LODOÏSKA
Comédie heroïque, mêlée de chant.
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Livret de Claude-François FILLETTE-LORAUX.
Musique de Luigi CHERUBINI.
Première représentation : 18 juillet 1791, Paris.
Personnages:
LODOÏSKA |
soprano |
LYSINKA sa nourrice |
soprano |
FLORESKI |
ténor |
DOURLINSKI châtelain de Pologne |
baryton |
TITZIKAN chef des Tartares |
ténor |
VARBEL serviteur de Floreski |
baryton |
ALTAMORAS confident de Dourlinski |
basse |
LE PREMIER ÉMISSAIRE |
basse |
LE SECOND ÉMISSAIRE |
basse |
LE TROISIÈME ÉMISSAIRE |
basse |
Gardes, Tartares, Gens du château.
En Pologne, sur les confins de la Russie, dans la forêt d'Ostropol, et au château de Dourlinski.
[Ouverture]
Le thèâtre représente une forêt. On voit au fond un château antique, en avant une tour très-élevée et très-saillante, des fossés, un pont-levis; on apperçoit au haut de la tour une lucarne défendue par une petite grille de fer: la scène, à droite et à gauche, est occupée par des arbres et des rochers.
Il fait encore nuit.
Titzikan, Tartares
(Ils avancent mystériusement pour prendre connaissance du site.)
[N. 1 - Introduction]
TITZIKAN
Approchez sans défiance,
tout est calme en ce séjour.
Concertons notre vengeance,
visitons chaque détour.
CHŒUR
Concertons notre vengeance,
visitons chaque détour.
UN TARTARE
Tu connais notre courage !
TITZIKAN
Comme tu connais mon cœur.
UN AUTRE TARTARE
Quel sera notre partage ?
TITZIKAN
C’est la palme du vainqueur !
Ensemble
TITZIKAN
Votre chef est intrépide,
secondez bien ses desseins;
chers amis, quand je vous guide,
la victoire est dans nos mains.
TARTARES
Notre chef est intrépide,
secondons bien ses desseins;
Titzikan est notre guide,
la victoire est dans nos mains.
Parlé
TITZIKAN
(aux Tartares)
Vous voyez, mes amis, le château du Baron de Dourlinski... Cet homme, né féroce, fut de tout tems inutile à sa patrie; mais, vous le savez, funeste à nos contrées !... L’instant de nous en venger ne tardera peut-être point à nous luire; lassez à mon expérience le soin d'en profiter... En attendant, occupez toutes les issues de cette forêt, faites prisonnier tout étranger qui s’y présentera... Sur-tout, respectez les jeurs de ceux que le hasard vous livrera, il ne fat pas que l'innocent soufre pour le coupable, et n’oubliez jamais, braves gens, qu’on ne doit point servir ses intérêts aux dépens de la justice et de l’humanité !... Allez.
(Les Tartares sortent, à l'exception d'un seul qui a la confiance de Titzikan.)
Titzikan, Un Tartare.
LE TARTARE
Mais, Titzikan, quel est ton dessein sur ce Dourlinski ?
TITZIKAN
Je n'en sais rien encore.
LE TARTARE
Et tu viens de dire à tous nous Tartares se tenir prêts, sans savoir ce que tu veux entreprendre ?
TITZIKAN
Sans doute... je suis lente à me préparer, prompt à saisir l'occasion, et courageux dans l'action.
LE TARTARE
Mais encore, faudrait-il savoir ?...
TITZIKAN
(avec force)
Je sais que je veux me venger, et c'est assez pour moi.
LE TARTARE
Sais-tu que ce Dourlinski est puissant ?...
TITZIKAN
Sais-tu que Titzikan est brave ?
LE TARTARE
Mais ces tours, ces fossés, ces fortifications sont terribles !
TITZIKAN
Tant mieux; un succès difficile aura pour mois plus de charme.
LE TARTARE
(avec mystère)
Il est un moyen de te venger...
TITZIKAN
Parle; quel est-il ?
LE TARTARE
Tu sais que ce Dourlinski sort de son domaine pour différents incursions... Son escorte, souvent
peu nombreuse, pourrait nous favoriser, et...
TITZIKAN
Triompher d’un traître par la trahison, c'est l'imiter et non pas le vaincre... Souviens-toi que tu conseilles Titzikan.
[N. 2 - Air]
Triomphons avec noblesse !
Devons tout à la valeur;
la ruse est une faiblesse;
elle flétrit le vainqueur.
Si tu m’offres la victoire,
peins-la digne de mon cœur;
Titzikan chérit la gloire,
mais offerte par l’honneur !
(Ici le thèâtre s'éclaire par degrés.)
Parlé
TITZIKAN
Le soleil se lève; retirons-nous... Mais, qu’aperçois-je ?... Deux étrangers viennent à nous; ils sont à pied... Ils portent l’habit polonais... Comment ont-ils pu échapper à la vigilance de nos Tartares ?... Viens, ami, écartons-nous, et séchons quel est leur dessein.
(Ils se cachent.)
Floreski, Varbel (portant une petite valise).
VARBEL
FLORESKI
Ils nous ont surpris.
VARBEL
FLORESKI
Que faire ?
VARBEL
FLORESKI
Et.. si d'autres Tartares viennent encore nous troubler ?
VARBEL
FLORESKI
Tu grondes sans cesse... Pourquoi m’as-tu suivi ?
VARBEL
FLORESKI
Généreux Varbel ! Par-tout je te retrouve... Crois que ma reconnaissance...
VARBEL
FLORESKI
Mon cher Varbel, appaise-toi.
[N. 3 - Aria]
VARBEL
Parlé
FLORESKI
Que pouvais-je faire ?
VARBEL
FLORESKI
Que me dis-tu ? Obligé par la mort de mon père de remplir sa place à la diète, je devois lui succéder avec honneur... Il s'agissoit des droits du peuple; je les ai déffendus et les défendrai jusqu'à la mort.
VARBEL
FLORESKI
Était-ce une raison pour se séparer d’elle, et cacher à l’univers le lieu de sa retraite ?
VARBEL
FLORESKI
Toujours; je l’avais trouvé sévère, mais du moins, juste et bienfaisant.
VARBEL
FLORESKI
Et malheureusement avec son secret.
VARBEL
FLORESKI
Mon ami, encore quelques recherches, et je cèdes à tes vœux.
VARBEL
(Ici Titzikan et les Tartares paraisent.)
FLORESKI
Varbel, voici des Tartares;... il nous observent.
VARBEL
Floreski, Varbel, Titzikan, Un Tartare.
