POMONE
Pastorale.
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Livret de Pierre PERRIN.
Musique de Robert CAMBERT.
Première représentation : 3 mars 1671, Paris.
Acteurs:
LA NYMPHE DE LA SEINE |
soprano |
POMONE déesse des fruits |
soprano |
FLORE sœur de Pomone, déesse des fleurs |
soprano |
VERTUMNE dieu des lares ou folets, amant de Pomone |
baryton |
FAUNE dieu champêtre, amoreux de Pomone |
basse |
LE DIEU DES JARDINS |
baryton |
JUTURNE nymphe de Pomone |
soprano |
VENILIE nymphe de Pomone |
soprano |
BÉROÉ nourrice de Pomone |
ténor |
Chœur de jardiniers.
Troupe de folets.
Troupe de bouviers.
Le théâtre représente le Louvre.
Vertumne, La nymphe de la Seine.
LA NYMPHE DE LA SEINE
Toi qui vis autrefois le fleuve des Romains
triompher des Humains,
et porter le sceptre du monde,
Vertumne, que dis-tu de ma rive féconde ?
VERTUMNE
LA NYMPHE DE LA SEINE ET VERTUMNE
Il est l'amour et la terreur du monde,
l'effroi de ses voisins, le cœur de ses sujets.
LA NYMPHE DE LA SEINE
Mais quel dessein t'amène,
sur le bord de la Seine ?
VERTUMNE
LA NYMPHE DE LA SEINE ET VERTUMNE
Sus donc, par nos accords amoureuxet touchants,
commençons de charmer son cœur et ses oreilles.
Mêlons nos voix et remplissons nos champs
du doux bruit de nos chants.
Pastorale.
Le théâtre représente les vergers de Pomone.
Pomone, Juturne, Venilie, Béroé.
POMONE
Passons nos jours dans ces vergers,
loin des amours et des bergers.
Passons nos jours,
POMONE, JUTURNE
passons nos jours
loin des bergers et des amours.
POMONE
Qui voudra s'engage
sous les lois d'amour;
qui voudra s'engage.
Et fasse la cour
à ce dieu volage.
Qui voudra l'adore.
Pour moi je l'abhorre.
Le flot de la mer
est moins infidèle;
la fleur en est belle,
mais le fruit amer.
POMONE, JUTURNE
La fleur en est belle
mais le fruit amer.
VENILIE
Qui croit ce cajoleur
n'a que peine et douleur.
JUTURNE
Dans l'empire amoureux,
le sort le plus heureux
est le plus dangereux.
VENILIE
Le flot de la mer
est moins infidèle.
JUTURNE
La fleur en est belle,
mais le fruit amer.
JUTURNE, VENILIE
La fleur en est belle,
mais le fruit amer.
JUTURNE
Le doux plaisir d'amourette
est une tendre fleurette,
qui ne dure qu'un matin,
il a le destin
des plus belles choses;
il naît, il fleurit, il passe en un jour.
Les chaînes d'amour,
sont chaînes de roses.
JUTURNE, VENILIE
Les chaînes d'amour,
sont chaînes de roses.
POMONE
Passons nos jours dans ces vergers,
loin des amours et des bergers.
Passons nos jours,
POMONE, JUTURNE
passons nos jours,
loin des bergers et des amours.
Pomone, Juturne, Venilie, Béroé, Flore.
FLORE
Ah ! ma sœur, à quoi penses-tu ?
Veux-tu bannir de ton empire
ce dieu puissant, dont la vertu
anime tout ce qui respire,
et dont les fécondes chaleurs
font naître tes fruits et mes fleurs ?
POMONE
Je consens que ses flammes
brûlent tout l'univers;
pourvu que dans nos âmes
il trouve incessamment la glace et les hivers.
FLORE
Ah ! si tu connaissais comme moi ses délices !
BÉROÉ
Ah ! si tu connaissais comme moi ses malices !
