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Lodoïska

LODOÏSKA

Comédie heroïque, mêlée de chant.

Version synthétique édité par www.operalib.eu.

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Livret de Claude-François FILLETTE-LORAUX.
Musique de Luigi CHERUBINI.

Première représentation : 18 juillet 1791, Paris.


Personnages:

LODOÏSKA

soprano

LYSINKA sa nourrice

soprano

FLORESKI

ténor

DOURLINSKI châtelain de Pologne

baryton

TITZIKAN chef des Tartares

ténor

VARBEL serviteur de Floreski

baryton

ALTAMORAS confident de Dourlinski

basse

LE PREMIER ÉMISSAIRE

basse

LE SECOND ÉMISSAIRE

basse

LE TROISIÈME ÉMISSAIRE

basse


Gardes, Tartares, Gens du château.

En Pologne, sur les confins de la Russie, dans la forêt d'Ostropol, et au château de Dourlinski.

Acte premier

[Ouverture]

Le thèâtre représente une forêt. On voit au fond un château antique, en avant une tour très-élevée et très-saillante, des fossés, un pont-levis; on apperçoit au haut de la tour une lucarne défendue par une petite grille de fer: la scène, à droite et à gauche, est occupée par des arbres et des rochers.

Scène première

Il fait encore nuit.
Titzikan, Tartares

(Ils avancent mystériusement pour prendre connaissance du site.)

[N. 1 - Introduction]

TITZIKAN

Approchez sans défiance,

tout est calme en ce séjour.

Concertons notre vengeance,

visitons chaque détour.

CHŒUR

Concertons notre vengeance,

visitons chaque détour.

UN TARTARE

Tu connais notre courage !

TITZIKAN

Comme tu connais mon cœur.

UN AUTRE TARTARE

Quel sera notre partage ?

TITZIKAN

C’est la palme du vainqueur !

Ensemble

TITZIKAN

Votre chef est intrépide,

secondez bien ses desseins;

chers amis, quand je vous guide,

la victoire est dans nos mains.

TARTARES

Notre chef est intrépide,

secondons bien ses desseins;

Titzikan est notre guide,

la victoire est dans nos mains.

Parlé

TITZIKAN

(aux Tartares)

Vous voyez, mes amis, le château du Baron de Dourlinski... Cet homme, né féroce, fut de tout tems inutile à sa patrie; mais, vous le savez, funeste à nos contrées !... L’instant de nous en venger ne tardera peut-être point à nous luire; lassez à mon expérience le soin d'en profiter... En attendant, occupez toutes les issues de cette forêt, faites prisonnier tout étranger qui s’y présentera... Sur-tout, respectez les jeurs de ceux que le hasard vous livrera, il ne fat pas que l'innocent soufre pour le coupable, et n’oubliez jamais, braves gens, qu’on ne doit point servir ses intérêts aux dépens de la justice et de l’humanité !... Allez.

(Les Tartares sortent, à l'exception d'un seul qui a la confiance de Titzikan.)

Scène deuxième

Titzikan, Un Tartare.

LE TARTARE

Mais, Titzikan, quel est ton dessein sur ce Dourlinski ?

TITZIKAN

Je n'en sais rien encore.

LE TARTARE

Et tu viens de dire à tous nous Tartares se tenir prêts, sans savoir ce que tu veux entreprendre ?

TITZIKAN

Sans doute... je suis lente à me préparer, prompt à saisir l'occasion, et courageux dans l'action.

LE TARTARE

Mais encore, faudrait-il savoir ?...

TITZIKAN

(avec force)

Je sais que je veux me venger, et c'est assez pour moi.

LE TARTARE

Sais-tu que ce Dourlinski est puissant ?...

TITZIKAN

Sais-tu que Titzikan est brave ?

LE TARTARE

Mais ces tours, ces fossés, ces fortifications sont terribles !

TITZIKAN

Tant mieux; un succès difficile aura pour mois plus de charme.

LE TARTARE

(avec mystère)

Il est un moyen de te venger...

TITZIKAN

Parle; quel est-il ?

LE TARTARE

Tu sais que ce Dourlinski sort de son domaine pour différents incursions... Son escorte, souvent

peu nombreuse, pourrait nous favoriser, et...

TITZIKAN

Triompher d’un traître par la trahison, c'est l'imiter et non pas le vaincre... Souviens-toi que tu conseilles Titzikan.

[N. 2 - Air]

Triomphons avec noblesse !

Devons tout à la valeur;

la ruse est une faiblesse;

elle flétrit le vainqueur.

Si tu m’offres la victoire,

peins-la digne de mon cœur;

Titzikan chérit la gloire,

mais offerte par l’honneur !

(Ici le thèâtre s'éclaire par degrés.)

Parlé

TITZIKAN

Le soleil se lève; retirons-nous... Mais, qu’aperçois-je ?... Deux étrangers viennent à nous; ils sont à pied... Ils portent l’habit polonais... Comment ont-ils pu échapper à la vigilance de nos Tartares ?... Viens, ami, écartons-nous, et séchons quel est leur dessein.

(Ils se cachent.)

Scène troisième

Floreski, Varbel (portant une petite valise).

VARBEL

Fort bien, seigneur, continuez... Vous faites des merveilles ! Les Tartares nous ont pris nos chevaux, et nous voici à pied au bout de la forêt d’Ostropol ?

FLORESKI

Ils nous ont surpris.

VARBEL

Sans la nuit qui a favorisé notre fuite, nous eussions bien pu accompagner nos montures ?

FLORESKI

Que faire ?

VARBEL

Ma foi, ce qu’il vous plaira... Quant à moi... je ne bouge d'ici jusqu'au soir... J’ai une faim du diable et ce tronc d’arbre va me servir de table.

FLORESKI

Et.. si d'autres Tartares viennent encore nous troubler ?

VARBEL

Eh bien, j'en serai enchanté !... Nous aurons le plaisir d'être vendus à l'encan par des corsaires... Mais ce qui me consolera, c'est que vous l'auriez bien merité.

FLORESKI

Tu grondes sans cesse... Pourquoi m’as-tu suivi ?

VARBEL

Pourquoi ? Pourquoi ?... Parce que mon faible cœur l’emporte sur ma colère, et qu'en dépit du sens commun, je veux partager votre infortune pour vous sauver la moitié de vos peines.

FLORESKI

Généreux Varbel ! Par-tout je te retrouve... Crois que ma reconnaissance...

VARBEL

(avec impatience)

Oh ! vous ne m'en devez pas... C'est bien malgré moi, si dans cette occasion mon attachement l'emporte.

FLORESKI

Mon cher Varbel, appaise-toi.

[N. 3 - Aria]

VARBEL

Voyez la belle besogne,

vraiment j’en rougis pour vous;

courir toute la Pologne,

on nous prendrait pour deux fous !

Vous cherchez une maîtresse,

que vous ne trouverez pas;

moi, j’ai la sotte faiblesse

de m’égarer sur vos pas !

Par-tout dans nos déroute,

nous demandons tous les jours:

"Si l’on a vu sur la route

l’objet de vos chers amours."

On répond avec surprise:

"Quel est donc ce bijou-là ?"

Nous disons avec franchise:

"La belle Lodoïska !"

On rit de notre sottise,

et puis l’on nous plante-là...

Courtiser femme jolie !...

c’est un plaisir de saison;

on peut aimer dans la vie,

et conserver sa raison.

Mais, mais,... courir la Pologne,

vraiment j’en rougis pour vous

etc.

Parlé

FLORESKI

Que pouvais-je faire ?

VARBEL

Rester tranquille à Varsovie, et ne pas aller vous gendarmer à la diète contre l'avis du père de Lodoïska.

FLORESKI

Que me dis-tu ? Obligé par la mort de mon père de remplir sa place à la diète, je devois lui succéder avec honneur... Il s'agissoit des droits du peuple; je les ai déffendus et les défendrai jusqu'à la mort.

VARBEL

Soit: mais vous deviez bien vous attendre à ce que le père de votre belle vous retirerait sa parole et sa fille.

FLORESKI

Était-ce une raison pour se séparer d’elle, et cacher à l’univers le lieu de sa retraite ?

VARBEL

Ah, c’est qu’il vous connaissait bien !

FLORESKI

Toujours; je l’avais trouvé sévère, mais du moins, juste et bienfaisant.

VARBEL

Ajoutez, entêté,... mais n’en disons point de mal, puisqu’il est mort.

FLORESKI

Et malheureusement avec son secret.

VARBEL

(avec impatience)

Ce secret peut-il toujours en être un ? N’était-il pas plus naturel d’attendre à Varsavie, que Lodoïska informée de la mort du prince Altanno son père, y vint réclamer tous ses droits et les soins maternel ?

FLORESKI

Mon ami, encore quelques recherches, et je cèdes à tes vœux.

VARBEL

(avec la plus grande impatience)

Mais imaginez-vous qu'on ait choisi les grands chemins pour sa prison ?... Dieu-merci, nous n'en sortons pas... Nous avons l'air de deux insensés qui menons notre folie à travers les forêts... Mais graces au ciel, nous allons changer notre manière, les Tartares y ont mis bon ordre, et comme deux pélerins, nous nous en retournons à pied.

(Ici Titzikan et les Tartares paraisent.)

