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Le philtre

LE PHILTRE

Opéra en deux actes.

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Livret de Augustin Eugène SCRIBE.
Musique de Daniel-François-Esprit AUBER.

Première représentation : 20 juin 1831, Paris.


Personnages:

GUILLAUME garçon de ferme

ténor

JOLI-CŒUR sergent

baryton

Le docteur FONTANAROSE charlatan

basse

LE VALET du charlatan

autre

TÉRÉZINE jeune fermière

soprano

JEANNETTE blanchisseuse

mezzo-soprano


Jeunes filles du village, Soldats de la compagnie de Joli-Cœur.

La scène se passe aux environs de Mauléon, aux bords de l'Adour, dans le pays basque.

Acte premier

[Ouverture]

Le thèâtre représente les campagnes de l'Adour. À gauche, l'entrée d'une ferme. À droite, un ruisseau. Au fond, des gerbes de blé entassées. Au milieu du théâtre, un arbre immense à l'ombre duquel se reposent tous les gens de la ferme qui viennent de faire la moisson. Térézine est assise et lit avec attention dans un livre qu'elle tient à la main. Guillaume seul, debout, la regarde avec tendresse. Jeannette et d'autres Jeunes filles ont laissé au bord du ruisseau leur linge qu'elles blanchissaient, et se sont assises près de Térézine.

Scène première.

Térézine, Guillaume, Jeannette, Jeunes filles.

[N. 1 - Introduction - Ballade - Récitatif]

CHŒUR

Amis, sous cet épais feuillage

bravons le soleil et ses feux;

goûtons enfin après l'ouvrage

le repos qui seul rend heureux.

GUILLAUME

(regardant Térézine)

La voilà ! qu'elle est jolie !

Mais depuis qu'elle a mon cœur,

il n'est plus dans ma vie

de repos ni de bonheur.

CHŒUR

Amis, sous cet épais feuillage

bravons le soleil et ses feux;

goûtons enfin après l'ouvrage

le repos qui seul rend heureux.

C'est le' repos qui rend heureux !

GUILLAUME

(montrant Térézine qui continue à lire)

Elle sait lire; est-elle heureuse !

Moi, je ne suis qu'un ignorant,

et sans esprit et sans talent.

TÉRÉZINE

(riant, en fermant le livre qu'elle tenait à la main)

Ah ! l'aventure est curieuse !

JEANNETTE

Tu ris !... c'est donc bien beau ?

TÉRÉZINE

Sans doute, je lisais

un roman... l'histoire amoureuse

du beau Tristan de Léonnais.

GUILLAUME

Une histoire amoureuse ! ah ! si par complaisance

vous nous la lisiez !

TÉRÉZINE

Soit.

TOUS

Écoutons ! du silence !

Premier couplet

TÉRÉZINE

(lisant)

La reine Iseult, aux blanches mains,

à l'amour se montrait rebelle,

et Tristan se mourait pour elle

sans se plaindre de ses dédains.

Lors voilà, nous dit la chronique,

voilà qu'un enchanteur fameux

lui fit prendre un philtre magique

qu'on nommait le boire-amoureux.

Philtre dont la vertu secrète

inspirait d'éternels amours !

Pourquoi faut-il que la recette

en soit perdue, et pour toujours !

GUILLAUME ET LE CHŒUR

Quel dommage que la recette

en soit perdue, et pour toujours !

Deuxième couplet

TÉRÉZINE

Dès qu'à sa bouche il le porta,

tous deux sentirent même flamme,

et ce feu qui brûlait son âme

bientôt Iseult le partagea.

N'aimant que lui, qui n'aimait qu'elle,

Iseult enfin, comblant ses vœux,

jusqu'au trépas resta fidèle,

bénissant le boire amoureux;

philtre dont la vertu secrète

inspirait d'éternels amours !

Pourquoi faut-il que la recette

en soit perdue, et pour toujours !

CHŒUR

Pourquoi faut-il que la recette

en soit perdue, et pour toujours !

GUILLAUME

Ah ! qu'un philtre pareil me serait nécessaire !

(montrant Térézine)

Elle est belle, elle est riche, et moi pour tout trésor

je n'ai que mon amour... et ces trois pièces d'or,

seul héritage de mon père !

(On entend un bruit de tambour; tout le monde se lève.)

Scène deuxième

Les précédens; Joli-Cœur arrivant à la tête d'un détachemeut de Soldats qui restent sous les armes au fond du théâtre. Il s'approche de Térézine qu'il salue, et à qui il offre son bouquet.

[N. 2 - Marche et Air - Récitatif et Chœur]

JOLI-CŒUR

Je suis sergent,

brave et galant,

et je mène tambour battant

et la gloire et le sentiment.

Est-il beauté prude ou coquette,

que ne subjugue l'épaulette ?

Pour moi, je crains peu leur rigueur;

on peut braver leur inconstance

quand on est sergent recruteur

dans les troupes du roi de France.

Oui, nos droits sont bien reconnus,

Mars sut toujours plaire à Vénus.

Je suis sergent,

brave et galant,

et je mène tambour battant

et la gloire et le sentiment.

(à Térézine)

Gentille et farouche fermière,

aimable objet de mon ardeur,

pourquoi, lorsque j'ai su vous plaire,

résister encore au vainqueur ?

Que votre cœur vous persuade !

Sous-officier... c'est un beau grade !

J'ai des honneurs, vous la richesse;

couronnez enfin ma tendresse,

ne retardez plus mon bonheur;

allons ! allons ! faites-moi mon bonheur !

Je suis sergent,

tendre et galant,

et je mène tambour battant

et la gloire et le sentiment.

TÉRÉZINE

Je suis fière d'un tel hommage !

GUILLAUME

(à part)

Elle lui permet d'espérer !

JOLI-CŒUR

Et quel jour notre mariage ?

TÉRÉZINE

Nous verrons.

JOLI-CŒUR

Toujours différer !

TÉRÉZINE

C'est qu'en vous le ciel à fait naître

tant de mérite et de talens,

que pour les voir et les connaître

vous sentez bien qu'il faut du temps !

JOLI-CŒUR

(à part)

Ah ! l'on veut du temps... je comprends !

D'une pudeur mourante inutile défense !

(a Térézine)

Je vais faire chez vous reposer mes guerriers.

TÉRÉZINE

(à Joli-Cœur)

Trop heureuse d'offrir à boire à leur vaillance !

(Aux gens de la ferme.)

Quant à vous, reprenons nos travaux journaliers.

CHŒUR

(se levant et sortant avec lenteur et négligence)

Il faut quitter ce doux ombrage,

braver le soleil et ses feux;

il faut retourner à l'ouvrage,

c'est le repos qui rend heureux.

(Joli-Cœur entre dans la ferme avec les Soldats. Térézine va le suivre. Guillaume l'arrête et la retient timidement par sa jupe. Jeannette et les Jeunes filles sont retournées au fond près du ruisseau, où elles se remettent à blanchir leur linge.)

Scène troisième

Guillaume, Térézine.

GUILLAUME

Un seul mot, par pitié !

TÉRÉZINE

Non vraiment, et pour cause.

Entendre soupirer me devient odieux.

GUILLAUME

Eh ! puis-je, hélas ! faire autre chose ?

Je voudrais fuir, et je ne peux !

Un sort jeté sur moi me retient en ces lieux.

Mon oncle Richardet, précepteur à la ville,

me voulait près de lui donner un poste utile;

j'ai refusé !

TÉRÉZINE

Pourquoi ?

GUILLAUME

J'aime mieux, c'est plus doux,

souffrir en vous voyant qu'être heureux loin de vous.