FLORE
De combien de douceurs il flatte nos désirs !
BÉROÉ
Combien il cause de soupirs !
FLORE
Que ses fers,
BÉROÉ
que ses loix,
FLORE
sont doux !
BÉROÉ
Sont inhumaines !
FLORE
Quel plaisir !
BÉROÉ
Quel tourment !
BÉROÉ, FLORE
De vivre dans ses chaînes !
POMONE
Il a des biens, il a des peines,
et je ne veux que des plaisirs.
Pomone, Juturne, Venilie, Béroé, Flore, Le dieu des jardins, Troupe de jardiniers.
LE DIEU DES JARDINS
Pomone, Juturne, Venilie, Béroé, Flore, Le dieu des jardins, Faune, Troupe de jardiniers, Troupe de bouviers.
FAUNE
C'est bien à toi, dieu misérable,
de prétendre à tes maux quelque soulagement !
LE DIEU DES JARDINS
FAUNE
Elle a beau résister et faire la mutine;
c'est à moi...
FAUNE, LE DIEU DES JARDINS
C'est à moy que le ciel la destine.
LE DIEU DES JARDINS
LE DIEU DES JARDINS, FAUNE
tout cède, tout se rend à mou pouvoir divin.
FLORE
Vous le dites en vain.
On vous connaît tous deux; mais éprouvons les vôtres
faites chanter les uns, faites danser les autres.
Le Dieu des jardins fait avancer sa troupe.
LES JARDINIERS
Vive le Dieu des jardiniers !
II est toujours prêt à bien faire;
bergères, portez vos paniers.
Il a de quoi vous satisfaire.
Sans lui les jeux, les passe-temps,
n'ont qu'une douceur imparfaite;
et s'il n'est de la fête,
l'on ne rit pas longtemps.
Rien n'est si doux que sa fureur,
ni si plaisant que sa folie;
elle bannit de notre cœur,
la plus noire mélancolie.
Sans lui les jeux, les passe-temps,
n'ont qu'une douceur imparfaite
et s'il n'est de la fête,
l'on ne rit pas longtemps.
LE DIEU DES JARDINS
FAUNE
Il est vrai que jamais rossignols d'Arcadie
n'ont fait plus douce mélodie.
LE DIEU DES JARDINS
La troupe s'écarte pour faire place aux danseurs et ensuite se rassemble.
FAUNE, LE DIEU DES JARDINS
(à Pomone)
Couronnez, il est temps, couronnez le vainqueur;
donnez-lui votre main, donnez-lui votre cœur.
POMONE
(à ses nymphes)
Cueillez, nymphes, dans ces prairies,
cueillez pour eux des guirlandes fleuries.
Pomone fait signe à ses nymphes de jouer ses amans; elles feignent d'aller cueillir des fleurs.
POMONE
(à Flore)
Et vous ma soeur,
couronnez le vainqueur.
Elle fait un pareil signe à Flore, et elle se cache pour les observer et pour en rire.
Flore, Juturne, Venilie, Béroé, Le dieu des jardins, Faune, Troupe de jardiniers, Troupe de bouviers.
FAUNE, LE DIEU DES JARDINS
(à Pomone)
Donnez-lui votre main, donnez-lui votre cœur.
Les nymphes apportent à Flore une corbeille, dans laquelle est une couronne d'épines et une autre de chardons.
FLORE
(aux dieux)
Venez voir couronner vos tendres amourettes,
et recevoir le premier de ses dons.
Elle tire les denx couronnes de la corbeille, et faisant l'étonnée leur dit, en se moquant
FLORE
Ah ! pour un plus heureux on garde les fleurettes !
Pour vous l'épine et les chardons.
FLORE, JUTURNE, VENILIE, BÉROÉ
Ah ! pour un plus heureux on garde les fleurettes !
Pour vous l'épine et les chardons.