[N. 4 - Quatuor]
TITZIKAN
Étrangers, n’ayez point d’alarmes,
nous ne sommes point inhumains;...
mais il faut remettre vos armes,
à l’instant même entre nos mains.
FLORESKI
D’où te vient donc autant d’audace ?
Penserais-tu m’épouvanter ?
Crois-tu qu’en vain l’on me menace ?
Cesse, cesse de le tenter !
TITZIKAN
Crois-moi, cède sans résistance.
FLORESKI
Renonce à ce frivole espoir !
TITZIKAN
Jeune homme, un peu plus de prudence...
FLORESKI
Je redoute peu ton pouvoir.
UN TARTARE
Il faut, il faut nous satisfaire,
vous comptez vous soustraire en vain...
VARBEL
FLORESKI
Éloignez-vous...
TITZIKAN
Vaine espérance...
Obéissez...
FLORESKI
Quelle insolence.
TITZIKAN, UN TARTARE, FLORESKI, VARBEL
C’est aussi trop d’indulgence...
Je me livre à mon transport,
contre mon impatience,
n’opposez aucun effort.
(Le combat s'engage; Varbel se bat avec le Tartare qu'il poursuit jusques hors du thèâtre. Titzikan reste au prises avec Floreski.)
Floreski, Titzikan.
(Floreski, après quelques instans de combat, désarme Titzikan, et lui tiens la point au cœur.)
Parlé
TITZIKAN
Un brave homme, tel que toi, doit être généreux... Je te demande la vie... J’aurais épargné la tienne;... je ne voulais que te désarmer...
Floreski, Titzikan, Varbel.
VARBEL
FLORESKI
(rendant la libetrté ò Titzikan)
Je compte sur ta foi.
TITZIKAN
Tu fais bien, jeune homme; ton bienfait est déjà gravé dans mon cœur.
(Ici l'on entend le bruit d'une horde de Tartares, accourant pour venger Titzikan.)
VARBEL
TITZIKAN
Quand on a montré ton courage, on compte ordinairement sur la foi d'autrui... Je suis le chef de cette horde... Tous ces Tartares me sont soumis...
(Les Tartares viennent avec violence, le sabre à la main: Titzikan s'oppose à leurs desseins.)
TITZIKAN
Arrêtez !... Arrêtez !... Respectez ces étrangers, je les prends sous ma garde; partagez avec moi la reconnaissance que je leur dois...
(à Floreski)
J'etais ton ennemi; de plus, je suis Tartare, mais un cœur généreux peut naître en tous les climats... En t'attaquant, j'ai fait mon métier;... tu as fait ton devoir en te défendant bien... Tu m'as laissé la vie... je sauve la tienne... je t’admire... estime-moi... embrassons-nous.
FLORESKI
De tout mon cœur.
TITZIKAN
Quel est ton nom ?
FLORESKI
Je suis le comte Floreski.
TITZIKAN
(à Varbel)
Et toi ?
VARBEL
TITZIKAN
(à Floreski)
Que dit-il ?... Tu es malheureux... Que puis-je pour toi ?... Parle... Ouvre moi ton cœur... Mon ami, ma fortune peut-elle réparer...
FLORESKI
Je te remercie.
TITZIKAN
Accepte... je t'en prie, sois généreux une seconde fois !...
FLORESKI
Homme admirable !... si ce n'était que le besoin d'or qui tourmentât mon cœur, je me ferais un devoir d'accepter tes secours;... mais une douleur cruelle !...
TITZIKAN
Que puis-je l'adoucir ?
FLORESKI
Rien, mon ami.
TITZIKAN
En ce cas, ne m'en parle point; ne pouvant le soulager, ma curiosité ne te serait qu'importune... Adieu; je vais vous quitter...
(aux Tartares)
Compagnons, que les noms de Floreski et de Varbel
soient aujourd’hui les mots de l’ordre sut toute la côte.
[N. 5 - Trio et chœur]
TITZIKAN
Jurons, quoiqu’il faille entreprendre,
amis, de nous joindre à leur sort;
oui, s’il le faut pour les défendre,
nous combattrons jusqu’à la mort.
FLORESKI
J’accepte avec reconnaissance
le digne présent de ton cœur;
oui ! par cette heureuse alliance,
je soulagerai ma douleur !
TITZIKAN
Non, non, point de reconnaissance;
je n’ai besoin que de ton cœur;
puisse cette heureuse alliance
soulager au moins ta douleur !
VARBEL
Ensemble
TITZIKAN, CHŒUR
Jurons, quoiqu’il faille entreprendre,
amis, de nous joindre à leur sort.
Oui, s’il le faut pour les défendre
nous combattrons jusqu’à la mort.
FLORESKI, VARBEL
Ils jurent de tout entreprendre,
et de s’unir à notre sort.
Oui, s’il le faut pour nos défendre
ils combattront jusqu’à la mort.
Parlé
TITZIKAN
En te quittant, Floreski, Je veux encore emporter ton estime... Garde toi de croire qu'un intérêt sordide attire Titzikan dans cette forêt... Le baron de Dourlinski dont tu vois ici le château...
FLORESKI
Dourlinski, dis-tu ?... Ce nom m'est connu.
TITZIKAN
Puisse-tu ne jamais connaître que son nom... C'est un scélérat, l'horreur de cette contrée, l'oppresseur de tous ceux qui l'environnent, et qui gémissent sous le poids de sa tyrannie... Chacun de ceux qu'il appelle ses vassaux, respire en secret la vengeance, n'attend qu'un chef intrépide pour secouer le joug dont ce monstre l'accable... J'ai tenté ce grand ouvrage: Titzikan veut être le mortel leureux qui va rendre à la liberté des hommes dont la vertu n'est qu'assoupie; je leur ouvrirai le chemin de la gloire, et le réveil de leur courage m'est un sur garant de la victoire; ils combattront pour eux, pour leurs droits, pour la liberté enfin !... et le tyran disparoitra du monde, en acquittant, par son trépas, les crimes dont il aura souillé son odieuse vie. Je n'attends que l'instant favorable, et dans la crainte d'une surprise, j'avais ordonné qu'on désarmât tous ceux qui aborderaient ici... Tu vois ma confiance... Vous n'ête point faits, l'un et l'autre, pour en abuser. Adieu, braves amis !... Je vais moi-même veiller à votre sureté.
(à Floreski)
Donne moi la main, je sens-là que je t'aime pour la vie !
(à Varbel)
Toi, je t'estime... Tu es courageux... Tu aimes bien ton maître... Vous vous méritez tous deux... Adieu... Pensez, quelque-fois, à Titzikan... Tâchez d'avoir besoin de lui, et vous verrez comme il vous servira !...
