
SAMSON
Hélas ! esclave de mon dieu,
je subis sa volonté sainte;
il faut, par un dernier adieu,
rompre sans murmure et sans crainte
le doux lien de notre amour.
D'Israël renaît l'espérance.
Le seigneur a marqué le jour
qui verra notre délivrance !
II a dit à son serviteur:
je t'ai choisi parmi tes frères,
pour les guider vers le seigneur
et mettre un terme à leurs misères.
DALILA
Qu'importe à mon cœur désolé
le sort d'Israël et sa gloire !
Pour moi le bonheur envolé
est le seul fruit de ta victoire.
L'amour égarait ma raison
quand je croyais à tes promesses,
et je n'ai bu que le poison
en m'enivrant de tes caresses.
SAMSON
Ah ! cesse d'affliger mon cœur !
Je subis une loi suprême.
Tes pleurs ravivent ma douleur !
Dalila ! Dalila ! je t'aime !
Éclairs lointains.
DALILA
Un dieu plus puissant que le tien,
ami, te parle par ma bouche:
c'est le dieu d'amour, c'est le mien !
Et, si ce souvenir te touche,
rappelle à ton cœur ces beaux jours
passés aux genoux d'une amante
que tu devais aimer toujours,
et qui seule, hélas ! est constante !
SAMSON
Insensée ! oser m'accuser !
Quand pour toi tout parle à mon âme !
Oui ! dût la foudre m'écraser,
dussé-je périr de sa flamme,
Éclairs plus rapprochés.
Pour toi si grand est mon amour,
que j'ose aimer malgré dieu même !
Oui ! dussé-je en mourir un jour,
Dalila ! Dalila ! je t'aime !
DALILA
Mon cœur s'ouvre à ta voix comme s'ouvrent les fleurs
aux baisers de l'aurore !
Mais, ô mon bien-aimé, pour mieux sécher mes pleurs,
que ta voix parle encore !
Dis-moi qu'à Dalila tu reviens pour jamais !
Redis à ma tendresse
les serments d'autrefois, ces serments que j'aimais !
Ah ! réponds à ma tendresse,
verse-moi, verse-moi l'ivresse !
Réponds à ma tendresse.
Ah ! verse-moi, verse-moi l'ivresse !
SAMSON
Dalila ! Dalila ! je t'aime !
DALILA
Ainsi qu'on voit des blés les épis onduler
sous la brise légère,
ainsi frémit mon cœur, prêt à se consoler,
à ta voix qui m'est chère !
La flèche est moins rapide à porter le trépas
que ne l'est ton amante à voler dans tes bras !
Ah ! réponds à ma tendresse !
Verse-moi, verse-moi l'ivresse !
SAMSON
Par mes baisers je veux sécher tes larmes,
et de ton cœur éloigner les alarmes !
Dalila ! Dalila ! je t'aime !
Éclair. - Violent coup de tonnerre.
DALILA
Mais ! non ! que dis-je ? hélas !
la triste Dalila doute de tes paroles !
Égarant ma raison, tu me trompas déjà
par des serments frivoles !
SAMSON
Quand pour toi j'ose oublier dieu,
sa gloire, mon peuple et mon vœu !
Ce dieu qui marqua ma naissance
du sceau divin de sa puissance !
DALILA
Eh bien ! connais donc mon amour !
C'est ton dieu même que j'envie !
Ce dieu qui te donna le jour,
ce dieu qui consacra ta vie !
Le vœu qui t'enchaîne à ce dieu
et qui fait ton bras redoutable,
à mon amour fais-en l'aveu,
chasse le doute qui m'accable !
Éclairs et tonnerre lointains.
SAMSON
Dalila ! que veux-tu de moi ?
Crains que je ne doute de toi !
DALILA
Si j'ai conservé ma puissance,
je veux l'essayer en ce jour.
Je veux éprouver ton amour,
en réclamant ta confiance !
Éclairs et tonnerre de plus en plus rapprochés.
SAMSON
Hélas ! qu'importe à ton bonheur
le lien sacré qui m'enchaîne,
ce secret que garde mon cœur ?
DALILA
Par cet aveu soulage ma douleur !
SAMSON
Pour le ravir, ta force est vaine !
Éclairs sans tonnerre.
DALILA
Oui ! vain est mon pouvoir,
car vaine est ta tendresse !
Quand je veux le savoir,
ce secret qui me blesse,
dont je veux la moitié,
oses-tu dans ton âme
sans honte et sans pitié,
m'accuser d'être infâme ?
SAMSON
D'une immense douleur
ma pauvre âme accablée
implore le seigneur
d'une voix désolée.
DALILA
J'avais paré pour lui
ma jeunesse et mes charmes !
Je n'ai plus aujourd'hui
qu'à répandre des larmes.
SAMSON
Dieu tout-puissant, j'invoque ton appui !
DALILA
Pour ces derniers adieux
ma voix est impuissante.
Fuis ! Samson, fuis ces lieux
où mourra ton amante !
