FAUST
Opéra en cinq actes.
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Livret de Jules BARBIER, Michel CARRÉ.
Musique de Charles GOUNOD.
Première représentation : 3 mars 1869, Paris.
Personnages:
Le docteur FAUST |
ténor |
MÉPHISTOPHÉLÈS |
basse |
VALENTIN |
baryton |
WAGNER |
baryton |
MARGUERITE |
soprano |
SIÉBEL |
soprano |
MARTHE |
mezzo-soprano |
Étudiants, Soldats, Bourgeois, Sorcières, etc. etc.
[N. 1 - Introduction]
Le cabinet de Faust.
Faust, seul.
[N. 2 - Scène et Chœur]
(Sa lampe est près de s’éteindre. Il est assis devant une table chargée de parchemins. Un livre est ouvert devant lui.)
Rien !... ~ En vain j’interroge, en mon ardente veille,
la nature et le créateur;
pas une voix ne glisse à mon oreille
un mot consolateur !
J’ai langui, triste et solitaire,
sans pouvoir briser le lien
qui m’attache encore à la terre !...
Je ne vois rien ! ~ Je ne sais rien !...
(Il ferme le livre et se lève. Le jour commence à naítre.)
Le ciel pâlit ! Devant l’aube nouvelle
la sombre nuit
s’évanouit !...
(Avec desespoir.)
Encore un jour ! ~ encore un jour qui luit !...
Ô mort, quand viendras-tu m’abriter sous ton aile ?
(Saisissant une fiole sur la table.)
Eh bien ! puisque la mort me fuit,
pourquoi n’irais-je pas vers elle ?...
Salut ! ô mon dernier matin !
J’arrive sans terreur au terme du voyage;
et je suis, avec ce breuvage,
le seul maître de mon destin !
(Il verse le contenu de la fiole dans une coupe en cristal. Au moment où il va porter la coupe à ses lèvres, des voix de jeunes filles se font entendre au dehors.)
JEUNES FILLES
Paresseuse fille
qui sommeille encor !
Déjà le jour brille
sous son manteau d’or;
déjà l’oiseau chante
ses folles chansons;
l’aube caressante
sourit aux moissons;
le ruisseau murmure,
la fleur s’ouvre au jour,
toute la nature
s’éveille à l’amour !
FAUST
Vains échos de la joie humaine,
passez, passez votre chemin !
Ô coupe des aïeux, qui tant de fois fus pleine,
pourquoi trembles-tu dans ma main ?
(Il porte de nouveau la coupe à ses lèvres.)
JEUNES FILLES
Aux champs l’aurore nous rappelle;
le temps est beau, la terre est belle;
béni soit dieu !
À peine voit-on l’hirondelle,
qui vole et plonge d’un coup d’aile
dans le ciel bleu !
(dans l'éloignement)
L'oiseau chante !
LABOUREURS
(dans l'éloignement)
La terre est belle !
FAUST
Ô prière universelle !
JEUNES FILLES, LABOUREURS
Béni soit Dieu !
FAUST
Dieu !
(Il se laisse retomber dans son fauteuil.)
[N. 3 - Récitatif]
Mais ce dieu, que peut-il pour moi ?
(Se levant.)
Me rendra-t-il l’amour, l'espérance et la foi ?
(Avec rage.)
Maudites soyez-vous, ô voluptés humaines !
Maudites soient les chaînes
qui me font ramper ici-bas !
Maudit soit tout ce qui nous leurre,
vain espoir qui passe avec l’heure,
rêves d’amour ou de combats !
Maudit soit le bonheur, maudite la science,
la prière et la foi !
Maudite sois-tu, patience !
À moi, Satan ! à moi !
Faust, Méphistophélès.
[N. 4 - Duo]
MÉPHISTOPHÉLÈS
(apparissant)
Me voici !... D’où vient ta surprise ?
Ne suis-je pas mis à ta guise ?
L’épée au côté, la plume au chapeau,
l’escarcelle pleine, un riche manteau
sur l’épaule; ~ en somme
un vrai gentilhomme !
Eh bien ! que me veux-tu, docteur ?
Parle, voyons !... ~ Te fais-je peur ?
FAUST
Non.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Doutes-tu de ma puissance ?
FAUST
Peut-être.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Mets-la donc à l’épreuve !...
FAUST
Va-t’en !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Fi ! ~ c’est là ta reconnaissance !
Apprends de moi qu’avec Satan
l’on en doit user d’autre sorte,
et qu’il n’était pas besoin
de l’appeler de si loin
pour le mettre ensuite à la porte !
FAUST
Et que peux-tu pour moi ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Tout. ~ Mais dis-moi d’abord
ce que tu veux: ~ est-ce de l’or ?
FAUST
Que ferais-je de la richesse ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Bon ! Je vois où le bât te blesse !
Tu veux la gloire ?
FAUST
Plus encor !
MÉPHISTOPHÉLÈS
La puissance ?
FAUST
Non ! je veux un trésor
qui les contient tous !... je veux la jeunesse !
À moi les plaisirs,
les jeunes maîtresses !
À moi leurs caresses !
À moi leurs désirs !
À moi l’énergie
des instincts puissants,
et la folle orgie
du cœur et des sens !
Ardente jeunesse,
à moi tes désirs !
À moi ton ivresse !
À moi tes plaisirs !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Fort bien ! je puis contenter ton caprice.
FAUST
Et que te donnerai-je en retour ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Presque rien:
ici, je suis à ton service,
mais là-bas tu seras au mien.
FAUST
Là-bas !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Là-bas.
(Lui présentant un parchemin.)
Allons, signe. ~ Eh quoi ! ta main tremble,
que faut-il pour te décider ?...
La jeunesse t’appelle: ose la regarder !...
(Il faut un geste. Le fond du thèâtre s'ouvre et laisse voir Marguerite assise devant son rouet et filant.)
FAUST
Ô merveille !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Eh bien ! que t’en semble ?...
FAUST
(prenant le parchemin)
Donne !...
(Il signe.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Allons donc !
(Prenant la coupe restée sur la table.)
Et maintenant,
maître, c’est moi qui te convie
à vider cette coupe où fume en bouillonnant
non plus la mort, non plus le poison; ~ mais la vie.
FAUST
(prenant la coupe et se tournant vers Marguerite)
À toi, fantôme adorable et charmant !...
(Il vide la coupe et se trouve métamorphosé en jeune et élégant seigneur. La vision disparaît.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Viens ?
FAUST
Je la reverrai ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Sans doute.
FAUST
Quand ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Aujourd’hui.
FAUST
C’est bien.
MÉPHISTOPHÉLÈS
En route !
FAUST
À moi les plaisirs,
les jeunes maîtresses !
À moi leurs caresses !
À moi leurs désirs !
MÉPHISTOPHÉLÈS
À toi la jeunesse,
à toi tes désirs,
à toi ton ivresse,
à toi tes plaisirs !
(Ils sortent. La toile tombe.)
La kermesse.
Une des portes de la ville. À gauche un cabaret à l’enseigne du dieu Bacchus.
Wagner, Ètudiants, Bourgeois, Soldats, Jeunes filles, Matrones.
[N. 5 - Chœur]
WAGNER, ÉTUDIANTS
Vin ou bière,
bière ou vin,
que mon verre
soit plein !
Sans vergogne,
coup sur coup,
un ivrogne
boit tout !
Jeune adepte
du tonneau,
n’en excepte
que l’eau !
Que ta gloire,
tes amours
soient de boire
toujours !
ÉTUDIANTS
Jeune adepte
etc.
(Ils trinquent et boivent.)
SOLDATS
Filles ou forteresses
c’est tout un, morbleu !
Vieux burgs, jeunes maîtresses,
sont pour nous un jeu !
Celui qui sait s’y prendre
sans trop de façon
les oblige à se rendre
en payant rançon !
BOURGEOIS
Aux jours de dimanche et de fête,
j’aime à parler guerre et combats,
tandis que les peuples là-bas
se cassent la tête.