Flore donne au dieu des jardins la couronne d'épines, à Faune, celle de chardons.
Faune, Le dieu des jardins, Troupe de bouviers, Troupe de jardiniers
FAUNE
(montrant au dieu et à sa troupe la couronne d'épines qui leur a été donnée)
Voilà le prix de vos musiques,
et ce que méritent vos chants.
Ritournelle pendant laquelle les bouviers dansent en se moquant.
LE DIEU DES JARDINS
LE DIEU DES JARDINS, LES JARDINIERS
Voilà le fruit du dieu des champs,
et de quoi paître ses bourriques.
Vertumne.
Une troupe de Folets volent de tous les côtés du théâtre.
Ils disparaissent.
Le théâtre représente le parc de Chesnes.
Béroé.
Ah ! n'est-ce pasassez qu'on aime et qu'on soupire,
pendant le cours do sa jeune saison !
Pourquoi faut-il, amour, étendre ton empire
jusque sur notre âge grison !
Malgré tous mes efforts, malgré toute mes feintes,
je sens vivre tes feux, sous mes cendres éteintes,
d'une cruelle ardeur je me vois consumer,
que la glace des ans ne fait que rallumer:
j'aime un dieu... Le voici, tâchons de le surprendre;
il rève à ses amours, cachons-nous pour l'entendre.
Vertumne, Béroé cachée.
VERTUMNE
Vertumne, Béroé.
BÉROÉ
Quoi, toujours inflexible ?
Toujours sourd à mes vœux;
et toujours amoureux
d'une belle insensible.
VERTUMNE
BÉROÉ
Quoi, tant d'amour, ingrat !
VERTUMNE
BÉROÉ
(l'arrêtant)
Arrête et voi du moins ma peine et mes langueurs;
un moment encor et je meurs.
VERTUMNE
Vertumne se transforme en dragon et court à elle comme pour la dévorer.
Béroé, Vertumne en Dragon
BÉROÉ
Que voyez-vous, mes yeux !
Quel dragon furieux !
Mais non, rassurons-nous, c'est lui qui se transforme
en ce monstre difforme.
(Elle affronte le dragon.)
Hé bien, cruel, saoule-toi de mon sang;
contente ton envie;
déchire-moi le flanc;
arrache-moi la vie:
je bénirai mon sort,
et je ne puis mourir d'une plus douce mort.
Le ciel brille d'éclairs, le tonnerre gronde, la terre tremble, et douze folets transformés en fantômes tombent du ciel dans un nuage enflammé.
Béroé, Douze folets en fantômes
BÉROÉ
Mais quels éclairs ! quelle horrible tonnerre !
Quel tremblement de terre !
Quels fantômes affreux, et quelles visions !
Que de monstres armez de feu. de fer, de foudre,
pour me réduire en poudre !
Je vous connais folets, et vos illusions,
vous croyez m'étonner par cette allarme feinte,
et me jouer à votre tour:
mais l'on ne peut former les glaces de là crainte,
où règnent les feux de l'amour.
Les Folets descendus de la machine environnent Béroé, et pour l'épouvanter, dansent à ses yeux une danse terrible.
BÉROÉ
(après la danse dit aux fantômes)
Hé bien ! Folets, est-ce assez d'impostures;
de grimaces et de postures;
et croyez-vous encor sous ce masque trompeur,
me donner de la peur ?
Trois fantômes disparaissent, quatre autres saisissent Béroé, l'emportent en l'air, et cinq autres restent sur le théâtre.
BÉROÉ
Au secours je suis morte,
on m'entraîne, on m'emporte.
Cinq folets en fantômes, Le dieu des jardins, Quatre jardiniers.
LE DIEU DES JARDINS, LES JARDINIERS
Pauvre nourrice, hélas ! tes cris sont superflus !