(aux Tartares)
Marchons.
(Il sort avec sa horde.)
Floreski, Varbel.
FLORESKI
Quel étonnant langage !
VARBEL
FLORESKI
Ce château, dit-il, appartient au baron de Dourlinski, si la mémoire ne me trompe. Il était lié avec le père de Lodoïska.
VARBEL
FLORESKI
J'y consens.
VARBEL
FLORESKI
Nullement.
VARBEL
[N. 6 - Polonaise]
FLORESKI
Perdre ma belle ?
plutôt le jour,
je vis pour elle
et meurs d’amour.
Espoir, tendresse
sont mes soutiens;
amour, maîtresse
sont tous mes biens.
VARBEL
Ensemble
VARBEL
FLORESKI
Qu’amour me conduise
un tendre cœur;
il lui déguise
tout son malheur.
Tromper aimable
quand il sourit;
il nous accable,
blesse et s’en rit.
Parlé
FLORESKI
Notre événement avec ces Tartares est singulier.
VARBEL
(Ils traversent et s'asseyent.)
FLORESKI
Une pierre se sera détachée de la tour...
VARBEL
FLORESKI
Ce hasard, en apparence, ne cacherait-il pas quelque mystère ?...
VARBEL
FLORESKI
(regardant à terre la première pierre)
Que voi-je ?... Des caracters !
(Il ramasse la pierre.)
Ô ciel ! Varbel;... regarde ces mots tracés... Est-ce vous, Floreski ?... Grand dieu ! qui peut nous connaître en ces lieux... Vois, mon ami, ramasse l'autre promptement...
VARBEL
FLORESKI
Eh bien !... donnez donc.
VARBEL
FLORESKI
(lisant)
C'est toi... je te reconnais... Délivre la malheureuse Lodoïska; mais sois prudent ! Ah ! Varbel ! elle est enfermée dans cette horrible tour... Lodoïska !... ma digne amie !... je te sauverai... ou je périrai avec toi... Varbel, où est Titzikan ?... J'ai besoin des ses secours... Inutile espérance, il est ben loin... Varbel, aide-moi de tes conseils... Je ne suis plus à moi.
VARBEL
FLORESKI
(toujours agité)
Eh bien, mon ami, tu vois... je suis calme... je m'abandonne à toi... dépêche-toi... le tems presse... prends pitié de moi... je te devrai plus que la vie... tu vois que j'attends... Eh bien, quel moyen as-tu trouvé ?...
VARBEL
FLORESKI
(avec emportement)
Mon ami, j'en ai... Mais, au nom de tout ce qui m'est cher, ne me fais pas languir...
VARBEL
FLORESKI
Oui; mais nous n'y sommes pas,... ainsi...
VARBEL
FLORESKI
Non, non: pendant ce tems elle deviendrait la victime de ce barbare... Je t’en prie, un autre moyen
que nous puissions employer là tout de suite.
VARBEL
Floreski, Varbel, Lodoïska (dans la tour).
[N. 7 - Final]
LODOÏSKA
Floreski ! Floreski !...
FLORESKI
Je l'entends... Elle appelle...
VARBEL
LODOÏSKA
Prends garde à toi; fuis ce séjour affreux !
Fuis d’un tyran la colère cruelle !
FLORESKI
Non; ne l’espère pas, l’amant le plus fidèle,
veut te ravir à ces funestes lieux !
VARBEL
FLORESKI
(à Lodoïska)
Non, non, jamais; en vain elle l’ordonne;
je ne puis plus quitter ces lieux sans toi.
LODOÏSKA
Cruel ! tu me glace d’effroi;
tu te perdras sans sauver ton amie !
VARBEL
FLORESKI
(à Lodoïska)
Je n’écoute que mon transport;
tu peux compter sur mon courage.
LODOÏSKA
Tu vas tomber dans l’esclavage,
sans pouvoir adoucir mon sort.
VARBEL
LODOÏSKA
Mon ami...
FLORESKI
Je t'entends.
VARBEL
LODOÏSKA
À minuit...
FLORESKI
À minuit ?
VARBEL
LODOÏSKA
Tu pourras...
FLORESKI
Je pourrai ?...
VARBEL
LODOÏSKA
M’apporter...
FLORESKI
Te porter ?...
VARBEL
LODOÏSKA
Un billet...
FLORESKI
Un billet ?
VARBEL
LODOÏSKA
Du sommet...
FLORESKI
Du sommet...
VARBEL
LODOÏSKA
De la tour...
FLORESKI
De la tour ?...
VARBEL
LODOÏSKA
Un ruban...
FLORESKI
Un ruban ?...
VARBEL
LODOÏSKA
Que le ciel...
FLORESKI
Que le ciel ?
VARBEL
LODOÏSKA
Me laissa...
FLORESKI
Te laissa ?...
VARBEL
LODOÏSKA
Me rendra...
FLORESKI
Te rendra ?...
VARBEL
LODOÏSKA
Cette lettre...
FLORESKI
Ah ! Varbel...
VARBEL
Ensemble
LODOÏSKA
Sois prudent, je t’en conjure
au nom du plus tendre amour !
Cache une telle aventure
aux tyrans de ce séjour !
FLORESKI
Calme-toi, je t’en conjure
au nom du plus tendre amour !
Mon cœur dans cette aventure
présage un plus heureux jour !
VARBEL
(Lodoïska se retire)
Floreski, Varbel.
FLORESKI
Eh ! bien: qu’allons nous entreprendre ?
VARBEL
FLORESKI
Pour ce projet as-tu compté sur moi ?
non, non, Varbel, détrompe-toi.
VARBEL
FLORESKI
Oh ! cela te paraît trop périlleux, peut-être ?
Tu verras, mon ami, que ce n'est presque rien.
VARBEL
(Il réve et sourit.)
FLORESKI
Tu ris ?... Je vois que ce projet
est bien conçu, puis qu’il te plaît.
VARBEL
FLORESKI
(avec enthousiasme)
Oui, ce transport est vraiment beau,
et ton projet est magnifique.
VARBEL
FLORESKI
Ah ! tu vaux un tresor !
Allons, il faut nos introduire.
Sonne en toute sécurité.
FLORESKI, VARBEL
Exécutons ce projet concerté.
(Varbel donne du cor près du pont-le-vis; un moment après, un trompette paraìt sur le rempart; Floreski lui ordonne de sonner à son tour, ce qu'il exécute sur le champ et se retire.)
Floreski, Varbel, Altamoras, Chœur, Soldats.
(On basse le pont.)
ALTAMORAS
(s'arrêtant sur le pont)
Étrangers, pourrait-on s’instruire,
que demandez-vous en ces lieux ?