TÉRÉZINE

Mais votre oncle est malade... on le dit.

GUILLAUME

Et je reste

en ces lieux; c'est fort mal !

TÉRÉZINE

Très-mal, je vous l'atteste.

Contre vous il se fâchera;

el s'il meurt, tout son bien il vous en privera.

GUILLAUME

Qu'importe ?

TÉRÉZINE

Et vous mourrez de faim après cela !

GUILLAUME

(tristement)

Ou de faim... ou d'amour... cela revient au même.

TÉRÉZINE

Guillaume écoutez-moi: vous êtes bon et franc;

vous n'avez pas, comme ce beau sergent,

la vanité de croire qu'on vous aime ;

aussi je vous estime et vous plains, et je veux,

pour vous guérir de cet amour extrême,

vous parler franchement, si du moins je le peux.

[N. 3 - Air - Récitatif]

TÉRÉZINE

La coquetterie

fait mon seul bonheur;

paraître jolie

sourit à mon cœur.

J'aime que l'on m'aime,

qu'on m'adore... mais

pour aimer moi-même,

jamais !... non, jamais !

Amant trop fidèle

qui me trouvez belle,

pourquoi ce courroux ?

Votre cœur m'appelle

tigresse et cruelle...

pourquoi m'aimez-vous ?

La coquetterie

fait mon seul bonheur;

paraître jolie

sourit à mon cœur.

J'aime que l'on m'aime,

qu'on m'adore... mais

pour aimer moi-même,

jamais !... non, jamais !

À l'amour loin de te livrer,

va, crois-moi, d'une erreur pareille

guéris-toi, je te le conseille;

oui, je te le conseille,

mais sans le désirer !...

La coquetterie

fait mon seul bonheur;

paraître jolie

sourit à mon cœur.

J'aime que l'on m'aime,

qu'on m'adore... mais,

pour aimer moi-même,

jamais !... non, jamais !

(Elle rentre dans la ferme, à gauche.)

Scène quatrième

Guillaume, Jeannette et les Jeunes filles occupées à blanchir.

GUILLAUME

(la regardant sortir)

Guéris- toi, me dit-elle !... à dire c'est facile;

mais moi qui suis loin d'être habile,

par quels moyens y parvenir ?

JEANNETTE

(qui s'est levée, et s'est approchée de lui)

Pauvre garçon ! quel chagrin est le vôtre !

GUILLAUME

Jeannette par bonté, daignez me secourir !

D'un amour malheureux, comment peut-on guérir ?

JEANNETTE

Un seul moyen !

GUILLAUME

Lequel ?

JEANNETTE

C'est d'en aimer une autre !

GUILLAUME

Vous croyez ?

JEANNETTE

J'en suis sûre.

GUILLAUME

Eh bien ! par amitié

aimez-moi, je vous prie, ou du moins par pitié.

JEANNETTE

(riant)

Vraiment?

(Appelant ses compagnes.)

[N. 4 - Chœur - Récitatif]

JEANNETTE

Est-il possible

d'être insensible

aux feux d'un jouvenceau

si beau !

Il veut qu'on l'aime,

et de soi-même

on l'aimerait sans ça

déjà.

GUILLAUME

Vous vous riez de moi ! vous riez de mes peines !

(aux autres Jeunes filles.)

Mais vous, soyez moins inhumaines !

TOUTES

(le raillant)

Est-il possible

d'être insensible

aux feux d'un jouvenceau

si beau !

Il veut qu'on l'aime,

et de soi-même

on l'aimerait sans ça

déjà.

GUILLAUME

(furieux)

Être aimé... n'est donc pas possible,

et pour y parvenir il faudrait se damner;

à Lucifer lui-même il faudrait se donner.

Ensemble

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

(riant)

Est-il possible

d'être insensible

aux feux d'un jouvenceau

si beau !

Il veut qu'on l'aime,

et de soi-même

on l'aimerait sans ça

déjà.

GUILLAUME

(à part, se désespérant)

Est-il possible

d'être insensible

aux tourments

qu'ici je ressens ?

Tout m'abandonne,

jamais personne

n'aura, je crois,

pitié de moi.

(On entend plusieurs sons de trompette, on voit accourir tous les gens du village.)

JEANNETTE

Quel bruit soudain se fait entendre ?

Pourquoi tout le village ici vient-il se rendre ?

Scène cinquième

Les précédens, le docteur Fontanarose dans un cabriolet doré et de forme antique, traîné par un cheval blanc; son valet, qui est derrière lui, sonne de la trompette. Il est debout sur son char, tenant à la main des papiers et des rouleaux. Tout le village l'entoure.

CHŒUR

C'est quelque grand seigneur

qui parmi nous voyage;

quel brillant équipage !

Honneur ! à sa grandeur

honneur ! honneur

à monseigneur !

FONTANAROSE

(du haut de son char)

Vous me connaissez tous, messieurs, je le suppose.

Vous savez comme moi que médecin fameux,

je suis ce grand docteur, nommé Fontanarose

connu dans l'univers... et... dans mille autres lieux !

[N. 5 - Air - Chœur]

Approchez tous ! venez m'entendre !

Moi, l'ami de l'humanité,

à juste prix je viens vous vendre

et le bonheur et la santé.

Mon élixir odontalgique

détruit partout, c'est authentique,

et les insectes et les rats,

dont j'ai là les certificats.

Par cet admirable breuvage,

un capitoul de soixante ans

est devenu, malgré son âge,

grand-père de dix-huit enfans.

Adoucissant et confortable,

j'ai vu par lui, par son secours,

plus d'une veuve inconsolable

consolée en moins de huit jours !

Approchez tous ! venez m'entendre !

Moi, l'ami de l'humanité,

à juste prix je viens vous vendre

et le bonheur et la santé.

(S'adressant aux vieilles femmes.)

Ô vous, matrones rigides

qui regrettez le bon temps,

voulez-vous, malgré vos rides,

voir revenir le printemps ?

(Aux Jeunes filles.)

Voulez-vous, mesdemoiselles,

rester jeunes et belles ?

(Aux garçons.)

Voulez-vous, beaux jeunes gens,

plaire et séduire en tous les temps ?

Prenez, prenez mon élixir !

Il peut tout guérir :

la paralysie

et l'apoplexie

et la pleurésie

et tous les tourmens,

jusqu'à la folie,

la mélancolie

et la jalousie

et le mal de dents.

Prenez, prenez mon élixir,

de tout il peut guérir.

Demandez ! demandez ! c'est le seul, c'est l'unique !

vous me direz: combien ce fameux spécifique ?

- Combien, messieurs, combien ? - Cent ducats ? - Nullement.

- Vingt ducats ? - Non, messieurs. - Dix ducats ? - Non vraiment.

Demandez ! demandez ! le voilà ! je le donne !

Les femmes, les enfans, on n'excepte personne !

Prenez, prenez mon élixir !

De tout il peut guérir.

(Il descend de son cabriolet et tout le peuple l'entoure.)

CHŒUR

Honneur ! honneur !

à ce fameux docteur !

Ah ! c'est un grand docteur !

FONTANAROSE

(saluant à droite et à gauche)

Messieurs, pour vous prouver combien je suis sensible

à l'accueil bienveillant que de vous j'ai reçu,

je veux vous faire à tous le cadeau... d'un écu !

TOUS

(tendant la main)

Ah ! quel bonheur ! est-il possible !

FONTANAROSE

(tenant une fiole)

Voici comment... Ce remède inconnu,

je le vends en tous lieux pour six livres de France;

mais comme en ce séjour j'ai reçu la naissance,

et qu'à des cœurs bien nés le sol natal est cher,

venez, messieurs, que l'on s'approche !

je vous le donne à tous pour trois francs !... Il est clair

que c'est un écu net que je mets dans leur poche !