FLORESKI

Varbel, voici des Tartares;... il nous observent.

VARBEL

(avec une impatience ironique)

Ah ! à la bonne heure ! Voilà ce que j’attendais. Ils vont nous rassurer... ou... nous le rosserons.

Scène quatrième

Floreski, Varbel, Titzikan, Un Tartare.

[N. 4 - Quatuor]

TITZIKAN

Étrangers, n’ayez point d’alarmes,

nous ne sommes point inhumains;...

mais il faut remettre vos armes,

à l’instant même entre nos mains.

FLORESKI

D’où te vient donc autant d’audace ?

Penserais-tu m’épouvanter ?

Crois-tu qu’en vain l’on me menace ?

Cesse, cesse de le tenter !

TITZIKAN

Crois-moi, cède sans résistance.

FLORESKI

Renonce à ce frivole espoir !

TITZIKAN

Jeune homme, un peu plus de prudence...

FLORESKI

Je redoute peu ton pouvoir.

UN TARTARE

Il faut, il faut nous satisfaire,

vous comptez vous soustraire en vain...

VARBEL

Je vois bien que dans cette affaire

le combattre est le plus certain.

FLORESKI

Éloignez-vous...

TITZIKAN

Vaine espérance...

Obéissez...

FLORESKI

Quelle insolence.

TITZIKAN, UN TARTARE, FLORESKI, VARBEL

C’est aussi trop d’indulgence...

Je me livre à mon transport,

contre mon impatience,

n’opposez aucun effort.

(Le combat s'engage; Varbel se bat avec le Tartare qu'il poursuit jusques hors du thèâtre. Titzikan reste au prises avec Floreski.)

Scène cinquième

Floreski, Titzikan.

(Floreski, après quelques instans de combat, désarme Titzikan, et lui tiens la point au cœur.)

Parlé

TITZIKAN

Un brave homme, tel que toi, doit être généreux... Je te demande la vie... J’aurais épargné la tienne;... je ne voulais que te désarmer...

Scène sixième

Floreski, Titzikan, Varbel.

VARBEL

(accourrant l'épée à la main)

Gardez-vous, seigneur, d’écouter un sentiment de pitié... C’est sans doute un piège qu'il vous tend, pour reprendre sur vous l'avantage...

FLORESKI

(rendant la libetrté ò Titzikan)

Je compte sur ta foi.

TITZIKAN

Tu fais bien, jeune homme; ton bienfait est déjà gravé dans mon cœur.

(Ici l'on entend le bruit d'une horde de Tartares, accourant pour venger Titzikan.)

VARBEL

Je vous l’avais dit, mon maître, que la pitié nous ferait retomber au pouvoir de ces brigands.

TITZIKAN

Quand on a montré ton courage, on compte ordinairement sur la foi d'autrui... Je suis le chef de cette horde... Tous ces Tartares me sont soumis...

(Les Tartares viennent avec violence, le sabre à la main: Titzikan s'oppose à leurs desseins.)

TITZIKAN

Arrêtez !... Arrêtez !... Respectez ces étrangers, je les prends sous ma garde; partagez avec moi la reconnaissance que je leur dois...

(à Floreski)

J'etais ton ennemi; de plus, je suis Tartare, mais un cœur généreux peut naître en tous les climats... En t'attaquant, j'ai fait mon métier;... tu as fait ton devoir en te défendant bien... Tu m'as laissé la vie... je sauve la tienne... je t’admire... estime-moi... embrassons-nous.

FLORESKI

De tout mon cœur.

TITZIKAN

Quel est ton nom ?

FLORESKI

Je suis le comte Floreski.

TITZIKAN

(à Varbel)

Et toi ?

VARBEL

Varbel, le compagnon fidèle d'un maître malheureux.

TITZIKAN

(à Floreski)

Que dit-il ?... Tu es malheureux... Que puis-je pour toi ?... Parle... Ouvre moi ton cœur... Mon ami, ma fortune peut-elle réparer...

FLORESKI

Je te remercie.

TITZIKAN

Accepte... je t'en prie, sois généreux une seconde fois !...

FLORESKI

Homme admirable !... si ce n'était que le besoin d'or qui tourmentât mon cœur, je me ferais un devoir d'accepter tes secours;... mais une douleur cruelle !...

TITZIKAN

Que puis-je l'adoucir ?

FLORESKI

Rien, mon ami.

TITZIKAN

En ce cas, ne m'en parle point; ne pouvant le soulager, ma curiosité ne te serait qu'importune... Adieu; je vais vous quitter...

(aux Tartares)

Compagnons, que les noms de Floreski et de Varbel

soient aujourd’hui les mots de l’ordre sut toute la côte.

[N. 5 - Trio et chœur]

TITZIKAN

Jurons, quoiqu’il faille entreprendre,

amis, de nous joindre à leur sort;

oui, s’il le faut pour les défendre,

nous combattrons jusqu’à la mort.

FLORESKI

J’accepte avec reconnaissance

le digne présent de ton cœur;

oui ! par cette heureuse alliance,

je soulagerai ma douleur !

TITZIKAN

Non, non, point de reconnaissance;

je n’ai besoin que de ton cœur;

puisse cette heureuse alliance

soulager au moins ta douleur !

VARBEL

Il ne veut pour sa récompense

que le présent de votre cœur !

oui, par cette heureuse alliance

il calmera votre douleur !

Ensemble

TITZIKAN, CHŒUR

Jurons, quoiqu’il faille entreprendre,

amis, de nous joindre à leur sort.

Oui, s’il le faut pour les défendre

nous combattrons jusqu’à la mort.

FLORESKI, VARBEL

Ils jurent de tout entreprendre,

et de s’unir à notre sort.

Oui, s’il le faut pour nos défendre

ils combattront jusqu’à la mort.

Parlé

TITZIKAN

En te quittant, Floreski, Je veux encore emporter ton estime... Garde toi de croire qu'un intérêt sordide attire Titzikan dans cette forêt... Le baron de Dourlinski dont tu vois ici le château...

FLORESKI

Dourlinski, dis-tu ?... Ce nom m'est connu.

TITZIKAN

Puisse-tu ne jamais connaître que son nom... C'est un scélérat, l'horreur de cette contrée, l'oppresseur de tous ceux qui l'environnent, et qui gémissent sous le poids de sa tyrannie... Chacun de ceux qu'il appelle ses vassaux, respire en secret la vengeance, n'attend qu'un chef intrépide pour secouer le joug dont ce monstre l'accable... J'ai tenté ce grand ouvrage: Titzikan veut être le mortel leureux qui va rendre à la liberté des hommes dont la vertu n'est qu'assoupie; je leur ouvrirai le chemin de la gloire, et le réveil de leur courage m'est un sur garant de la victoire; ils combattront pour eux, pour leurs droits, pour la liberté enfin !... et le tyran disparoitra du monde, en acquittant, par son trépas, les crimes dont il aura souillé son odieuse vie. Je n'attends que l'instant favorable, et dans la crainte d'une surprise, j'avais ordonné qu'on désarmât tous ceux qui aborderaient ici... Tu vois ma confiance... Vous n'ête point faits, l'un et l'autre, pour en abuser. Adieu, braves amis !... Je vais moi-même veiller à votre sureté.

(à Floreski)

Donne moi la main, je sens-là que je t'aime pour la vie !

(à Varbel)

Toi, je t'estime... Tu es courageux... Tu aimes bien ton maître... Vous vous méritez tous deux... Adieu... Pensez, quelque-fois, à Titzikan... Tâchez d'avoir besoin de lui, et vous verrez comme il vous servira !...

(aux Tartares)

Marchons.

(Il sort avec sa horde.)

Scène septième

Floreski, Varbel.

FLORESKI

Quel étonnant langage !

VARBEL

Ma foi, seigneur, je n’en reviens pas; être tout ensemble Tartare, honnête homme, sensible, franc

et généreux... Ce n’est qu’en voyageant beaucoup qu’on peut rencontrer un tel prodige.

FLORESKI

Ce château, dit-il, appartient au baron de Dourlinski, si la mémoire ne me trompe. Il était lié avec le père de Lodoïska.

VARBEL

Cela est vrai. Mais que nous importe... C'est assez nous arrêter, si vous m'en croyez; mangeons vîte un morceau et plions bagage.

FLORESKI

J'y consens.

VARBEL

Venez, mon cher maître, voici près de cette tour un banc qui nous sera très-commode. (Ils s'asseyent.) Avez-vous de l’appétit ?

FLORESKI

Nullement.

VARBEL

Moi, beaucoup,... sur-tout depuis cette petite quarrée que nous venons de faire... J’ai une faim,... comme vous voyez. Quant à vous, qui vivez d'amour, ça fait une superbe nourriture.

[N. 6 - Polonaise]

Souvent près d’une belle

j’osais parler d’amour;

je brûlais fort pour elle

sans jeûner un sol jour.

Sûr qu’en fait de tendresse

il n’est qu’un bon moyen:

c’est de prouver sans cesse

que l’on se porte bien.

Faites comme moi, et vous vous en trouverez mieux.

FLORESKI

Perdre ma belle ?

plutôt le jour,

je vis pour elle

et meurs d’amour.

Espoir, tendresse

sont mes soutiens;

amour, maîtresse

sont tous mes biens.