Je vais m’asseoir sur les côteaux
qui sont voisins de la rivière,
et je vois passer les bateaux
en vidant mon verre !
(Bourgeois et soldats remontent vers le fond du thèâtre.)
UN MENDIANT
(circulant de groupe en groupe)
Mes beaux messiers, mes belles dames,
que la pitié touche vos âmes;
et que votre folle gaité
sur moi retombe en charité.
(Un groupe de jeunes filles entre en scène.)
JEUNES FILLES
(regardant de côté)
Voyez ces hardis compères
qui viennent là-bas;
ne soyons pas trop sévères,
retardons le pas.
(Elles gagnent la droite du thèâtre. Un secon chœur d'étudiants entre à leur suite.)
ÉTUDIANTS
Voyez ces mines gaillardes
et ces airs vainqueurs !
Amis, soyons sur nos gardes !
Tenons bien nos cœurs !
MATRONES
(observant les étudiants et les jeunes filles)
Voyez après ces donzelles
courir ces messieurs !
Nous sommes aussi bien qu’elles
sinon beaucoup mieux !
LE MENDIANT
Mes beaux messiers, mes belles dames,
que la pitié touche vos âmes !
Et que votre folle gaité
sur moi retombe en charité !...
(Tous les groupes redescendente en scène.)
Ensemble
ÉTUDIANTS
Vin ou bière,
bière ou vin,
que mon verre
soit plein !
SOLDATS
Pas de beauté fière !
Nous savons leur plaire
en un tour de main !
BOURGEOIS
Vidons un verre
de ce bon vin !
MATRONES
(aux jeunes filles)
Vous voulez leur plaire,
nous le voyon bien !
JEUNES FILLES
De votre colère
nous ne craignons rien !
ÉTUDIANTS
Voyez leur colère,
voyez leur maintien !
(Les étudiants et les soldats séparent les femmes en riant. Tous les groupes s'éloignent et disparaissent.)
Wagner, Siébel, Étudiants, Valentin.
[N. 6 - Scène et Récitatif]
VALENTIN
WAGNER
VALENTIN
WAGNER
VALENTIN
SIÉBEL
Plus d’un ami fidèle
saura te remplacer à ses côtés !
VALENTIN
SIÉBEL
Sur moi tu peux compter.
ÉTUDIANTS
Compte sur nous aussi !
WAGNER
ÉTUDIANTS
Buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain
nous mette en train !
WAGNER
Les mêmes, Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
(paraissant tout à coup au milieu des étudiants et intertrompant Wagner)
Pardon !
WAGNER
MÉPHISTOPHÉLÈS
Parmi vous, de grâce,
permettez-moi de prendre place !
Que votre ami d’abord achève sa chanson !
Moi, je vous en promets plusieurs de ma façon !
WAGNER
MÉPHISTOPHÉLÈS
Je ferai de mon mieux pour n’ennuyer personne !
(Les étudiants se groupent autour de Méphistophélès; Valentin le regarde avec défiance et se tient à l’écart avec Siébel.)
[N. 7 - Ronde du veau d’or]
I
Le veau d’or est toujours debout;
on encense
sa puissance
d’un bout du monde à l’autre bout !
Pour fêter l’infâme idole,
rois et peuples confondus,
au bruit sombre des écus,
dansent une ronde folle
autour de son piédestal !...
Et Satan conduit le bal !
II
Le veau d’or est vainqueur des dieux !
Dans sa gloire
dérisoire
son front abjecte insulte aux cieux !
Il contemple, ô rage étrange !
à ses pieds le genre humain
se ruant, le fer en main,
dans le sang et dans la fange
où brille l’ardent métal !...
Et Satan conduit le bal !
TOUS
Et Satan conduit le bal !
[N. 8 - Récitatif et Choral des épées]
ÉTUDIANTS
Merci de ta chanson !
VALENTIN
WAGNER
MÉPHISTOPHÉLÈS
Volontiers !...
(saisissant la main de Wagner et l’examinant)
Ah ! voici qui m’attriste pour vous !
Vous voyez cette ligne ?
WAGNER
MÉPHISTOPHÉLÈS
Fâcheux présage !
Vous vous ferez tuer en montant à l’assaut !
(Wagner retire sa main avec humeur.)
SIÉBEL
Vous êtes donc sorcier ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
(lui prenant la main)
Tout juste autant qu’il faut
pour lire dans ta main que le sorte te condamne
à ne plus toucher une fleur
sans qu’elle se fane !
SIÉBEL
(retirant vivement sa main)
Moi !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Plus de bouquets à Marguerite !...
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
Prenez garde, mon brave !
Vous vous ferez tuer par quelqu’un que je sais !
(Prenant le verre des mains de Wagner.)
À votre santé !...
(Jetant le contenu du verre, après y avoir trempé ses lèvres.)
Peuh ! que ton vin est mauvais !
Permettez-moi de vous en offrir de ma cave !
(Frappant sur le tonneau, surmonté d’un Bacchus, qui sert d’enseigne au cabaret.)
Holà, seigneur Bacchus ! à boire !...
(Le vin jaillit du tonneau. Aux étudiants)
Approchez-vous !
Chacun sera servi selon ses goûts !
À la santé que tout à l’heure
vous portiez, mes amis, à Marguerite !...
VALENTIN
(Le vin s’enflamme dans la vasque placée au-dessous du tonneau.)
WAGNER, ÉTUDIANTS
Holà !...
(Ils tirent leurs épées.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Pourquoi trembler, vous qui me menacez ?
(Il trace un cercle autour de lui avec son épée. Valentin s’avance pour l’attaquer. Son épée se brise.)
VALENTIN
VALENTIN, WAGNER, SIÉBEL, ÉTUDIANTS
De l’enfer qui vient émousser
nos armes,
nous ne pouvons pas repousser
les charmes !
Mais puisque tu brises le fer,
regarde !...
(Il prend son épée par la lame et la présente sous forme de croix à Méphistophélès.)
SIÉBEL, VALENTIN, WAGNER, ÉTUDIANTS
(forçant Méphistophélès à reculer en lui présentant la garde de leurs epées)
Puisque tu peux briser le fer,
regarde !
C’est une croix, qui de l’enfer
nous garde !...
(Ils sortent.)
Méphistophélès, puis Faust.
MÉPHISTOPHÉLÈS
(remettant son épée au fourreau)
Nous nous retrouverons, mes amis ! ~ Serviteur !
FAUST
(entrant en scène)
Qu’as-tu donc ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Rien ! ~ À nous deux, cher docteur !
Qu’attendez-vous de moi ? Par où commencerai-je ?
FAUST
Où se cache la belle enfant
que ton art m’a fait voir ? ~ Est-ce un vain sortilège ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Non pas, mais contre nous sa vertu la protège;
et le ciel même la défend !
FAUST
Qu’importe ? je le veux ! viens ! conduis-moi près d’elle
ou je me sépare de toi !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Il suffit !... Je tiens trop à mon nouvelle emploi
pour vous laisser douter un instant de mon zèle !
Attendons !... ici même, à ce signal joyeux,
la belle et chaste enfant va paraître à vos yeux.
(Les étudiants et les jeunes filles, bras dessus, bras dessous, et précédés par des joueurs de violon, envahissent la scène. Ils sont suivis par les bourgeois qui ont paru au commencement de l'acte.)
Les mêmes, Étudiants, Jeunes filles, Bourgeois, puis Siébel et Marguerite.
[N. 9 - Valse et Chœur]
CHŒUR
(marquant la mesure en marchant)
Ainsi que la brise légère
soulève en épais tourbillons
la poussière
des sillons,
que la valse nous entraîne !
Faisons retentir la plaine
de l’éclat de vos chansons !
Valsons !...
(Les musiciens montent sur les bancs; la valse commence.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à Faust)
Vois ces filles
gentilles !
Ne veux-tu pas
aux plus belles
d’entre elles
offrir ton bras ?