FLORESKI
Au maître du château tous deux
nous vous prions de nous conduire.
ALTAMORAS
Peut-on savoir votre projet ?
FLORESKI
Oui; devant lui, s’il le permet.
ALTAMORAS
Il faut nous remettre vos armes.
FLORESKI
C’est prendre enfin trop de souci;
c’est passer trop loin vos alarmes.
(Floreski et Varbel remettent leurs épées.)
ALTAMORAS
C’est l’usage en entrant ici;
suivez-moi, mais prenez garde !
Craignez l'aspect de ces lieux,
c'est en vain que l'on hazarde
un projet audacieux !
CHŒUR
Suivez-nous, mais prenez garde.
Craignez l'aspect de ces lieux,
c'est en vain que l'on hazarde
un projet audacieux !
Ensemble
FLORESKI
Marchons, mais soyons en garde;
pénétrons jusqu’en ces lieux....
Pour l’amour je le hasarde
ce projet si périlleux !
VARBEL
(Floreski et Varbel montent au château au milieu des soldats.)
Le thèâtre représente une galerie antique, très-profonde, extraimement riche d'architecture, ornée de bas-reliefs et attributs militaires, deux portes en arcades à droite et à gauche; l'une (à gauche) conduisant à la salle des gardes, et l'autre (à droite) menant à la fortesse; dans le milieu de la galerie, est une statue équestre, dont le sujet et le figures annoncent la tyrannie du maître. Une table et un fauteuil sont au bord de l'avant-scène.
Lodoïska, Lysinka, Altamoras, Gardes.
Parlé
LODOÏSKA
Quel nouveau crime médite ton maître et le détermine de nous tirer à l’horrible séjour où nous
sommes confinées ?
ALTAMORAS
Il ne m’appartient pas de pénétrer ses desseins; il m’a ordonné de vous conduire ici... c’est tout ce que je puis vous dire.
LYSINKA
Ministre perfide d’un tyran cruel ! peux-tu partager sa barbarie ?
ALTAMORAS
Il commande... j’obéis.
LYSINKA
Eh ! quoi, le sort d'une infortunée ne paut ?...
ALTAMORAS
Mon devoir...
LYSINKA
Oses-tu appeller un devoir l'odieux emploi de persécuter une femme intéréssante et malhereuse ?
ALTAMORAS
Vous pouvez mettre un terme à ses malheurs, et je puis de moins vons donner ce conseil... engagez madame à profiter d'un dernier instant de clémence, à ce prix vos prisons vont s'ouvrir, et le bonheur renaïtra pour toutes deux.
LODOÏSKA
C'en est assez, l'image du bonheur que tu a ici l'audace de m'offrir, révolte tous mes sens !... n'insulte pas plus longtems à ma douleur... sors et lasse nous.
Lodoïska, Lysinka, Gardes.
LYSINKA
Vous voyez comme on nous traite ! Ne dissimulerez-vous jamais avec vos tyrans ?
LODOÏSKA
Ah ! que ne puis-je accroître leur rigueur. Je chéris d'ajourd'hui notre prison ! J’ai vu, j’ai entendu Floreski !... Ma chère Lysinka, je ne suis plus malheureuse !
LYSINKA
Dequoi nous servira cette faible espérance ? Il a causé votre malheur et ne pourra le réparer.
LODOÏSKA
Ne l'accuse point, il a fait son devoir, je l'en estime d'avantage !... Il devait sa voix à son prince.
LYSINKA
Votre père peut-il être assez cruel !
LODOÏSKA
Il est loin sans doute de prévoir l'abus qu'on fait ici de sa confiance.
LYSINKA
Eh ! quoi, point de nouvelles de Varsovie ? que je plains votre mère !
LODOÏSKA
Ah ! ma bonne, combien elle doit souffrir !
LYSINKA
Qu'allons-nous devenir ?
LODOÏSKA
Rassure-toi. Mon cher Floreski a entendu la voix de Lodoïska, et le ciel qui protège l'innocence, l'a sans doute envoyé pour nou sauver.
[N. 8 - Récitatif et Air]
(Pendant le récitatif et l'air suivant, Lysinka s'assied et s'appuye sur la table.)
Que dis-je, ô ciel ! si, contre mon attente,
il voulait s’introduire en cet affreux séjour,
grand dieu ! il est perdu, si jamais il le tente !
Je connais sa valeur, je connais son amour !
Pourquoi me suis-je fait connaître...
quoi !... ne devais-je pas songer
que j’allais l’exposer aux plus cruels danger...
ah ! malgré mes conseils... il s’armera, peut-être...
mais il était perdu pour moi...
Pouvais-je contenir mon cœur en sa présence ?...
Il fallait garder le silence...
oui ! tout m’en imposait la loi !...
Hélas ! dans ce cruel asile
c’était assez de mon malheur,
du moins une douleur tranquille
y consumait mon triste cœur.
Pour moi seule j’avais à craindre,
et je languissais dans les fers;
j’attendais enfin sans me plaindre
la fin des maux que j’ai soufferts !
Mais pour moi, s’il s’expose,
je mourrai mille fois;
moi seule, je suis la cause
des maux que je prévois.
Floreski ! je m’efforce,
à souffrir leur rigueur;
mais je n’ai pas la force
de causer ton malheur !
Parlé
LYSINKA
Calmez-vous, ma fille... il sera prudent... mais à minuit vous devez recevoir une lettre de lui, et Dourlinski choisit justement ce jour pour vous donner plus de liberté.
LODOÏSKA
Crois-moi, ce n'est pas pour long-tems. Mais s'il voulait aujourd'hui rompre mes fers... rapporte t'en à mon amour, le courroux que je vais lui témoigner, lui en fera bientôt perdre la pensée.
LYSINKA
(avec émotion)
Il s'avance.
Lodoïska, Lysinka, Dourlinski, Gardes.
DOURLINSKI
LYSINKA
Seigneur, jusqu’à ce moment je ne l’ai point quittée... souffrez...
DOURLINSKI
(Lysinka se retire.)
Lodoïska, Dourlinski, Gardes, ensuite Altamoras.
LODOÏSKA
Vous avez bien toute la faiblesse des tyrans; vous redoutez jusqu’à la présence d’un témoin impuissant ?
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Quels sont votre sinistres projets ?
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Et de quel droit pretens-tu disposer de moi ?
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Un amant !... Le cruel !... C’est avec des fers que tu veux conquérir un cœur ?
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Homme sans foi ! Ce sont donc là les soins que tu promis à mon père d’avoir pour sa fille ?... Mais, si mes plaintes n'ont encore pu parvenir jusqu'à lui, il viendra, peut-être un jour, en me rendant toute sa tendresse, m'arracher à cet affreuz séjour.