Le dieu et sa troupe ne pouvant arracher la nourrice aux fantômes qui l'emportent, s'en veulent venger sur les cinq autres qui restent et crient:
LE DIEU DES JARDINS
Le dieu des jardins, Quatre jardiniers, Cinq folets en Bourgeoises de Lampsaque.
LA 1ÈRE BOURGEOISE
(au Dieu des jardins)
Tu veux m'assassiner !
LE DIEU DES JARDINS
LE 1ER JARDINIER
(à la 2me bourgeoise)
Ma soeur !
LE 2ME JARDINIER
(à la 3me bourgeoise)
Ma femme !
LE 3ME JARDINIER
LA 5ME BOURGEOISE
(au 4me jardinier)
C'est toi, Philandre, hélas !
LE 4ME JARDINIER
(à la 5me bourgeoise)
C'est toi, chère Cloris !
LA 2ME BOURGEOISE
(au 3me jardinier)
Mon aimable Alcidor !
LE 3ME JARDINIER
LA 3ME BOURGEOISE
(au 4me jardinier)
Ah Damon !
LE 4ME JARDINIER
(à la 3me bourgeoise)
Ah Climeine !
O Dieux qui vous amène
eu ces bords étrangers !
LA 3ME BOURGEOISE
Le désir de revoir nos aimables bergers !
LA 1ÈRE BOURGEOISE
Depuis que vous cessez de cultiver nos terres,
la mousse et les buissons croissent dans nos parterres.
LA 2ME BOURGEOISE
On voit sur notre teint une jaune pâleur,
LA 3ME BOURGEOISE
nous n'avons plus de lys.
LA 4ME BOURGEOISE
Nous n'avons plus de roses.
LA 5ME BOURGEOISE
Et nos fleurs demi-closes,
frémissent de douleur.
LE 3ME JARDINIER
LE 4ME JARDINIER
Dès la moindre peine,
nous perdons haleine,
courage et vigueur.
LE 3ME JARDINIER
LE 3ME JARDINIER ET LE 4ME JARDINIER
Et nos pauvres bêches
nous tombent des mains.
LA 2ME BOURGEOISE
Allons, bergers.
LE 1ER JARDINIER
Allons, bergères
TOUS
Allons, bergers; allons bergères,
goûter la douceur du retour.
LA 1ÈRE BOURGEOISE ET LA 2ME BOURGEOISE
Allons sur les vertes fougères,
cueillir les doux fruits de l'amour.
TOUS
Allons sur les vertes fougères,
cueillir les doux fruits de l'amour.
Le ieu des jardins et les Jardiniers veulent embrasser leurs bourgeoises mais dans le moment elles se transforment en autant de buissons d'épines.
Le dieu des jardins, quatre jardiniers, Cinq folets en buissons d'epines.
LE DIEU DES JARDINS
DEUX FOLETS
(cachés)
Cesse, grand dieu, cesse tes plaintes vaines.
LE DIEU DES JARDINS
DEUX FOLETS
(cachés)
Nous sommes deux nymphes des chênes,
et le ciel t'annonce par nous,
qu'un jour il finira tes peines.
LE DIEU DES JARDINS
DEUX FOLETS
(cachés)
Quand tu seras discret, et fidèle en aimant !
LE DIEU DES JARDINS
LE DIEU DES JARDINS ET LES JARDINIERS
Apprenez, apprenez qu'en l'empire amoureux
on perd tout pour attendre;
et que le vigoureux
est souvent plus heureux,
que le sage et le tendre.
Le théâtre représente des rochers et de la verdure
Vertumne.
Pomone, Juturne, Venilie, Vertumne cachée.
POMONE, VENILIE
Sortez petits oiseaux, sortez de vos boccages,
quittez, quittez vos nids et vos buissons;
et mêlez vos tendres ramages,
à nos agréables chansons.
Volez; doux rossignols, volez dans ces feuillages.
Venez, serins, venez pinsons,
et mêlez vos tendres ramages,
à nos agréables chansons.