SAMSON
Laisse-moi !
DALILA
Ton secret ?
SAMSON
Je ne puis !
DALILA
Ton secret ?
Ce secret qui cause mes alarmes !
Éclairs sans tonnerre.
SAMSON
L'orage sur ces monts
déchaîne sa colère.
Le seigneur sur nos fronts
fait gronder son tonnerre.
DALILA
Je le brave avec toi !
Viens !
SAMSON
Non !
DALILA
Viens !
SAMSON
Laisse-moi !
DALILA
Que m'importe la foudre !
SAMSON
Je ne puis m'y résoudre -
c'est la voix de mon dieu.
DALILA
Lâche ! cœur sans amour,
je te méprise. Adieu !
Éclairs et tonnerre.
Dalila court vers sa demeure; l'orage est dans toute sa fureur. Samson, levant les bras au ciel, semble invoquer dieu. Il s'élance à la suite de Dalila, hésite et entre enfin dans sa demeure. Par la droite arrivent des soldats Philistins qui s'approchent de la demeure.
Violent coup de tonnerre.
Dalila parait à sa fenêtre.
DALILA
À moi ! Philistins ! à moi !
SAMSON
Trahison !
Les soldats se précipitent dans la demeure de Dalila.
Violent coupe de tonnerre.
Premier tableau.
La prison de Gaza. Samson, enchaîné, aveugle, les cheveux coupés, tourne la meule. Dans la coulisse, chœur des Hébreux captifs.
Samson, les Hébreux
SAMSON
Vois ma misère, hélas ! vois ma détresse !
Pitié, seigneur ! pitié pour ma faiblesse !
J'ai détourné mes pas de ton chemin:
bientôt de moi tu retireras ta main.
Je t'offre, ô dieu, ma pauvre âme brisée.
Je ne suis plus qu'un objet de risée.
Ils m'ont ravi la lumière du ciel;
ils m'ont versé l'amertume et le fiel !
CHŒUR DES HÉBREUX
(derrière la scène)
Samson, qu'as-tu fait de tes frères ?
Qu'as-tu fait du dieu de tes pères ?
SAMSON
Hélas ! Israël dans les fers,
du ciel attirant la vengeance,
a perdu jusqu'à l'espérance
par tous les maux qu'il a soufferts !
Que nos tribus à tes yeux trouvent grâce !
Daigne à ton peuple épargner la douleur !
Apaise-toi devant leurs maux, seigneur,
toi, dont jamais la pitié ne se lasse !
LES HÉBREUX
Dieu nous confiait à ton bras
pour nous guider dans les combats;
Samson, qu'as-tu fait de tes frères ?
SAMSON
Frères ! votre chant douloureux,
pénétrant dans ma nuit profonde,
d'une angoisse mortelle inonde
mon cœur coupable et malheureux.
Dieu ! prends ma vie en sacrifice
pour satisfaire ton courroux !
D'Israël détourne tes coups,
et je proclame ta justice !
LES HÉBREUX
Pour une femme il nous vendait,
de Dalila payant les charmes.
Fils de Manoah, qu'as-tu fait
de notre sang et de nos larmes ?
SAMSON
À tes pieds, brisé, mais soumis,
je bénis la main qui me frappe.
Fais, seigneur, que ton peuple échappe
à la fureur des ennemis !
LES HÉBREUX
Samson, qu'as-tu fait de tes frères ?
Qu'as-tu fait du dieu de tes pères ?
Les Philistins entrent dans la prison; ils entraînent Samson.
Deuxième tableau.
Intérieur du temple de Dagon. Statue du dieu, table des sacrifices. Au milieu du sanctuaire deux cotonnes semblent supporter l'édifice.
Le Grand-Prêtre, Dalila, Les Philistins.
Le Grand-Prêtre de Dagon entouré des princes Philistins. Dalila, suivie des jeunes femmes Philistines, couronnées de fleurs, des coupes à la main. Le peuple remplit le temple. Le jour se lève.
LES PHILISTINS
L'aube qui blanchit déjà les coteaux
d'une nuit si belle éteint les flambeaux;
prolongeons la fête, et malgré l'aurore,
aimons encore !
L'amour verse au cœur l'oubli de nos maux.
Au vent du matin, l'ombre de la nuit
comme un léger voile à l'horizon fuit.
L'orient s'empourpre, et sur les montagnes
le soleil luit,
dardant ses rayons au sein des campagnes.
Bacchanale.
Les mêmes, puis Samson.
Entre Samson conduit par un enfant.
LE GRAND-PRÊTRE
LES PHILISTINS
Samson ! nous buvons avec toi
à Dalila, ta souveraine !
Vide la coupe sans effroi !
L'ivresse dissipe la peine !
SAMSON
(à part)
L'âme triste jusqu'à la mort,
devant toi, seigneur, je m'incline;
que par ta volonté divine
ici s'accomplisse mon sort !