DOURLINSKI
[N. 9 - Duo]
LODOÏSKA
A ces traits je connais ta rage;
ce crime est bien digne de toi.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Ne crois pas vaincre mon courage;
jamais tu n’obtiendras ma foi.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Quelle perfidie !...
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Ton espérance est vaine.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Va ! je préfère encore ma chaîne;
oui, je préfère cette tour,
les rigueurs, les tourments, ta haine
aux feux de ton indigne amour.
Ensemble
LODOÏSKA
Ah ! cet excès de violence
est pour toi mon seul sentiment;
s’il faut supporter ta présence,
voilà mon plus cruel tourment.
DOURLINSKI
Parlé
LODOÏSKA
Mon serment est de te vouer une haine implacable, c’est le seul sentiment que tu puisses m’inspirer; pour la dernière fois, tâches de t'en convaincre, et ne t'occupes plus que des maux que tu veux me faire souffrir.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Barbare !... Je ne vous verrai plus, ô mon père !... ô mon cher Floreski !
Lodoïska, Dourlinski, Altamoras, Lysinka, Chœur, Gardes.
LODOÏSKA
(courant à Lysinka)
Viens, ma bonne, pardonne à ta fille les maux qu’elle te fait partager... Viens passer avec moi des jours dans le douleur !
DOURLINSKI
[N. 10 - Septuor et Chœur]
LODOÏSKA
Je bénis le ciel, ô ma bonne !
puisqu’il brise aujourd’hui les fers.
LYSINKA
Quoi, moi ? que je vous abandonne
à la rigueur de ce pervers !
(Aux gardes.)
Secondez-vous un barbare ?
je veux lui consacrer mes jours.
DOURLINSKI
CHŒUR
Laissez-lui ce faible secours !
Ensemble
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Vous osez faire résistance ?
insolens ! craignez son courroux !
CHŒUR
Nous implorons votre clémence...
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Soumettez-vous.
Ensemble
LYSINKA
Non, non, c’est vain qu’on l’espère;
je ne l'abandonnerai pas:
viens; porte plus loin ta colère,
oses l’arracher de mes bras !
LODOÏSKA
Au sein de ma triste misère,
non, je ne me plaindrai pas;
puisqu’en méritant sa colère
j’éloigne de toi le trépas.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Craignez ou servez sa colère,
allez l'arracher de ses bras
CHŒUR
Amis, redoutons sa colère;
allons l’arracher de ses bras.
(On sépare Lodoïska de Lysinka, et on les entraíne.)
Dourlinski, Gardes.
Parlé
DOURLINSKI
Dourlinski, Altamoras, Gardes.
ALTAMORAS
Seigneur...
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Non, seigneur: ils ont refusé de s'expliquer, ils attendent le moment de paraître devant vous.
DOURLINSKI
Dourlinski, Gardes.
DOURLINSKI
Dourlinski, Altamoras, Floreski, Varbel, Gardes.
DOURLINSKI
FLORESKI
(faisant un salut profond)
Ai-je l’honneur de parler au baron de Dourlinski ?
DOURLINSKI
FLORESKI
(fait un second salut)
Seigneur...
DOURLINSKI
FLORESKI
(à part à Varbel)
Quel homme !
VARBEL
DOURLINSKI
FLORESKI
Seigneur,... je... ne... prenais... counseil de personne;... mais j'observais à mon frère qu'avec... moin de confiance,... on pourrait être intimidé de votre ton.
DOURLINSKI
VARBEL
DOURLINSKI
FLORESKI
Mon frère et moi appartenions ai prince Altanno... La mort vient de nous enlever notre maître... J'etais le confident de toutes ses pensées, et mon frère, usant près de lui d'un naturel plus gai que moi, souvent amusait ses loisirs.
DOURLINSKI
VARBEL
DOURLINSKI
VARBEL
DOURLINSKI
FLORESKI
Ne puis-je, pour m’expliquer, obtenir la faveur d’un entretien particulier ?
DOURLINSKI
VARBEL
Dourlinski, Floreski, Altamoras.
DOURLINSKI
FLORESKI
Aux approches de la mort, le prince Altanno déclara à son épouse qu’il vous avait confié sa fille,
Lodoïska, et sa mère m’envoie vers vous pour vous la demander.
DOURLINSKI
FLORESKI
On pourrait donc aussi, seigneur, vous taxer d'imprudence, puisque vous avez près de vous un témoin de notre entretien.
DOURLINSKI
FLORESKI
Elle à pensé,... ainsi... que... moi,... que la confiance qui m'avais été accordé... en cette circonstance... était une ... autorité suffisante...
(se remettant)
D'ailleurs, j'ajouterais, seigneur, pour vous convaincre que je ne dois point vous être suspect, que je sais à n'en pouvoir douter que le comte Floreski fait les plus grandes recherches pour retrouver sa maîtresse, et qu'il a le dessein de la disputer à qui voudra la lui ravir.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Seigneur, contraignez-vous;... son oeil sans cesse vous observe.
DOURLINSKI
FLORESKI
(avec pétulance)
Quoi ? seigneur, Lodoïska ?
DOURLINSKI
FLORESKI
(à part)
O ciel ! je me trahis. (haut) Seigneur, l'intérêt que j'y prends n'a rien qui vous doive étonner... J'espérais rendre une fille chérie à sa mère èplorée, et je vous avoue qu'il m'en coûte beaucoup de perdre cet espoir.
DOURLINSKI
FLORESKI
(à part)
Le monstre !
(haut)
Seigneur, ne nous ferez-vous point, à mon frère et à moi, la grâce de nous laisser passer ici la nuit ? nous sommes accablés de fatigue; la forêt n'a point des chemins indiqués; demain, à la pointe du jour, nous sortirons.
[N. 11 - Trio]
DOURLINSKI, ALTAMORAS
Malgré moi, ce qu’il propose
m’inquiète et me confond;
son visage se compose,
mais je vois rougir son front.
FLORESKI
Ciel ! ce que je lui propose,
l’inquiète et le confond;
son visage se compose,
mais je vois pâlir son front.
DOURLINSKI
FLORESKI
Il s’agite et ne répond rien...
ALTAMORAS
Oui, je le crois un téméraire,
si j’en juge par son maintien.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Il faut agir avec prudence;
dissimulez votre courroux.
FLORESKI
Toujours il garde le silence...
mais... il appaise son courroux...
ALTAMORAS
Il faut, si je ne m’abuse,
les retenir en ces lieux;
je veux employer la ruse,
et le deviner tous deux.
Ensemble
FLORESKI
Dans mon cœur avec adresse
renfermons tout mon courroux;
immolons à ma tendresse
les transports d’un cœur jaloux.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Oui, sur lui veillons sans cesse,
un instant contraignez-vous.
Moins de bruit et plus d’adresse,
son secret est tout à nous.
Parlé
DOURLINSKI
(Dourlinski et Altamoras se retirent ensemble, mais se séparent au fond du thèâtre. Avant de se quitter, Dourlinski dit un mot à l'oreille d'Altamoras, et ensuite jette un regard composé sur Floreski.)
Floreski seul.
Tyran ! il est donc vrai que ton coupable dessein est de soustraire l’infortunée Lodoïska à toute ma tendresse ? Mais n’espère pas jouir du fruit de ton audace. Floreski perdra le jour ou la sauvera de tes mains.
[N. 12 - Air]
Rien n’égale sa barbarie,
oui, je frémis de tant d’horreur,
amour, fureur et jalousie,
venez conduire un bras vengeur,
dans mon courroux trop légitime,
je punirai tes attentats;
ne compte plus sur ta victime,
sans la compter par mon trépas.
Floreski, Varbel.
Parlé
FLORESKI
Viens, mon cher Varbel, j’ai réussi au gré de nos desirs et nous passons ici la nuit.
VARBEL
FLORESKI
Au succès de notre entreprise.
VARBEL
FLORESKI
Es-tu fou ?
VARBEL
FLORESKI
Ô ciel ! les scélérats veulent nous empoisonner !
VARBEL
FLORESKI
Tu as raison, le portrait de Lodoïska que je porte sans cesse, nous aurait bientôt découvert... Eh bien il faut refuser de souper avec eux.
VARBEL
FLORESKI
Nous ne pouvons cependant pas nous exposer...
VARBEL
Floreski, Varbel, trois Émissaires, Gens du château (apportant une table couverte de fruits et d'aiguières remplies de vin, et des coupes).
(Le premier émissaire doit porter lui-même le flacon dans lequel est contenue la liqueur soporative.)
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Messieurs, soyez les bien arrivés, nous apportons, comme vous voyez, dequoi lier connaissance... c'est toujours le verre à la main qu'on fait le bons amis.
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Voulez-vous prendre un à-compte ?... je vais vous verser une coupe de vin.
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
À votre aise, messieurs, nous ne voulons pas vous gêner.
(Il va placer son flacon au milieu de la table.)
[N. 13 - Final II]
FLORESKI
Hélas ! comment allons-nous faire ?
ils ont tous les regards sur nous.
VARBEL
LE SECOND ÉMISSAIRE
Je pense moi que c’est un traître.
LE PREMIER ÉMISSAIRE
L’un est maître, l’autre est valet;
croyez-moi, je sais m’y connaître.
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Avec adresse observons bien.
FLORESKI
Nous n’avons donc aucun moyen ?
LE TROISIÈME ÉMISSAIRE
Si j’en juge par l’apparence,
ils me semblent fort inquiets.
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Contraignez-vous, faites silence;
nous les tenons dans nos filets.
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Il nous faut lier conférence,
oui, faisons-les parler d’abord.
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Pardon, messieurs, mais entre nous
nous avions quelques mots à dire
qui n’étaient que ennuyeux pour vous.
FLORESKI
À votre tour, daignez permettre,
ce sera fait dans un moment;
je voudrais écrire une lettre.
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Très volontiers, assurément.
(à part à ses camarades)
Agissons bien pour nous instruire;
observons tout, il faut tout voir.
FLORESKI, VARBEL
Ô dieu, je souffre le martyre !
TOUS LES ÉMISSAIRES
Ne laissons rien percevoir.
FLORESKI
Donne-moi, s’il te plaît, mon frère,
ce qu’il me faut, plume et papier.
VARBEL
FLORESKI
Ces messieurs veulent bien attendre.
VARBEL
FLORESKI
(qui s'en apperçoit)
Le malheureux que va-t-il faire ?
LE SECOND ÉMISSAIRE
(au premier)
Faut-il lui verser du flacon ?
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Ne pressons rien, attends son frère
ensemble ils prendront la boisson.
VARBEL
FLORESKI
(écrivant)
Ô ciel ! Varbel me fait frémir !
(Ici Floreski écrit, et veut avoir l'air de se cacher; cela excite la curiosité des émissaires qui vont à bas bruit épier derrière lui; Varbel est sur les épines, et ne sait quel parti prendre: il est inspiré tout d'un coup, et pendant le ritournelle qui est conforme à la situation, il profite de l'instant où les émissaires sont occupés autour de Floreski, et va prendre le flacon qui est dans sa valise, vient le substituer adroitement à celui qui est sur la table, et cache le soporatif sous sa pelisse, puis il dit:)
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Pourquoi déchirer ce papier ?
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
(à ses camarades)
Hum ! je crois qu’il veut nous railler.
(au deuxième Émissaire)
Voici l’instant, mon camarade;
prudemment verse la liqueur...
VARBEL
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Allons, messieurs, de tout mon cœur.
FLORESKI
(tirant Varbel à part)
Eh ! quoi: malheureux, tu vas boire ?
VARBEL
(Pendant cet a parte, le deuxième émissaire verse dans deux coupes la liqueur du flacon qui se trouve sur la table et qu'il croit falsifiée, ensuite il va rajoindre le troisième émissaire, qui ayant ramassé les morceaux du papier que Varbel a déchiré, cherche à les rassembler; tous deux veulent s'instruire de ce qui peut s'y trouver écrit, cela impatiente le premier émissaire qui vient à eux et dit:)
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Ne pouvez-vous donc vous contraindre ?
eh ! quoi, toujours vous éloigner ?
quand ils ne seront plus à craindre
vous pourrez tout examiner.
(Pendant ce tems, Varbel se hâte de verser dans les coupes de ses adversaires la liqueur soporative qu'il a caché sous sa pelisse: Floreski qui s'apperçoit enfin de l'adresse de son valet, porte sans cesse les yeux sur les trois émissaires qui sont rassemblés pour l'a parte ci dessus; mais il indique à Varbel, par le tremblement qu'il éprouve, toute l'impatience qu'il ressent, et le desir qu'il a de voir le succès de cette ruse.)
Le premier émissaire vient ensuite prendre deux coupes que le second émissaire a remplies, et les présente à Floreski et à Varbel.
TOUS ENSEMBLE
Amis ! que ce divin breuvage
soit fatal à tous les trompeurs;
qu’aux bons son salutaire usage,
soit la plus douce des liqueurs !
(Ils boivent tous.)
LE PREMIER ÉMISSAIRE
Bon ! bon ! les voilà qu’ils y viennent.
FLORESKI, VARBEL
Bon ! bon ! les voilà qu’ils s'y prennent.
LES TROIS ÉMISSAIRES
Nous allons bientôt tout savoir !
FLORESKI, VARBEL
Bientôt ils n’y vont plus rien voir !
LE PREMIER ÉMISSAIRE
(chancelant)
C’est singulier; je vois tout trouble...
VARBEL
LE SECOND ÉMISSAIRE
Ô ciel ! tout tourne... autour de moi...
VARBEL
LE TROISIÈME ÉMISSAIRE
Eh ! mais, mon dieu... je n'y vois goutte...
VARBEL
LES ÉMISSAIRES
(en désordre)
Mais; c’est... égal... observons bien.
VARBEL
Ensemble
LES ÉMISSAIRES
Ayons de la vigilance,
faisons bien notre devoir...
mais... je tombe... en défaillance.
Ô ciel ! ...je n’y... puis... plus voir...
FLORESKI
Ton heureuse prévoyance
vient d’enchaîner leur pouvoir.
Ton adroite vigilance
vient ranimer mon espoir. )
VARBEL
(Ici Altamoras paraít au fonds de la galerie, s'apperçoit du contraire effet de la ruse; par un gest il en témoigne sa rage, et retourne sur ses pas.)
FLORESKI
Ah ! la fureur qui les anime
pour nous n’est plus à redouter.
VARBEL
FLORESKI
Dieu ! quel moment !
VARBEL
FLORESKI
Oui, nous courons...
VARBEL
FLORESKI
Sortons d’ici...
VARBEL
FLORESKI
Viens, viens, suis-moi...
VARBEL
FLORESKI
(prends deux sabres à la ceinture des émissaires)
Tiens, prends ce fer...
VARBEL
FLORESKI
Par l’ouverture...
VARBEL
FLORESKI
Nous parviendrons...
VARBEL
FLORESKI
Viens assurer...
VARBEL
FLORESKI
Peu de soldats...
VARBEL
FLORESKI
Jusqu’à la tour...
VARBEL
FLORESKI
Suis-moi, te dis-je...
VARBEL
FLORESKI
Je brave tout.
VARBEL
(Floreski entraíne Varbel, ils sont tous deux dans le plus grand désordre, et au moment qu'ils sont près de sortir de la galerie, des gardes fondent sur eux et les désarment: Dourlinski parait sur les marches de la galerie entourné da soldats.)
Floreski, Varbel, Dourlinski, Altamoras, Les trois Émissaires évanouis, Gardes, Chœur.
DOURLINSKI
FLORESKI
(se découvrant à Dourlinski)
Va, d’effroi je suis incapable;
Floreski voulait te tromper,
le sort te sert, heureux coupable,
crains de le laisser échapper.
DOURLINSKI
FLORESKI
C’est moi, misérable !
DOURLINSKI
FLORESKI
Tyran, venge-toi !...
DOURLINSKI
FLORESKI
Non !...
DOURLINSKI
FLORESKI
Je t’attends...
DOURLINSKI
Ensemble
FLORESKI, VARBEL
Saisissez un téméraire,
servez son cœur furieux;
préparez pour sa colère
les tourments le plus affreux !
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Saisissez un téméraire,
servez son cœur furieux;
préparez pour sa colère
les tourments le plus affreux !
CHŒUR
Saisissons ce téméraire !
servons son cœur furieux !
préparons pour sa colère
les tourments le plus affreux !
(On entraíne Floreski et Varbel l'un à droite de la galerie, l'autre à gauche; quand ils sont près à être séparés au fond de la galerie, ils s'échappent tous deux des bras qui les retiennent, et volent pour s'embrasser, on les sépare encore; Varbel est enlevé, et Floreski sort avec fierté par le fond de la galerie, suivi par tous les soldats; Dourlinski s'applaudit en suivant des yeux son rival.)
Même decoration.
Dourlinski seul.
Parlé
[N. 14 - Air]
Dourlinski, Altamoras.
Parlé
ALTAMORAS
Seigneur, ces deux étrangers sont enfermés séparément, suivant vos ordres... Avez-vous déterminé quelque chose à leur égard ?
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Oui, seigneur, elle me suivait.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Vous allez être obéi. Voici Lodoïska !
Dourlinski, Lodoïska, Gardes.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Cruel ! que me voulez-vous encore !
DOURLINSKI
LODOÏSKA
J'ai déjà répondu. Mon mepris, mon silence, sont désormais les seules armes que je veux employer contre toi.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
(avec effroi)
Ô ciel ! c'est tout ce que je craignais. Sans doute, votre barbarie ne l'aura pas plus épargné que sa malheureuse amant !
DOURLINSKI
[N. 15 - Air]
LODOÏSKA
Tournez sur moi votre colère;
que j’en subisse la rigueur.
Il eut long-tems l’aveu d’un père;
il a dû compter sur mon cœur.
Seigneur, que son amour extrême
ne soit point un crime à vos yeux,
hélas ! s’il perd tout ce qu’il aime,
n’est-il point assez malheureux ?
Parlé
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Seigneur, donnez du moins quelque tems.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Sans mon père, seigneur, je ne puis disposer de moi...
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Grands dieux !... Je me meurs.
(Elle s'évanouit; Dourlinski la place dans un fauteuil.)
DOURLINSKI
Dourlinski, Lodoïska, Floreski, Altamoras, Gardes.
FLORESKI
(arrive lentement et ne se meut que lorsqu'il apperoçoit Lodoïska; il court à ses pieds)
Eh quoi ! elle est évanouie ?... Ma chère Lodoïska, ouvre les yeux et reconnais ton malheureux amant.
DOURLINSKI
LODOÏSKA
(dans le delire)
Mon père !... mon... père... Flo... Floreski !
FLORESKI
Me voici... Lodoïska ! Elle ne m'entend point.
LODOÏSKA
(revenant à elle par degrés)
Où suis-je !... Est-ce un songe ? Dourlinski me trompe... Mais, non; je sense à ma douleur, qu'il est trop vrai que je n'ai plus mon père... Que vois-je ?... Ah ! c'est toi, Floreski.
(Elle vole dans ses bras)
Nous somme perdus !
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Tu vois à quel prix il m’offre ta liberté.
FLORESKI
Pourrais-tu consentir à délivrer ton amant d’une captivité qui lui devient chère, puisqu’il la partage avec toi ?
[N. 16 - Quatuor]
Quoi ! t’unir à ce barbare ?
Cet hymen ferait horreur.
LODOÏSKA
Que plutôt, je le déclare,
son bras me perce le cœur !
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Quelle audace ! Vengez-vous.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Suivez donc votre courroux.
Ensemble
LODOÏSKA, FLORESKI
Oui, jurons de mourir ensemble,
les victimes de sa fureur;
et que l’instant qui nous rassemble
soit un supplice pour son cœur.
DOURLINSKI
ALTAMORAS
Oui, contre tous les deux ensemble,
livrez-vous à votre fureur;
(à part)
dan se instant qui les rassemble,
tout doit augmenter sa fureur.
ALTAMORAS
Qu’ordonnez-vous ?
DOURLINSKI
FLORESKI
Lodoïska !...
LODOÏSKA
Ô mon ami !
ALTAMORAS
Audacieux !
FLORESKI
Tyrans barbare !
DOURLINSKI
LODOÏSKA
Ah ! je frémis !
(On entend plusieurs sons de trompette.)
Dourlinski, Lodoïska, Floreski, Altamoras, Gardes, Un soldat.
(On entend des coups de canons.)
Parlé
LE SOLDAT
Seigneur, le château est attaqué de toutes les côtés, il faut voler à sa défense; la feu s’est déjà communiqué... Un instant peut tout embraser.
DOURLINSKI
Floreski, Gardes.
FLORESKI
Grands dieux !... où est Lodoïska ?... Traîtres, laissez-moi sortir... Hélas ! ils sont cruels ainsi que leur maître.
(Ici commence la symphonie guerrière, qui s'interrompt de tems en tems; le bruit du canon augmente, et les coups sont plus précipités.)
Mais que signifie cette alarme ?... Je suis désarmé !... Que faire ?... Affreuse situation !... Ô ciel !... Quelle clameur aux portes de cette galerie !...
(Le portes de la galerie sont renversées; on apperçoit une horde de Tartares; Titzikan est à leur tête. Les gardes polonaises se sauvent.)
Floreski, Titzikan.
TITZIKAN
Eh quoi ! brave jeune homme ! c’est toi que je retrouve ici.
FLORESKI
(se jette dans les bras de Titzikan)
Généreux Titzikan, le ciel t’envoie vers moi... Lodoïska !... Une femme !... La plus belle des femmes !... Dans une tour... Elle va y être consumé... Vole à sa défense... Arme mon bras... Laisse-moi la sauver, ou me précipiter avec elle dans les flammes.
(Titzikan prend un sabre des mains d'un Tartare et le donne à Floreski.)
TITZIKAN
Nous la sauverons, ami; la valeur est notre partage... Marchons.
(La symphonie guerrière dure tout le tems de l’attaque et ne s'interrompt plus jusqu'à la finale.)
Le fond de la galerie écroule et laisse voir à découvert le reste des fortifications, différentes tours, des ponts qui y communiquent; le tout paraît au feu; l'incendie fait un très-grand ravage; à l'instant le thèâtre est rempli de combattans, Tartares contre Polonais; sur des remparts on voit aussi d'autres combattans Polonais qui repoussent les Tartares; ce momens doit être le plus vif du combat; l'incendie aussi doit augmenter; au milieu de ce désordre, le feu se communique à la tour où est enfermée Lodoïska; une partie de cette tour creule; Lodoïska au milieu des flammes est prête à en devenir la victime, lorsque Floreski, au sommet de la forteresse, traverse un pont que communique à la prison de sa maîtresse; il vole auprès d'elle, la saisit et veut repasser avec elle par le même pont sur lequel il est venu; mais à l'instant le feu coupe le pont et le deux amans tombent dans le bras des Tartares: Varbel qui étoit également enfermé dans une tourelle, saute sur le thèâtre par la brèche que l'incendie y a faite, et vole au secours de son maître: Titzikan et quelques Tartares portent Lodoïska évanouie au bord de l'avant-scène, et Varbel apporte aussi dans ses bras Floreski sur l'autre côté de l'avant-scène. Dourlinski furieux, sort de la mêlée un poignard à la main, et vient pour en frappé Floreski; Titzikan s'en apperçoit, quitte Lodoïska, traverse le thèâtre et vien arracher le poignard des mains du tyran, tandis que Varbel, un genouil en terre, pare du bras le coup prêt à être porté par Dourlinski; des Tartares se jettent sur Dourlinski et Altamoras et les enchaínent. L'incendie augment toujours.
(Au moment où Titzikan arrache le poignard des mains du tyran, la finale commence.)
[N.17 - Final]
TITZIKAN
Tyran, au nombre de tes crimes,
tu ne joindras pas ce forfaits.
DOURLINSKI
FLORESKI
(courant à Lodoïska)
Mon amie, ouvre la paupière,
il n’est plus des danger pour toi.
LODOÏSKA
(revenant à elle même)
Je revois encor la lumière.
(regardant autour d'elle)
Ciel ! des brigands autour de moi !
FLORESKI
(montrant Titzikan)
Rassure-toi, daigne m’entendre,
rends grâce à l’ami généreux...
TITZIKAN
Content d’avoir pu vous défendre
en vous vengeant d’un malheureux
DOURLINSKI
TITZIKAN
Tu voudrais donc souiller ma gloire ?...
aux méchant,va... Sers de leçon...
quand on étouffe dans son âme
tout sentiment d’humanité;
le prix d’une odieuse trame,
c’est l’affreuse captivité.
(à Floreski)
Jeune homme, que l’amour t’unisse
au digne objet de ton ardeur...
et voilà ton premier supplice !
FLORESKI
Ami, je te dois mon bonheur !
Lodoïska !...
LODOÏSKA
Ah ! je respire !
TITZIKAN
Mes chers enfans !
FLORESKI
Quels doux moments !
LODOÏSKA
Je suis à toi...
TITZIKAN
Je les admire.
Époux soyez toujours amants !
(aux Tartares)
Votre fureur est légitime...
engloutissez ces lieux affreux !
ce spectacle sied à son crime,
vous pouvez l’offrir à ses yeux !
CHŒUR DES TARTARES
Notre fureur est légitime,
engloutissons ces lieux affreux !
ce spectacle sied à son crime,
nous pouvons l’offrir à ses yeux !
CHŒUR DES POLONAIS
Dans le fureur qui les anime,
quel spectacle on offre à nos yeux;
ciel ! falloit-il servir son crime
pour partager ce sort affreux !
Sur le mot ciel ! la mine fait sauter le reste de la forteresse. Les Polonais mettent tous le genouil à terre, et les Tartares font avec leurs armes le signe de la victoire.
Fin du livret.
Generazione pagina: 13/02/2016
Pagina: ridotto, rid
Versione H: 3.00.40
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