FAUST
Non ! Fais trêve
à ce ton moqueur !
Et laisse mon cœur
à son rêve !...
SIÉBEL
(entrant)
C’est par ici que doit passer Marguerite !
QUELQUES JEUNES FILLES
(s’approchant de Siébel)
Faut-il qu’une jeune fille à danser
vous invite ?
SIÉBEL
Non !... non !... je ne veux pas valser !
CHŒUR
Ainsi que la brise légère
soulève en épais tourbillons
la poussière
des sillons,
que la valse nous entraîne !
Faisons retentir la plaine
de l’éclat de vos chansons !
Valsons !...
(Marguerite paraît.)
FAUST
Ah !... la voici ! c’est elle !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Eh bien ! Abordez-la !
SIÉBEL
(apercevant Marguerite et faisant un pas vers elle)
Marguerite !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
(se retournant et se trouvant face à face avec Siébel)
Plaît-il !...
SIÉBEL
(à part)
Maudit homme ! encor là !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
(d'un ton mielleux)
Eh quoi ! mon ami ! vous voilà !...
(Siébel recule devant Méphistophélès, qui lui fait faire ainsi le tour du thèâtre en passant derrière le groupe des danseurs.)
FAUST
(abordant Marguerite qui traverse la scène)
Ne permettrez vous pas, ma belle demoiselle,
qu’on vous offre le bras pour faire le chemin ?
MARGUERITE
Non, monsieur ! je ne suis demoiselle, ni belle,
et je n’ai pas besoin qu’on me donne la main !
(Elle passe devant Faust et s’éloigne.)
FAUST
(le suivant des yeux)
Par le ciel ! que de grâce... et quelle modestie !...
Ô belle enfant, je t’aime !
SIÉBEL
(redescendant en scène sans avoir vu ce qui vient de passer)
Elle est partie !...
(Il va pour s'elancer sur la trace de Marguerite; mais, se trouvant de nouveau à face avec Méphistophélès, il lui tourne le dos et s’éloigne par le fond du thèâtre.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à Faust)
Eh bien ?
FAUST
On me repousse !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
(en riant)
Allons ! à tes amours,
je qu'il faut prêter secours !...
(Il s'éloigne avec Faust du même côté que Marguerite.)
QUELQUES JEUNES FILLES
(s'adressant à trois ou quatre d'entre elles qui ont observé la rencontre de Faust et de Marguerite)
Qu’est-ce donc ?...
DEUXIÈME GROUPE DE JEUNES FILLES
Marguerite,
qui de ce beau seigneur refuse la conduite !...
ÉTUDIANTS
(se rapprochant)
Valsons encor !...
JEUNES FILLES
Valsons toujours !...
(Les étudiants, qui ont reconduit Valentin et Wagner, rentrent en scène et se mèlent à la valse.)
LES VALSEURS
Ainsi que la brise légère
soulève en épais tourbillons
la poussière
des sillons,
que la valse nous entraîne !
Faisons retentir la plaine
de l’éclat de vos chansons !
Valsons !...
Jusqu’à perdre haleine !...
jusqu’à mourir !...
je respire à peine !...
Ah !... quel... plaisir !...
Mon regard se noie...
dans le... ciel bleu !...
La terre tournoie !...
je meurs... Ah !... dieu !...
Jusqu'à perdre haleine !...
jusqu’à mourir !...
je respire à peine !...
Ah ! quel plaisir !...
BOURGEOIS
Ainsi que la brise légère
soulève en épais tourbillons
la poussière
des sillons,
que la valse vous entraîne !
Faites retentir la plaine
de bruit de vos folles chansons !
Jusqu’à perdre haleine,
jusqu’à mourir,
un dieu les entraîne,
c’est le plaisir !
La terre tournoie,
et fuit loin d’eux !
Quel bruit, quelle joie
dans tous les yeux !
Jusqu’à perdre haleine
jusqu’à mourir,
un dieu les entraîne,
c’est le plaisir !...
(La toile tombe.)
Supplement par Charles Gounod.
Invocation
VALENTIN
Le jardin de Marguerite.
Au fond, un mur percé d’une petite porte. À gauche, un bosquet. À droite, un pavillon dont la fenêtre face au public. Arbres et massifs.
Siébel seul.
[N. 10 - Entracte et Couplets]
(Il est arrêté près d’un massif de roses et de lilas.)
SIÉBEL
I
Faites-lui mes aveux,
portez mes voeux,
fleurs écloses près d’elle,
dites-lui qu’elle est belle,
que mon cœur nuit et jour
languit d’amour !
Révélez à son âme
le secret de ma flamme !
Qu’il s’exhale avec vous,
parfums plus doux !...
(Il cueille une fleur.)
Fanée !...hélas !
(Il jette la fleur avec dépit.)
Ce sorcier que dieu damne
m’a porté malheur !
(Il cueille une autre fleur qui s’effeuille encore.)
Je ne puis sans qu’elle se fane
toucher une fleur !...
Si je trempais mes doigts dans l’eau bénite !...
(Il s’approche du pavillon et trempe ses doigts dans un bénitier accroché au mur.)
C’est là que chaque soir vient prier Marguerite !
Voyons maintenant ! voyons vite !...
(Il cueille deux ou trois fleurs.)
Elles se fanent ?...Non !... Satan, je ris de toi !...
II
C’est en vous que j’ai foi;
parlez pour moi !
Qu’elle puisse connaître
l’ardeur qu’elle fait naître
et dont mon cœur troublé
n’a point parlé !
C’est en vous que j’ai foi;
parlez pour moi !
Si l’amour l’effarouche,
que la fleur sur sa bouche
sache au moins déposer
un doux baiser !...
(Il cueille des fleurs pour en former un bouquet et disparaît dans les massifs du jardin.)
Faust, Méphistophélès, puis Siébel.
[N. 11 - Récitatif]
(Faust et Méphistophélès entrent doucement.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
C’est ici ! suivez-moi !
FAUST
Que regardes-tu là ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Siébel, votre rival.
FAUST
Siébel !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Chut !... le voilà !
(Ils se cache avec Faust dans un bosquet.)
SIÉBEL
(rentrant en scène, avec un bouquet à la main)
Mon bouquet n’est-il pas charmant ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à part)
Charmant !
SIÉBEL
Victoire !
Je lui raconterai demain toute l’histoire;
et, si l’on veut savoir le secret de mon cœur,
un baiser lui dira le reste !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à part)
Séducteur !
(Siébel attache le bouquet à la porte du pavillon et sort.)
Faust, Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Attendez-moi là, cher docteur !
Pour tenir compagnie aux fleurs de votre élève,
je vais vous chercher un trésor
plus merveilleux, plus riche encor
que tous ceux qu’elle voit en rêve !
FAUST
Laisse-moi !
MÉPHISTOPHÉLÈS
J’obéis !... Daignez m’attendre ici !
(Il sort.)
Faust, seul.
[N. 12 - Scène et Cavatine]
Quel trouble inconnu me pénètre !
Je sens l’amour s’emparer de mon être.
Ô Marguerite ! À tes pieds me voici !
Salut ! demeure chaste et pure, où se devine
la présence d’une âme innocente et divine !...
Que de richesse en cette pauvreté !
En ce réduit, que de félicité !
Ô nature, c’est là que tu la fis si belle !
C’est là que cette enfant a grandi sous ton aile,
a dormi sous tes yeux !
Là que, de ton haleine enveloppant son âme,
tu fis avec amour épanouir la femme
en cet ange des cieux !
Salut ! demeure chaste et pure, où se devine
la présence d’une âme innocente et divine !...
Que de richesse en cette pauvreté !
En ce réduit, que de félicité !
Méphistophélès, Faust.
[N. 13 - Récitatif]
(Méphistophélès réapparaît, une cassette sous le bras.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Alerte ! la voilà !... Si le bouquet l’emporte
sur l’écrin, je consens à perdre mon pouvoir !
FAUST
Fuyons !... je veux ne jamais la revoir !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Quel scrupule vous prend !...
(plaçant l’écrin sur le seuil du pavillon)
Sur le seuil de la porte,
voici l’écrin placé !... venez !... j’ai bon espoir !...
(Il entraîne Faust et disparaît avec lui dans le jardin. Margurite entre par la porte du fond et descend en silence jusque sur le devant de la scène.)
Marguerite, seul.
[N. 14 Scène et Air]
Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme,
si c’est un grand seigneur, et comment il se nomme ?
(Elle s’assied dans le bosquet, devant son rouet, et prend son fuseau, autour duquel elle prépaire de la laine.)
I
« Il était un roi de Thulé,
qui, jusqu’à la tombe fidèle,
eut en souvenir de sa belle,
une coupe en or ciselé !... »
(S'interrompant.)
Il avait bonne grâce, à ce qu’il m’a semblé.
(Reprenant sa chanson.)
« Nul trésor n’avait tant de charmes !
Dans les grands jours il s’en servait,
et chaque fois qu’il y buvait,
ses yeux se remplissaient de larmes !... »
II
(Elle se lève et fait quelques pas.)
« Quand il sentit venir la mort,
étendu sur sa froide couche,
pour la porter jusqu’à sa bouche
sa main fit un suprême effort !... »
(S'interrompant.)
Je ne savais que dire, et j’ai rougi d’abord.
(Reprenant sa chanson.)
« Et puis, en l’honneur de sa dame,
il but une dernière fois;
la coupe trembla dans ses doigts,
et doucement il rendit l’âme ! »
Les grands seigneurs ont seuls des airs si résolus,
avec cette douceur !
(Elle se dirige vers le pavillon.)
Allons ! n’y pensons plus !
Cher Valentin, si dieu m’écoute,
je te reverrai !... me voilà
toute seule !...
(Au moment d’entrer dans le pavillon, elle aperçoit le bouquet suspendu à la porte.)
Un bouquet !
(Elle prend le bouquet.)
C’est de Siébel, sans doute !
Pauvre garçon !
(Apercevant la cassette.)
Que vois-je là ?...
D’où ce riche coffret peut-il venir ?... Je n’ose
y toucher, et pourtant... ~ voici la clef, je crois !...
Si je l’ouvrais !... ma main tremble !... Pourquoi ?
Je ne fais, en l’ouvrant, rien de mal, je suppose !...
(Elle ouvre la cassette et laisse tomber le bouquet.)
Ô dieu ! que de bijoux !... est-ce un rêve charmant
qui m’éblouit, ou si je veille ? ~
Mes yeux n’ont jamais vu de richesse pareille !...
(Elle place la cassette tout ouverte sur une chaise et s’agenouille pour se parer.)
Si j’osais seulement
me parer un moment
de ces pendants d’oreille !...
(Elle tire des boucles d’oreille de la cassette.)
Voici tout justement,
au fond de la cassette,
un miroir !... comment
n’être pas coquette ?
(Elle se pare des boucles d’oreille, se lève et se regarde dans le miroir.)
Ah ! je ris de me voir
si belle en ce miroir !...
Est-ce toi, Marguerite ?
Réponds-moi, réponds vite ! ~
Non ! non ! ~ ce n’est plus toi !
ce n’est plus ton visage !
c’est la fille d’un roi,
qu’on salue au passage ! ~
Ah ! s’il était ici !...
s’il me voyait ainsi !...
Comme une demoiselle
il me trouverait belle !...
Ah ! s’il était ici !...
Achevons la métamorphose !
Il me tarde encor d’essayer
ce bracelet et ce collier.
(Elle se pare du collier d’abord, puis de bracelet. Se levant.)
Ah ! je ris de me voir
si belle en ce miroir !...
Est-ce toi, Marguerite ?
Réponds-moi, réponds vite ! ~
Non ! non ! ~ ce n’est plus toi !
ce n’est plus ton visage !
c’est la fille d’un roi,
qu’on salue au passage ! ~
Ah ! s’il était ici !...
s’il me voyait ainsi !...
Comme une demoiselle
il me trouverait belle !...
Ah ! s’il était ici !...
Marguerite, Marthe.
[N. 15 - Récitatif]
MARTHE
(entrant par le fond)
Que vois-je, seigneur dieu !... comme vous voilà belle,
mon ange !... ~ D’où vous vient ce riche écrin ?
MARGUERITE
(avec confusion)
Hélas !
on l’aura par mégarde apporté !
MARTHE
Que non pas !
ces bijoux sont à vous, ma chère demoiselle !
oui ! c’est là le cadeau d’un seigneur amoureux !
(Soupirant.)
Mon cher époux jadis était moins généreux !
(Méphistophélès et Faust entrent en scène.)
Les mêmes, Méphistophélès, Faust.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Dame Marthe Schwerdtlein, s’il vous plaît ?
MARTHE
Qui m’appelle ?
(Marguerite se hâte d’ôter le collier, le pendant et les pendants d’oreille, et de les remettre dans la cassette.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Pardon d’oser ainsi nous présenter chez vous !
(bas à Faust)
Vous voyez qu’elle a fait bon accueil aux bijoux !
(haut)
Dame Marthe Schwerdtlein ?
MARTHE
Me voici !
MÉPHISTOPHÉLÈS
La nouvelle
que j’apporte n’est pas pour vous mettre en gaîté. ~
Votre mari, madame, est mort et vous salue !
MARTHE
Ah !... grand dieu !...
MARGUERITE
Qu’est-ce donc ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Rien !...
(Marguerite baisse les yeux sous le regard de Méphistophélès, referme la cassette, la reporte sur l’appui de la fenêtre et pousse les volets.)
MARTHE
Ô calamité !
ô nouvelle imprévue !...
Ensemble
MARGUERITE, FAUST
Marguerite
(à part)
Malgré moi mon cœur tremble et tressaille à sa vue !
Faust
(à part)
La fièvre de mes sens se dissipe à sa vue !
(à Marguerite)
Pourquoi donc quitter ces bijoux ?
Marguerite
Ces bijoux ne sont pas à moi ! ~ Laissez, de grâce !...
MÉPHISTOPHÉLÈS, MARTHE
Méphistophélès
(à Marthe)
Votre mari, madame, est mort et vous salue !
Marthe
Ne m’apportez-vous rien de lui ?
Méphistophélès
Rien !... et pour le punir, il faut dès aujourd’hui
chercher quelqu’un qui le remplace !
(à Marthe)
Qui ne serait heureux d’échanger avec vous
la bague d’hyménée ?
Marthe
(à part)
Ah bah !
(haut)
Plaît-il ?
Méphistophélès
(soupirant)
Hélas ! cruelle destinée !...
[N. 16 Quatuor]
FAUST
(à Marguerite)
Prenez mon bras un moment !
MARGUERITE
Laissez !... je vous en conjure !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
(de l'autre côté du thèâtre, à Marthe)
Votre bras !...
MARTHE
(à part)
Il est charmant !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à part)
La voisine est un peu mûre !
(Marguerite abandonne son bras à Faust et s’éloigne avec lui. Méphistophélès et Marthe restent seuls.)
MARTHE
Ainsi vous voyagez toujours ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Dure nécessité, madame !
Sans amis, sans parents !... sans femme.
MARTHE
Cela sied encor aux beaux jours !
Mais plus tard, combien il est triste
de vieillir seul, en égoïste !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
J’ai frémi souvent, j’en conviens,
devant cette horrible pensée !...
MARTHE
Avant que l’heure en soit passée,
digne seigneur, songez-y bien !
(Ils s'éloignent. Marguerite et Faust rentrent en scène.)
FAUST
Eh quoi ! toujours seule ?...
MARGUERITE
Mon frère
est soldat; j’ai perdu ma mère;
puis ce fut un autre malheur,
je perdis ma petite sœur !
Pauvre ange !... Elle m’était bien chère !...
C’était mon unique souci;
que de soins, hélas !... que de peines !...
C’est quand nos âmes en sont pleines,
que la mort nous les prend ainsi !...
Sitôt qu’elle s’éveillait, vite
il fallait que je fusse là !...
Elle n’aimait que Marguerite !...
Pour la voir, la pauvre petite,
je reprendrais bien tout cela !...
FAUST
Si le ciel, avec un sourire,
l’avait faite semblable à toi,
c’était un ange !... oui, je le crois !...
MARGUERITE
Vous moquez-vous ?...
FAUST
Non, je t’admire !
MARGUERITE
Je ne vous crois pas,
et de moi tout bas
vous riez sans doute !...
J’ai tort de rester
pour vous écouter !...
Et pourtant j’écoute !...
FAUST
Laisse-moi ton bras !...
Dieu ne m’a-t-il pas
conduit sur ta route ?...
Pourquoi redouter,
hélas ! d’écouter ?...
mon cœur parle; écoute !...
(Méphistophélès et Marthe reparaissent.)
MARTHE
Vous n’entendez pas,
ou de moi tout bas
vous riez sans doute !
Avant d’écouter,
pourquoi vous hâter
de vous mettre en route ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Ne m’accusez pas,
si je dois, hélas !
me remettre en route.
Faut-il attester
qu’on voudrait rester
quand on vous écoute ?
(La nuit commence à tomber.)
MARGUERITE
(à Faust)
Retirez-vous !... voici la nuit.
FAUST
(passant son bras autour de la taille de Marguerite)
Chère âme !
MARGUERITE
Laissez-moi !...
(Elle se dégage et s’enfuit.)
FAUST
(la poursuivant)
Quoi ! méchante !... on me fuit !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à part, tandis que Marthe, dépitée, lui tourne le dos)
L’entretien devient trop tendre !
esquivons-nous !
(Il se cache derrière un arbre.)
MARTHE
(à part)
Comment m’y prendre ?
(se retournant)
Eh bien ! il est parti !... seigneur !...
(Elle s'éloigne.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Cours après moi !...
Ouf ! cette vieille impitoyable,
de force ou de gré, je crois,
allait épouser le diable !
FAUST
(dans la coulisse)
Marguerite !
MARTHE
(dans la coulisse)
Cher seigneur !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Serviteur !
Méphistophélès, seul.
[N. 17 - Récitatif]
Il était temps ! sous le feuillage sombre
voici nos amoureux qui reviennent !... c’est bien !
Gardons-nous de troubler un si doux entretien !
Ô nuit, étends sur eux ton ombre !
amour, ferme leur âme aux remords importuns !
et vous, fleurs aux subtils parfums,
épanouissez-vous sous cette main maudite !
Achevez de troubler le cœur de Marguerite !...
(Il s’éloigne et disparaît dans l’ombre. Faust et Marguerite rentrent en scène.)
[N. 18 - Duo]
MARGUERITE
Il se fait tard !... adieu !...
Faust, Marguerite.
FAUST
(la retenant)
Quoi ! je t’implore en vain !
attends ! laisse ma main s’oublier dans ta main !
(S’agenouillant devant Marguerite.)
Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage
sous la pâle clarté
dont l’astre de la nuit, comme dans un nuage,
caresse ta beauté !...
MARGUERITE
Ô silence ! ô bonheur ! ineffable mystère !
enivrante langueur !
J’écoute !... et je comprends cette voix solitaire
qui chante dans mon cœur !
(Dégageant sa main de celle de Faust.)
Laissez un peu, de grâce !..
(Elle se penche et cueille une Marguerite.)
FAUST
Qu’est-ce donc ?
MARGUERITE
Un simple jeu !
laissez un peu !
(Elle effeuille la Marguerite.)
FAUST
Que dit ta bouche à voix basse ?...
MARGUERITE
Il m’aime ! ~ Il ne m’aime pas ! ~
Il m’aime ! ~ pas ! ~ Il m’aime ! ~ pas ! ~ Il m’aime !...
FAUST
Oui !... crois en cette fleur éclose sous tes pas !...
Qu’elle soit pour ton cœur l’oracle du ciel même !...
Il t’aime !... comprends-tu ce mot sublime et doux ?...
MARGUERITE
Je me sens tressaillir !
FAUST
(prenant Marguerite dans ses bras)
Aimer ! porter en nous
une ardeur toujours nouvelle !...
Nous enivrer sans fin d’une joie éternelle !...
FAUST, MARGUERITE
Éternelle !...
FAUST
Ô nuit d’amour !... ciel radieux !...
ô douces flammes !...
Le bonheur silencieux
verse les cieux
dans nos deux âmes !...
MARGUERITE
Je veux t’aimer et te chérir !...
Parle encore !...
je t’appartiens !... je t’adore !...
pour toi je veux mourir !...
FAUST
Marguerite !...
MARGUERITE
(se dégageant des bras de Faust)
Ah !... partez !...
FAUST
Cruelle !...
me séparer de toi !...
MARGUERITE
Je chancelle !...
FAUST
Ah ! cruelle !...
MARGUERITE
(suppliante)
Laissez-moi !...
FAUST
Tu veux que je te quitte !
hélas !... vois ma douleur !
tu me brises le cœur,
ô Marguerite !...
MARGUERITE
Partez ! oui, partez vite !
je tremble !... hélas !... j’ai peur !
Ne brisez pas le cœur
de Marguerite !
FAUST
Par pitié !...
MARGUERITE
Si je vous suis chère...
par votre amour, par ces aveux
que je devais taire,
cédez à ma prière !...
cédez à mes voeux !...
(Elle tombe aux pieds de Faust.)
FAUST
(après un silence, la relevant doucement)
Divine pureté !...
chaste innocence,
dont la puissance
triomphe de ma volonté !...
J’obéis !... mais demain !...
MARGUERITE
Oui, demain !... dès l’aurore !...
demain !... toujours !...
FAUST
Un mot encore !...
Répète-moi ce doux aveu !...
tu m’aimes !...
MARGUERITE
(s’échappe, court au pavillon, s’arrête sur le seuil et envoie un baiser à Faust)
Adieu !...
(Elle entre dans le pavillon.)
FAUST
Félicité du ciel !... ~ Ah ! fuyons !...
(Il s’élance vers la porte du jardin. Méphistophélès lui barre le passage.)
Faust, Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Tête folle !...
FAUST
Laisse-moi !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Daignez seulement
écouter un moment
ce qu’elle va conter aux étoiles, cher maître !...
tenez !... elle ouvre sa fenêtre !...
(Marguerite ouvre la fenêtre du pavillon et s’y appuie un moment en silence, la tête entre les mains.)
Les mêmes, Marguerite.
MARGUERITE
Il m’aime !... quel trouble en mon cœur !...
L’oiseau chante... le vent murmure !...
toutes les voix de la nature
me redisent en chœur:
Il t’aime !... ~ Ah ! qu’il est doux de vivre !...
Le ciel me sourit... l’air m’enivre !...
Est-ce de plaisir et d’amour
que la feuille tremble et palpite ?...
Demain ?... ~ Ah ! presse ton retour,
cher bien-aimé !... viens !...
FAUST
(s’élançant vers la fenêtre et saisissant la main de Marguerite)
Marguerite !...
MARGUERITE
Ah !...
(Elle reste un moment interdite et laisse tomber sa tête sur l’épaule de Faust; Méphistophélè souvre la porte du jardin et sort en ricanant. La toile tombe.)
La chambre de Marguerite.
Marguerite, seul.
[N. 19 - Marguerite au rouet]
(Elle s'approche de la enêtre et écoute)
Elles ne sont plus là ! ~ Je riais avec elles
autrefois !... maintenant...
VOIX DE JEUNES FILLES
(dans la rue)
Les amours ont des ailes !...
Le galant étranger s’enfuit...et court encor !
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
(Les jeunes filles s’éloignent en riant.)
MARGUERITE
Elles se cachaient ! ah ! cruelles !
Je ne trouvais pas d’outrage assez fort
jadis pour les péchés des autres !...
Un jour vient où l’on est sans pitié pour les nôtres !
Je ne suis que honte à mon tour !
et pourtant, dieu le sait, je n’étais pas infâme;
tout ce que t’y porta, mon âme,
n’était que tendresse et qu’amour !
(Elle s’assied devant son rouet et file.)
Il ne revient pas !...
j’ai peur, je frissonne,
je languis !... ~ hélas !
en vain l’heure sonne,
il ne revient pas !...
Où donc peut-il être ?...
Seule à ma fenêtre,
je plonge là-bas
mon regard !... ~ hélas !
Où donc peut-il être ?
il ne revient pas !...
Je n’ose me plaindre;
il faut me contraindre !
je pleure tout bas !...
S’il pouvait connaître
ma douleur !... hélas !
Où donc peut-il être ?
il ne revient pas !...
Oh ! le voir !... entendre
le bruit de ses pas !
Mon cœur est si las,
si las de l’attendre !...
Il ne revient pas !...
Mon seigneur ! mon maître !...
s’il allait paraître,
quelle joie !... ~ hélas !
Où donc peut-il être ?
il ne revient pas !...
(Elle laisse tomber sa tête sur sa poitrine et fond en larmes. Le fuseau s’échappe de ses mains.)
Marguerite, Siébel.
[N. 20 - Scène et Récitatif]
SIÉBEL
(s'approchant doucement de Marguerite)
Marguerite !
MARGUERITE
Siébel !...
SIÉBEL
Encor des pleurs !
MARGUERITE
(se levant)
Hélas
vous seul ne me maudissez pas !
SIÉBEL
Je ne suis qu’un enfant, mais j’ai le cœur d’un homme
et je vous vengerai de son lâche abandon !
Je le tuerai !
MARGUERITE
Qui donc ?
SIÉBEL
Faut-il que je le nomme ?
L’ingrat qui vous trahit !...
MARGUERITE
Non !... taisez-vous !...
SIÉBEL
Pardon !
Vous l’aimez encore ?...
MARGUERITE
Oui !... je l'attends !... et je pleure !...
Je vei le nuit et jour; j'écoute passer l'heure !...
mais ce n’est pas à vous de plaindre mon ennui.
J’ai tort, Siébel, de vous parler de lui !...
SIÉBEL
I
Versez vos chagrins dans mon âme !
Mon fol amour s'est endormi !
Il ne m'est resté de sa flamme
que la tendresse d'un ami !
II
Hélas ! ne mettez pas en doute
ce dévoûment silencieux !...
Mon cœur a reçu goutte à goutte
les pleurs qui tombent de vos yeux !...
MARGUERITE
Soyez béni, Siébel ! votre amitié m’est douce !
Ceux dont la main cruelle me repousse,
n’ont pas fermé pour moi la porte du saint lieu;
j’y vais pour mon enfant.. et pour lui prier dieu !
(Elle sort; Siébel la suit à pas lents.)
L’église.
Marguerite, puis Méphistophélès
[N. 21 - Scene de l’église]
(Quelques femmes traversent la scène et entrent dans l'église. Marguerite entre après d'elles et s’agenouille.)
MARGUERITE
Seigneur, daignez permettre à votre humble servante
de s’agenouiller devant vous !
UNE VOIX
Non !... tu ne priras pas !... frappez-la d'épouvante !
Esprits du mal, accourrez tous !
VOIX DE DÉMONS INVSIBLES
Marguerite !...
MARGUERITE
Qui m'appelle ?
LES VOIX
Marguerite !...
MARGUERITE
Je chancelle !...
Je meurs ! ~ dieu bon ! dieu clément !
est-ce déjà l'heure du châtiment ?
(Méphistophélès parait derrière un pilir et se penche à l'oreille de Marguerite.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Souviens-toi du passé quand, sous l’aile des anges
abritant ton bonheur,
tu venais dans son temple, en chantant des louanges,
adorer le seigneur !
Lorsque tu bégayais une chaste prière
d’une timide voix,
et portais dans ton cœur les baisers de la mère,
et dieu tout à la fois !...
C'en est fait !... les élus ont détourné leur face
de ton sombre chemin,
le ciel t'a condamnée, et le juste qui passe
ne te tend plus la main ! ~
Écoute ces clameurs ! c’est l’enfer qui t’appelle !...
c’est l’enfer qui te suit !
c’est l’éternel remords, c’est l’angoisse éternelle
dans l’éternelle nuit !
MARGUERITE
Dieu ! quelle est cette voix qui me parle dans l’ombre ?
Dieu tout-puissant !
quel voile sombre
sur moi descend !
Chant religieux (accompagné par l'orgues).
CHŒUR
Quand du seigneur le jour luira,
sa croix au ciel resplendira,
et l’univers s’écroulera...
MARGUERITE
Hélas ! ce chant pieux est plus terrible encore !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Non !
Dieu pour toi n’a plus de pardon !
pour toi, le ciel n’a plus d’aurore !
CHŒUR
Que dirais-je alors au seigneur ?
où trouverai-je un protecteur,
quand l’innocent n’est pas sans peur ?
MARGUERITE
Ah ! ce chant m’étouffe et m’oppresse !
je suis dans un cercle de fer !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Adieu les nuits d’amour et les jours pleins d’ivresse !
À toi l’enfer !...
(Il disparaît.)
MARGUERITE, CHŒUR
Seigneur, accueillez la prière
des cœurs malheureux !
Qu’on rayon de votre lumière
descende sur eux !
VOIX DES DÉMONS
Marguerite !
Sois maudite !
MARGUERITE
Quel sinistre éclair
traverse la nuit ! la voûte s'embrase !...
elle s'abaisse.. et m'écrase !...
De l'air !... de l'air !...
VOIX DES DÉMONS
À toi l’enfer !...
(Marguerite pousse un cri et tombe évanouie sur les dalles. Le rideau tombe et laisse voir en se relevant une rue; à gauche, la maison de Marguerite.)
La rue.
Valentin, Soldats, puis Siébel.
[N. 22 - Chœur des soldats]
CHŒUR
Déposons les armes;
dans nos foyers enfin nous voici revenus !
Nos mères en larmes,
nos mères et nos sœurs ne nous attendront plus.
VALENTIN
SIÉBEL
Cher Valentin !...
VALENTIN
SIÉBEL
Elle est à l’église, je crois.
VALENTIN
CHŒUR
Oui, c’est plaisir dans les familles,
de conter aux enfants qui frémissent tout bas,
aux vieillards, aux jeunes filles,
la guerre et ses combats !...
Gloire immortelle
de nos aïeux,
sois-nous fidèle !
mourons comme eux !
Et sous ton aile,
soldats vainqueurs,
dirige nos pas, enflamme nos cœurs !
Pour toi, mère patrie,
affrontant le sort,
tes fils, l’âme aguerrie,
ont bravé la mort !
Ta voix sainte nous crie:
en avant, soldats !
le fer à la main, courez aux combats !
Gloire immortelle
de nos aïeux,
sois-nous fidèle !
mourons comme eux !
Et sous ton aile,
soldats vainqueurs,
dirige nos pas, enflamme nos cœurs !
Vers nos foyers hâtons le pas !
on nous attend: la paix est faite !
Plus de soupirs ! ne tardons pas !
notre pays nous tend les bras !
l’amour nous rit ! l’amour nous fête !
Et plus d’un cœur frémit tout bas
au souvenir de nos combats !
Gloire immortelle
de nos aïeux,
sois-nous fidèle !
mourons comme eux !
Et sous ton aile,
soldats vainqueurs,
dirige nos pas, enflamme nos cœurs !
(Les soldats se séparent et se dispersent de différents côtés. femmes et enfants accourent à leur rencontre et s'éloignent avec eux. Valentin et Siébel restent seuls en scène.)
Valentin, Siébel.
[N. 23 - Récitatif]
VALENTIN
SIÉBEL
(vivement)
Non ! n’entre pas !...
VALENTIN
SIÉBEL
Eh bien !... ~ non, je ne puis !
VALENTIN
SIÉBEL
(l’arrêtant)
Arrête !
Sois clément,Valentin !
VALENTIN
SIÉBEL
Pardonne-lui !...
(Seul.)
Mon dieu ! je vous implore !
Mon dieu, protégez-la !...
(Il s’éloigne. Méphistophélès et Faust entrent en scène, Méphistophélè tient une guitare à la main.)
Faust, Méphistophélès.
(Faust se dirige vers la maison de Marguerite et s’arrête.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Qu’attendez-vous encore ?
Entrons dans la maison.
FAUST
Tais-toi, maudit !... j’ai peur
de rapporter ici la honte et le malheur !
MÉPHISTOPHÉLÈS
À quoi bon la revoir, après l’avoir quittée ?
Notre présence ailleurs serait bien mieux fêtée !
Le sabbat nous attend !
FAUST
Marguerite !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Je vois
que mes avis sont vains et que l’amour l’emporte !
Mais, pour vous faire ouvrir la porte,
vous avez grand besoin du secours de ma voix !
(Faust, pensif, se tient à l'écart. Méphistophélè s'accocmpagne sur sa guitare.)
[N. 24 - Sérénade]
I
« Vous qui faites l’endormie,
n’entendez-vous pas,
ô Catherine, ma mie,
ma voix et mes pas ?... »
Ainsi ton galant t’appelle,
en ton cœur l’en croit !...
N’ouvre ta porte, ma belle,
que la bague au doigt !
FAUST
Par l'enfer, tais-toi !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Bon !
Ce n'est qu'une plaisanterie !
Laissez-moi, je vous prie,
achever ma chanson !
II
« Catherine que j’adore,
pourquoi refuser
à l’amant qui vous implore,
un si doux baiser ?... »
Ainsi ton galant supplie,
et ton cœur l’en croit !
Ne donne un baiser, ma mie,
que la bague au doigt !
(Valentin sort de la maison.)
Les mêmes, Valentin.
[N. 25 - Scène et Trio du duel]
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
Pardon ! mon camarade,
mais ce n’est pas pour vous qu’était la sérénade !
VALENTIN
(Il dégaîne et brise la guitare de Méphistophélès d’un coup d’épée.)
FAUST
Sa sœur !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à Valentin)
Quelle mouche vous pique ?
Vous n’aimez donc pas la musique ?
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
Vous le voulez ?... ~ Allons, docteur, à vous !...
VALENTIN
FAUST
(à part)
Terrible et frémissant,
il glace mon courage !
Dois-je verser le sang
du frère que j’outrage ?...
MÉPHISTOPHÉLÈS
De son air menaçant,
de son aveugle rage,
je ris !... mon bras pouissant
va détourner l'orage !...
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à part)
Tu t’en repentiras !
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
(à Faust)
Serrez-vous contre moi !...
et poussez seulement, cher docteur !... moi, je pare...
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
Très-bien ! et l'autre aussi !...
VALENTIN
FAUST
Laisse-nous !... de toi je me sépare !...
Va-t'en ! va-t'en !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Non pas !
si vous rompez d'un pas,
vous ête mort !
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
Pousse donc !...
VALENTIN
MÉPHISTOPHÉLÈS
Oui !...
VALENTIN
FAUST
Qu'as-tu fait, maudit ?...
(Valentin tombe.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Voici notre héros étendu sur le sable !...
Au large maintenant ! au large !...
(Il entraîne Faust. Arrivent Marthe et des bourgeois portant des torches.)
Marthe, Bourgeois, Valentin, puis Marguerite et Siébel.
[N. 26 - Mort de Valentin]
MARTHE, BOURGEOIS
Par ici !...
par ici, mes amis ! on se bat dans la rue !... ~
L’un d’eux est tombé là ! ~ Regardez... le voici !...
Il n’est pas encor mort !... ~ on dirait qu’il remue !... ~
Vite, approchez !... il faut le secourir !
VALENTIN
(Marguerite paraît soutenue par Siébel.)
MARGUERITE
Valentin !... Valentin !...
(Elle écarte la foule et tombe à genoux près de Valentin.)
VALENTIN
MARGUERITE
Ô dieu !
VALENTIN
LA FOULE
(à demi-voix, montrant Marguerite)
Il meurt frappé par son amant !
MARGUERITE
Douleur nouvelle !
Ô châtiment !...
SIÉBEL
(à Valentin)
Grâce pour elle !...
Soyez clément !
VALENTIN
MARGUERITE
Mon frère !... mon frère !... hélas !...
LA FOULE
Ô blasphème !
à ton heure suprême,
infortuné !
Songe, hélas ! à toi-même...
pardonne, si tu veux être un jour pardonné !...
VALENTIN
MARGUERITE
Mon frère !...
VALENTIN
(Il meurt. Siébel entraîne Marguerite éperdue. La toile tombe)
Supplement par Charles Gounod.
Romance
SIÉBEL
Si le bonheur à sourire t'invite,
joyeux alors, je sens un doux émoi,
si la douleur t'accable, Marguerite,
ô Marguerite ! ô Marguerite !
je pleure alors, je pleure comme toi.
Comme deux fleurs sur une même tige
notre destin suivait le même cours
de tes chagrins en frère je m'afflige,
ô Marguerite ! ô Marguerite !
comme une sœur je t'aimerai toujours !
Les montagnes du Harz.
Follets, puis Faust, Méphistophélès.
[N. 27 - La nuit de Walpurgis]
CHŒUR DES FEUX FOLLETS
Dans les bruyères,
dans les roseaux,
parmi les pierres,
et sur les eaux,
de place en place,
perçant la nuit,
s’allume et passe
un feu qui luit !
Alerte ! alerte !
De loin, de près,
dans l’herbe verte,
sous les cyprès,
mouvantes flammes,
rayons glacés,
ce sont les âmes
des trépassés !
(Méphistophélès et Faust paraissent sur une cime élevée.)
FAUST
Arrête !
MÉPHISTOPHÉLÈS
N’as-tu pas promis
de m’accompagner sans rien dire ?
FAUST
Où sommes-nous ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Dans mon empire !
Ici, docteur, tout m’est soumis.
Écoute: rien qu'à mon approche
là-bas tout s'agite à al fois !
Debout sur cette antique roche
je parle, et tout tremble à ma voix !
Les hiboux se heurtent dans l'ombre,
le vent tourbillonne en sifflant;
la nuit de son long voile sombre
couvre des monts la large flanc !
Quel vacarme ! quelle tempête !
Mammon est maître du logis !
Mammon est le roi de la fête !
Voici la nuit de Walpurgis !
VOIX LONTAINES
Voici la nuit de Walpurgis !
FAUST
Mon sang se glace !...
(Il veut fuir.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
(le retenant)
Attends ! je n’ai qu’un signe à faire
pour qu’ici tout change et s’éclaire !...
La montagne s’entr'ouvre, et laisse voir un vaste palais resplendissant d’or, au milieu duquel se dresse une table richement servie et entourée des reines et des courtisanes de l’antiquité.
Méphistophélès, Chœur, Faust
[N. 28 - Scène et Chœur]
MÉPHISTOPHÉLÈS
Jusqu’aux premiers feux du matin,
à l’abri des regards profanes,
je t’offre une place au festin
des reines et des courtisanes !...
CHŒUR
Au nom des anciens dieux
que les coupes s’emplissent !...
Que les airs retentissent
de nos accords joyeux !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Hétaïres de Grèce ou filles de l'Asie,
Phryné, Laïs, Aspasie,
Cléopâtre aux doux yeux, Hélène au front charmant,
laissez-nous au banquet prendre place au moment...
CHŒUR
Que les coupes s’emplissent
au nom des anciens dieux !
Que les airs retentissent
de nos accords joyeux !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Pour guérir la fièvre
de ton cœur blessé,
prends cette coupe et que ta lèvre
y puise l'obli du passé !...
FAUST
Vains remords, ~ risible folie !
Il est temps que mon cœur oublie !
Donne et buvons jusqu’à la lie !
(Il saisit une coupe et la porte à ses lèvres.)
[N. 29 - Chant bachique]
FAUST
I
Doux nectar, en ton ivresse
tiens mon cœur enseveli !
Qu’un baiser de feu caresse
jusqu’au jour mon front pâli !
Dans la coupe enchanteresse
pour jamais je bois l’oubli !
II
Volupté, devant tes charmes
se réveille le désir !
Laisse-nous loin des alarmes
au passage te saisir,
et noyons l’amour en larmes
dans l’ivresse et le plaisir !
Ballet.
(Aspasie, Laïs et Phryné avec la courtisanes, Cléopâtre avec les esclaves nubiennes, Hélène avec les filles de Troie, viennent tour à tour enivrer Faust de leurs séductions. Faust subjugué leur tend sa coupe. Une teinte livide se répand sur le thèâtre. Tout à coup le fantôme de Marguerite apparaît dans un rayon lumineux.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
(sans voir Marguerite)
Que ton ivresse, ô volupté
étouffe le remords en son cœur enchanté !
(Faust aperçoit Marguerite et jette sa coupe loin de lui; aussitôt, palais et courtisanes disparaissent.)
La vallée du Brocken.
Faust, Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Qu’as-tu donc ?
FAUST
Regarde !... ne la vois-tu pas
là, devant nous, muette et blême ?
Sa bouche tout bas
murmure: je t'aime !
Elle pleure !... elle tend les bras !...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Magie et sortilège !
Ne va pas, maître fou,
te laisseer prendre au piége !
FAUST
Quel étrange ornement autour de ce beau cou !
Un ruban rouge qu’elle cache !
Un ruban rouge étroit comme un tranchant de hache !
(L’image de Marguerite disparaît.)
Marguerite !... je sens se dresser mes cheveux !
Mon cœur frémit ! ~ Je veux la voir ! ~ Viens, je le veux !
(Il entraîne Méphistophélès et s’ouvre, l’épée à la main, un passage à travers la foule des démons et des monstres infernaux qui cherchent à le retenir. Les sorcières envahissent la scène de toutes parta. Elles apportent une chaudière pleine d'un liquide flamboyant. Les unes agitent le breuvage magique avec de longues cuillers de fer, les autres dansent autour de la chauidière.)
La prison.
Marguerite endormie, Faust et Méphistophélès.
[N. 30 - Scène de la prison]
MÉPHISTOPHÉLÈS
Le jour va luire. ~ On dresse l’échafaud !
Décide sans retard Marguerite à te suivre.
Le geôlier dort. ~ Voici les clefs. ~ Il faut
que ta main d’homme la délivre.
FAUST
Laisse-moi !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Hâtez-vous. ~ Moi, je veille au-dehors.
(Il sort.)
Faust, Marguerite.
FAUST
Mon cœur est pénétré d’épouvante ! ~ Ô torture !
Ô source de regrets et d’éternels remords !
C’est elle ! ~ La voici, la douce créature,
jetée au fond d’une prison
comme une vile criminelle !
Le désespoir égara sa raison !...
Son pauvre enfant, ô dieu !... tué par elle !...
Marguerite !
MARGUERITE
(s’éveillant)
Ah ! c’est lui ! ~ c'est lui ! le bien-aimé !
À son appel mon cœur s’est ranimé !
FAUST
Marguerite !
MARGUERITE
Au milieu de vos éclats de rire,
démons qui m’entourez, j’ai reconnu sa voix !
FAUST
Marguerite !
MARGUERITE
Sa main, sa douce main m’attire !
Je suis libre ! il est là ! je l’entends ! je le vois !
FAUST
Oui, c’est moi, je t’aime !
Malgré l’effort même
du démon moqueur,
je t’ai retrouvée !
Te voilà sauvée ! C’est moi,
viens, viens sur mon cœur !
MARGUERITE
Oui, c’est toi, je t’aime !
Les fers, la mort même
ne me font plus peur !
Tu m’as retrouvée !
Me voilà sauvée !
je suis sur ton cœur !
FAUST
Viens, suis-moi ! ~ hâtons-nous.
(Il veut l’entraîner.)
MARGUERITE
(se déageant doucement de ses bras)
Attends !... voici la rue
où tu m’as vue
pour la première fois !...
Où votre main osa presque effleurer mes doigts !
« Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle,
qu’on vous offre le bras pour faire le chemin ? »
~ « Non, monsieur, je ne suis demoiselle ni belle,
et je n’ai besoin qu’on me donne la main ! »
FAUST
Oui, mon cœur se souvient ! ~ Mais suis-moi ! l’heure passe !
MARGUERITE
(s'appuyant amouresement sur son bras)
Ah ! reste encore ! et que ton bras
comme autrefois au mien s’enlace !...
FAUST
Ô ciel ! elle ne m’entend pas !
(Méphistophélès reparaît.)
Les mêmes, Méphistophélès.
[N. 31 - Trio Finale]
MÉPHISTOPHÉLÈS
Alerte ! alerte !
Ou vous êtes perdus !
Si vous tardez encor, je ne m’en mêle plus !
MARGUERITE
Le démon ! le démon ! ~ Le vois-tu ?... là... dans l’ombre
fixant sur nous son oeil de feu !
Que nous veut-il ? ~ Chasse-le du saint lieu !
MÉPHISTOPHÉLÈS
L'aube depuis longtemps a percé la nuit sombre,
le jour est levé;
de leur pied sonore
j’entends nos chevaux frapper le pavé.
(Cherchant à entraîner Faust.)
Viens ! sauvons-la. Peut-être il en est temps encore !
MARGUERITE
Mon dieu, protégez-moi ! ~ Mon Dieu, je vous implore !
(Tombant à genoux.)
Anges purs ! anges radieux !
Portez mon âme au sein des cieux !
Dieu juste, à toi je m’abandonne !
Dieu bon, je suis à toi ! ~ pardonne !
FAUST
Viens, suis-moi ! je le veux !...
MARGUERITE
Anges purs, anges radieux !
Portez mon âme au sein des cieux !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Hât-toi ! l'heure sonne !
FAUST
Viens, Marguerite, je le veux !
Viens !... le jour evahit les cieux.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Hât-toi de quitter ces lieux !
Fuis !... le jour evahite les cieux !
MARGUERITE
Anges purs, anges radieux !
Portez mon âme au sein des cieux !
(Bruit au dehors.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
Écoute !
FAUST
Dieu !
MARGUERITE
Par vous que je sois préservée !
FAUST
Marguerite !
MARGUERITE
Pourquoi ce regard menaçant ?
FAUST
Marguerite ?
MARGUERITE
Pourquoi ! ces mains rouges de sang ?
(le repoussant)
Va !... tu me fais horreur !
(Elle tombe sans mouvement.)
FAUST
Ah !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Maudite !
[N. 32 - Apothéose]
VOIX D'EN HAUT
Sauvée !
(Son de cloches et chants de pâques.)
CHŒUR DES ANGES
Christ est ressuscité !
Christ vient de renaître !
Paix et félicité
aux disciples du maître !
Christ vient de renaître !
Christ est ressuscité !
CHŒUR DES SAINTES FEMMES
L'univers racheté
a tressailli de joie !
CHŒUR DE DISCIPLES
Il écrase, il foudroie
l'hydre d'iniquité !
Les murs de la prison se sont ouverts.
L’âme de Marguerite s’élève dans les cieux.
Faust la suit des yeux avec désespoir; il tombe à genoux et prie.
Méphistophélès est à demi renversé sous l’épée lumineuse de l’archange.
Fin du livret.
Generazione pagina: 13/02/2016
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