TOUS

Il a raison ! ah ! c'est un grand docteur;

donnez, donnez; rendons honneur

à ce savant docteur.

(Les valets du docteur distribuent des fioles et des rouleaux d'eau de Cologne à tous les gens du village qui s'empressent d'en acheter. Tout cela se passe au fond du théâtre. Pendant ce temps, Guillaume qui est resté pensif, s'approche de Fontanarose et le tire à part.)

GUILLAUME

Puisque pour nous guérir des maux de toute espèce,

vous avec des secrets...

FONTANAROSE

J'en ai de merveilleux !

GUILLAUME

Auriez-vous le boire-amoureux

du beau Tristan de Léonnais ?

FONTANAROSE

Hein ! qu'est-ce ?

GUILLAUME

Un philtre qui faisait qu'on s'adorait sans cesse.

FONTANAROSE

(froidement)

Dans notre état nous en tenons beaucoup !

GUILLAUME

Il serait vrai !

FONTANAROSE

Chaque jour j'en compose,

car on en demande partout !

GUILLAUME

Et vous en vendez ?

FONTANAROSE

Oui.

GUILLAUME

(avec craint)

Et combien ?

FONTANAROSE

Peu de chose !

GUILLAUME

(tirant timidement trois pièces d'or de sa poche)

J'ai là... c'est tout mon bien, j'ai là trois pièces d'or !

FONTANAROSE

(les regardant)

Justement, c'est le prix !

GUILLAUME

(vivement et les lui donnant)

Prenez... et ce breuvage...

ce philtre ?...

FONTANAROSE

(tirant de sa poche un petit flacon)

Le voici !

GUILLAUME

(le saisissant avec joie)

(Le retenant.)

Grands dieux ! un mot encor !

La manière d'en faire usage ?

FONTANAROSE

(gravement)

Vous prenez ce flacon, puis ensuite à longs traits,

et lentement vous le buvez... vous-même !

Et son effet est tel, que bientôt on vous aime.

GUILLAUME

(vivement)

Sur-le-champ !

FONTANAROSE

Non, vraiment ! vingt-quatre heures après.

(à part)

Le temps de m'éloigner, c'est le point nécessaire !

GUILLAUME

(avec crainte, en montrant le flacon)

Et son goût...

FONTANAROSE

Est divin.

(à part)

Du lachryma-christi,

qu'avec grand soin pour moi je réservais ici,

(à Guillaume)

mais sur un tel sujet le plus profond mystère,

pas un mot ! la police aisée à s'alarmer

punit sévèrement ceux qui se font aimer:

elle n'entend pas ça !

GUILLAUME

(à demi voix)

Je jure de me taire !

FONTANAROSE

(à plusieurs femmes qui le tirent par son habit et veulent le consulter)

C'est bien, je suis à vous !

GUILLAUME

Ah ! quel destin prospère !

(Fontanarose va rejoindre les gens du village qui l'entourent de nouveau et ont l'air de le consulter. Il sort avec eux tandis que le chœur reprend.)

CHŒUR

Honneur ! honneur

à ce fameux docteur !

Ah ! c'est un grand docteur !

Scène sixième

Guillaume seul, regardant le flacon qu'il tient à la main.

[N. 6 - Air]

Philtre divin ! liqueur enchanteresse

dont l'aspect seul charme mon cœur !

Je vais enfin te devoir ma maîtresse,

je vais te devoir le bonheur !

Grâce à ton pouvoir tutélaire,

que puis-je désirer encor ?

Est-il des trésors sur la terre

pour payer un pareil trésor !

Philtre divin! liqueur enchanteresse

dont l'aspect seul charme mon cœur !

Je vais enfin te devoir ma maîtresse,

je vais te devoir le bonheur !

(Il regarde autour de lui s'il est seul, puis il débouche le flacon et le boit lentement.)

Quelle douce chaleur

s'empare de mon cœur !

Et déjà dans son âme

pénètre même flamme !

Ah ! oui, je le sens là,

elle m'aime déjà !

Elle va donc se rendre,

mon bonheur est certain;

mais il me faut attendre

encor jusqu'à demain !

Demain, hélas ! me semble

être si loin d'ici,

que malgré moi je tremble

de mourir aujourd'hui !

(Il regarde le flacon, croit y voir encore quelques gouttes et le porte de nouveau à ses lèvres.)

Quelle douce chaleur

s'empare de mon cœur !

Et déjà dans son âme

pénètre même flamme !

Ah ! oui, je le sens là,

elle m'aime déjà !

(Portant la main à son front.)

Quel délire nouveau ! quelle joie inconnue !

De ce philtre magique effet miraculeux !

J'aime le monde entier, je ris, je suis heureux !

Tout réjouit mon être et s'anime à ma vue !

Allons, plus de chagrin et déjeunons gaîment;

l'appétit me revient et le bonheur m'attend !

(Chantant à pleine voix.)

Tra, la, la, la, la, la.

(Il s'asseoit près de la table de pierre, qui est à gauche, tire de sa panetière du pain et des fruits et se met à manger en chantant.)

Scène septième

Guillaume près de la table, Térézine sortant de la ferme; elle traverse le théâtre; elle aperçoit Guillaume et s'arrête.

[N. 7 - Duo]

TÉRÉZINE

Je sais davance son langage,

il va brûlant de mille feux

me parler suivant son usage

de son désespoir amoureux !

GUILLAUME

(à table, et chantant)

Tra, la, la, la, la, la, la, la, la.

TÉRÉZINE

(étonnée)

Eh mais ! dans sa douleur mortelle

il est bien gai !

GUILLAUME

(l'apercevant , et se levant pour aller à elle)

Dieu, la voici !...

(S'arrêtant.)

Mais qu'allais-je faire, et près d'elle

pourquoi soupirer aujourd'hui ?

De triompher d'une inhumaine

à quoi bon m'efforcer en vain,

puisque sans effort et sans peine

elle doit m'adorer demain ?

(Il va se rasseoir, et continue son repas.)

TÉRÉZINE

(le regardant avec surprise)

Non... il reste ! et tranquillement

il déjeune !!!... quel changement !

Serait-il consolé déjà !...

Un instant... c'est ce qu'on verra !

Ensemble

GUILLAUME

(à part et la regardant)

Beauté si long-temps sévère,

tu vas me céder enfin;

aujourd'hui laissons la faire,

elle m'aimera demain.

TÉRÉZINE

(à part le regardant)

Voudrait-il donc se soustraire

à mon pouvoir souverain ?

Ce serait trop téméraire,

et je ris de son dessein.

TÉRÉZINE

Je vois qu'à mes leçons sensible

mes conseils par vous sont suivis !

GUILLAUME

(ingénument)

J'y tâche, et je fais mon possible

pour profiter de vos avis !

TÉRÉZINE

(le raillant)

Quoi ! ces tourmens... cette souffrance...

GUILLAUME

(naïvement)

De m'en guérir, j'ai l'espérance.

TÉRÉZINE

(riant)

Vous le croyez !

GUILLAUME

Cela commence !

TÉRÉZINE

(étonnée)

Que dites-vous ?

GUILLAUME

Cela va mieux.

Dès aujourd'hui cela va mieux.

TÉRÉZINE

(avec dépit)

J'en suis ravie ! et c'est heureux !

GUILLAUME

(en confidence et la regardant tendrement)

Et bien plus, j'en ai l'assurance,

ce sera fini dès demain !

TÉRÉZINE

(de même)

En vérité !