DALILA
(s'approchant de Samson, une coupe à la main)
Laisse-moi prendre ta main
et te montrer le chemin,
comme dans la sombre allée
qui conduit à la vallée,
le jour où, suivant mes pas,
tu m'enlaçais de tes bras !
Tu gravissais les montagnes
pour arriver jusqu'à moi,
et je fuyais mes compagnes
pour être seule avec toi.
Souviens-toi de nos ivresses !
Souviens-toi de mes caresses !
L'amour servait mon projet,
pour assouvir ma vengeance
je t'arrachai ton secret:
je l'avais vendu d'avance.
Tu croyais à cet amour:
c'est lui qui riva ta chaîne.
Dalila venge en ce jour
son dieu, son peuple et sa haine.
LES PHILISTINS
Dalila venge en ce jour
son dieu, son peuple et sa haine.
SAMSON
(à part)
Quand tu parlais, je restais sourd;
et dans le trouble de mon âme,
hélas ! j'ai profané l'amour
en le donnant à cette femme.
LE GRAND-PRÊTRE
SAMSON
Tu permets, ô dieu d'Israël,
que ce prêtre imposteur outrage,
dans sa fureur et dans sa rage,
ton nom, à la face du ciel !
Que ne puis-je venger ta gloire,
et par un prodige éclatant
retrouver pour un seul instant
les yeux, la force et la victoire !
LES PHILISTINS
Ah ! ah ! ah ! Rions de sa fureur !
Tu ne nous fais pas peur !
Dans ta rage impuissante,
Samson, tu n'y vois pas !
Prends garde à tes pas !
Sa colère est plaisante !
Ah ! ah ! ah ! ah !
LE GRAND-PRÊTRE
Dalila et le Grand-Prêtre se dirigent vers la table des sacrifices sur laquelle se trouvent les coupes sacrées. Un feu brûle sur l'autel qui est orné de fleurs. Dalila et le Grand-Prêtre, prenant les coupes, font une libation sur le feu sacré qui s'active, puis disparaît, pour reparaître au troisième couplet de l'invocation. Samson est resté au milieu de la scène, ayant près de lui l'enfant qui le conduit; il est accablé par la douleur et semble prier.
Ensemble
LE GRAND-PRÊTRE
DALILA
Gloire à Dagon vainqueur !
Il aidait ma faiblesse,
inspirant à mon cœur
et la force et l'adresse.
Ô toi ! le plus grand entre tous !
Toi qui fis la terre où nous sommes,
que ton esprit soit avec nous,
ô maître des dieux et des hommes !
LES PHILISTINS
Marqué d'un signe
nos longs troupeaux:
mûris la vigne
sur nos coteaux !
Rends à la plaine
notre moisson
que, dans sa haine,
brûla Samson !
DALILA, LE GRAND-PRÊTRE
Reçois sur nos autels
le sang de nos victimes
que t'offrent des mortels
pour expier leurs crimes.
Aux yeux de tes prêtres divins,
pouvant seuls contempler ta face,
montre l'avenir qui se cache
aux regards des autres humains !
LES PHILISTINS
Dieu, sois propice
à nos destins !
Que ta justice
aux Philistins
donne la gloire
dans les combats !
Que la victoire
suive nos pas !
DALILA, LE GRAND-PRÊTRE, LES PHILISTINS
Dagon se révèle !
La flamme nouvelle
sur l'autel
renaît de la cendre.
L'immortel
pour nous va descendre !
C'est le dieu
qui par sa présence
montre sa puissance !
Ah ! L'immortel
pour nous va descendre !
C'est le dieu
qui par sa présence
montre sa puissance
en ce lieu.
Sur l'autel,
renaît de la cendre !
Dagon se révèle !
LE GRAND-PRÊTRE
LE GRAND-PRÊTRE
SAMSON
Seigneur, inspire-moi, ne m'abandonne pas !
(à l'enfant)
Vers les piliers de marbre, enfant, guide mes pas !
(L'enfant conduit Samson entre les deux piliers.)
LES PHILISTINS
Dagon se révèle,
la flamme nouvelle,
sur l'autel
renaît de la cendre;
c'est le dieu
qui par sa présence
montre sa puissance
en ce lieu !
Dieu, sois propice
à nos destins !
Que ta justice
aux Philistins
donne la gloire
dans les combats !
Que la victoire
suive nos pas !
Devant toi, d'Israël
disparaît l'insolence !
Nos bras guidés par ton esprit,
dans les combats
ou par tes charmes,
ont vaincu ce peuple maudit,
bravant ta colère et tes armes.
À nos destins,
dieu, sois propice !
Gloire à Dagon !
SAMSON
(placé entre les deux piliers, cherchant à les ébranler)
Souviens-toi de ton serviteur
qu'ils ont privé de la lumière !
Daigne pour un instant, seigneur,
me rendre ma force première !
Qu'avec toi je me venge, ô dieu !
en les écrasant en ce lieu !
Le temple s'écroule au milieu des cris.
Rideau.
Fin du livret.
Generazione pagina: 13/02/2016
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(D)