Vertumne parait transformé en Plutus, dieu des trésors.
Pomone, Juturne, Venilie, Vertumne en Plutus.
VERTUMNE
Le théâtre représente le Palais de Plutus.
Pomone, Juturne, Venilie, Vertumne en Plutus, 5 folets en démons.
VERTUMNE
POMONE
Non, non, garde ton or, tes pierres et tes marbres;
mon unique trésor sont mes fruits et mes arbres.
VERTUMNE
Il montre à la déesse une corbeille pleine da bigarades d'or et une autre pleine de grenades dont les grains sont de rubis.
VERTUMNE
POMONE
Il me suffît de mon partage,
et je ne veux rien davantage:
moins de biens, moins de biens, et plus de liberté,
POMONE, JUTURNE
liberté, liberté !
VERTUMNE
Pomone, Juturne, Venilie.
JUTURNE, VENILIE
Liberté, liberté !
VENILIE
Ô la grande faiblesse,
de chérir les trésors !
De prendre l'ombre pour le corps,
et suivre un bien qui nous fuit, et nous laisse !
JUTURNE
Bannir de son cœur la noire tristesse,
la faible tendresse,
les soins, les désirs;
rire, chanter, passer en plaisirs
sa belle jeunesse,
c'est la véritable sagesse:
la grandeur, la richesse,
ne sont qu'ombre et vanité.
POMONE, JUTURNE, VENILIE
Liberté, liberté !
Pomone, Juturne, Venilie, Vertumne à l'écart.
VERTUMNE
Vertumne transformé en Bacchus, parait devancé par 3 satyres qui tiennent à la main des coupes, des bouteilles et des flacons.
Pomone, Juturne, Venilie, Vertumne en Bacchus, Folets en satyres.
LES FOLETS
(en satyres)
Place, place, voisins,
place au dieu des raisins.
VERTUMNE
POMONE
Je sais qu'elle a beaucoup d'éclat et de grandeur,
mais je renferme ma grandeur,
dans celle que le ciel me donne.
VERTUMNE
POMONE
N'ai-je pas dans le mien un jus doux et charmant,
que l'on chérit également ?
LES FOLETS
(en satyres)
Ô la comparaison étrange,
du cidre au jus de la vendange !
Vive notre aimable liqueur !
POMONE, JUTURNE, VENILIE
Vive notre aimable liqueur !
JUTURNE
Elle charme le goût.
1ER SATYRE
Elle échauffe le cœur.
VENILIE
C'est le nectar des dieux,
2ME SATYRE
c'est l'honneur de la table.
JUTURNE
Rien n'est si doux,
3ME SATYRE
rien n'est si délectable.
TOUS
Vive notre aimable liqueur !
Pomone et ses nymphes se retirent en se moquant. Faune arrive.
Faune, Vertumne en Bacchus, Folets en satyres.
FAUNE
Ô dieux, quelle chaleur m'enflamme !
Je suis dans un double brasier,
la soif altère mon gosier,
et l'amour échauffe mon âme.
Que je te rencontre à propos,
grand dieu des verres, et des pots ?
Ah ! j'implore ta grâce,
et ton secours divin:
verse, hélas, dans ma tasse
quelques larmes de vin.
VERTUMNE
FAUNE
il y va de ta gloire.
VERTUMNE
Faune, Folets en satyres
LES FOLETS
(en satyres)
Buvon tous à la ronde,
buvons au dieu falot:
que chacun nous seconde,
buvons tous à la ronde,
à ce vieux sibilot.
Fringue la tasse, fringue,
masse à lui, tope et tingue.
FAUNE
(leur présentant la tasse)
Versez, versez à rouge bord;
LES FOLETS
(continuant à boire sans l'écouter)
Masse à lui, topo, et tingue;
FAUNE
(s'impatientant)
Donnez donc, je meurs.