GUILLAUME

J'en suis certain !

TÉRÉZINE

En vérité!...

GUILLAUME

Je le sens là !

TÉRÉZINE

(à part avec coquetterie)

Eh bien !... c'est ce que l'on verra !

Ensemble

GUILLAUME

Beauté si long-temps sévère,

tu vas t'adoucir enfin;

aujourd'hui laissons la faire,

elle m'aimera demain !

TÉRÉZINE

Il voudrait donc se soustraire

à mon pouvoir souverain;

d'honneur, c'est trop téméraire,

et je ris de son dessein.

Scène huitième

Les précédens, Joli-Cœur sortant de la ferme.

[N. 8 Trio - Finale]

TÉRÉZINE

(à part)

Que vois-je ? et pour moi quelle joie !

C'est Joli-Cœur l'invincible sergent !

Ah ! c'est le ciel qui me l'envoie !

(à Joli-Cœur d'un air aimable)

De nos soins êtes-vous content ?

(montrant la ferme)

Ce logis vous plaît-il ?

JOLI-CŒUR

(relevant sa moustache)

C'est selon !

TÉRÉZINE

Et comment ?

JOLI-CŒUR

(avec une fatuité de soldat)

Dedans le cours de mes conquêtes,

j'ai vu des postes dangereux !

Mais, je le sens, ceux où vous êtes

sont encor bien plus périlleux !

TÉRÉZINE

(minaudant)

Pourquoi donc ? suis-je une ennemie ?

JOLI-CŒUR

Puisque vous repoussez mes feux.

TÉRÉZINE

(à Joli-Cœur, mais regardant toujours Guillaume du coin de l'œil)

Qui vous l'a dit, je vous en prie ?

(tendrement)

Du moins ce ne sont pas mes yeux.

JOLI-CŒUR

(vivement)

Eh quoi ! l'ardeur qui me dévore,

votre cœur la partage aussi ?

(Térézine ne répond pas, baisse les yeux et regarde Guillaume en-dessous.)

JOLI-CŒUR

(se retournant vers Guillaume)

J'en étais sûr, elle m'adore.

GUILLAUME

(froidement)

C'est possible ! pour aujourd'hui !

TÉRÉZINE

(avec colère, regardant Guillaume)

Eh bien ! eh bien !

Cela ne lui fait rien,

ah ! je n'y conçois rien.

Ensemble

TÉRÉZINE

Un faible esclave

ainsi me brave !

Mais dans mes fers il reviendra;

car je l'ai dit, et ce sera !

JOLI-CŒUR

(à Térézine)

Oui, le plus brave

n'est qu'un esclave

que l'amour toujours soumettra,

et dans vos chaînes me voilà !

GUILLAUME

(à part)

Moi, son esclave,

je deviens brave;

mon talisman me sauvera

d'u v i rival tel que celui-là !

JOLI-CŒUR

(à Térézine)

Mais pour qu'enfin l'hymen couronne

et ma constance et mes amours,

quel jour choisissez-vous ?

TÉRÉZINE

(regardant Guillaume)

Quel jour ?... Dieu me pardonne !

Il frémit...

(Guillaume a fait un geste d'effroi, puis il tire la fiole de sa poche et la regarde.)

GUILLAUME

(à part)

Calmons-nous !

JOLI-CŒUR

(à Térézine)

Eh bien ! quand ?

TÉRÉZINE

Dans huit jours.

JOLI-CŒUR

(avec joie)

Son époux ! dans huit jours !

TÉRÉZINE

(regardant Guillaume)

Dans huit jours!

GUILLAUME

(riant)

Tandis que moi... demain...

TÉRÉZINE

Cela ne lui fait rien !

Non, je n'y conçois rien.

Ensemble

TÉRÉZINE

Un faible esclave

ainsi me brave !

Mais dans mes fers il reviendra,

car je l'ai dit, et ce sera !

JOLI-CŒUR

Oui, le plus brave

n'est qu'un esclave

que l'amour toujours soumettra,

et dans vos chaînes me voilà.

GUILLAUME

Moi, son esclave,

je deviens brave;

mon talisman me sauvera

d'un rival tel que celui-là.

Scène neuvième

Les précédens; Soldats arrivant par le fond; Jeannette et Gens du village qui la suivent.

CHŒUR DE SOLDATS

(s'adressant à Joli-Cœur)

C'est un ordre du capitaine,

qui vient d'arriver à l'instant:

le voici ! lisez, mon sergent.

JOLI-CŒUR

(prenant la lettre qu'on lui présente)

(Il lit.)

Voyons !... ô ciel ! à la ville prochaine

nous allons tenir garnison !

Et nous partons dès demain !

GUILLAUME

(à part, se frottant les mains)

C'est très-bon !

Ensemble

CHŒUR DE SOLDATS

Ah ! quel malheur ! ah ! quel dommage !

De garnison changer toujours !

(Regardant les Jeunes filles.)

Nous quittons ce joli village

et les objets de nos amours !

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

Quel contre-temps et quel dommage !

De garnison changer toujours !

Ils vont quitter notre village,

et nous l'objet de nos amours !

JOLI-CŒUR

Quel contre-temps ! morbleu ! j'enrage !

De garnison changer toujours !

On n'aime pas, quoique volage,

a quitter de nouveaux amours.

GUILLAUME

Ah ! quel bonheur, quel avantage !

Il s'éloigne de ce séjour !

Et je reste dans ce village

près de l'objet de mon amour.

TÉRÉZINE

(avec dépit)

Quoi ! de mes fers il se dégage,

il oublie ainsi son amour !

C'est un affront, c'est un outrage !

Je veux m'en venger à mon tour.

JOLI-CŒUR

(à Térézine)

Vous l'entendez; demain, ma reine...

TÉRÉZINE

(souriant)

Il faut partir !

JOLI-CŒUR

Du moins j'ai vos sermens.

TÉRÉZINE

Sans doute !

JOLI-CŒUR

Et cette main doit s'unir à la mienne !

TÉRÉZINE

(riant)

Je l'ai promis !

JOLI-CŒUR

Qu'importe alors le temps !

TÉRÉZINE ET GUILLAUME

Que veut-il dire ?

JOLI-CŒUR

Adorable maîtresse,

puisque demain matin l'honneur et le devoir

m'appellent loin de vous, tenez votre promesse

aujourd'hui même et dès ce soir !

GUILLAUME

(vivement et avec crainte)

Aujourd'hui même !...

TÉRÉZINE

(l'observant à part)

Il se trouble !

GUILLAUME

(de même)

Et dès ce soir !

TÉRÉZINE

(de même)

Quel embarras.

(S'adressaut à Joli-Cœur en regardant toujours Guillaume)

Et pourquoi donc ? et pourquoi pas ?

(à part)

C'est charmant ! son trouble redouble !

JOLI-CŒUR

J'y puis compter ! vous l'avez dit.

TÉRÉZINE

(lui répondant sans l'écouter, et regardant toujours Guillaume avec une joie maligne)

Oui vraiment.

JOLI-CŒUR

Dès ce soir.

TÉRÉZINE

(de même)

Oui vraiment.

JOLI-CŒUR

A minuit.

GUILLAUME

(à part)

Dieu quel parti prendre ! et que faire ?

TÉRÉZINE

(regardant toujours Guillaume avec satisfaction)

Dans mes chaînes il reviendra !

Je l'avais dit: et l'y voilà !

JOLI-CŒUR

Elle est à moi ! quel sort prospère !

GUILLAUME

(se désespérant)

L'épouser dès ce soir ! Ô funeste destin !

Quand elle doit, hélas ! ne m'aimer que demain !