VARBEL

Ma foi, j'aime à varier mes plaisirs, moi; je ne suis jamais amoreux quand je suis à jeun; mais à présent...

Ensemble

VARBEL

Qu’un tendrons à ma guise

vienne m’offrir son cœur,

je pourrai sans remise

lui prouver mon ardeur.

De l’amour à la table

le plaisir me conduit;

et sans être coupable,

je change d’appétit.

FLORESKI

Qu’amour me conduise

un tendre cœur;

il lui déguise

tout son malheur.

Tromper aimable

quand il sourit;

il nous accable,

blesse et s’en rit.

Parlé

FLORESKI

Notre événement avec ces Tartares est singulier.

VARBEL

(mangeant)

Oh ! ce n'est peut-être pas le dernier... Grace à vos promesses... Nous sommes, vous et moi, dans le train des grandes aventures.

(On jette une pierre de la tour.)

Bon.. en voici une d'une espéce à nous casser la tête... Passons, s'il vous plait, sur l'autre banc...

(Ils traversent et s'asseyent.)

FLORESKI

Une pierre se sera détachée de la tour...

VARBEL

Parbleu ! cela se voit... Mais ici nous éviterons les fâcheux effets de la décadence de cette antique forteresse.

(Il tombe une seconde pierre.)

Encore ?

FLORESKI

Ce hasard, en apparence, ne cacherait-il pas quelque mystère ?...

VARBEL

Toujours le même ! Cherchant des motifs extraordinaires à des choses toute simples... Voulez-vous que je vous dise quel mystère cela cache ?... C'est... que si nous ne décampons au plus vîte, nous courons les risques de porter la tour sur nos épaules.

FLORESKI

(regardant à terre la première pierre)

Que voi-je ?... Des caracters !

(Il ramasse la pierre.)

Ô ciel ! Varbel;... regarde ces mots tracés... Est-ce vous, Floreski ?... Grand dieu ! qui peut nous connaître en ces lieux... Vois, mon ami, ramasse l'autre promptement...

VARBEL

(allant chercher la seconde pierre)

Ceci commence aussi à m'étonner.

FLORESKI

Eh bien !... donnez donc.

VARBEL

La voilà.

FLORESKI

(lisant)

C'est toi... je te reconnais... Délivre la malheureuse Lodoïska; mais sois prudent ! Ah ! Varbel ! elle est enfermée dans cette horrible tour... Lodoïska !... ma digne amie !... je te sauverai... ou je périrai avec toi... Varbel, où est Titzikan ?... J'ai besoin des ses secours... Inutile espérance, il est ben loin... Varbel, aide-moi de tes conseils... Je ne suis plus à moi.

VARBEL

Si vous ne rappellez votre raison... je ne vous donne aucun avis.

FLORESKI

(toujours agité)

Eh bien, mon ami, tu vois... je suis calme... je m'abandonne à toi... dépêche-toi... le tems presse... prends pitié de moi... je te devrai plus que la vie... tu vois que j'attends... Eh bien, quel moyen as-tu trouvé ?...

VARBEL

Donnez-vous donc patience...

FLORESKI

(avec emportement)

Mon ami, j'en ai... Mais, au nom de tout ce qui m'est cher, ne me fais pas languir...

VARBEL

Il nous foudrait être en forces.

FLORESKI

Oui; mais nous n'y sommes pas,... ainsi...

VARBEL

Allons à Varsovie: nour reviendrons, avec vos amis, forcer le maître de ce château de nous la rendre.

FLORESKI

Non, non: pendant ce tems elle deviendrait la victime de ce barbare... Je t’en prie, un autre moyen

que nous puissions employer là tout de suite.

VARBEL

Ma foi, je ne vois aucun.

Scène huitième

Floreski, Varbel, Lodoïska (dans la tour).

[N. 7 - Final]

LODOÏSKA

Floreski ! Floreski !...

FLORESKI

Je l'entends... Elle appelle...

VARBEL

Paix ! paix ! Faites silence. Écoutons bien tous deux.

LODOÏSKA

Prends garde à toi; fuis ce séjour affreux !

Fuis d’un tyran la colère cruelle !

FLORESKI

Non; ne l’espère pas, l’amant le plus fidèle,

veut te ravir à ces funestes lieux !

VARBEL

Entendez-vous l’avis qu’elle vous donne ?

FLORESKI

(à Lodoïska)

Non, non, jamais; en vain elle l’ordonne;

je ne puis plus quitter ces lieux sans toi.

LODOÏSKA

Cruel ! tu me glace d’effroi;

tu te perdras sans sauver ton amie !

VARBEL

Vous voulez exposer sa vie.

FLORESKI

(à Lodoïska)

Je n’écoute que mon transport;

tu peux compter sur mon courage.

LODOÏSKA

Tu vas tomber dans l’esclavage,

sans pouvoir adoucir mon sort.

VARBEL

Elle a raison, soyez plus sage;

vous tenteriez un vain effort.

LODOÏSKA

Mon ami...

FLORESKI

Je t'entends.

VARBEL

Paix ! paix ! faites silence.

LODOÏSKA

À minuit...

FLORESKI

À minuit ?

VARBEL

À minuit !... écoutons.

LODOÏSKA

Tu pourras...

FLORESKI

Je pourrai ?...

VARBEL

Chut, chut ! de la prudence !

LODOÏSKA

M’apporter...

FLORESKI

Te porter ?...

VARBEL

Lui porter !... observons.

LODOÏSKA

Un billet...

FLORESKI

Un billet ?

VARBEL

Un billet !... comment faire ?

LODOÏSKA

Du sommet...

FLORESKI

Du sommet...

VARBEL

Du sommet !... Un moment !

LODOÏSKA

De la tour...

FLORESKI

De la tour ?...

VARBEL

De la tour !... bonne affaire !

LODOÏSKA

Un ruban...

FLORESKI

Un ruban ?...

VARBEL

Un ruban !... c’est charmant !

LODOÏSKA

Que le ciel...

FLORESKI

Que le ciel ?

VARBEL

Que le ciel !... j’imagine.

LODOÏSKA

Me laissa...

FLORESKI

Te laissa ?...

VARBEL

Lui laissa !... bon moyen.

LODOÏSKA

Me rendra...

FLORESKI

Te rendra ?...

VARBEL

Lui rendra !... je devine.

LODOÏSKA

Cette lettre...

FLORESKI

Ah ! Varbel...

VARBEL

Oui, je comprend fort bien.

Ensemble

LODOÏSKA

Sois prudent, je t’en conjure

au nom du plus tendre amour !

Cache une telle aventure

aux tyrans de ce séjour !

FLORESKI

Calme-toi, je t’en conjure

au nom du plus tendre amour !

Mon cœur dans cette aventure

présage un plus heureux jour !

VARBEL

Croyez-la, je vous conjure,

méfiez-vous en ce jour !

Un témoin de l’aventure,

peut vous perdre sans retour !

(Lodoïska se retire)

Scène neuvième

Floreski, Varbel.

FLORESKI

Eh ! bien: qu’allons nous entreprendre ?

VARBEL

Il faudrait suivre son conseil;

demain au lever du soleil

à Varsovie il faut nous rendre.

FLORESKI

Pour ce projet as-tu compté sur moi ?

non, non, Varbel, détrompe-toi.

VARBEL

(après un moment)

Il me vient une idée... Attendez mon cher maître.

Non... c’est trop dangereux !... cela n’irait pas bien.

FLORESKI

Oh ! cela te paraît trop périlleux, peut-être ?

Tu verras, mon ami, que ce n'est presque rien.

VARBEL

Cela vous plaît à dire ?... au risque de la vie !...

Eh, qu’importe au surplus... je vous la sacrifie.

(Il réve et sourit.)

FLORESKI

Tu ris ?... Je vois que ce projet

est bien conçu, puis qu’il te plaît.

VARBEL

(vivement)

Il faut par un moyen unique,

pénétrer jusqu’à ce château !

FLORESKI

(avec enthousiasme)

Oui, ce transport est vraiment beau,

et ton projet est magnifique.

VARBEL

Le tyran ne sait point, encor,

qu’elle vient de perdre son père;

vous allez passer pour son frère,

et nous demanderons de la part de sa mère

votre Lodoïska.

FLORESKI

Ah ! tu vaux un tresor !

Allons, il faut nos introduire.

Sonne en toute sécurité.

FLORESKI, VARBEL

Exécutons ce projet concerté.

(Varbel donne du cor près du pont-le-vis; un moment après, un trompette paraìt sur le rempart; Floreski lui ordonne de sonner à son tour, ce qu'il exécute sur le champ et se retire.)

Scène dixième

Floreski, Varbel, Altamoras, Chœur, Soldats.

(On basse le pont.)

ALTAMORAS

(s'arrêtant sur le pont)

Étrangers, pourrait-on s’instruire,

que demandez-vous en ces lieux ?

FLORESKI

Au maître du château tous deux

nous vous prions de nous conduire.

ALTAMORAS

Peut-on savoir votre projet ?

FLORESKI

Oui; devant lui, s’il le permet.

ALTAMORAS

Il faut nous remettre vos armes.

FLORESKI

C’est prendre enfin trop de souci;

c’est passer trop loin vos alarmes.

(Floreski et Varbel remettent leurs épées.)

ALTAMORAS

C’est l’usage en entrant ici;

suivez-moi, mais prenez garde !

Craignez l'aspect de ces lieux,

c'est en vain que l'on hazarde

un projet audacieux !

CHŒUR

Suivez-nous, mais prenez garde.

Craignez l'aspect de ces lieux,

c'est en vain que l'on hazarde

un projet audacieux !

Ensemble

FLORESKI

Marchons, mais soyons en garde;

pénétrons jusqu’en ces lieux....

Pour l’amour je le hasarde

ce projet si périlleux !

VARBEL

Marchons, mais soyons en garde;

pénétrons jusqu’en ces lieux....

Pour vous seul je le hasarde

ce projet si périlleux !

(Floreski et Varbel montent au château au milieu des soldats.)

Acte deuxième

Le thèâtre représente une galerie antique, très-profonde, extraimement riche d'architecture, ornée de bas-reliefs et attributs militaires, deux portes en arcades à droite et à gauche; l'une (à gauche) conduisant à la salle des gardes, et l'autre (à droite) menant à la fortesse; dans le milieu de la galerie, est une statue équestre, dont le sujet et le figures annoncent la tyrannie du maître. Une table et un fauteuil sont au bord de l'avant-scène.

Scène première

Lodoïska, Lysinka, Altamoras, Gardes.

Parlé

LODOÏSKA

Quel nouveau crime médite ton maître et le détermine de nous tirer à l’horrible séjour où nous

sommes confinées ?

ALTAMORAS

Il ne m’appartient pas de pénétrer ses desseins; il m’a ordonné de vous conduire ici... c’est tout ce que je puis vous dire.

LYSINKA

Ministre perfide d’un tyran cruel ! peux-tu partager sa barbarie ?

ALTAMORAS

Il commande... j’obéis.

LYSINKA

Eh ! quoi, le sort d'une infortunée ne paut ?...

ALTAMORAS

Mon devoir...

LYSINKA

Oses-tu appeller un devoir l'odieux emploi de persécuter une femme intéréssante et malhereuse ?

ALTAMORAS

Vous pouvez mettre un terme à ses malheurs, et je puis de moins vons donner ce conseil... engagez madame à profiter d'un dernier instant de clémence, à ce prix vos prisons vont s'ouvrir, et le bonheur renaïtra pour toutes deux.

LODOÏSKA

C'en est assez, l'image du bonheur que tu a ici l'audace de m'offrir, révolte tous mes sens !... n'insulte pas plus longtems à ma douleur... sors et lasse nous.

Scène deuxième

Lodoïska, Lysinka, Gardes.

LYSINKA

Vous voyez comme on nous traite ! Ne dissimulerez-vous jamais avec vos tyrans ?

LODOÏSKA

Ah ! que ne puis-je accroître leur rigueur. Je chéris d'ajourd'hui notre prison ! J’ai vu, j’ai entendu Floreski !... Ma chère Lysinka, je ne suis plus malheureuse !

LYSINKA

Dequoi nous servira cette faible espérance ? Il a causé votre malheur et ne pourra le réparer.

LODOÏSKA

Ne l'accuse point, il a fait son devoir, je l'en estime d'avantage !... Il devait sa voix à son prince.

LYSINKA

Votre père peut-il être assez cruel !

LODOÏSKA

Il est loin sans doute de prévoir l'abus qu'on fait ici de sa confiance.

LYSINKA

Eh ! quoi, point de nouvelles de Varsovie ? que je plains votre mère !

LODOÏSKA

Ah ! ma bonne, combien elle doit souffrir !

LYSINKA

Qu'allons-nous devenir ?

LODOÏSKA

Rassure-toi. Mon cher Floreski a entendu la voix de Lodoïska, et le ciel qui protège l'innocence, l'a sans doute envoyé pour nou sauver.

[N. 8 - Récitatif et Air]

(Pendant le récitatif et l'air suivant, Lysinka s'assied et s'appuye sur la table.)

Que dis-je, ô ciel ! si, contre mon attente,

il voulait s’introduire en cet affreux séjour,

grand dieu ! il est perdu, si jamais il le tente !

Je connais sa valeur, je connais son amour !

Pourquoi me suis-je fait connaître...

quoi !... ne devais-je pas songer

que j’allais l’exposer aux plus cruels danger...

ah ! malgré mes conseils... il s’armera, peut-être...

mais il était perdu pour moi...

Pouvais-je contenir mon cœur en sa présence ?...

Il fallait garder le silence...

oui ! tout m’en imposait la loi !...

Hélas ! dans ce cruel asile

c’était assez de mon malheur,

du moins une douleur tranquille

y consumait mon triste cœur.

Pour moi seule j’avais à craindre,

et je languissais dans les fers;

j’attendais enfin sans me plaindre

la fin des maux que j’ai soufferts !

Mais pour moi, s’il s’expose,

je mourrai mille fois;

moi seule, je suis la cause

des maux que je prévois.

Floreski ! je m’efforce,

à souffrir leur rigueur;

mais je n’ai pas la force

de causer ton malheur !

Parlé

LYSINKA

Calmez-vous, ma fille... il sera prudent... mais à minuit vous devez recevoir une lettre de lui, et Dourlinski choisit justement ce jour pour vous donner plus de liberté.

LODOÏSKA

Crois-moi, ce n'est pas pour long-tems. Mais s'il voulait aujourd'hui rompre mes fers... rapporte t'en à mon amour, le courroux que je vais lui témoigner, lui en fera bientôt perdre la pensée.

LYSINKA

(avec émotion)

Il s'avance.

Scène troisième

Lodoïska, Lysinka, Dourlinski, Gardes.

DOURLINSKI

Lysinka, sortez et laissez-nous seuls.

LYSINKA

Seigneur, jusqu’à ce moment je ne l’ai point quittée... souffrez...

DOURLINSKI

Sortez, vous dis-je !

(Lysinka se retire.)

Scène quatrième

Lodoïska, Dourlinski, Gardes, ensuite Altamoras.

LODOÏSKA

Vous avez bien toute la faiblesse des tyrans; vous redoutez jusqu’à la présence d’un témoin impuissant ?

DOURLINSKI

Je ne redoute rien... mais je veux vous entretenir seule.

LODOÏSKA

Quels sont votre sinistres projets ?

DOURLINSKI

C'est en vain qu'à mon amour vous opposez votre fierté... j’ai résolu d’obtenir votre main.

LODOÏSKA

Et de quel droit pretens-tu disposer de moi ?

DOURLINSKI

Du droit d’un amant qui vous tient en sa puissance.

LODOÏSKA

Un amant !... Le cruel !... C’est avec des fers que tu veux conquérir un cœur ?

DOURLINSKI

Il n’a tenu qu’à vous de les briser plutôt, je vous ai offert une immense fortune, en moi un époux qui peut encore vous plaire... à ce prix vous pouvez partager tant de faveurs !

LODOÏSKA

Homme sans foi ! Ce sont donc là les soins que tu promis à mon père d’avoir pour sa fille ?... Mais, si mes plaintes n'ont encore pu parvenir jusqu'à lui, il viendra, peut-être un jour, en me rendant toute sa tendresse, m'arracher à cet affreuz séjour.

DOURLINSKI

Cessez de l'espérer... Mon ardeur est égale à mon caractére... J’aime avec fureur, et rien ne me coûtera pour vous posséder... Vos parens, enfin, ne vous reverront jamais, ou ne vous reverront que l'épouse de Dourlinski.

[N. 9 - Duo]

LODOÏSKA

A ces traits je connais ta rage;

ce crime est bien digne de toi.

DOURLINSKI

S’il en est un, c’est votre ouvrage...

non, rien ne changera ma loi.

LODOÏSKA

Ne crois pas vaincre mon courage;

jamais tu n’obtiendras ma foi.

DOURLINSKI

Ce Floreski qui vous engage,

ne l’emportera point sur moi.

LODOÏSKA

Quelle perfidie !...

DOURLINSKI

Inhumaine !

Cédez...

LODOÏSKA

Ton espérance est vaine.

DOURLINSKI

De mon chœur soyez souveraine,

vous embellirez ce séjour;

qu’un doux hymen à vous m’enchaîne,

vous verrez luire un plus beau jour.

LODOÏSKA

Va ! je préfère encore ma chaîne;

oui, je préfère cette tour,

les rigueurs, les tourments, ta haine

aux feux de ton indigne amour.

Ensemble

LODOÏSKA

Ah ! cet excès de violence

est pour toi mon seul sentiment;

s’il faut supporter ta présence,

voilà mon plus cruel tourment.

DOURLINSKI

C’est aussi trop de résistance;

non, non plus de ménagement;

je vous dévoue à ma vengeance

et voilà mon dernier serment.

Parlé

LODOÏSKA

Mon serment est de te vouer une haine implacable, c’est le seul sentiment que tu puisses m’inspirer; pour la dernière fois, tâches de t'en convaincre, et ne t'occupes plus que des maux que tu veux me faire souffrir.

DOURLINSKI

Eh bien, vous serez obéie... Gardes, Altamoras,... conduisez madame dans le lieu le plus secret de la tour, et qu'elle y reste ignorée pour jamais. (aux gardes) si quelqu'un de vous ose indiquer le lieu qui la racèle, il payera de sa vie l'abus qu'il aura fait de ma confiance.

LODOÏSKA

Barbare !... Je ne vous verrai plus, ô mon père !... ô mon cher Floreski !

Scène cinquième

Lodoïska, Dourlinski, Altamoras, Lysinka, Chœur, Gardes.

LODOÏSKA

(courant à Lysinka)

Viens, ma bonne, pardonne à ta fille les maux qu’elle te fait partager... Viens passer avec moi des jours dans le douleur !

DOURLINSKI

Non, votre nourrice ne vous suivra pas !

[N. 10 - Septuor et Chœur]

Non, non, perdez cette espérance;

c’est sur vous seule désormais

que tombe toute ma vengeance;

vous ne la reverrez jamais.

LODOÏSKA

Je bénis le ciel, ô ma bonne !

puisqu’il brise aujourd’hui les fers.

LYSINKA

Quoi, moi ? que je vous abandonne

à la rigueur de ce pervers !

(Aux gardes.)

Secondez-vous un barbare ?

je veux lui consacrer mes jours.

DOURLINSKI

Obéissez;... qu’on les sépare...

CHŒUR

Laissez-lui ce faible secours !

Ensemble

DOURLINSKI

Vous osez faire résistance ?

insolens ! craignez mon courroux !

ALTAMORAS

Vous osez faire résistance ?

insolens ! craignez son courroux !

CHŒUR

Nous implorons votre clémence...

DOURLINSKI

Obéissez...

LODOÏSKA

Soumettez-vous.

Ensemble

LYSINKA

Non, non, c’est vain qu’on l’espère;

je ne l'abandonnerai pas:

viens; porte plus loin ta colère,

oses l’arracher de mes bras !

LODOÏSKA

Au sein de ma triste misère,

non, je ne me plaindrai pas;

puisqu’en méritant sa colère

j’éloigne de toi le trépas.

DOURLINSKI

Craignez ou servez ma colère,

allez l'arracher de ses bras

ALTAMORAS

Craignez ou servez sa colère,

allez l'arracher de ses bras

CHŒUR

Amis, redoutons sa colère;

allons l’arracher de ses bras.

(On sépare Lodoïska de Lysinka, et on les entraíne.)

Scène sixième

Dourlinski, Gardes.

Parlé

DOURLINSKI

C'est en vain que tu l'espères;... Je n'aurai pas impunément souffert tes cruels dédains;... tu n’appartiendras jamais à ce Floreski, dont tu parle sans cesse... Que ne puis-je le connaître !...

Que n’est-il en ma puissance !... Avec quel plaisir je lui ferais partager le sort que je réserve à son indigne maîtresse !... Mais ce deux étrangers qui ont demandé à m’être présentés que peuvent-ils vouloir ?... Si c’étaient quelques traîtres... Ils me sont suspects, et je veux les interroger sur le champ. Altamoras !...

Scène septième

Dourlinski, Altamoras, Gardes.

ALTAMORAS

Seigneur...

DOURLINSKI

Conduis vers moi ces étrangers... Tu ne sais rien de leur message ?

ALTAMORAS

Non, seigneur: ils ont refusé de s'expliquer, ils attendent le moment de paraître devant vous.

DOURLINSKI

Introduis-les à l'instant.

Scène huitième

Dourlinski, Gardes.

DOURLINSKI

Cette forme mystérieuse me donne des supçons. Oui, ... s'ils ont des desseins,... je saurai les en punir... Mais les voici.

Scène neuvième

Dourlinski, Altamoras, Floreski, Varbel, Gardes.

DOURLINSKI

Qui êtes-vous ?... Approchez !

FLORESKI

(faisant un salut profond)

Ai-je l’honneur de parler au baron de Dourlinski ?

DOURLINSKI

A lui-même.

FLORESKI

(fait un second salut)

Seigneur...

DOURLINSKI

Faites trêve à ces révérences. Que demandez-vous ?

FLORESKI

(à part à Varbel)

Quel homme !

VARBEL

Il est pressant.

DOURLINSKI

Vous auriez dû prendre hors de chez moi le tems de vous concilier...

FLORESKI

Seigneur,... je... ne... prenais... counseil de personne;... mais j'observais à mon frère qu'avec... moin de confiance,... on pourrait être intimidé de votre ton.

DOURLINSKI

(avec humeur)

Épargnez-moi l'ennui de vous y faire et répondez...

VARBEL

(à part)

Voici un amaible seigneur qui nous donnera, je crois, de la besogne.

DOURLINSKI

Enfin, qui êtes-vous ?

FLORESKI

Mon frère et moi appartenions ai prince Altanno... La mort vient de nous enlever notre maître... J'etais le confident de toutes ses pensées, et mon frère, usant près de lui d'un naturel plus gai que moi, souvent amusait ses loisirs.

DOURLINSKI

Belle utilité !

VARBEL

Il est facile de voir que votre seigneurie ne fait grand cas d'un homme jovial !

DOURLINSKI

Nullement !

VARBEL

On ne peut disputer des goûts... Mais feu notre maître pensait différentement.. Il avait quelquefois la bonté de sourire à mes saillies... je ne suis point du tout offensé,... monsieur le baron, si mon petit mérite n'a pas l'honneur de vous être agréable.

DOURLINSKI

Terminons; quel est votre message ?

FLORESKI

Ne puis-je, pour m’expliquer, obtenir la faveur d’un entretien particulier ?

DOURLINSKI

Eh bien, que ton frère se retire. (aux gardes) Vous, sortez. (montrant Altamoras) Quant à celui-ci, tu trouveras bon qu'il demeure, tu peux tout dire devant lui. (à Varbel) Suivez-les.

VARBEL

(bas à son maître, en se retirant)

Pour dieu, soyez prudent !

Scène dixième

Dourlinski, Floreski, Altamoras.

DOURLINSKI

Parle !

FLORESKI

Aux approches de la mort, le prince Altanno déclara à son épouse qu’il vous avait confié sa fille,

Lodoïska, et sa mère m’envoie vers vous pour vous la demander.

DOURLINSKI

(déconcerté)

Tu m'étonnes,... et j'ai peine à concevoir qu'un secret de cette importance ait pu t'être révélé...

FLORESKI

On pourrait donc aussi, seigneur, vous taxer d'imprudence, puisque vous avez près de vous un témoin de notre entretien.

DOURLINSKI

Il suffit... mais pourquoi n’avez-vous point un écrit de la veuve ?

FLORESKI

Elle à pensé,... ainsi... que... moi,... que la confiance qui m'avais été accordé... en cette circonstance... était une ... autorité suffisante...

(se remettant)

D'ailleurs, j'ajouterais, seigneur, pour vous convaincre que je ne dois point vous être suspect, que je sais à n'en pouvoir douter que le comte Floreski fait les plus grandes recherches pour retrouver sa maîtresse, et qu'il a le dessein de la disputer à qui voudra la lui ravir.

DOURLINSKI

(s'emportant)

S’il ose venir ici,... je lui garde une retraite...

ALTAMORAS

Seigneur, contraignez-vous;... son oeil sans cesse vous observe.

DOURLINSKI

Au surplus, je ne pourrais la lui rendre. Retourne à Varsovie; dis à celle qui t’envoie que je suis fâché de n'avoir que de mauvaises nouvelles à lui apprendre;... que Lodoïska n’est plus ici.

FLORESKI

(avec pétulance)

Quoi ? seigneur, Lodoïska ?

DOURLINSKI

N’est plus ici, te dis-je... Quel intérêt si pressant excite cet emportement ?

FLORESKI

(à part)

O ciel ! je me trahis. (haut) Seigneur, l'intérêt que j'y prends n'a rien qui vous doive étonner... J'espérais rendre une fille chérie à sa mère èplorée, et je vous avoue qu'il m'en coûte beaucoup de perdre cet espoir.

DOURLINSKI

Ton message est rempli,... tu peux te retirer.

FLORESKI

(à part)

Le monstre !

(haut)

Seigneur, ne nous ferez-vous point, à mon frère et à moi, la grâce de nous laisser passer ici la nuit ? nous sommes accablés de fatigue; la forêt n'a point des chemins indiqués; demain, à la pointe du jour, nous sortirons.

[N. 11 - Trio]

DOURLINSKI, ALTAMORAS

Malgré moi, ce qu’il propose

m’inquiète et me confond;

son visage se compose,

mais je vois rougir son front.

FLORESKI

Ciel ! ce que je lui propose,

l’inquiète et le confond;

son visage se compose,

mais je vois pâlir son front.

DOURLINSKI

Altamoras, que faut-il faire ?

FLORESKI

Il s’agite et ne répond rien...

ALTAMORAS

Oui, je le crois un téméraire,

si j’en juge par son maintien.

DOURLINSKI

Eh bien, en cette circonstance,

Altamoras, que ferons-nous ?

ALTAMORAS

Il faut agir avec prudence;

dissimulez votre courroux.

FLORESKI

Toujours il garde le silence...

mais... il appaise son courroux...

ALTAMORAS

Il faut, si je ne m’abuse,

les retenir en ces lieux;

je veux employer la ruse,

et le deviner tous deux.

Ensemble

FLORESKI

Dans mon cœur avec adresse

renfermons tout mon courroux;

immolons à ma tendresse

les transports d’un cœur jaloux.

DOURLINSKI

Oui, sur lui veillons sans cesse.

Viens, ami, concertons-nous

un instant, avec adresse,

renfermons tout mon courroux.

ALTAMORAS

Oui, sur lui veillons sans cesse,

un instant contraignez-vous.

Moins de bruit et plus d’adresse,

son secret est tout à nous.

Parlé

DOURLINSKI

(à part à Altamoras)

J’adopte ton projet.

(à Floreski)

Tu peux, avec ton frère, passer ici cette nuit. Vous serez servis en cet endroit: Altamoras, je t’en donne l’ordre.

(Dourlinski et Altamoras se retirent ensemble, mais se séparent au fond du thèâtre. Avant de se quitter, Dourlinski dit un mot à l'oreille d'Altamoras, et ensuite jette un regard composé sur Floreski.)

Scène onzième

Floreski seul.

Tyran ! il est donc vrai que ton coupable dessein est de soustraire l’infortunée Lodoïska à toute ma tendresse ? Mais n’espère pas jouir du fruit de ton audace. Floreski perdra le jour ou la sauvera de tes mains.

[N. 12 - Air]

Rien n’égale sa barbarie,

oui, je frémis de tant d’horreur,

amour, fureur et jalousie,

venez conduire un bras vengeur,

dans mon courroux trop légitime,

je punirai tes attentats;

ne compte plus sur ta victime,

sans la compter par mon trépas.

Scène douzième

Floreski, Varbel.

Parlé

FLORESKI

Viens, mon cher Varbel, j’ai réussi au gré de nos desirs et nous passons ici la nuit.

VARBEL

Vous avez fait, il est vrai, un chef-d’oeuvre, vous avez raison de vous en féliciter, c’est une idée lumineuse, un projet superbe, une invention hardie, qui va nous conduire...

FLORESKI

Au succès de notre entreprise.

VARBEL

Non... dans un cachot.

FLORESKI

Es-tu fou ?

VARBEL

Pas plus que sourd... et vous en allez juger... Lorsque l’infernal baron vous eut quitté... je le vis passer avec son confident... je me glissai derrière cette porte... Dourlinski le laisse après lui avoir parlé à l’oreille... Altamoras, moins prudent que son maître, appelle un des émissaires (avec lesquels vous allez avoir l’honneur de souper) et lui enjoint de l'attendre un moment... bientôt il revient et lui remet un flacon polonais, ma foi, semblable à celui qui est dans notre valise. "Voici, lui dit-il, un liqueur que tu mêleras adroitement dans les verres de ces deux étrangers, sur-tout prends-garde qu'ils s'en apperçoivent, at aussitôt, enfin, que ce breuvage aura produit son effect sur eux, tu viendras m'avertir.»

FLORESKI

Ô ciel ! les scélérats veulent nous empoisonner !

VARBEL

Ou du moin nous assoupir et nous fouiller ensuite.

FLORESKI

Tu as raison, le portrait de Lodoïska que je porte sans cesse, nous aurait bientôt découvert... Eh bien il faut refuser de souper avec eux.

VARBEL

C’est impossible. C'est le moyen de nous perdre sans ressource.

FLORESKI

Nous ne pouvons cependant pas nous exposer...

VARBEL

Il faudrait agir de ruse et... mais les voici... de la prudence, mon cher maître.

Scène treizième

Floreski, Varbel, trois Émissaires, Gens du château (apportant une table couverte de fruits et d'aiguières remplies de vin, et des coupes).

(Le premier émissaire doit porter lui-même le flacon dans lequel est contenue la liqueur soporative.)

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Messieurs, soyez les bien arrivés, nous apportons, comme vous voyez, dequoi lier connaissance... c'est toujours le verre à la main qu'on fait le bons amis.

VARBEL

(à part)

Oh, les coquins ! (haut) Messieurs, c’est beaucoup d’honneur que vous nous faites.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Voulez-vous prendre un à-compte ?... je vais vous verser une coupe de vin.

VARBEL

(à part)

Les scélérats sont pressans...

(haut)

Si vous voulez permettre, il nous fera plaisir d’attendre; mon frère et moi avant d’entrer, avons fait un petit repas aux portes de ce château, vous en voyez les débris.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

À votre aise, messieurs, nous ne voulons pas vous gêner.

(Il va placer son flacon au milieu de la table.)

[N. 13 - Final II]

FLORESKI

Hélas ! comment allons-nous faire ?

ils ont tous les regards sur nous.

VARBEL

Je le vois bien, le chose est claire,

je suis aussi tremblant que vous.

LE SECOND ÉMISSAIRE

Je pense moi que c’est un traître.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

L’un est maître, l’autre est valet;

croyez-moi, je sais m’y connaître.

VARBEL

Allons, courage, mon cher maître...

point d’imprudence, s’il vous plaît...

le ciel nous servira peut-être !

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Avec adresse observons bien.

FLORESKI

Nous n’avons donc aucun moyen ?

LE TROISIÈME ÉMISSAIRE

Si j’en juge par l’apparence,

ils me semblent fort inquiets.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Contraignez-vous, faites silence;

nous les tenons dans nos filets.

VARBEL

C’est fait de nous !... je suis en transe...

tous ces messieurs prennent l’accord.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Il nous faut lier conférence,

oui, faisons-les parler d’abord.

VARBEL

(à Floreski)

Occupez-les, feignez d'écrire...

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Pardon, messieurs, mais entre nous

nous avions quelques mots à dire

qui n’étaient que ennuyeux pour vous.

FLORESKI

À votre tour, daignez permettre,

ce sera fait dans un moment;

je voudrais écrire une lettre.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Très volontiers, assurément.

(à part à ses camarades)

Agissons bien pour nous instruire;

observons tout, il faut tout voir.

FLORESKI, VARBEL

Ô dieu, je souffre le martyre !

TOUS LES ÉMISSAIRES

Ne laissons rien percevoir.

FLORESKI

Donne-moi, s’il te plaît, mon frère,

ce qu’il me faut, plume et papier.

VARBEL

Avant soupé ? pour quelle affaire ?

D’honneur; vous êtes singulier.

FLORESKI

Ces messieurs veulent bien attendre.

VARBEL

Soit... voici du vin... quand j’en voi,

je ne puis jamais m’en défendre,

et j’en bois toujours malgré moi.

(Il se verse du vin qu'il prend dans une aiguière.)

FLORESKI

(qui s'en apperçoit)

Le malheureux que va-t-il faire ?

LE SECOND ÉMISSAIRE

(au premier)

Faut-il lui verser du flacon ?

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Ne pressons rien, attends son frère

ensemble ils prendront la boisson.

VARBEL

(après avoir bu)

Fort bon ! j’en jure ma parole.

(à part)

Hélas ! qu’allons-nous devenir,

s’ils nous font avaler la fiole ?

FLORESKI

(écrivant)

Ô ciel ! Varbel me fait frémir !

(Ici Floreski écrit, et veut avoir l'air de se cacher; cela excite la curiosité des émissaires qui vont à bas bruit épier derrière lui; Varbel est sur les épines, et ne sait quel parti prendre: il est inspiré tout d'un coup, et pendant le ritournelle qui est conforme à la situation, il profite de l'instant où les émissaires sont occupés autour de Floreski, et va prendre le flacon qui est dans sa valise, vient le substituer adroitement à celui qui est sur la table, et cache le soporatif sous sa pelisse, puis il dit:)

VARBEL

Messieurs, cela n’est pas honnête,

de me laisser seul m’ennuyer.

(Il arruche le papier des mains de Floreski qui vient à lui, le dechire et en jette les morceau à terre.)

(à Floreski)

Mais, laisse donc-là ta conquête !

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Pourquoi déchirer ce papier ?

VARBEL

C’est l’amour qui trouble sa tête.

LE PREMIER ÉMISSAIRE

(à ses camarades)

Hum ! je crois qu’il veut nous railler.

(au deuxième Émissaire)

Voici l’instant, mon camarade;

prudemment verse la liqueur...

VARBEL

(près de la table, d'un air triomphant)

Mes chers amis ! buvons rasade !

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Allons, messieurs, de tout mon cœur.

FLORESKI

(tirant Varbel à part)

Eh ! quoi: malheureux, tu vas boire ?

VARBEL

Ah ! ne craignez rien pour nous:

acceptez et daignez m’en croire:

cédez; la victoire est à nous !

(Pendant cet a parte, le deuxième émissaire verse dans deux coupes la liqueur du flacon qui se trouve sur la table et qu'il croit falsifiée, ensuite il va rajoindre le troisième émissaire, qui ayant ramassé les morceaux du papier que Varbel a déchiré, cherche à les rassembler; tous deux veulent s'instruire de ce qui peut s'y trouver écrit, cela impatiente le premier émissaire qui vient à eux et dit:)

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Ne pouvez-vous donc vous contraindre ?

eh ! quoi, toujours vous éloigner ?

quand ils ne seront plus à craindre

vous pourrez tout examiner.

(Pendant ce tems, Varbel se hâte de verser dans les coupes de ses adversaires la liqueur soporative qu'il a caché sous sa pelisse: Floreski qui s'apperçoit enfin de l'adresse de son valet, porte sans cesse les yeux sur les trois émissaires qui sont rassemblés pour l'a parte ci dessus; mais il indique à Varbel, par le tremblement qu'il éprouve, toute l'impatience qu'il ressent, et le desir qu'il a de voir le succès de cette ruse.)

Le premier émissaire vient ensuite prendre deux coupes que le second émissaire a remplies, et les présente à Floreski et à Varbel.

TOUS ENSEMBLE

Amis ! que ce divin breuvage

soit fatal à tous les trompeurs;

qu’aux bons son salutaire usage,

soit la plus douce des liqueurs !

(Ils boivent tous.)

LE PREMIER ÉMISSAIRE

Bon ! bon ! les voilà qu’ils y viennent.

FLORESKI, VARBEL

Bon ! bon ! les voilà qu’ils s'y prennent.

LES TROIS ÉMISSAIRES

Nous allons bientôt tout savoir !

FLORESKI, VARBEL

Bientôt ils n’y vont plus rien voir !

LE PREMIER ÉMISSAIRE

(chancelant)

C’est singulier; je vois tout trouble...

VARBEL

Dans un moment tu verras double.

LE SECOND ÉMISSAIRE

Ô ciel ! tout tourne... autour de moi...

VARBEL

Oh ! je te crois de bonne foi !

LE TROISIÈME ÉMISSAIRE

Eh ! mais, mon dieu... je n'y vois goutte...

VARBEL

Il faut le voir... si l’on en doute.

LES ÉMISSAIRES

(en désordre)

Mais; c’est... égal... observons bien.

VARBEL

Observez qu’ils n’y voient rien.

Ensemble

LES ÉMISSAIRES

Ayons de la vigilance,

faisons bien notre devoir...

mais... je tombe... en défaillance.

Ô ciel ! ...je n’y... puis... plus voir...

FLORESKI

Ton heureuse prévoyance

vient d’enchaîner leur pouvoir.

Ton adroite vigilance

vient ranimer mon espoir. )

VARBEL

Mon heureuse prévoyance

vient d’enchaîner leur pouvoir.

Mon adroite vigilance

vient ranimer mon espoir.

(Ici Altamoras paraít au fonds de la galerie, s'apperçoit du contraire effet de la ruse; par un gest il en témoigne sa rage, et retourne sur ses pas.)

FLORESKI

Ah ! la fureur qui les anime

pour nous n’est plus à redouter.

VARBEL

Il ne sont pas seuls pour ce crime,

seigneur, vous n’en pouvez douter.

FLORESKI

Dieu ! quel moment !

VARBEL

Il est terrible !

FLORESKI

Oui, nous courons...

VARBEL

Un grand danger.

FLORESKI

Sortons d’ici...

VARBEL

C’est impossible !

FLORESKI

Viens, viens, suis-moi...

VARBEL

Il faut songer...

FLORESKI

(prends deux sabres à la ceinture des émissaires)

Tiens, prends ce fer...

VARBEL

Quelle imprudence !

FLORESKI

Par l’ouverture...

VARBEL

N’espérez pas...

FLORESKI

Nous parviendrons...

VARBEL

De la prudence...

FLORESKI

Viens assurer...

VARBEL

Notre trépas...

FLORESKI

Peu de soldats...

VARBEL

Croyez qu’on veille...

FLORESKI

Jusqu’à la tour...

VARBEL

Y pensez-vous ?...

FLORESKI

Suis-moi, te dis-je...

VARBEL

On vous surveille...

FLORESKI

Je brave tout.

VARBEL

C’est fait de nous !

(Floreski entraíne Varbel, ils sont tous deux dans le plus grand désordre, et au moment qu'ils sont près de sortir de la galerie, des gardes fondent sur eux et les désarment: Dourlinski parait sur les marches de la galerie entourné da soldats.)

Scène quatorzième

Floreski, Varbel, Dourlinski, Altamoras, Les trois Émissaires évanouis, Gardes, Chœur.

DOURLINSKI

Traîtres ! qu’osiez-vous entreprendre ?

pensiez-vous sortir de ces lieux ?

vous voulez encore vous défendre !

Tremblez, tremblez, audacieux !

FLORESKI

(se découvrant à Dourlinski)

Va, d’effroi je suis incapable;

Floreski voulait te tromper,

le sort te sert, heureux coupable,

crains de le laisser échapper.

DOURLINSKI

(avec surprise mêlée de joie)

Floreski !...

FLORESKI

C’est moi, misérable !

DOURLINSKI

Floreski !...

FLORESKI

Tyran, venge-toi !...

DOURLINSKI

Frémis !...

FLORESKI

Non !...

DOURLINSKI

Rival détestable !

FLORESKI

Je t’attends...

DOURLINSKI

(avec joie)

Quel moment pour moi !

(aux Gardes)

Saisissez ce téméraire...

servez mon cœur furieux !

Préparez pour ma colère

les tourments le plus affreux !

Ensemble

FLORESKI, VARBEL

Saisissez un téméraire,

servez son cœur furieux;

préparez pour sa colère

les tourments le plus affreux !

DOURLINSKI

Saisissez un téméraire,

servez mon cœur furieux;

préparez pour ma colère

les tourments le plus affreux !

ALTAMORAS

Saisissez un téméraire,

servez son cœur furieux;

préparez pour sa colère

les tourments le plus affreux !

CHŒUR

Saisissons ce téméraire !

servons son cœur furieux !

préparons pour sa colère

les tourments le plus affreux !

(On entraíne Floreski et Varbel l'un à droite de la galerie, l'autre à gauche; quand ils sont près à être séparés au fond de la galerie, ils s'échappent tous deux des bras qui les retiennent, et volent pour s'embrasser, on les sépare encore; Varbel est enlevé, et Floreski sort avec fierté par le fond de la galerie, suivi par tous les soldats; Dourlinski s'applaudit en suivant des yeux son rival.)

Acte troisième

Même decoration.

Scène première

Dourlinski seul.

Parlé

Il faut tenter ce dernier moyen. Lodoïska ignore que Floreski est en ma puissance; en la rendant témoin des dangers qu’il court, s’elle résiste à ma volonté, j’obtiendrai du moins par la crainte ce que je ne puis devoir à l’amour.

[N. 14 - Air]

Oui, par mon heureuse adresse

je triomphe dans ce jour;

mon rival, en sa ivresse,

s’est perdu par trop d’amour.

Une sage surveillance

vient de me conduire au port;

par sa fougueuse imprudence

je suis maître de son sort.

Bientôt sa foible maîtresse,

craignatnt mon ressentiment,

immolera sa tendresse,

au salut de son amant.

Scène deuxième

Dourlinski, Altamoras.

Parlé

ALTAMORAS

Seigneur, ces deux étrangers sont enfermés séparément, suivant vos ordres... Avez-vous déterminé quelque chose à leur égard ?

DOURLINSKI

J'ai changé d'avis; je puis espérer... Le père de Lodoïska est mort. Floreski est en ma puissance... Tout m'assure le secret... Mais il faut dissimuler et profiter de l'heureux hasard qui me l'a livré; faisons-le paraître devant sa maîtresse... Ne promettons sa liberté qu'au prix de la main de Lodoïska... Va-t-elle se rendre en ce lieux ?

ALTAMORAS

Oui, seigneur, elle me suivait.

DOURLINSKI

Conduis vers moi Floreski.

ALTAMORAS

Vous allez être obéi. Voici Lodoïska !

Scène troisième

Dourlinski, Lodoïska, Gardes.

DOURLINSKI

Un rival pourrait m'enlever tant de charme !

LODOÏSKA

Cruel ! que me voulez-vous encore !

DOURLINSKI

En effet, vous devez être étonnée de voir à chaque instant mon courroux s'affaiblir, et qu'au lieu de me livrer à mon juste ressentiment, je m'efforce à chaque moment de vous conduire au bonheur.

LODOÏSKA

J'ai déjà répondu. Mon mepris, mon silence, sont désormais les seules armes que je veux employer contre toi.

DOURLINSKI

Il est tems, cependant, de vous former un autre plan, et, pour la dernière fois, je veux bien vous en montrer la nécessité... Ce Floreski qui vous rend aussi rebelle à mes vœux, est aujourd'hui en mon pouvoir.

LODOÏSKA

(avec effroi)

Ô ciel ! c'est tout ce que je craignais. Sans doute, votre barbarie ne l'aura pas plus épargné que sa malheureuse amant !

DOURLINSKI

Je n'ai pas besoin de vous observer que sa vie et sa liberté dépendent de votre obéissance.

[N. 15 - Air]

LODOÏSKA

Tournez sur moi votre colère;

que j’en subisse la rigueur.

Il eut long-tems l’aveu d’un père;

il a dû compter sur mon cœur.

Seigneur, que son amour extrême

ne soit point un crime à vos yeux,

hélas ! s’il perd tout ce qu’il aime,

n’est-il point assez malheureux ?

Parlé

DOURLINSKI

Il est aimé !... N'est-ce point assez pour que je le proscrive ?... Soyez mon épouse et Floreski est libre.

LODOÏSKA

Seigneur, donnez du moins quelque tems.

DOURLINSKI

Non. Il faut se prononcer à l’instant.

LODOÏSKA

Sans mon père, seigneur, je ne puis disposer de moi...

DOURLINSKI

Ne comptez plus sur votre père: il a terminé ses jours.

LODOÏSKA

Grands dieux !... Je me meurs.

(Elle s'évanouit; Dourlinski la place dans un fauteuil.)

DOURLINSKI

Il fallait lui porter ce coup, et c'étoit le seul pour le réduire.

Scène quatrième

Dourlinski, Lodoïska, Floreski, Altamoras, Gardes.

FLORESKI

(arrive lentement et ne se meut que lorsqu'il apperoçoit Lodoïska; il court à ses pieds)

Eh quoi ! elle est évanouie ?... Ma chère Lodoïska, ouvre les yeux et reconnais ton malheureux amant.

DOURLINSKI

(séparant Floreski de Lodoïska)

Perfide !

LODOÏSKA

(dans le delire)

Mon père !... mon... père... Flo... Floreski !

FLORESKI

Me voici... Lodoïska ! Elle ne m'entend point.

LODOÏSKA

(revenant à elle par degrés)

Où suis-je !... Est-ce un songe ? Dourlinski me trompe... Mais, non; je sense à ma douleur, qu'il est trop vrai que je n'ai plus mon père... Que vois-je ?... Ah ! c'est toi, Floreski.

(Elle vole dans ses bras)

Nous somme perdus !

DOURLINSKI

Vous voilà certaine qu'il est en ma puissance; je n'ai plus rien à dire, c’est à vous de prononcer si vous voulez le sauver, en acceptant ma main.

LODOÏSKA

Tu vois à quel prix il m’offre ta liberté.

FLORESKI

Pourrais-tu consentir à délivrer ton amant d’une captivité qui lui devient chère, puisqu’il la partage avec toi ?

[N. 16 - Quatuor]

Quoi ! t’unir à ce barbare ?

Cet hymen ferait horreur.

LODOÏSKA

Que plutôt, je le déclare,

son bras me perce le cœur !

DOURLINSKI

Puis-je endurer cet outrage ?

ALTAMORAS

Quelle audace ! Vengez-vous.

DOURLINSKI

Rien n’est égal à ma rage.

ALTAMORAS

Suivez donc votre courroux.

Ensemble

LODOÏSKA, FLORESKI

Oui, jurons de mourir ensemble,

les victimes de sa fureur;

et que l’instant qui nous rassemble

soit un supplice pour son cœur.

DOURLINSKI

Oui, contre tous les deux ensemble,

je vais exercer ma fureur.

Ô ciel ! l’instant qui les rassemble

est un supplice pour mon cœur.

ALTAMORAS

Oui, contre tous les deux ensemble,

livrez-vous à votre fureur;

(à part)

dan se instant qui les rassemble,

tout doit augmenter sa fureur.

ALTAMORAS

Qu’ordonnez-vous ?

DOURLINSKI

Ah ! je m’égare...

FLORESKI

Lodoïska !...

LODOÏSKA

Ô mon ami !

ALTAMORAS

Audacieux !

FLORESKI

Tyrans barbare !

DOURLINSKI

Mon cœur s’indigne...

LODOÏSKA

Ah ! je frémis !

(On entend plusieurs sons de trompette.)

Scène cinquième

Dourlinski, Lodoïska, Floreski, Altamoras, Gardes, Un soldat.

(On entend des coups de canons.)

Parlé

LE SOLDAT

Seigneur, le château est attaqué de toutes les côtés, il faut voler à sa défense; la feu s’est déjà communiqué... Un instant peut tout embraser.

DOURLINSKI

Allez ! je vais vous rejoindre... Altamoras, le tems presse... Éloignez Lodoïska. Je ne retarde ma vengeance que pour un mieux jour ! Ces perfides amans veulent être unis; eh bien ! je saurai les unir par des nœuds éternels... Que des gardes veillent ici sur l'audacieux qui voulut me braver. (à una partie des gardes) Marchons !

Scène sixième

Floreski, Gardes.

FLORESKI

Grands dieux !... où est Lodoïska ?... Traîtres, laissez-moi sortir... Hélas ! ils sont cruels ainsi que leur maître.

(Ici commence la symphonie guerrière, qui s'interrompt de tems en tems; le bruit du canon augmente, et les coups sont plus précipités.)

Mais que signifie cette alarme ?... Je suis désarmé !... Que faire ?... Affreuse situation !... Ô ciel !... Quelle clameur aux portes de cette galerie !...

(Le portes de la galerie sont renversées; on apperçoit une horde de Tartares; Titzikan est à leur tête. Les gardes polonaises se sauvent.)

Scène septième

Floreski, Titzikan.

TITZIKAN

Eh quoi ! brave jeune homme ! c’est toi que je retrouve ici.

FLORESKI

(se jette dans les bras de Titzikan)

Généreux Titzikan, le ciel t’envoie vers moi... Lodoïska !... Une femme !... La plus belle des femmes !... Dans une tour... Elle va y être consumé... Vole à sa défense... Arme mon bras... Laisse-moi la sauver, ou me précipiter avec elle dans les flammes.

(Titzikan prend un sabre des mains d'un Tartare et le donne à Floreski.)

TITZIKAN

Nous la sauverons, ami; la valeur est notre partage... Marchons.

(La symphonie guerrière dure tout le tems de l’attaque et ne s'interrompt plus jusqu'à la finale.)

Le fond de la galerie écroule et laisse voir à découvert le reste des fortifications, différentes tours, des ponts qui y communiquent; le tout paraît au feu; l'incendie fait un très-grand ravage; à l'instant le thèâtre est rempli de combattans, Tartares contre Polonais; sur des remparts on voit aussi d'autres combattans Polonais qui repoussent les Tartares; ce momens doit être le plus vif du combat; l'incendie aussi doit augmenter; au milieu de ce désordre, le feu se communique à la tour où est enfermée Lodoïska; une partie de cette tour creule; Lodoïska au milieu des flammes est prête à en devenir la victime, lorsque Floreski, au sommet de la forteresse, traverse un pont que communique à la prison de sa maîtresse; il vole auprès d'elle, la saisit et veut repasser avec elle par le même pont sur lequel il est venu; mais à l'instant le feu coupe le pont et le deux amans tombent dans le bras des Tartares: Varbel qui étoit également enfermé dans une tourelle, saute sur le thèâtre par la brèche que l'incendie y a faite, et vole au secours de son maître: Titzikan et quelques Tartares portent Lodoïska évanouie au bord de l'avant-scène, et Varbel apporte aussi dans ses bras Floreski sur l'autre côté de l'avant-scène. Dourlinski furieux, sort de la mêlée un poignard à la main, et vient pour en frappé Floreski; Titzikan s'en apperçoit, quitte Lodoïska, traverse le thèâtre et vien arracher le poignard des mains du tyran, tandis que Varbel, un genouil en terre, pare du bras le coup prêt à être porté par Dourlinski; des Tartares se jettent sur Dourlinski et Altamoras et les enchaínent. L'incendie augment toujours.

(Au moment où Titzikan arrache le poignard des mains du tyran, la finale commence.)

[N.17 - Final]

TITZIKAN

Tyran, au nombre de tes crimes,

tu ne joindras pas ce forfaits.

DOURLINSKI

(enchaíné)

Le sort épargne mes victimes,

voilà mon plus cruel regret !

FLORESKI

(courant à Lodoïska)

Mon amie, ouvre la paupière,

il n’est plus des danger pour toi.

LODOÏSKA

(revenant à elle même)

Je revois encor la lumière.

(regardant autour d'elle)

Ciel ! des brigands autour de moi !

FLORESKI

(montrant Titzikan)

Rassure-toi, daigne m’entendre,

rends grâce à l’ami généreux...

TITZIKAN

Content d’avoir pu vous défendre

en vous vengeant d’un malheureux

DOURLINSKI

Tartare, au sein de ta victoire

qu’exiges-tu pour ma rançon ?

TITZIKAN

Tu voudrais donc souiller ma gloire ?...

aux méchant,va... Sers de leçon...

quand on étouffe dans son âme

tout sentiment d’humanité;

le prix d’une odieuse trame,

c’est l’affreuse captivité.

(à Floreski)

Jeune homme, que l’amour t’unisse

au digne objet de ton ardeur...

et voilà ton premier supplice !

FLORESKI

Ami, je te dois mon bonheur !

Lodoïska !...

LODOÏSKA

Ah ! je respire !

TITZIKAN

Mes chers enfans !

FLORESKI

Quels doux moments !

LODOÏSKA

Je suis à toi...

TITZIKAN

Je les admire.

Époux soyez toujours amants !

(aux Tartares)

Votre fureur est légitime...

engloutissez ces lieux affreux !

ce spectacle sied à son crime,

vous pouvez l’offrir à ses yeux !

CHŒUR DES TARTARES

Notre fureur est légitime,

engloutissons ces lieux affreux !

ce spectacle sied à son crime,

nous pouvons l’offrir à ses yeux !

CHŒUR DES POLONAIS

Dans le fureur qui les anime,

quel spectacle on offre à nos yeux;

ciel ! falloit-il servir son crime

pour partager ce sort affreux !

Sur le mot ciel ! la mine fait sauter le reste de la forteresse. Les Polonais mettent tous le genouil à terre, et les Tartares font avec leurs armes le signe de la victoire.

Fin du livret.

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