LES FOLETS
(continuant)
Masse à lui, tope, et tingue,
FAUNE
(leur saisissant la bouteille)
je suis mort;
donnez, donnez: quelle fadaise !
2ME SATYRE
Tiens, bonhomme, fais-nou
et pour boire mieux à ton aise,
couche-toi là, sur ce gazon.
Les Folets placent Faune sur un gazon et mettant à l'entour de lui trois flacons et trois bouteilles.
FAUNE
Ô quel plaisir, quand on est altéré,
de voir autour de ses oreilles
un cercle inespéré
de pots et de bouteilles !
Buvons, buvons; mais qu'est-ceci ?
(Lorsqu'il veut prendre une bouteille, elle s'enfuit et traverse le théâtre: il s'attaque à la seconde qui suit de même.)
La bouteille s'enfuit et la seconde aussi.
(Il veut saisir la troisième, elle s'élève en l'air où un folet la vient prendre.)
A l'aide, le démon l'entraîne !
(Il croit s'emparer de la quatrième, elle fond en terre, et la cinquième après elle.)
Et toi, joli flacon, te prendra-t-on ainsi ?
Quoi, toute la demi-douzaine !
(Il prend la sixième, et boit à même.)
Ah ! du moins j'aurai celle-ci,
et j'en remplirai ma bedaine.
(Il trouve que c'est de l'eau et crache.)
LES FOLETS
(en satyres)
Ah le fat ! ah le badin !
Il buit de l'eau pour du vin.
FAUNE
(en se levant)
On me berne, on me raille,
courez dessus bouviers;
suivons cette racaille,
à grands coups de leviers.
À grands coups de leviers.
LES FOLETS
(en satyres)
Ah le fat, ah le badin.
Il boit de l'eau pour du vin.
Le théâtre représente le jardin et le berceau de Pomone.
Béroé seule.
Sors de mon cœur,
folle fureur,
aveugle frénésie.
Brutale ardeur, maudite jnlousie,
peste des cœurs, dont le poison
détruit l'amour et la raison,
sors de mon cœur et de ma fantaisie;
c'est trop d'affronts soufferts,
rompons, brisons nos fers,
vengeons-nous de qui nous méprise,
et renversons du moins toute son entreprise.
Mais le voici qui médite en son cœur
de nouveaux artifices;
il n'a pas épuisé sa ruse et ses malices,
observons ses desseins; fourbe, lâche, imposteur.
Vertumne, Béroé cachée.
VERTUMNE
Pomone, Flore, Vertumne, et Béroé cachée. Flore soupire.
POMONE
Qui cause ce soupir
de langueur et de flamme ?
FLORE
L'absence de zéphir
qui tourmente mon âme.
POMONE
Pour calmer les ennuis,
dont elle est travaillée,
allons sous la verte feuillée,
voir danser nos cueilleurs de fruits.
(Vertumne s'avance transformé en Béroé.)
Pomone, Flore, Vertumne en Béroé, Béroé cachée.
POMONE
Mais te voilà, nourrice,
hé qui t'a fait absenter si longtemps !
Il faut qu'un baiser t'en punisse.
(elle le baise)
Mets-toi là, bonne mère, et vois nos passe-temps.
Pomone, Flore, Vertumne en Béroé, vont s'asseoir sous la feuillée. Des cueilleurs de fruits, la hotte sur le dos, viennent danser.
Pomone, Flore, Vertumne en Beroé, Béroé cachée, Cueilleurs et Cueilleuses de fruits.
Danse de cueilleurs de fruits.
Pomone, Flore, Vertumne en Béroé, Béroé cachée.
POMONE
(à Flore)
Hé bien que dis-tu, ma sœur,
de notre charmante vie ?
FLORE
Je dis que sa douceur
me donne pou d'envie...
FLORE
Sans le plaisir d'amour, tous les autres plaisirs
lassent facilement nos cœurs et nos désirs.