Ensemble

CHŒUR DE SOLDATS

Ah ! quel bonheur ! un mariage !

Nous resterons encore un jour !

Il nous reste dans ce village

un jour de plaisir et d'amour.

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

Ah ! quel bonheur ! un mariage !

Ils resteront encore un jour !

Et c'est encor pour le village

un jour de plaisir et d'amour.

JOLI-CŒUR

Quel sort heureux ! quel doux partage !

La beauté me cède toujours;

et dès ce soir l'hymen m'engage

avec l'objet de mes amours.

TÉRÉZINE

Oui ! j'ai ressaisi l'avantage !

De lui je triomphe à mon tour.

Le voilà, cet amant volage;

à mes pieds il est de retour.

GUILLAUME

Non, plus d'espoir, plus de courage !

Je perds l'objet de mes amours.

Hélas ! pour détourner l'orage

à quel moyen avoir recours ?

JOLI-CŒUR

Soldats ! habitans du village,

je vous invite tous à ce doux mariage !

Car nous aurons avant le moment nuptial

et le festin et le bal !

CHŒUR GÉNÉRAL

Il nous invite tous à ce doux mariage !

CHŒUR DE SOLDATS

Nous aurons un festin !

CHŒUR DE JEUNES FILLES

Et nous aurons un bal !

Ensemble

SOLDATS

Ah ! quel bonheur ! un mariage !

Nous resterons encore un jour !

Il nous reste dans ce village

un jour de plaisir et d'amour.

JEUNES FILLES

Ah ! quel bonheur ! un mariage !

Ils resteront encore un jour !

Et c'est encor pour le village

un jour de plaisir et d'amour.

JOLI-CŒUR

Quel sort heureux ! quel doux partage !

La beauté me cède toujours;

et dès ce soir l'hymen m'engage

avec l'objet de mes amours.

TÉRÉZINE

Oui ! j'ai ressaisi l'avantage !

De lui je triomphe à mon tour.

Le voilà, cet amant volage;

à mes pieds il est de retour.

GUILLAUME

Non, plus d'espoir, plus de courage !

Je perds l'objet de mes amours.

Hélas ! pour détourner l'orage

à quel moyen avoir recours ?

(Joli-Cœur offre la main à Térézine et entre avec elle dans la ferme. Les Soldats, les Gens du village les suivent. Guillaume est de l'autre côté , seul et désespéré; Térézine jette un dernier regard sur lui. La toile tombe.)

Fin du premier acte.

Acte deuxième

Un autre endroit du village. À droite la maison de Térézine, vue d'an autre côté. À gauche, la caserme et une auberge. Au lever du rideau, une grande table est dressée à droite, et l'on voit assis et mangeant, Térézine, Joli-Cœur et Jeannette: le docteur Fontanarose et autres habitants du village, des jeunes gens et des jeunes filles qui n'ont pu trouver place à table, dansent au milieu, tandis qu'à gauche les musiciens du régiment , montés sur une estrade, jouent des fanfares.

Scène première.

Térézine, Joli-Cœur, Jeannette, Fontanarose, Jeunes filles, Soldats

[N. 9 - Entr'acte et Chœur - Couplets - Barcarolle]

CHŒUR

Chantons ce mariage,

et leur félicité !

Dans ce jour le courage

s'unit à la beauté.

FONTANAROSE

(à table et mangeant)

Plaisirs doux et précoces,

qui ne nous trompent pas.

Moi, ce que j'aime dans les noces,

ce sont les grands repas !

TÉRÉZINE

(regardant autour d'elle, à part et avec inquiétude)

Mais Guillaume ne paraît pas !

CHŒUR

Chantons ce mariage,

et leur félicité !

Dans ce jour le courage

s'unit à la beauté.

JEANNETTE

Premier couplet

(se levant de table et s'avançant près de Térézine avec plusieurs de ses compagnes)

Habitans du bord de l'Adour,

vous savez que sur ce rivage,

on parle toujours sans détou,

du pays Basque, c'est l'usage !

Des fillettes de ce village,

interprète pour un moment,

je viens, dans mon simple langage,

vous adresser leur compliment.

Que le ciel vous donne en présent

paix et bonheur en mariage,

et qu'il nous en arrive autant !

Deuxième couplet

(Lui présentant un bouquet.)

Que la mariée en ce jour

joigne à sa parure nouvelle,

comme gage de notre amour,

ces fleurs qui sont moins fraîches qu'elle !

D'une destinée aussi belle,

que l'avenir est séduisant !

Et tout bas, chaque demoiselle

dit comme moi dans ce moment...

Que le ciel vous donne en présent

un époux aimable et fidèle,

et qu'il nous en envoie autant !

FONTANAROSE

(se levant et s'adressant aux mariés)

Puisque l'on chante ici, couple aimable et fidèle,

je veux aussi payer mon écot en chansons.

(Tirant de sa poche plusieurs petits livrets brochés.)

De mon recueil voici la plus nouvelle;

avec la mariée ici nous la dirons.

(Remettant un des livrets à Térézine et lui indiquant l'endroit où il faut chanter.)

Le sénateur, la gondolière.

Barcarolle à deux voix et chanson étrangère !

Je fais le sénateur, et vous la gondolière.

Premier couplet

FONTANAROSE

Je suis riche, vous êtes belle,

j'ai des écus, vous des appas !

Pourquoi Zanetta la cruelle,

pourquoi ne m'aimeriez-vous pas ?

TÉRÉZINE

Quelle surprise !

Et quel honneur !

Un sénateur

de Venise

d'amour venir me supplier !...

Mais je suis gondolière,

et je préfère

Zanetto le gondolier !

Ensemble

TÉRÉZINE

Non, non, c'est trop d'honneur,

monsieur le sénateur !

FONTANAROSE

Allons, plus de rigueur,

écoute un sénateur !

Deuxième couplet

FONTANAROSE

Emmène-moi sur ta gondole,

mes trésors charmeront tes jours !

L'amour est léger... il s'envole !

Mais les ducats restent toujours!

TÉRÉZINE

Quelle surprise !

Et quel honneur !

Un sénateur

de Venise

à son sort veut me lier !...

mais je suis gondolière,

et je préfère

Zanetto le gondolier !

Ensemble

TÉRÉZINE

Non, non, c'est trop d'honneur,

monsieur le sénateur !

FONTANAROSE

Allons, plus de rigueur,

écoute un sénateur !

(On danse, et à la fin du ballet paraît un tabellion le contrat à la main.)

[N. 10 - Récitatif et Chœur]

JOLI-CŒUR

Ô doux aspect ! c'est monsieur le notaire,

qui vient pour nous prêter son noble ministère !

(Tout le monde se lève.)

TÉRÉZINE

(avec dépit, regardant autour d'elle et à part)

Guillaume n'est pas là !... quel serait son dépit ?

JOLI-CŒUR

Qu'avez-vous ?

TÉRÉZINE

(à part)

Rien ! mais son absence,

de ma juste vengeance

me fait perdre le fruit.

(Joli-Cœur lui offre la main et l'emmène pendant que malgré elle Térézine regarde toujours si Guillaume ne vient pas.)

CHŒUR

Chantons ce mariage,

et leur félicité !

Dans ce jour le courage

s'unit à la beauté !

(Ils entrent tous dans la maison de Térézine Il ne reste en scène que Fontanarose qui, demeuré seul à table, continue à boire et à manger avec la même activité.)

Scène deuxième

Fontanarose à table, Guillaume au fond du théâtre.

GUILLAUME

Voici le soir ! l'heure s'avance !

À quel moyen avoir recours ?

Malheureux et sans espérance,

je n ai plus qu'à finir mes jours !

FONTANAROSE

(à table et fredonnant l'air qu'il vient de chanter)

Allons, plus de rigueur,

écoute un sénateur.

GUILLAUME

(l'apercevant et courant à lui)

Quoi! c'est vous ! dans cette demeure !

FONTANAROSE

À dîner l'on m'a retenu,

et je repars dans un quart-d'heure !

GUILLAUME

(avec chaleur)

Mon cher ami, je suis perdu !

FONTANAROSE

(la bouche pleine et sans se retourner)

Pourquoi donc ?

GUILLAUME

Il faut que l'on m'aime

avant ce soir, à l'instant même !

En savez-vous le moyen ?

FONTANAROSE

Oui vraiment !

Si vous voulez qu'on vous adore,

il faut doubler la dose et m'acheter encore

quelques nouveaux flacons de ce philtre puissant !

GUILLAUME

Et l'on m'aimera sur-le-champ ?

FONTANAROSE

Je le crois bien ! les vertus en sont telles

qu'après cela, même sans le vouloir,

vous plairez à Toutes les belles.

GUILLAUME

(vivement)

Dès ce soir même !

FONTANAROSE

Dès ce soir.

GUILLAUME

(l'embrassant)

Ah ! ce seul mot me rend à l'existence;

donnez vite, donnez.

FONTANAROSE

Jamais je ne balance,

dès qu'il faut obliger... Avez-vous de l'argent ?

GUILLAUME

(naïvement)

Je n'en ai plus.

FONTANAROSE

(froidement)

C'est différent !

(Montrant l'auberge à gauche.)

Dès que vous en aurez, c'est là qu'est ma demeure !

Hâtez-vous, je l'ai dit: je pars dans un quart d'heure.

(Il entre dans l'auberge.)

Scène troisième

Guillaume, puis Joli-Cœur, sortant de l'auberge à droite

[N. 11 - Duo]

GUILLAUME

De désespoir je reste anéanti.

JOLI-CŒUR

(à part et avec fatuité)

Que la femme est un être inexprimable et tendre !

Tout est prêt, elle m'aime ! et veut encore attendre

à ce soir pour signer.

GUILLAUME

(à part, regardant Joli-Cœur)

Voilà donc son mari !

(S'arrachant les cheveux.)

De rage j 'en mourrai !

JOLI-CŒUR

(l'appercevant, à part)

Qu'a donc cet imbécile ?

(Haut.)

Approche, mon garçon, pourquoi te désoler ?

GUILLAUME

(tristement)

Quand on a besoin d'or, il est si difficile

d'en trouver...

JOLI-CŒUR

Pourquoi donc? Tu n'as qu'à t'énrôler.

JOLI-CŒUR

Si l'honneur a pour toi des charmes,

viens dans nos rangs, n'hésite plus.

Aux héros qui prennent les armes

j'offre la gloire et vingt écus !

GUILLAUME

Quoi ! l'on trouve en prenant les armes

l'honneur, la gloire et vingt écus !

JOLI-CŒUR

Et les amours, qui d'ordinaire

suivent toujours le militaire.

GUILLAUME

Et vingt écus !

JOLI-CŒUR

Oui, vingt écus !

Ensemble

JOLI-CŒUR

Oui, tu peux m'en croire,

au son du tambour

t'invite la gloire

ainsi que l'amour.

Tout pour la gloire !

Tout pour l'amour !

GUILLAUME

Ah ! loin de le croire,

je songe en ce jour,

non pas à la gloire,

mais à mon amour.

Rien pour la gloire !

Tout pour l'amour !

JOLI-CŒUR

Eh quoi ! des périls de la guerre

ton cœur serait-il alarmé ?

GUILLAUME

(à part)

L'existence doit être chère

quand on est si près d'être aimé.

(Haut.)

N'importe ?

JOLI-CŒUR

Il y consent.

(Il tire un papier de sa poche et écrit l'engagement sur la table à droite.)

GUILLAUME

(pendant ce temps s'avance au bord du théâtre)

Oui, je sais que la vie

dès demain peut m'être ravie,

mais je dirai: pendant un jour,

pendant un jour, j'eus son amour !

Et n'est-ce rien qu'un jour

de bonheur et d'amour !

JOLI-CŒUR

(qui a achevé d'écrire)

Tout est prêt, et tu peux m'en croire,

tu trouveras, n'hésite plus,

et l'amour et la gloire.

GUILLAUME

La gloire et vingt écus.

JOLI-CŒUR

(les lui donnant)

Les voilà !

GUILLAUME

Je les tiens !

Pour moi c'est le premier des biens.

JOLI-CŒUR

Signe !

(Voyant qu'il hésite.)

Ou bien fais ta croix.

GUILLAUME

(faisant sa croix)

De grand cœur ! à l'instant.

(À part, montrant l'auberge à gauche.)

Et courons retrouver le docteur qui m'attend.

Ensemble

JOLI-CŒUR

Ah ! quel bonheur ! il est à moi !

Le voilà donc soldat du roi.

Victoire ! victoire !

Au son du tambour

t'invite la gloire,

ainsi que l'amour.

Tout pour la gloire !

Tout pour l'amour !

GUILLAUME

Ah ! quel bonheur ! elle est à moi;

je vais donc obtenir sa foi.

Victoire ! victoire !

Il faut dans ce jour

songer à la gloire

ainsi qu'à l'amour.

Tout pour la gloire !

Tout pour l'amour !

(Guillaume entre dans l'auberge à gauche.)

Scène quatrième

Joli-Cœur, puis Jeannette et les Jeunes filles du village, qui arrivent par le fond.

[N. 12 - Morceau d'ensemble]

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

(causant vivement entre elles)

Grands dieux ! quelles nouvelles !

Qui jamai les croirait ?

Surtout, mesdemoiselles,

gardez bien le secret !

JOLI-CŒUR

Eh ! mais qu'avez-vous donc ?

TOUTES

Ah ! c'est une aventure

qui nous étonne bien !

JOLI-CŒUR

Parlez, je vous conjure !

TOUTES

Mais vous n'en direz rien.

JOLI-CŒUR

Pas plus que vous, sans doute;

parlez: je vous écoute.

Eh bien ! eh bien !...

TOUTES

Grands dieux! quelles nouvelles !

Qui jamais les croirait ?

Surtout, mesdemoiselles,

gardez bien le secret !

JEANNETTE

(à Joli-Cœur, qui la regarde avec impatience)

C'est Thomas, le mercier, qui revient à l'instant,

apportant de la ville un important message !

Guillaume avait un oncle !

TOUTES

(gaiement)

Il est mort !

JOLI-CŒUR

Ah ! vraiment !

JEANNETTE

Et lui laisse, en mourant, un immense héritage !

TOUTES

D'ici, c'est le plus riche !

JEANNETTE

Est-ce heureux !

JOLI-CŒUR

(avec indifférence)

Fort heureux !

Mais je vous quitte, et pour mon mariage

je vais tout disposer. Sous les armes, je veux

que mes soldats ce soir, rendent hommage

à mon épouse, à moi ! Sans adieux.

TOUTES

Sans adieux !

(Joli-Cœur sort.)

CHŒUR

Pour nous quelles nouvelles !

Qui jamais les croirait ?

Surtout, mesdemoiselles,

le plus profond secret !

Scène cinquième

Jeannette, les Jeunes filles, Guillaume, sortant de l'auberge à gauche.

JEANNETTE

(aux Jeunes filles en leur montrant Guillaume)

Il ne sait rien encor ! le voilà !... taisons-nous !