POMONE
Tu me conseilles donc désormais de le suivre ?
FLORE
Qui commence d'aimer, commence aussi de vivre.
POMONE
(à Vertumne en Béroé)
Nourrice qu'en dis-tu' ?
VERTUMNE
POMONE
Je les ai jusqu'ici fidclement suivis.
VERTUMNE
BÉROÉ
(cachée)
Le rusé, l'imposteur !
POMONE
Il serait à mes yeux
le plus parfait des dieux,
qu'à son amour je serais insensible;
non, mon cœur est invincible.
BÉROÉ
(cachée)
Allons le démentir.
VERTUMNE
BÉROÉ
(courant à lui)
Je te tiens, fourbe, lâche !
Vertumne reprend soudainement sa figure naturelle.
Pomone, Flore, Vertumne, Béroé.
VERTUMNE
BÉROÉ
(à l'écart)
Hélas ! en le voyant ma fureur se relâche.
POMONE
(à l'écart)
Qu'il a l'air fier et doux, ha ! qu'est-ce que je sens !
Un mouvement secret me transporte les sens.
VERTUMNE
BÉROÉ
(à l'écart)
Ô ciel que ferons-nous !
VERTUMNE
POMONE
(à l'écart)
Ô dieu, il m'attendrit !
VERTUMNE
POMONE
(à l'écart)
je n'en puis plus,
VERTUMNE
POMONE
(à l'écart)
hélas !
VERTUMNE
POMONE
et je sens...
VERTUMNE
POMONE
(se tournard vers lui)
et je sens...
VERTUMNE
POMONE
...ce que je n'ose dire;
en le relevant
et je sens que mon cœur partage ton martyre.
Pomone, Flore, Vertumne, Béroé, Venilie, Faune, Le dieu des jardins.
POMONE, FLORE, VERTUMNE
Ô puissance d'amour, ô divin changement !
Ce que l'esprit et la finesse
ont tenté vainement,
l'amour et la beauté le font en un moment.
Faune, Le dieu des jardins, Béroé, Venilie.
FAUNE
(au Dieu des jardins)
Pauvre dieu des jardins
LE DIEU DES JARDINS
FAUNE
(en lui présentant Béroé)
Voici ce que le ciel te réserve en partage.
LE DIEU DES JARDINS
FAUNE
(en lui montrant sa bouteille)
Voici le mien.
(en lui montrant Béroé)
Voilà le tien.
FAUNE ET LE DIEU DES JARDINS
Voici le mien.
Voilà le tien.
VENILIE
(au Dieu des jardins)
Si d'un Vulcain aussi difforme
le ciel me faisait la Vénus,
il en aurait le front, aussi bien que la forme,
et ne céderait point aux dieux les plus cornus.
(en montrant Faune)
Vertumne, Pomone, Juturne, Venilie.
POMONE
En vain tu veux me faire voir,
l'étatde ton empire, et ton divin pouvoir,
grand dieu, ce que mon âme
ressent pour toi de tendresse et d'ardeur,
tu le dois à ta flamme,
bien plus qu'à ta grandeur.
C'est assez...
VERTUMNE
Vertumne, Pomone, Juturne, Venilie, Flore.
FLORE
(présentant aux amants le chapeau de l'hymen)
Vous ne manquez pas de couronne,
heureux amants, et le ciel vous en donne
les plus nobles de l'univers;
mais pour un cœur qu'amour tient dans ses fers,
la plus belle et la plus charmante,
est le chapeau d'hymen, que ma main vous présente.
Passez donc en plaisirs et les jours et les nuits,
portez ses fleurs, goûtez ses fruits.
Vertumne, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, Le dieu des jardins, 2 jardiniers.
Le dieu des jardins prend de la main d'un des jardiniers une corbeille pleine de trufes et d'artichauts, et la présente aux Amants.
LE DIEU DES JARDINS
VERTUMNE
Un palais magnifique se montre.
VERTUMNE
Huit folets transformés en esclaves font la revérence à la déesse.
Vertumne, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, Le dieu des jardins, 2 jardiniers, Folets en esclaves.
VERTUMNE
Une fontaine de vin parait.
VERTUMNE
Vertumne, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, Le dieu des jardins, 2 jardiniers, Folets en esclaves et symphonistes, et en dieux, dans les nues.
VERTUMNE
Dix-huit folets transformés paraissent en différentes nues brillantes, six au fond du théâtre dans une grande nue, six sur le côté droit en trois petites nues diverses et autant sur la gauche, sous des formes de dieux, de muses, et d'amours, partie chantant, partie jouant des instruments.
Vertumne, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, Le dieu des jardins, 2 jardiniers, Folets en esclaves, en symphonistes, et en dieux, dans les nues.
LES FOLETS DANS LES NUES
Venez dieux et mortels, à cette grande fête,
célébrez ce jour de conquête.
Ce jour illustre et bien heureux:
notre dieu va goûter les plaisirs amoureux;
sautons, rions, dansons et chantons à sa gloire.
Des chants d'amour et de victoire.
JUTURNE, VENILIE
Courez, courez, à pas légers,
courez satires et bergers:
sautez, riez, dansez et chantez à sa gloire.
LES FOLETS DANS LES NUES
Et vous folets, qui formez dans les airs
la foudre et les éclairs;
des vents et des nuages.
Arbitres souverains,
rendez ces lieux tranquilles et sereins;
et chassez loin de nous la foudre et les orages,
voici le jour, voici le temps
des jeux, des ris, des passe-temps;
sautons, rions, dansons et chantons à sa gloire.
Vertumne, Pomone, Faune, et les autres acteurs de la scène prcédénte.
FAUNE
(en dansant et se moquant)
Sautons, rions, dansons et chantons à ta gloire;
on attiapc aujourd'hui le plus fin des maris;
aujourd'hui se grossit le nombre des Cornards.
Sans troubler nos humeurs paisibles,
nous les porterons sur le front;
mais les miennts paraîtront,
les siennes seront invisibles.
La nourrice paraît.
Vertumne, Pomone, Béroé, Faune en nourrice et les autres acteurs de la scène précédente.
FAUNE
Et toi, nourrice, aussi,
tu viens paraître ici !
Pauvre vieille insensée;
ne crains- tu pas de cet amant
la haine et le ressentiment,
oses-tu regarder ta maîtresse offensée ?
BÉROÉ
Avant la fin du jour
mes fautes dans l'oubli seront ensevelies:
à qui ressent les plaisirs de l'amour
on pardonne aisément le crime et les folies.
POMONE
Non, non, sans m'offenser, tu peux l'aimer toujours,
nourrice, ne crains rien, et poursuis tes amours.
VERTUMNE
VERTUMNE, FAUNE, LE DIEU DES JARDINS, POMONE, FLORE, BÉROÉ
Vivons, vivons amis.
FLORE, FAUNE
Que par toute la terre,
on chasse les ennuis, on banisse la guerre.
TOUS
Que par toute la terre,
on chasse les ennuis, on banisse la guerre.
POMONE
Que l'automne,
FLORE
que le prirtemps,
POMONE, FLORE
enrichissent nos champs;
qu'on y cueille des fleurettes,
et les doux fruits d'amourettes.
FLORE
Que pendant nos belles saisons
on fasse l'amour sur nos terres;
LE DIEU DES JARDINS
VERTUMNE
FAUNE
Les champs,
POMONE
les vergers,
FLORE
les parterres.
GRAND CHŒUR
Dans les jardins, dans les maisons,
les champs, les vergers, les parterres.
Les six petites nues se retirent et la grande vole du fond du théâtre sur le centre.
Fin du livret.
Generazione pagina: 13/02/2016
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(D)