GUILLAUME

(à part)

Mes lèvres ont pressé ce breuvage si doux

qui fait que la beauté vous préfère et vous aime !

Et le docteur qui va partir

pour moi, prétend qu'à l'instant même

ses effets merveilleux vont se faire sentir.

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

(lui faisant l'une après l'autre la révérence)

Monsieur Guillaume, vot' servante !

(À part, le regardant avec bienveillance.)

Ah ! qu'il a l'air aimable et bon !

De son bonheur je suis contente.

Ah ! la fortune a bien raison!

GUILLAUME

(les regardant d'un air étonné)

Mais quel air gracieux et tendre !

Dans leurs regards que de douceur !

D'honneur ! je n'y puis rien comprendre.

Eh ! mais... j'y pense !... le docteur

m'assurait qu'à toutes les belles

j'allais plaire sans le vouloir,

et de ce philtre le pouvoir

agirait-il déjà sur elles ?

PLUSIEURS JEUNES FILLES

(à droite, lui faisant la révérence)

Monsieur Guillaum' !

GUILLAUME

Quel embarras.

LES AUTRES

(à gauche, de mème)

Monsieur Guillaume !

GUILLAUME

Que faire ? hélas !

Ensemble

TOUTES ENSEMBLE

(lui faisant la révérence)

Monsieur Guillaume ! vot' servante.

(entre elles)

Ah ! qu'il a l'air aimable et bon !

De son bonheur je suis contente.

Ah ! la fortune a bien raison !

GUILLAUME

(les regardant)

Non, non, non, plus d'incertitude.

Ah ! c'est bien cela, je le vois !

Moi qui n'en ai pas l'habitude;

c'est trop de bonheur à la fois !

Scène sixième

Guillaume et les Jeunes filles qui l'entourent; Fontanarose, le chapeau sur la tète, prêt à partir sortant de l'auberge à gauche et Térézine, de la ferme à droite avec Joli-Cœur, qui la quitte en lui baisant la main et traverse le théâtre; Térézine s'approche alors du groupe des Jeunes filles

FONTANAROSE ET TÉRÉZINE

(chacun de leur côté, apercevant Guillaume au milieu des Jeunes filles)

Eh ! mais, que vois-je ?

GUILLAUME

(apercevant Fontanarose et courant à lui)

Ah ! c'est magique !

Vous m'avez dit vrai, cher docteur,

et par un effet sympathique

j'ai déjà su toucher leur cœur !

TÉRÉZINE

(à part et sans se montrer)

Qu'entends-je ! ô ciel !

FONTANAROSE

(à part et avec étonnement)

L'aventure est unique !

(Allant à Jeannette et aux Jeunes filles et leur montrant Guillaume)

Est-il possible ! il vous plaît !

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

(faisant la révérence)

Mais oui-da !

Monsieur Guillaume est bien fait pour cela !

Ensemble

FONTANAROSE

Ô miracle ! ô surprise extrême !

Ai-je dit vrai sans le vouloir ?

Me serâis-je abusé moi-même

sur ce philtre et sur son pouvoir ?

TÉRÉZINE

(à part et sans se montrer)

Qu' ai-je entendu ? surprise extrême !

Je le croyais au désespoir,

et'je vois que chacune l'aime.

Non, je n'y puis rien concevoir.

JEANNETTE

O bonheur ! ô surprise extrême !

Il est riche sans le savoir !

J'en suis sûre, c'est moi qu'il aime,

et de l'épouser j'ai l'espoir.

GUILLAUME

Ô miracle ! ô bonheur extrême !

Grâce à ce magique pouvoir,

il est donc vrai qu'enfin l'on m'aime;

mon cœur bat d'amour et d'espoir.

JEANNETTE

(à Guillaume)

On danse là-bas sous l'ombrage,

viendrez- vous ?

GUILLAUME

Cela me plaît assez.

JEANNETTE

Est-ce avec moi que vous dansez ?

TOUTES

C'est avec moi !

C'est avec moi !

JEANNETTE

Non, c'est moi qu'il engage.

TOUTES

C'est moi !

C'est moi !

C'est moi !

GUILLAUME

(à Fontanarose)

Quel embarras!

Chacune m'invite à la ronde,

et quoiqu'on veuille, on ne peut pas

danser avec tout le monde !

JEANNETTE, LES AUTRES

Prononcez ! choisissez !

GUILLAUME

(avec embarras)

Eh ! mais...

(à Jeannette)

Vous, d'abord, les autres après !

FONTANAROSE

Dieu ! quel danseur !

Ensemble

JEANNETTE

Ah ! j'ai la préférence !

c'est moi qu'il veut choisir !

Livrons-nous à la danse,

livrons-nous au plaisir.

LES AUTRES JEUNES FILLES

Elle a la préférence;

mais mon tour va venir.

Livrons-nous à la danse,

livrons-nous au plaisir.

GUILLAUME

Ah ! mon bonheur commence,

quel heureux avenir !

Livrons-nous à la danse,

livrons-nous au plaisir !

FONTANAROSE

Pour moi, quelle opulence !

quel heureux avenir !

De ma propre science

je ne puis revenir.

TÉRÉZINE

Que de frais, de dépenses !

Il n'a plus qu'à choisir;

on lui fait des avances;

je n'en puis revenir.

(Guillaume, entraîné par Jeannette et les Jeunes filles, va pour sortir, il aperçoit Térézine qui s'avance vers lui, il s'arrête.)

TÉRÉZINE

(allant à lui)

Guillaume ! un seul mot !

GUILLAUME

(ravi et à part)

Dieu ! qu'entends-je !

Elle aussi !!!

TÉRÉZINE

Joli-Cœur m'apprend

que vous vous engagez !

JEANNETTE

Ah ! quel projet étrange !

TÉRÉZINE

Je veux à ce sujet vous parler !...

GUILLAUME

(vivement)

Sur-le-champ !

JEANNETTE

(le tirant par le bras de l'autre côté)

Et la danse !

GUILLAUME

(à Térézine, montrant les Jeunes filles)

Pardon ! j'ai promis ! l'on m'attend !

Mais près de vous, prompt à me rendre,

je vais danser bien vite et reviens à l'instant !

(à part, en montrant Térézine)

Je devine déjà ce qu'elle veut m' apprendre !

(la regardant)

Elle aussi ! quel bonheur !

(à part)

Je reviens !... c'est charmant !

JEANNETTE ET LES JEUNES FILLES

Partons donc !

Ensemble

JEANNETTE

Ah ! j'ai la préférence,

c'est moi qu'il veut choisir !

Livrons-nous à la danse,

livrons-nous au plaisir.

JEUNES FILLES

Elle a la préférence;

mais mon tour va venir.

Livons-nous à la danse,

livrons-nous au plaisir.

GUILLAUME

Ah ! mon bonheur commence;

quel heureux avenir !

Livrons-nous à la danse,

livrons-nous au plaisir.

FONTANAROSE

Pour moi, quelle opulence !

quel heureux avenir !

De ma propre science

je ne puis revenir.

TÉRÉZINE

Que de frais, de dépenses !

Il n'a plus qu'à choisir.

On lui fait des avances;

je n'en puis revenir.

(Guillaume sort par la gauche au milieu des Jeunes filles qui l'entourent, et pendant toute la scène suivante on entend dans le lointain une musique de bal.)

Scène septième

Térézine, Fontanarose.

TÉRÉZINE

(regardant sortir Guillaume)

Qu'il a l'air content et joyeux !

FONTANAROSE

(se rengorgeant)

Grâce à mon art miraculeux !

TÉRÉZINE

Comment cela ?

FONTANAROSE

D'une beauté cruelle

il était amoureux !... je ne sais pas laquelle.

TÉRÉZINE

(vivement)

Il aimait !

FONTANAROSE

(montrant un flacon)

Sans espoir, et ce philtre puissant

l'a fait de tout le monde adorer sur-le-champ.

Vous l'avez vu !

TÉRÉZINE

(souriant)

Je vois que c'est un badinage.

FONTANAROSE

Non pas ! car ce secret par lui fut acheté

au prix de tout son or et de sa liberté !

TÉRÉZINE

(étonnée)

Quoi ! c'est pour cela qu'il s'engage !

FONTANAROSE

Oui, pour se faire aimer de celle qu'il aimait;

et pour payer ce trésor impayable,

il s'est enrôlé !

TÉRÉZINE

(à part, et avec émotion)

Lui que mon cœur dédaignait ?

Tant d'amour !... d'amour véritable !

FONTANAROSE

(s'approchant d'elle et offrant des flacon)

En voulez-vous ? pour cause de départ,

je le vendrai moins cher !

TÉRÉZINE

(regardant à gauche et à part)

C'est lui ! je crois l'entendre.

À mes ordres il vient se rendre !

Pauvre garçon !

FONTANAROSE

Eh bien !

TÉRÉZINE

Nous verrons ! mais plus tard.

(Fontanarose rentre dans l'auberge, et Guillaume paraît au fond venant de la gauche.)

Scène huitième

Guillaume, Térézine.

GUILLAUME

Oh ! c'est miraculeux ! tout le monde m'adore !

On me le dit, du moins; et les filles d'ici

me veulent toutes pour mari.

TÉRÉZINE

Et vous, Guillaume ?

GUILLAUME

Et moi j'attends encore.

(la regardant et à part)

Un bonheur... qui bientôt viendra !

TÉRÉZINE

Écoutez-moi , de grâce !

GUILLAUME

(avec satisfaction)

Enfin, nous y voilà !

TÉRÉZINE

Je sais que vous vouliez, dans votre ardeur guerrière,

vous enrôler ! Pourquoi ?... dites-le-moi !

[N. 13 - Duo]

GUILLAUME

Je voulais partir pour la guerre,

et de mon mieux servir le roi,

puisque c'était, dans ma misère,

le seul qui voulût Lien de moi !

TÉRÉZINE

Votre existence nous est chère,

ainsi que votre liberté !

Cet, engagement téméraire

le voici !... je l'ai racheté.

(Elle lui montre un papier.)

GUILLAUME

Que de bonté !... quoi c'est vous-même !

(à part)

Mais c'est tout simple quand on aime !

et c'est cela ! c'est bien cela.

TÉRÉZINE

Je vous le rends !... le voilà !...

(Elle lui présente le papier; en le prenant, Guillaume rencontre la main de Térézine qui la retire avec émotion.)

GUILLAUME

(la regardant avec amour)

Oui, je crois voir, douce espérance,

trembler sa main, battre son cœur:

philtre divin ! déjà commence

et ton pouvoir et mon bonheur !

TÉRÉZINE

Adieu!

GUILLAUME

(avec embarras)

Vous me quittez !... Vous avez, je suppose,

autre chose à me dire encor.

TÉRÉZINE

Moi ! non !

GUILLAUME

(avec effroi)

Eh quoi ! pas autre chose !...

TÉRÉZINE

Pas autre chose !

GUILLAUME

(attéré, lui rendant le papier)

Ô ciel ! je m'abusais ! Qu'importe alors mon sort !

Si je ne suis aimé, je préfère la mort.

Ensemble

GUILLAUME

Mieux vaut mourir

que de souffrir

tous les tourmens

que je ressens !

TÉRÉZINE

(à part)

Il veut partir ;

c'est trop souffrir;

tous ses tourmens

je les ressens.

GUILLAUME

Ainsi ce talisman, pour toute autre infaillible,

sur elle est sans pouvoir ! elle reste insensible !

Adieu ! je pars, et puisque le docteur

m'a trompé...

TÉRÉZINE

(le retenant et avec tendresse)

Non !... non, si j'en crois mon cœur !

Ensemble

GUILLAUME

Dieu ! que viens-je d'entendre !

Ô moment enchanteur !

Ce mot vient de me rendre

la vie et le bonheur.

Près de ce que j'adore

je demeure en ces lieux;

et le ciel que j'implore

a comblé tous mes vœux.

TÉRÉZINE

Je ne puis m'en défendre;

ses tourmens, sa douleur,

et cet amour si tendre

ont su toucher mon cœur.

De l'amant qui m'adore

comblons enfin les vœux.

C'est être heureuse encore

que de le rendre heureux.

(À la fin de cet ensemble qui est sur un mouvement de marche militaire, on voit à gauche arriver Fontanarose, Jeannette et tous les habitants du village, et à droite paraître Joli-Cœur qui marche devant ses Soldats en tournant le dos à Térézine)

JOLI-CŒUR

(à ses Soldats et réglant le pas)

Une, deux ! une, deux !

Halte-front - présentez les armes !

(Il se retourne et aperçoit Guillaume qui dans ce moment vient de se jeter aux pieds de Térézine.)

Ah ! grands dieux !

Je rends à mon rival les honneurs militaires !

TÉRÉZINE

(allant à Joli-Cœur)

Vous saurez tout, sergent !

(Elle continue à lui parler bas, elle a l'air de se justifier en lui racontant ce qui est arrivé; Joli-Cœur relève sa cravate d'un air avantageux et semble dire en regardant Jeannette qu'il ne manquera pas de consolations. Pendant ce temps Guillaume qui a aperçu Fontanarose se lève, court à lui et lui saute au col.)

GUILLAUME

Ô philtre merveilleux !

Par lui je suis aimé ! par lui je suis heureux !

FONTANAROSE

(avec fatuité)

De mon art ce sont là les effets ordinaires !

(montrant Jeannette)

De plus, mon jeune ami, j'apprends que vous voilà

très-riche !

TÉRÉZINE

(étonnée)

Est-il vrai ?

GUILLAUME

(avec indifférence montrant Térézine)

Riche !... ah ! je l'étais déjà !

FONTANAROSE

(se tournant vers les paysans)

Car ce philtre, messieurs, que pour rien je vous laisse,

ce philtre peut aussi procurer la richesse.

TOUS

(l'entourant)

Donnez, donnez-m'en sur-le-champ !

Voilà ! voilà ! mon argent.

FONTANAROSE

(faisant sonner les pièces de monnaie qui sont dans sou chapeau)

Ô philtre tout puissant !

Je disais bien qu'il donnait la richesse.

(En ce moment le cabriolet du charlatan paraît au milieu du théâtre.)

FONTANAROSE

Adieu, soyez heureux !... Adieu, mes bons amis !

Je reviendrai dans ce pays.

(Il monte sur son cabriolet.)

[N. 14 - Finale]

Ensemble

CHŒUR

Honneur, honneur !

A ce savant docteur !

Je lui dois la richesse,

je lui dois le bonheur.

GUILLAUME

Je lui dois ma maîtresse,

je lui dois le bonheur.

TÉRÉZINE

Je lui dois sa tendresse,

je lui dois le bonheur.

JOLI-CŒUR

Oui, pour une traîtresse

qui trahit mon ardeur,

plus d'une autre maîtresse

me rendra le bonheur.

TOUS

Honneur ! honneur ! à ce savant docteur !

(Le charlatan est sur son char; son valet sonne de la trompette; tous les villageois agitent leurs chapeaux et le saluent. La toile tombe.)

Fin du deuxième et dernier acte.

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première. Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Acte deuxième Scène première. Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième