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Le déserteur

LE DÉSERTEUR

Drame en trois actes, en prose, mêlé de musique.

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Livret de Michel-Jean SEDAINE.
Musique de Pierre-Alexandre MONSIGNY.

Première représentation: 6 mars 1769, Paris.


Personnages:

LOUISE amante d'Alexis

soprano

ALEXIS soldat de milice

basse

JEAN-LOUIS père de Louise

basse

LA TANTE d'Alexis

mezzo-soprano

BERTRAND cousin de Louise

basse

JEANNETTE jeune paysanne

soprano

MONTAUCIEL dragon

basse

COURCHEMIN brigadier de maréchaussée

basse

LE GEOLIER

baryton


Gardes, Soldats, Peuple.

La scène est proche d'un village situé à quelques lieues des frontières de la Flandre, près desquelle est campée l'armée françoise.

Acte premier

Le théâtre représente un lieu champêtre, dont l'horizon est terminé par une montagne, un hameau dans le lointain, un orme sur le devant de la scène, et sur un des côtés, au pied est un tertre de gazon sur lequel peuvent s'asseoir deux ou trois personnes.

Scène première

Louise, Jean-Louis.

[N. 1 - Ariette]

LOUISE

Peut-on affliger ce qu'on aime ?

Pourquoi chercher

a le fâcher?

Peut-on affliger ce qu'on aime ?

C'est bien en vouloir à soi-même.

Je l'aime, et pour toute ma vie:

(à cet instant son père entre)

et vous voulez que cette perfidie...

Ah! mon père, je ne saurois:

à sa place, moi, j'en mourrois.

Peut-on affliger ce qu'on aime ?

C'est bien en vouloir à soi-même.

Scène seconde

Jean-Louis, Louise, La tante, Jeannette, Bertrand (il a une baguette à la main, dont il niaise).

JEAN-LOUIS

Je le veux, je le veux. Hé bien !

LOUISE

(à part)

Ah! ciel!

LA TANTE

On l'a vu ! on l'a vu !

BERTRAND

Il étoit de l'autre côté de l'eau.

LOUISE

Vous l'avez vu ? Et comment avez-vous fait ?

BERTRAND

En regardant.

LOUISE

(en levant les épaules de pitié)

En regardant !

LA TANTE

J'ai vu l'instant qu'il alloit se jeter à la nage: mais son havresac, son épée, tout cela l'embarrassoit. Il fait le tour.

LOUISE

Il a bien fait.

JEAN-LOUIS

Il a bien fait.

JEANNETTE

Il a bien fait.

BERTRAND

Oui, oui, il a bien fait.

JEAN-LOUIS

Or çà, Louise, il faut que tu fasses ce qu'a recommandé madame la duchesse.

LOUISE

Quelle fantaisie !

JEAN-LOUIS

Elle le veut; et voilà la lettre.

LA TANTE

Elle le veut; et voilà sa lettre.

LOUISE

Vous ne voulez pas nous la lire ?

JEAN-LOUIS

Si, si, si, je vais vous la lire; mais il faut bien m'écouter, et ne pas m'interrompre, comme vous faites les soirs, quand je lis dans mon gros livre.

LOUISE

Lisez donc, mon père.

JEAN-LOUIS

Or ça, écoutez. Mettons-nous là.

LOUISE

Ah! mon père, mettons-nous plutôt sous cet orme.

JEAN-LOUIS

Où tu voudras, je le veux bien. Mettez-vous là, vous, Marguerite, et toi ensuite. Passe là, Jeannette et toi près de moi; tu y es la plus intéressée.

(Quand ils sont tous assis, il tire la lettre.)

Oh çà, écoutez-vous ?

LOUISE

Oui.

LA TANTE

Oui.

JEANNETTE

Oui.

BERTRAND

Ah! que oui.

JEAN-LOUIS

Vous écoutez tous?

LOUISE

Tous.

LA TANTE

Tous.

JEANNETTE

Tous.

BERTRAND

Oui, tous, tous.

JEAN-LOUIS

Ce n'est pas là la lettre que madame la duchesse a écrite à cet officier, c'est la réponse de l'officier à madame la duchesse... Tais-toi, toi.

BERTRAND

(laissant tomber sa baguette)

Hé ! mais, je n'ai pas parlé.

LOUISE

Il n'a pas parlé.

LA TANTE

Il n'a pas parlé.

JEANNETTE

Il n'a pas parlé.

JEAN-LOUIS

J'ai cru qu'il avoit parlé.

(Il lit.)

« Madame, pour répondre à l'honneur que vous m'avez fait de m'écrire... » Brr… br… br...

LOUISE

Nous n'entendons pas.

JEAN-LOUIS

Ah! c'est que tout ceci, ce sont des complimens, qui sont peut-être des secrets que madame la duchesse ne veut pas qu'on sache. Brr... brr... brr...

LOUISE

Mais, mon père, ce n'est pas la peine que nous écoutions.

LA TANTE

Sans doute.

JEAN-LOUIS

Ah! m'y voilà. « Madame, quant à ce qui regarde Alexandre Spinaski, soldat dans mon régiment, il n'est pas de bien que je ne doive en dire » que je ne doive en dire. « Il a toutes les qualités qui font un bon soldat, sage, docile et brave. » Il n'entend pas dire qu'il est brave sur soi, c'est courageux qu'il veut dire.

LOUISE

Après, mon père.

JEAN-LOUIS

« Il est vif, ardent. Mais si trop d'ardeur le fait sortir des bornes, il y rentre aussit-ôt. » Il y rentre aussit-ôt: je ne sais pas trop ce que cela veut dire.

LOUISE

Ensuite, mon père.

JEAN-LOUIS

« Je désire de tout mon cœur qu'il veuille rester avec moi: je le ferois officier dans mon régiment. »

LA TANTE

Dans son régiment !

BERTRAND

Dans son régiment !

LOUISE

Ah ! je ne crois pas qu'il y reste.

JEAN-LOUIS

Paix donc ! « Mais comme ses six ans expirent dans quinze jours, je lui ferai expédier son congé. »

LOUISE

Dans quinze jours !

LA TANTE

Dans quinze jours !

JEAN-LOUIS

Dans quinze jours. « Je l'envoie, madame, à vos ordres, vous présenter mes respects et vous remercier; je lui ai recommandé de ne pas s'écarter, étant si près de l'ennemi et des frontières. Les ordres sont extrêmement rigoureux, et il faut qu'il rejoigne aujourd'hui; car le roi, qui dîne demain à deux lieues de votre château, passe ensuite au camp; et il faudra se mettre sous les armes. » Ah, c'est que quand le roi passe,

(vous ne savez pas ça, vous autres)

c'est que quand le roi passe, on se met sous les armes. Ah ! c'est une belle chose que la guerre.

BERTRAND

Oui, quand on en est revenu.

JEANNETTE

Pourquoi est-ce que les garçons pleurent pour n'y pas aller ?

JEAN-LOUIS

Taisez-vous, ça ne vous regarde pas. (à Louise) Or çà, ma fille, il faut faire ce que madame la duchesse a dit: tu feras comme si tu étois la mariée; et toi tu seras le marié.

BERTRAND

Ah, tant mieux.

JEAN-LOUIS

Il y aura des musettes, des trompettes, des violons; et il croira que tu es mariée d'hier.

(à Jeannette)

Et toi, tu lui viendras compter tout cela: tu feras comme si tu gardois tes moutons ici.

LA TANTE

J'aurois mieux fait qu'elle.

JEAN-LOUIS

Il vous connaît: il ne reconnoîtroit pas sa tante !

LOUISE

Ah! mon père, que je suis fâchée de tout cela: et si on me faisoit un pareil tour, cela me feroit bien de la peine.

JEAN-LOUIS

Il en aura plus de plaisir après.

LA TANTE

Hé, puis cela lui apprendra de t'écrire, qu'il désire te rencontrer sur la route, ne voir que toi, et repartir.

LOUISE

Ce n'est pas tout-à-fait cela qu'il a écrit; mais quand cela seroit, pourquoi m'en punir ?

LA TANTE

Enfin, c'est madame la duchesse qui le veut: elle l'a élevé; elle s'intéresse à lui, que c'est une merveille.

LOUISE

Un bel intérêt, à lui faire du chagrin.

JEAN-LOUIS

Ce n'est que pour un moment.

LOUISE

Il n'en croira rien; car il n'y a pas six jours qu'il a reçu une lettre de moi.

JEAN-LOUIS

Tant mieux, cela sera plus perfide.

LA TANTE

Oui, cela lui fera plus de peine.

JEAN-LOUIS

Allez vous ajuster tous, vous n'avez pas trop de temps;

(à Jeannette)

et toi, reste ici avec moi: voyons si tu feras bien ton rôle.

Scène troisième

Jean-Louis, Jeannette.

JEAN-LOUIS

Or çà, feras-tu bien ce que je t'ai dit ?

JEANNETTE

Oh que oui, monsieur Jean-Louis.

JEAN-LOUIS

Voyons, voyons; mets-toi là.

JEANNETTE

Oui.

JEAN-LOUIS

Fais comme si tu filois.

JEANNETTE

(prenant la baguette que Bertrand a laissée tomber)

Venez, prenons que c'est-là ma quenouille.

JEAN-LOUIS

Hé, puis tu chantes.

JEANNETTE

Oui, je chante, quand vous venez de par là.

JEAN-LOUIS

Non, pas moi.

JEANNETTE

Ah j'entends bien, j'entends bien: c'est lui.

JEAN-LOUIS

Hé bien, chante donc.

JEANNETTE

Attendez donc que j'aie mis ma quenouille.

(Pendant ce jeu, la ritournelle.)

[N. 2 - Ariette]

J'avois égaré mon fuseau,

je le cherchois sur la fougère:

Colin, en m'ôtant son chapeau,

me dit: Que cherchez-vous, bergère ?

Un peu d'amour, un peu de soin,

mènent souvent un cœur bien loin.

JEAN-LOUIS

Bonjour, la jeune fille.

(Elle se return.)

Bien, bien: continue.

JEANNETTE

C'est que j'ai perdu mon fuseau,

en passant près de ce grand chêne.

Colin alors prend son couteau,

et coupe une branche de frêne.

Un peu d'amour, un peu de soin,

mènent souvent un cœur bien loin.

JEAN-LOUIS

La jeune fille, écoutez donc. (Elle se return encore.) Bien, bien, fort bien: continue.

JEANNETTE

Il fit tant avec son couteau,

en me regardant d'un air tendre,

que j'eus le fuseau le plus beau,

et que mon cœur se laissa prendre.

Un peu d'amour, un peu de soin,

mènent souvent un cœur bien loin.

JEAN-LOUIS

La jeune fille, vous ne voulez donc pas m'écouter ?

JEANNETTE

Vous me pardonnerez, monsieur Jean- Louis.

JEAN-LOUIS

Monsieur Jean-Louis ! Dis donc monsieur le soldat, et non pas monsieur Jean-Louis.

JEANNETTE

Ah, oui, oui, monsieur le soldat: c'est que je vous regardois.

JEAN-LOUIS

Recommençons ça. La jeune fille, vous ne voulez donc pas m'écouter.

JEANNETTE

Vous me pardonnerez, monsieur le soldat.

JEAN-LOUIS

Bon, bon. La jeune fille, je vous serois bien obligé si vous vouliez bien me dire quelle est cette noce que je viens de voir passer.

JEANNETTE

C'est celle de Louise, fille de Jean-Louis Basset, soldat invalide et fermier de madame la duchesse.

JEAN-LOUIS

Bien, bien, fort bien: tu diras bien, et tu viendras nous rejoindre au château; mais n'oublie pas de dire monsieur le soldat. Tiens, tiens, comme il accourt.

JEANNETTE

Où donc ? Ah, oui.

JEAN-LOUIS

Tiens, comme il grimpe la montagne. Ah, les amoureux n'ont pas la goutte. Je m'en vais: reste. Non, viens vite.

Scène quatrième

Alexis.

[N. 3 – Ariette]

Ah ! je respire : il faut que je reprenne haleine.

(Il jette à terre son habit, son sabre, son havresac.)

Oui, le voici cet orme heureux,

où Louise a reçu mes vœux.

Je vais la voir, ah, quel plaisir !

La voir, lui parler, être ensemble.

De quel bonheur je vais jouir !

Mais... mais... je frissonne, je tremble.

L'amour... la joie: arrêtons un moment.

Ah ! quel moment: ah ! quel moment charmant !

Mais pourquoi ne l'ai-je pas vue !

Pourquoi sur le chemin n'est-elle pas venue ?

Elle a craint de céder à trop d'empressement:

trop de pudeur l'aura déçue.

Ne sait-on pas que je suis son amant ?

Allons: mais, que dirai-je ? ah, ciel ! ah, quel martyre !

Ils vont tous être là; nous ne saurons que dire:

la tante, les amis, son père, son voisin,

et le grand cousin.

Quelle contrainte ! Quel dommage !

Ah, si quelqu'enfant du village

paroissoit... Quoi, Louise, amour ne te dit pas ?

Vas donc, vas donc: il t'attend. Ah ! je gage

que quelqu'un arrête ses pas.

Je vais la voir, ah, quel plaisir !

Mais, j'entends des musettes, des violons. Voici tout le village, c'est une noce: cachons-nous. Qu'ils sont heureux ceux-là !

Scène cinquième

Toute la Noce.
Alexis est caché. Des violons en tête, une musette, une cornemuse. La mariée est triste; le reste a une gaieté feinte. Bertrand, qui fait le marié, a l'air sot et niais. Le père donne la main à sa fille.

[N. 4 - Marche de la noce]

JEAN-LOUIS

(à Louise)

Bon, il est caché: ne retourne pas la tête. Il regarde.

LOUISE

Ah ! que cela me fait de peine. Laissez-moi le voir.

JEAN-LOUIS

Tu le verras assez. Bon, bon, courage. Jeannette, reste là.

Scène sixième

Alexis, Jeannette (elle a sa quenouille).

ALEXIS

Parlez donc, la jeune fille.

JEANNETTE

(chante)

J'avois égaré mon fuseau,

je le cherchois sur la fougère

ALEXIS

Parlez donc, parlez donc.

(Jeannette veut chanter; mais il la prend par le bras. Elle veut reprendre son couplet; il ne veut pas la laisser continuer.)

JEANNETTE

Laissez-moi donc, laissez-moi donc: je vous répondrai au troisième couplet.

ALEXIS

Répondez-moi tout à l'heure.

JEANNETTE

(à part)

Ah, ciel ! je ne pourrai jamais...

ALEXIS

Hé bien, répondez donc.

JEANNETTE

Ah ! vous me faites peur.

ALEXIS

Ne craignez rien, ma belle enfant. Qu'est-ce que c'est que cette noce qui vient de passer ?

JEANNETTE

Cette noce ?

ALEXIS

Oui.

JEANNETTE

Ce que c'est ?

ALEXIS

Oui.

JEANNETTE

C'est une noce.

ALEXIS

De qui ?

JEANNETTE

J'avois égaré mon fuseau

je le cherchois sur la fougère

ALEXIS

Est-ce que vous vous moquez de moi avec votre chanson ? Je vous prie de me répondre.

JEANNETTE

Hé bien, quoi, dites. Ô ciel ! vous me faites tant de peur, que je ne pourrai jamais...

J'avois é...

ALEXIS

Comment ! encore votre chanson ! Qu'est-ce que c'est cette noce ? Pourquoi, dites, n'y ai-je pas vu... Hé, parbleu, voulez-vous...

JEANNETTE

Hé bien, oui, oui; c'est la noce de Louise, fille de Jean-Louis Basset, soldat invalide, et...

ALEXIS

Jean-Louis se remarie ?

JEANNETTE

Non, sa fille.

ALEXIS

Sa fille ! sa fille !

JEANNETTE

Elle est mariée d'hier; c'est aujourd'hui le lendemain.

ALEXIS

D'hier mariée... Jean-Louis... le lendemain... savez-vous bien ce que vous dites ? le connoissez-vous ?

JEANNETTE

Si je le connois ? sans doute, puisque voilà sa maison: c'est lui qui est le fermier de madame la duchesse. C'est si vrai, qu'elle y est venue ce matin. Elle est mariée à son cousin Bertrand, d'hier, à celui qui est si bon.

[N. 5 - Duo]

Ensemble

ALEXIS

(laisse tomber sa tête sur son estomach)

Seroit-il vrai, puis-je l'entendre ?

Non, cela ne peut se comprendre,

non, non, cela ne se peut pas;

elle auroit voulu mon trépas !

JEANNETTE

Ah ! comme je sais bien l'entendre:

ah ! comme je sais bien m'y prendre!

Bon, bon, quel plaisir il aura

quand il saura

que ce n'est pas !

ALEXIS

(à Jeannette)

Ma belle enfant; que je vous dise,

répondez bien avec franchise:

écoutez-moi. Répondez-moi.

De bonne foi:

je vous en prie,

je vous en supplie,

JEANNETTE

Hé bien hé bien, avec franchise,

que voulez-vous que je vous dise ?

ALEXIS

Répondez bien avec franchise:

c'est là la noce de Louise,

Ensemble

ALEXIS

la fille de Louis Basset.

JEANNETTE

Oui, c'est la noce de Louise,

JEANNETTE

la fille de Louis Basset;

ALEXIS

C'est elle-même qui passoit

JEANNETTE

c'est elle-même qui passoit

ALEXIS

avec Bertrand son grand cousin;

JEANNETTE

avec Bertrand son grand cousin:

c'est aujourd'hui le lendemain,

ALEXIS

C'est aujourd'hui le lendemain,

JEANNETTE

son père lui donnoit la main.

ALEXIS

son père lui donnoit la main.

Ciel ! c'est vrai, je l'ai reconnu.

JEANNETTE

Oui, oui, vous devez l'avoir vû.

Ensemble

ALEXIS

Il est donc vrai, j'ai pu l'entendre;

dieux ! cela peut-il se comprendre ?

Elle a donc voulu mon trépas!

Ah, ciel ! je ne me soutiens pas.

Je sens un froid, mon cœur s'en va

devois-je m'attendre à cela ?

Je sens un froid, mon cœur s'en va.

JEANNETTE

Ah ! comme je sais bien l'entendre:

ah ! comme je sais bien m'y prendre!

Bon, bon, quel plaisir il aura,

quand il saura que ce n'est pas.

À voir le chagrin, qu'il ressent,

ah ! que son plaisir sera grand.

Mais, mais, comme il semble fâché.

JEANNETTE

Ce que j'ai dit, l'a trop touché

Ensemble

ALEXIS

Ah, ciel ! je ne me soutiens pas.

JEANNETTE

Je vais lui dire, oui, je crains

JEANNETTE

qu'il ne prenne trop de chagrin.

Ensemble

ALEXIS

Ella a donc voulu mon trépas.

Elle a donc voulu mon trépas.

JEANNETTE

Mais, mais, quel plaisir il aura

quand il saura que ce n'est pas.

JEANNETTE

Mais, il me fait de la peine. Ah ! je vais lui dire que cela n'est pas vrai. Monsieur, monsieur, allez au château.

ALEXIS

Oui, je te poignarderois, et de la même main...

JEANNETTE

Ah, bon dieu ! il me tueroit: je m'en vas bien vite. Sauvons-nous.

Scène septième

Alexis

[N. 6 – Récitatif]

Infidèle, que t'ai-je fait ?

Dis-moi, dis quel est le sujet

qui te fait m'arracher la vie ?

Réponds, réponds, toujours chérie...

Dans mon cœur... ah quel trouble affreux...

Réponds, réponds, toujours chérie...

Tu fais bien de baisser les yeux.

Est-il quelqu'un plus malheureux ?

J'accours à sa voix: oui, c'est elle,

c'est ma Louise qui m'appelle:

et pourquoi ? Pour frapper mes yeux,

pour me rendre témoin... ah, dieux !

[N. 7 - Air et Finale]

Fuyons ce lieu que je déteste;

il fut si beau, non, non; reprens,

reprens cette lettre funeste;

(Il montre son habit qui est à terre. Des soldats de maréchaussée paraissent et l'observent.)

je te la rends, je te la rends:

fût-il au centre de la terre,

je m'en vengerai sur ton père;

ne me suis pas, monstre cruel,

que notre adieu soit éternel.

Scène huitième

Alexis, des Soldats de Maréchaussée.

LE BRIGADIER

Alte-là, soldat.

ALEXIS

Je m'en vas.

SECOND SOLDAT

Alte-là, soldat.

ALEXIS

Je m'en vas.

TROISIÈME SOLDAT

Où courrez-vous ?

ALEXIS

Oui, je m'en vas.

QUATRIÈME SOLDAT

Où courrez-vous ?

ALEXIS

Oui, je m'en vais;

pour toujours je quitte la France.

LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT

Quoi, vous deésertez.

TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT

Quoi, vous deésertez.

ALEXIS

Pour toujours je quitte la France.

LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT

Quoi, vous deésertez.

TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT

Quoi, vous deésertez.

ALEXIS

Non, non, je ne déserte pas,

pour toujours je quitte la France.

LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT

Mais c'est déserter.

TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT

Mais c'est déserter.

LE BRIGADIER

Comment, il ne déserte pas ?

SECOND SOLDAT

Il dit qu'il veut sortir de France.

TROISIÈME SOLDAT

Comment, il ne déserte pas ?

On diroit qu'il est en démence.

QUATRIÈME SOLDAT

On diroit qu'il est en démence.

Ensemble

ALEXIS

(à part)

II faut mourir, hatons ma perte.

(aux soldats)

Je m'en vas, je déserte.

Oui, oui, c'en est fait, je déserte.

Oui, oui, c'en est fait, je déserte.

N'en doutez pas,

oui je m'en vas.

Que le remors soit ton partage,

mon trépas sera ton ouvrage:

ne me suis pas, monstre cruel,

que notre adieu soit éternel.

LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT, TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT

Suivons ses pas.

Prenez cet habit,

et voyons s'il fuit.

Il l'avoit jeté

pour sa sureté.

Suivons ses pas.

Voyons s'il court vers la frontière.

Voyons, voyons ce qu'il va faire,

voyons, s'il court vers la frontière

Acte deuxième

Le thèâtre représente une prison, quelques tables de pierre, et des escabeaux.

Scène première

Le geolier, Alexis.

(Dans le cours de cette scène Le geolier est occupé à differentes choses.)

[N. 8 - Entr'acte]

LE GEOLIER

Tenez, voici de l'eau dans cette cruche, une table de pierre, un escbeau, et votre lit: mais de la manière dont vous y allez, vous n'avez pas dessein qu'on renouvelle le coucher. « Oui, messieurs, je désertois, oui, je désertois. » On avoit beau vous dire que vous ne désertiez pas. « Je désertois, vous dis-je. » Hé, quel diable d'homme êtes-vous ? Oh ça, je vous ai déjà dit qu'il y avoit là de l'eau: si vous voulez du vin, pour de l'argent, s'entend, et vous ne devez pas le ménager, si vous en avez; car votre affaire ne sera pas longue. Peut-être...

ALEXIS

Non, non.

LE GEOLIER

Hé bien, si vous n'en avez pas, vous boirez de l'eau, vous boirez de l'eau.

ALEXIS

Oui, je voudrois la voir. Oh ciel, oh ciel !

LE GEOLIER

Vous le connoissez, je vais vous l'envoyer. Ah, vous connoissez Montauciel: il est encore ici. Buvez un coup ensemble, dissipez-vous, ce ne sera pas long.

Scène seconde

Alexis.

[N. 9 - Ariette]

Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure:

hé, ne faut-il pas que je meure ?

Chaque minute, chaque pas

ne mène-t-il pas

au trépas?

Mais souffrir une perfidie

aussi sanglante, aussi hardie;

y survivre, ah, plutôt mourir !

Ce n'est que cesser de souffrir.

Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure:

hé, ne faut-il pas que je meure ?

Chaque minute, chaque pas

ne mènet-il pas

au trépas ?

Mes jours, je les comptois, je les voyois à toi;

les tiens étoient les miens, ils ne sont plus à moi.

(Il tire une lettre et lit.)

« Viens, cher amant, je ne vivrai

que du jour où je te verrai.

Mon père attend bien du plaisir

de l'instant qui va nous unir;

et moi qui t'aime... » et me trahir !

Et je vivrois; plutôt mourir,

ce n'est que cesser de souffrir.

Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure;

hé, ne faut-il pas que je meure ?

Chaque minute, chaque pas

ne mène-t-il pas

au trépas ?

Scène troisième

Montauciel, Alexis. (Montauciel est un peu pris de vin.)

MONTAUCIEL

Camarade, vous me demandez ?

ALEXIS

Moi, non.

MONTAUCIEL

Ah, que si... La maison, hé, la maison: nous allons boire un coup ensemble, nous allons renouer connoissance, si nous nous connoissons; ou nous allons la faire, si nous ne nous connoissons pas: cela revient au même.

ALEXIS

Savez-vous si on peut avoir ici une feuille de papier pour écrire ?

MONTAUCIEL

Ah, que oui, je vous aurai ça. Hé, la maison, la maison. Mais, sarpebleu, vous avez eu un tort, vous avec eu deux torts, vous avez eu trois torts; le premier, c'est de déserter; le second, c'est d'en convenir. Montauciel n'est qu'une bête: mais, à votre place, ç'auroit été mon sergent, mon général, mon caporal, je leur aurois dit: Non, je ne déserte pas: non, sarpebleu, Montauciel ne déserte pas. Hé, la maison.

(Il va, pendant la ritournelle, comme s'il appeloit, et il revient.).

[N. 10 - Ariette]

Je ne déserterai jamais,

jamais que pour aller boire,

que pour aller boire à longs traits.

De l'eau du fleuve où l'on perd la mémoire.

Il est permis d'être par fois

infidèle à son inhumaine;

mais c'est blesser toutes les loix

que de l'être à son capitaine.

Je ne déserterai jamais,

jamais que pour aller boire,

que pour aller boire à longs traits.

Scène quatrième

Montauciel, Le geolier, Alexis.

(Le geolier apporte une pinte et des gobelets d'étain.)

LE GEOLIER

Il y a là une jeune fille qui demande un soldat. C'est sans doute toi, Montauciel ?

MONTAUCIEL

Oui, c'est pour moi: fais-la venir, elle ne fera pas de trop. Pour en revenir...

(il leve la pinte, et la repose en regardant Louise)

Diable ! elle est gentille.

Scène cinquième

Alexis, Louise, Montauciel.

ALEXIS

Ciel, que vois-je ? Quoi ! vous voilà.

LOUISE

Oui, moi.

ALEXIS

Vous ?

LOUISE

Vous !

ALEXIS

Oui, vous.

MONTAUCIEL

Camarade, je vous laisse. C'est votre sœur, c'est votre cousine, c'est tout ce que vous voudrez. Mademoiselle, je ne vous offense pas: je m'appelle Montauciel; je sais la politesse qu'il faut... Quand on sait ce que c'est que de vivre dans les prisons... Camarade, elle est jolie: je vais, que je m'en vais, sur le préau. Vous pouvez causer: si quelqu'un... Ah, adieu, adieu.

(Montauciel menage sa sortie, de maniere qu'il ne sort qu'à la fin de la riturnelle du morceau qui suit.)

Scène sixième

Alexis, Louise.

[N. 11 - Duo]

Ensemble

ALEXIS

Ô ciel, puis-je ici te voir ?

Ta présence est un outrage;

viens-tu redoubler ma rage,

augmenter mon désespoir.

Ta présence est un outrage;

viens-tu redoubler ma rage.

Est-il rien de plus cruel ?

Venir ici, l'infidèle !

Et de ma douleur mortelle

paroître jouir. Ô ciel !

Comment puis-je ici te voir ?

Ta présence est un outrage;

viens-tu redoubler ma rage,

augmenter mon désespoir ?

Ta présence est un outrage;

viens-tu redoubler ma rage.

LOUISE

Alexis, Alexis, pourquoi ce désespoir ?

Ah ! je ne croyois pas en accourant te voir,

m'exposer au chagrin de te faire un outrage.

Alexis, Alexis, écoute un mot, je gage

que je vais d'un sol mot calmer ton désespoir.

(à part)

Peut-être qu'il finira;

enfin, il s'apaisera.

Un mot, un mot, écoute-moi je gage

que je vais d'un seul mot calmer ton désespoir.

Ah ! je ne croyois pas en accourant te voir

m'exposer au chagrin de te faire un outrage.

(Montauciel rentre à al ritournelle de ce Duo, et prende la pinte.)

Scène septième

Montauciel, Alexis, Louise.

MONTAUCIEL

Que je ne vous dérange pas. Vous ne voulez pas boire? Non, non: adieu.

Scène huitième

Alexis, Louise.

ALEXIS

Ah ? ce n'est pas à toi que j'en veux, c'est à ton père.

LOUISE

Il est vrai que mon père...

ALEXIS

Ce vieillard infâme ! Son avarice n'a pu, sans doute, tenir contre un peu d'argent. C'est contre de l'argent qu'il troque le bonheur de deux personnes qui ne se seroient occupées que du sien. Il plonge en des remords, en des tourments affreux... car tu m'aimes encore, et tu m'aimeras toujours. Il fait le malheur de trois personnes, à qui il n'est plus permis d'être heureuses. Pour moi, tout est dit. Mais toi, et ton mari... Ce lâche ! il te permet de venir me voir le surlendemain de ta noce : il te permet de venir voir un soldat qui t'aime, qu'il sait bien que tu as aimé; et dans une prison, que sans toi... Va, je ne t'en veux pas. Ah ! Louise, je t'aime encore: puisses-tu ne te jamais souvenir de moi !

LOUISE

Alexis.

ALEXIS

Mais, avec quel front, avec quelle tranquillité...

LOUISE

Je ne serois pas si tranquille si j'étois coupable.

ALEXIS

Perfide !

LOUISE

Je jouis de ton erreur.

ALEXIS

De mon err...

LOUISE

Je peux t'apaiser d'un mot.

ALEXIS

D'un mot ! Dis-le, si tu l'oses.

LOUISE

Je ne suis pas mariée.

ALEXIS

Tu...

LOUISE

C'est mon père qui a voulu...

ALEXIS

Infâme ! que m'importe toi ou lui ?

LOUISE

Madame la duchesse...

ALEXIS

As-tu oſé paroître devant elle ?

LOUISE

C'est elle qui a ordonné tout ceci.

ALEXIS

Quoi !

LOUISE

Elle a ordonné à mon père de te faire croire que j'étois la mariée.

ALEXIS

Que veux-tu dire ?

LOUISE

Oui, elle a ordonné cette noce, ces instruments, cette fête, ces apprêts. On avoit aposté cette petit fille qui t'a parlé, pour te tromper; et tout cela n'étoit qu'un jeu.

(Alexis tombe accablé sur un escabeau, les mains étendues sur la table.)

ALEXIS

Qu'un jeu !

[N. 12 - Ariette]

LOUISE

Dans quel trouble te plonge

ce que je te dis là ?

Puisque c'est un mensonge,

que t'importe cela ?

Cette ruse cruelle

ne doit plus t'offenser;

toi, me croire infidelle !

Pouvois-tu le penser ?

Vivre et t'aimer sont pour moi même chose;

et quels que soient les devoirs que m'impose

le serment dont j'attends notre félicité,

il n'ajoutera rien à ma fidélité.

Je t'aimerai toute ma vie.

J'en jure par ta main que je presse; je prie

le ciel de nous unir par un même trépas:

ou puissé-je du moins expirer dans tes bras !

Mais ta peine redouble,

et semble s'augmenter.

Que veux dire ce trouble ?

Qui peut te tourmenter ?

Cette ruse cruelle

ne doit plus t'offenser,

toi me croire infidelle !

Louise, Louise infidelle

méchant, méchant, pouvois-tu le penser ?

ALEXIS

Ô ciel !

LOUISE

Est-ce que tu ne me crois pas ?

ALEXIS

Ah ! je te crois.

Scène neuvième

Louise, Jean-Louis, Alexis.

LOUISE

Mon père, ah! que vous voilà bien arrivé. Demandez-lui donc ce qu'il a... Dites-moi la cause de son chagrin !

JEAN-LOUIS

Bonjour, mon cher Alexis; que je t'embrasse, que je suis charmé de te revoir. Comme te voilà robuste: les troupes font bien un homme. Tu as servi le roi, tu as servi ta patrie: tu n'es plus un paysan. Mon ami, Louise est à toi.

ALEXIS

Jean-Louis...

JEAN-LOUIS

La noce quand tu voudras, quand tu voudras.

ALEXIS

Je t'en prie, Jean-Louis, dis à ta fille d'aller un instant dans le jardin du geôlier.

JEAN-LOUIS

Pourquoi ?

ALEXIS

Dis-le lui seulement.

JEAN-LOUIS

Louise, j'ai quelque chose à dire; sors, et je t'irai reprendre.

ALEXIS

(lui prenant la main)

Louise, nous déjeunerons ensemble aujourd'hui, aujourd'hui. Qu'il y a bien long-temps que je ne t'ai vue !

LOUISE

Et vous me renvoyez !

ALEXIS

Tu vas rentrer.

Scène dixième

Jean-Louis, Alexis.

JEAN-LOUIS

J'ai été bien surpris de te savoir en prison: mais on m'a dit que c'est peu de chose. Est-ce que tu t'appelles Montauciel ? C'est ton nom de guerre, apparemment. On m'a dit: voyez, voyez Montauciel, il est là. Mais que je t'embrasse, mon garçon, mon gendre, mon cher ami: madame la duchesse te fera sortir d'ici. Mais tu es triste: je parie que je devine pourquoi tu es ici.

ALEXIS

Je ne le crois pas.

JEAN-LOUIS

Si, si. Quand on revient de l'armée, quelque aventure, quelque boisson, quelque fille dans une auberge... Mais on t'a vu le long du village, et puis on ne t'a plus vu. On vouloit te jouer un tour; mais ton aventure en a empêché. Conte-moi ça, conte-moi ça, tu le peux: j'ai servi, je sais ce que c'est qu'un soldat. Ne vas-tu pas être mon gendre ? et je n'en dirai rien à Louise. Et puis une misère, quelques coups, quelques tapes.

ALEXIS

Jean-Louis, promets-moi que tu feras tout ce que je te dirai.

JEAN-LOUIS

Oui, à moins que cela ne soit trop difficile.

ALEXIS

Non... Nous allons déjeuner, toi, ta fille et moi.

JEAN-LOUIS

Cela est aisé: ensuite.

ALEXIS

Je te prie, je te supplie d'emmener ta fille aussi-tôt après; vous partirez ensemble: nous nous quitterons... nous nous quitterons Je lui dirai que je suis forcé de rejoindre.

JEAN-LOUIS

Je le sais: le roi arrive au camp.

ALEXIS

Vous vous en retournerez... vous vous en retournerez au village... et toi, dans deux jours, tu reviendras ici: tu demanderas un soldat nommé Montauciel; il te remettra une lettre pour toi... et pour moi, je n'y serai plus.

JEAN-LOUIS

Non; tu seras au camp; mais dans quinze jours tu auras ton congé.

ALEXIS

Auras-tu assez de force sur ton esprit pour ne rien faire paraître devant ta fille de ce que je vais te dire?

JEAN-LOUIS

Sans doute.

ALEXIS

Je crains qu'elle ne rentre.

JEAN-LOUIS

Non, non.

ALEXIS

Hier, cette noce...

JEAN-LOUIS

C'est moi qui ai conduit cela.

ALEXIS

Le désespoir m'a pris...

JEAN-LOUIS

Bon, bon, tant mieux; j'en étois sûr.

ALEXIS

Et dans ma fureur...

JEAN-LOUIS

Tu as été furieux ? ah, que c'est bon.

Scène onzième

Louise, Jean-Louis, Alexis.

LOUISE

Ah, mon père ! ah, malheur ! Cette noce l'a mis au désespoir; il a déserté; il est condamné: il va mourir.

JEAN-LOUIS

Qoi ?

ALEXIS

Elle le sait. Que je suis malheureux !

JEAN-LOUIS

Déserté ! déserté ! condamné ! Alexis, Alexis, seroit-il vrai ce qu'elle dit là ?

ALEXIS

Cela n'est que trop vrai. Oui, Jean-Louis.

JEAN-LOUIS

Ah ciel !

[N. 13 - Trio]

ALEXIS

Console-toi, ma tendre amie,

mon sort te prouve mon amour;

tu diras: s'il m'eût moins chérie,

il n'auroit pas perdu le jour.

Ensemble

LOUISE

Mon père, ah ! quel sera mon sort ?

Ah, que je suis infortunée !

Que le moment où je suis née

ne fût-il celui de ma mort.

JEAN-LOUIS

Quoi, mon ami, voilà ton sort !

Maudite, ah, maudite journée !

Ce sera là ta destinée ?

C'est moi qui mérite la mort.

Ensemble

LOUISE

Quoi, c'est moi, qui te tue !

J'etois au comble du bonheur;

mon père, vous m'avez perdue...

Vous obéir fut mon malheur.

Non, non, je ne saurois plus vivre:

qoi ! je ne peurrois plus te voir ?

Il ne reste à mon désespoir,

que la ressource de te suivre.

ALEXIS

Ne viens point porter des alarmes

dans mon cœur prêt à s'attendrir;

ne pleure pas, sèche tes larmes,

garde-les pour mon souvenir.

Et toi pour un autre moi-même,

conserve-toi pour cet objet chéri;

dans ta fille aime ton ami,

je meurs content, ta fille m'aime.

Ensemble

LOUISE

Je suis au désespoir.

ALEXIS

Calme ton désespoir.

JEAN-LOUIS

Je suis au désespoir.

Scène douzième

Le geolier, les acteurs précédents

LE GEOLIER

On vous demande.

ALEXIS

Qui ?

LE GEOLIER

Vous, allez.

ALEXIS

Adieu, adieu.

LOUISE

Comment ? adieu.

ALEXIS

Non, Louise, ne t'effraie pas. Je crois que je vais revenir.

LOUISE

Ah ! mon père.

Scène treizième

Louise, Jean-Louis, Le geolier.

LOUISE

Ô ciel ! Monsieur, où va-t-il ?

LE GEOLIER

Parler à ces messieurs.

LOUISE

Monsieur, monsieur, ce ne seroit pas...

LE GEOLIER

Ah, ce ne sera pas pour si-tôt; peut-être entre cinq et six heures: peut-être à sept heures.

LOUISE

Ah, ciel !

JEAN-LOUIS

Non, ma fille, il n'est pas possible: je vais trouver madame la duchesse; je vais tout lui dire.

LOUISE

Ah, mon père, elle l'a mis dans la peine; elle ne sera pas là pour l'en tirer.

JEAN-LOUIS

Je vais... ô ciel ! Ah, que je suis malheureux ! Viens me rejoindre; j'irai plus vite que toi. Et puis... Non, je cours.

Scène quatorzième

Louise, Le geolier.

LOUISE

Monsieur, je me jette à vos genoux: je vous prie...

LE GEOLIER

Ce n'est pas nécessaire. Que voulez- vous ?

LOUISE

Le roi passe au camp.

LE GEOLIER

Hé bien ?

LOUISE

Monsieur, dites-moi, le roi en pareil cas... Ah, c'est une justice. Le roi peut-il faire justice ou grâce ?

LE GEOLIER

Je le crois bien: il ne fait que ça.

LOUISE

Monsieur, si j'y allois, si je me jetois à ses pieds; si je lui disois que c'est moi qui suis la cause...

LE GEOLIER

Hé bien, vous le pouvez, si on vous laisse approcher. Si cela ne sert à rien, cela ne peut pas nuire.

LOUISE

Ah ! monsieur, si j'avois de l'argent...

LE GEOLIER

Si vous vous adressez au roi, vous n'en avez que faire.

LOUISE

Ce n'est pas cela que je voulois dire... c'est pour vous, monsieur.

LE GEOLIER

Ah ! pour moi.

LOUISE

C'est pour vous remercier... c'est pour vous prier... Voici, monsieur, ma croix d'or que je vous donne: faites retarder jusqu'à demain.

LE GEOLIER

Retarder ? retarder ?... Cela me paroît creux. Est-ce de l'or ?

LOUISE

Ah, que je suis malheureuse !

Scène quinzième

Le geolier.

(examinant la croix d'or)

Je ne peux faire tout-à-fait ce que vous demandez lkà: mais je lui donnerai, je lui donnerai tout le vin dont il aura besoin.

(S'apercevant que Louise est sortie.)

Cette jeune fille a un bon cœur, ça fait plaisir.

Scène seizième

Montauciel, Le geolier, Bertrand

Montauciel tient d'une main une pinte de vin, une feuille de papier sous son bras; de l'autre main il tient Bertrand par le poignet.

MONTAUCIEL

Hé, entrez donc. Est-ce que vous avez peur ?

(Au geôlier.)

Tenez, voilà un jeune homme qui demande ce soldat. Où est-il donc ? Et cette jeune fille ?

LE GEOLIER

Elle est partie.

MONTAUCIEL

Et lui ?

LE GEOLIER

Il est allé parler, il va revenir. Si je le vois, je vais vous l'envoyer.

BERTRAND

Je vais aller avec monsieur.

Scène dix-septième

Montauciel, Bertrand

MONTAUCIEL

Non, non, restez: vous allez boire un coup en attendant. Voilà une feuille de papier que je lui apportois.

BERTRAND

Mais êtes-vous bien sûr que c'est mon cousin Alexis ?

MONTAUCIEL

Oui, oui, c'est lui: un soldat.

BERTRAND

Oui.

MONTAUCIEL

Mettez-vous là. Il est votre cousin ?

BERTRAND

Oui, monsieur.

MONTAUCIEL

Mettez-vous là.

BERTRAND

Mais, monsieur...

MONTAUCIEL

Mettez-vous là, vous dis-je. Sarpejeu, mettez-vous donc là; buvons un coup, il va revenir.

BERTRAND

Monsieur, je vous remercie; on ne boit pas comme ça sans connoître.

MONTAUCIEL

Est-ce que je vous connois, moi ? Et ça ne m'empêche pas de boire avec vous. Il est bon: buvez, buvez donc.

(Bertrand boit.)

Et vous dites que...

BERTRAND

Moi, je ne dis rien.

MONTAUCIEL

Si vous ne dites rien, chantez, chantez.

BERTRAND

Ah ! monsieur, nous sommes dans le chagrin.

MONTAUCIEL

C'est à cause de cela: c'est dans le chagrin qu'il faut chanter, cela dissipe. Allons, chantez.

MONTAUCIEL

Toujours chanter et toujours boire,

c'est la devise de Grégoire.

MONTAUCIEL

Chantez donc.

BERTRAND

Mais je ne sais pas chanter.

MONTAUCIEL

Chantez toujours, voulez-vous donc chanter, quand on vous en prie. Sarpebleu vous chanterez.

BERTRAND

Mais, attendez donc.

(Il chante.)

[N. 14 - Couplets]

Tous les hommes sont bons;

on ne voit que gens francs,

à leurs intérêts près.

Nous aimons la bonté,

l'exacte probité

dans les autres.

Faire le bien est si doux,

pour ne rendre heureux que nous

et les nôtres.

MONTAUCIEL

Sarpedié, votre chanson est bonne à porter le diable en terre. Ecoutez-moi.

[N. 15 - Couplets]

Vive le vin, vive l'amour;

amant et buveur tour à tour,

je nargue la mélancolie:

jamais les peines de la vie

ne me coutèrent de soupirs;

avec l'amour, je les change en plaisirs,

avec le vin je les oublie.

Voilà une chanson, ça. Chantons ensemble.

BERTRAND

Hé mais, et mon cousin...

MONTAUCIEL

Il ne peut pas tarder. Allons, chantons ensemble à présent.

BERTRAND

Ensemble ?

MONTAUCIEL

Oui, ensemble, c'est plus gai.

BERTRAND

Mais je ne sais pas votre chanson.

MONTAUCIEL

Qu'est-ce qui vous dit de chanter ma chanson ? Dites la vôtre, et moi la mienne, c'est plus gai.

BERTRAND

Hé mais...

MONTAUCIEL

Allons, morbleu, chantez. (Il verse un verre de vin et boit.) Buvez et chantez.

[N. 16 - Duo]

Ensemble

BERTRAND

Tous les hommes sont bons:

on ne voit que gens francs,

à leurs intérêts près.

Nous aimons la bonté,

l'exacte probité

dans les autres.

Faire le bien est si doux,

pour ne remire heureux que nous

et les nôtres.

MONTAUCIEL

Vive le vin, vive l'amour;

amant et buveur tour à tour,

je nargue la mélancolie:

jamais les peines de la vie

ne m'ont couté quelques soupirs:

avec l'amour je les change en plaisirs.

Avec le vin je les oublie.

(À la fin du Duo, Bertrand s'en fuit, et Montauciel court après.)

Fin du second acte.

Acte troisième
Scène première

La tante, Jeannette, Bertrand.

[N. 17 - Entr'acte]

LA TANTE

Oui, c'est ta faute; oui, c'est ta faute: sitôt que tu l'as vu si fâché, que ne lui as-tu dit que cela n'étoit pas vrai ?

JEANNETTE

Est-ce qu'on ne m'avoit pas défendu de le dire ?

LA TANTE

Oui, mais ensuite, ensuite.

JEANNETTE

Il ne m'a seulement pas laissé commencer la chanson.

LA TANTE

Hé bien, il falloit toujours lui dire.

BERTRAND

C'est vous qui avez voulu tout cela. Oui, c'est vous qui êtes la cause de sa mort.

LA TANTE

La cause de sa mort ! Ah, ciel ! peux-tu dire une pareille chose ? La cause de sa mort !

BERTRAND

Oui, il est bien temps.

LA TANTE

Et toi, grand lâche, grand misérable que tu es, quand on te dit de courir après lui, tu fais semblant d'y aller.

BERTRAND

C'est moi qui étais le marié: est-ce que je pouvais quitter ?

LA TANTE

Ah ! fusses-tu à sa place.

BERTRAND

A sa place ! ah, je n'aurois pas fait comme lui: je me serois bien informé à tout le monde.

LA TANTE

Ah, ciel ! ah ! je le pleurerai, je le pleurerai toute ma vie, oui, toute ma vie... Quoi ! ce pauvre Alexis...

JEANNETTE

Hé ! ma marraine, ne pleurez donc pas comme ça.

BERTRAND

Ah ! le voici.

LA TANTE

Comme il est changé !

BERTRAND

Comme il est triste !

Scène seconde

La tante, Alexis, Bertrand, Jeannette.

LA TANTE

Ah ! mon cher Alexis, je suis au désespoir...

ALEXIS

Bonjour, ma tante, bonjour.

LA TANTE

Je te demande pardon: c'est nous, c'est moi qui suis la cause de tout ça.

BERTRAND

C'est moi qui étois le marié.

JEANNETTE

J'ai voulu vous le dire: n'est-il pas vrai que vous m'avez dit que vous me tueriez ?

ALEXIS

Ne parlons plus de cela, c'est un malheur. Où est Louise ? et pourquoi son père n'est-il pas ici ?

LA TANTE

Ah, son père ! son père ? le voilà qui arrive dans le village. Il étoit en pleurs, il se jetoit par terre, il se frappoit la tête; il ne veut pas se relever: nous sommes tous à gémir. Si on pouvoit te racheter avec de l'argent, nous donnerions tout, jusqu'à nos hardes.

BERTRAND

Tien, moi, je donnerois tout ce que j'ai.

ALEXIS

Et madame la duchesse sait-elle cela ?

LA TANTE

Nous y avons tous couru; elle n'est pas au château.

BERTRAND

Ah, au château ! la belle noce qu'elle te préparoit !

ALEXIS

Et Louise, l'avez-vous vue ?

LA TANTE

Non.

BERTRAND

On ne sait où elle est.

ALEXIS

Quoi ? personne... quoi ? personne n'est avec elle ? Ah ! il lui sera arrivé quelque malheur.

JEANNETTE

Non, je l'ai vue courir: je l'ai appelée, elle ne m'a pas répondu.

ALEXIS

Ah ! ma tante, consolez-la, ne la quittez pas: vous ne pouvez plus me rendre aucun service. Vous perdez votre neveu.

LA TANTE

Je te perds, ah, quel malheur !

ALEXIS

Qu'elle soit votre nièce, je vous en prie. Elle devoit l'être.

LA TANTE

Je te le promets.

ALEXIS

Hé, comment a-t-elle pu consentir à ce cruel badinage ?

LA TANTE

Elle ne le vouloit pas; elle s'écrioit, moi, à sa place, j'en mourrois. Mais madame la duchesse l'avoit ordonné, et son père et moi nous l'y avons forcée.

JEANNETTE

Hé, puis elle disoit comme ça: il ne le croira pas, il ne le croira pas.

ALEXIS

C'est vrai, je ne devois pas le croire.

BERTRAND

Oui, oui, c'est bien vrai, tu ne devois pas le croire.

ALEXIS

Partez, ma tante, partez; tâchez de m'envoyer Jean-Louis. Si Louise... si Louise veut me voir encore, venez avec elle, et ne la quittez pas.

LA TANTE

Oui, mon cher Alexis

ALEXIS

Promettez-le moi.

LA TANTE

Je te le jure... Ah, ciel !

JEANNETTE

(à Bertrand, à part)

Est-ce que c'est pour aujourd'hui ?

BERTRAND

(à part)

On dit comme ça que c'est pour quatre heures.

ALEXIS

Adieu, ma tante, adieu Bertrand, adieu, la jeune enfant. De qui est-elle fille ?

LA TANTE

De Simonneau.

ALEXIS

Quoi ? cette petite fille que j'ai vue... Elle est bien grande. Bien mes amitiés à ton père, je t'en prie. Adieu ma tante.

BERTRAND

Adieu donc.

Scène troisième

Le Geolier, Alexis

LE GEOLIER

Tenez, voilà une plume et de l'encre: la plume est bonne, et voilà du papier blanc: il y en a pour six sous. Et qui est-ce qui me payera ?

ALEXIS

Voilà un petit écu.

LE GEOLIER

C'est bon: je vous rendrai... je vous rendrai... Mais, tenez, je vais vous apporter une pinte de vin: aussi-bien voilà Montauciel.

Scène quatrième

Montauciel, Alexis.

MONTAUCIEL

Soit, me voilà prêt. Ah, ah, vous allez écrire; vous êtes bien heureux, vous savez écrire, vous. Ah, déluge ! ah, mort ! ah, sang ! ah, que je suis un grand malheureux !

ALEXIS

Qu'avez-vous ?

MONTAUCIEL

Ce que j'ai ? le diable, le diable, puisqu'il faut vous le dire. Que diriez-vous d'un misérable, d'un coquin comme moi, brave homme d'ailleurs ? Comment, morbleu, il y a cinq ans que j'aurois eu la brigade, si j'avois sçu lire. A la compagnie on est dérangé: on boit avec l'un, on boit avec l'autre. Je me fais mettre en prison, afin d'avoir un quart-d'heure à moi pour apprendre; et d'aujourd'hui, d'aujourd'hui, morbleu, Montauciel n'a pas étudié. Ah, malheureux ! ah, coquin ! ah, scélérat !

ALEXIS

Hé bien, étudiez.

MONTAUCIEL

Vous avez raison. Voilà de l'écriture qu'un de mes camarades m'a faite; car je suis déjà avancé: j'épelle mes lettres.

[N. 18 - Ariette]

V, o, u, s, e, t, et te,

trompette, trompette !

B, l, a, n, c, b, e, c,

blessé, trompette blessé,

maudit l'infernal

faiseur de grimoire,

dont l'esprit fatal

mit dans sa mémoire

tout ce bacchanale.

Sans cette écriture

et sans la lecture

ne peut-on, morbleu,

manger, rire et boire,

marcher à la gloire

et courir au feu ?

ALEXIS

Camarade, ne pouvez-vous étudier plus bas ?

MONTAUCIEL

Non, car je ne m'entendrois pas; mais je m'en vais plus loin.

(Il se retire au fond du théâtre.)

ALEXIS

En vous remerciant.

MONTAUCIEL

Pourriez-vous , sans vous déranger s'entend, après que vous aurez fait votre affaire: pourriez-vous me ranger là une autre file d'écriture ? II n'y en a là qu'une; et je crois que je la fais bientôt: sans vous déranger cependant.

ALEXIS

Avec plaisir: quand vous reviendrez.

MONTAUCIEL

Ah, vous avez le temps.

[N. 19 - Ariette]

ALEXIS

(écrit, et s'interromp quelquefois)

Il m'eût été si doux de t'embrasser

avant l'instant que je vois s'avancer.

Ta présence eût mis quelques charmes

dans l'horreur qui vient m'oppresser.

Mais je ne verrai pas tes larmes:

il m'est plus doux de m'en passer.

Parmi mes spectateurs, dans cette foule errante

qui vient s'amuser du malheur,

mes yeux te chercheront, je verrai ta douleur;

ton nom sera dans ma bouche mourante:

que le mien quelquefois revive dans ton cœur.

Aime ton père, et que jamais reproche

à mon sujet ne sorte de ton sein.

Mais... mais... tu ne viens pas, et mon heure s'approche:

si ton père en est cause, étoit-ce son dessein ?

Tu ne viens pas et mon heure s'approche;

il m'eût été si doux de t'embrasser

avant l'instant que je vois s'avancer.

MONTAUCIEL

Camarade, vous qui savez lire, pourriez-vous me dire comme il y a là ?

ALEXIS

(regarde le papier et le rend)

Vous êtes un blanc bec.

MONTAUCIEL

Un blanc bec. Qu'est-ce qu'un blanc bec ? C'est vous qui en êtes un, sarpeguié, et je vous donnerai mon poing sur le visage.

Montauciel lui porte le poing sous le nez; Alexis se leve, lui donne un coup dans l'estomac: il tombe du coup à la renverse. Le geôlier arrive au premier cris: il apporte du vin.

ALEXIS

Les hommes sont bien terribles; il y a de cruelles gens.

Scène cinquième

Le Geolier, Montauciel

LE GEOLIER

Qu'est-ce que c'est que ça, qu'est-ce que c'est que ça ? Comment, vous vous battez ? J'ai cru que vous alliez boire.

MONTAUCIEL

(s'essuyant le nez)

Ah, morbleu; tu me le payeras. Montauciel un blanc bec: sacre, mort, un blanc-bec !

LE GEOLIER

Hé, pour quelle raison ?

MONTAUCIEL

Il ne sera pas toujours en prison: je veux lui faire mettre l'épée à la main. Un blanc bec, un blanc bec ! morbleu, quand il sera hors d'ici, l'épée à la main, mon ami, ou je te coupe le visage.

LE GEOLIER

Je t'en défie.

MONTAUCIEL

Tu m'en défies. Pourquoi m'en défier ?

LE GEOLIER

Dans deux heures il va être fusillé.

MONTAUCIEL

Ah, je ne m'en souvenois plus: je ne m'étonne pas.

LE GEOLIER

Hé, comment votre querelle est-elle venue ? J'ai cru que vous alliez boire ensemble.

MONTAUCIEL

J'ai été honnête avec lui, parce qu'il est savant, il sait lire et écrire. J'ai été me fourrer dans ce coin-là pendant toutes ses écritures. Je lui ai apporté un papier que voilà; et je l'ai prié de me dire comment il y avoit, à un endroit que je n'ai pu lire. Il m'a dit: Allez, vous n'êtes qu'un blanc bec; et il m'a jeté mon papier au nez.

LE GEOLIER

Il a eu tort.

MONTAUCIEL

(en cet instant, ramasse le papier)

Hé bien, comment y a-t-il là ?

LE GEOLIER

Vous êtes un blanc bec.

MONTAUCIEL

Vous êtes...

LE GEOLIER

Vous êtes un blanc bec.

MONTAUCIEL

Il y a là-dessus: vous êtes un blanc bec ?

LE GEOLIER

Oui.

MONTAUCIEL

Un blanc bec. B, l, a, n, c.

LE GEOLIER

Blanc.

MONTAUCIEL

B, e, c.

LE GEOLIER

Bec, blanc-bec.

MONTAUCIEL

Comment, il n'y a pas là trompette blessé ?

LE GEOLIER

Parbleu, non; il y a, vous êtes un blanc bec.

MONTAUCIEL

Il n'a donc pas tant de tort de m'avoir donné un coup de poing. Étoit-ce un coup de poing ?

LE GEOLIER

Je n'en sois rien. mois en tout cas il étoit fier, car tu étois tombé par terre.

MONTAUCIEL

Hé, voilà Courchemin...

Scène sixième

Le Geolier, Courchemin, Montauciel.

LE GEOLIER

Hé! bonjour, Courchemin.

COURCHEMIN

Hé, bonjour Crik, bonjour Montauciel: ouf. Ah, que j'ai bon besoin d'un verre de vin.

MONTAUCIEL

Le voilà!... Hé d'où viens-tu comme ça ?

COURCHEMIN

(après avoir bu)

En te remerciant... je suis venu au grand galop, ventre à terre: on me l'avoit commandé. Mais j'ai vu, j'ai vu... sarpebleu, que j'ai chaud,

(il s'essuie)

j'ai vu une fille qui couroit à pied, en tenant ses souliers à la main ! Ah ! je n'ai jamais vu aller de cette vitesse là: elle sautoit les fossés, elle coupoit les vignes, les haies, les sentiers; elle avoit plus d'un affaire.

LE GEOLIER

Hé, pourquoi es-tu venu ici ?

COURCHEMIN

J'ai remis un paquet au grand-prévôt.

LE GEOLIER

Et le roi est-il venu au camp ?

COURCHEMIN

Oui.

MONTAUCIEL

Tête, mort, ventre.

LE GEOLIER

Qu'est-ce donc que tu as ?

MONTAUCIEL

Comment, le roi est venu au camp, et Montauciel n'y étoit pas !

COURCHEMIN

Tu es donc aussi fou qu'à l'ordinaire.

MONTAUCIEL

Le roi est venu au camp, et Montauciel n'y étoit pas ? Mille bombes ! je n'ai pas vu le roi. Je n'étudierai de ma vie.

(Il déchire son papier.)

LE GEOLIER

Y a-t-il quelque chose de nouveau au camp ?

MONTAUCIEL

(à part)

Morbleu !

COURCHEMIN

Tais-toi donc. Il y a l'histoire d'une jeune fille.

LE GEOLIER

D'une fille ?

MONTAUCIEL

D'une fille ? dis donc, dis donc.

COURCHEMIN

Attendez donc, que je me rappelle.

[N. 20 - Ariette]

Le roi passoit, et le tambour

battoit au champ: une fille bien faite

perce la file; elle crie, elle court,

tombe à genoux en pleurs; le roi s'arrête,

le roi l'écoute; on ignoroit pourquoi;

alors on a fait un silence,

puis aussi-tôt un même cri s'élance,

vive à jamais, vive, vive le roi !

On m'a conté qu'elle disoit: « Ah, sire,

c'est mon amant, et s'il faut qu'il expire,

que j'éprouve le même sort !

Mais non, qu'il vive, et commandez, oui, sire,

plutôt qu'à lui, qu'on me donne la mort.

Que suis-je, moi ? moins que rien sur la terre:

trop faible, hélas, pour travailler aux champs;

et mon amant pourroit aider mon père

dans ses travaux au déclin de ses ans. »

De vieux soldats pleuroient, même des courtisans,

le roi pourtant ne pleroit pas; la grace

est accordée, on ne sait ce que c'est.

MONTAUCIEL

Ensuite?

LE GEOLIER

Hé bien?

COURCHEMIN

Je te l'ai dit.

MONTAUCIEL

Après?

COURCHEMIN

Je te l'ai dit, au milieu de la place,

le roi passoit, et le tambour

battoit aux champs: une fille bien faite

perce la file; elle crie, elle court,

tombe à genoux en pleurs; le roi s'arrête,

le roi l'écoute; on ignoroit pourquoi;

alors on a fait un silence,

puis tout à coup un même cri s'élance:

vive à jamais, vive, vive le roi !

MONTAUCIEL

Et le tambour battoit aux champs !

LE GEOLIER

Et l'a-t-on envoyée en prison ?

COURCHEMIN

Bon, en prison: on croit que la grâce est accordée; car on lui a donné un papier.

MONTAUCIEL

Qu'est-ce que c'est que ce papier ?

COURCHEMIN

Est-ce que je sais ? Mais il y avoit la des seigneurs, des grands seigneurs, qui lui ont dit de tendre son tablier; et ils lui ont jeté beaucoup d'or, beaucoup d'argent.

LE GEOLIER

De l'argent !

COURCHEMIN

Savez-vous ce qu'elle a fait ?

LE GEOLIER

Non.

COURCHEMIN

Elle a jeté tout l'or, tout par terre: elle a dit que cela l'empêcheroit de marcher.

MONTAUCIEL

C'étoit donc bien lourd ?

LE GEOLIER

Bon, elle a jeté tout cet or ?

COURCHEMIN

Oui.

LE GEOLIER

Tais-toi donc, avec tes raisons: elle a jeté cet or, tu nous en contes.

COURCHEMIN

Et si c'étoit la grâce de ce déserteur que nous avons arrêté hier ?

MONTAUCIEL

J'en serois charmé, j'en serois charmé: nous nous couperions la gorge ensemble.

LE GEOLIER

A cause de cette querelle ?

MONTAUCIEL

Sans doute.

LE GEOLIER

Tais-toi donc, avec ta querelle: e t'en ferai une autre, moi.

(On entend un roulement de tambour.)

COURCHEMIN

Qu'est-ce que j'entends ?

LE GEOLIER

C'est l'appel: il y a quelque chose de nouveau.

MONTAUCIEL

Voyons.

Scène septième

Alexis entre du côté opposé à la sortie des précèdents.

On s'empresse, on me regarde;

j'ai vu s'avancer la garde:

les malheureux n'ont point d'amis,

je crains d'interroger; juste ciel, je frémis !

Mes yeux vont se fermer sans avoir vu Louise,

sans l'avoir vue ! ô ciel ! non, non;

quelque chose que je me dise,

mon cœur ne peut souffrir ce cruel abandon.

Hier, avec quelle joie

j'accourois, je courois à la mort:

de quels tourments suis-je la proie ?

Ai-je donc mérité mon sort ?

Mes yeux vont se fermer sans avoir vu Louise;

sans l'avoir vue ! ô ciel ! non, non;

quelque chose que je me dise,

mon cœur ne peut souffrir ce cruel abandon.

Scène huitième

Montauciel, Alexis.

(Montauciel entre, une bouteille de vin et un gobelet à la main.)

MONTAUCIEL

Ah, te voilà, te voilà; je te cherchois, c'est à présent qu'il faut du cœur.

ALEXIS

Quoi, Montauciel ?

MONTAUCIEL

On vient te chercher. Bois cela, bois cela, te dis-je; c'est le cœur du soldat. J'ai cru que tu avois ta grâce, mais non.

ALEXIS

On vient me chercher ?

MONTAUCIEL

Oui, bois cela.

ALEXIS

Je te remercie. Ah, Louise !

MONTAUCIEL

Tu sais bien cette querelle de tantôt ? Hé bien, je te le pardonne, meurs en paix; c'est moi qui ai tort. Bois donc cela, je t'en prie, je t'en supplie: ne me refuse pas. C'est le dernier coup de vin que tu boiras.

(Alexis prend le gobelet, le présente à Montauciel, qui verse: il boit.)

ALEXIS

Donne: en te remerciant.

MONTAUCIEL

Pauvre garçon ! Un second, je t'en prie.

ALEXIS

Je te remercie... Montauciel, fais-moi un plaisir.

MONTAUCIEL

Quoi ?

ALEXIS

Puis-je compter sur toi ?

MONTAUCIEL

À la mort et à la vie.

ALEXIS

Promets-moi de rendre cette lettre.

MONTAUCIEL

Où ? j'y vais.

ALEXIS

Tu ne peux pas; tu es en prison.

MONTAUCIEL

C'est vrai; mais je sors aujourd'hui.

ALEXIS

Il viendra un paysan, nommé Jean-Louis. Tu lui rendras cette lettre, ou tu la feras rendre à son adresse.

MONTAUCIEL

Que je meure à l'instant si j'y manque. Ah ! les voilà, les chiens, les enragés, les... Morbleu, je crois que j'irois à sa place.

ALEXIS

Adieu, Montauciel.

MONTAUCIEL

Que je t'embrasse !

ALEXIS

Si cette jeune fille de ce matin vient ici, dis-lui que j'ai pensé à elle jusqu'au dernier moment.

MONTAUCIEL

Brave garçon ! brave garçon ! Mes amis, mes camarades, ne le manquez pas.

Scène neuvième

Alexis, Montauciel, Des soldats, la baïonnette au bout du fusil.

ALEXIS

Vous venez me chercher... Si quelqu'un... Ciel ! c'est elle.

Scène dixième

Louise, Les précédents.

Louise entre ses souliers à la main, ses cheveux en désordre. Elle ne dit que: « Alexis, ta... » et tombe évanouie entre les bras d'Alexis, qui l'approche d'un siège, sur lequel elle reste sans connoissance.

[N. 21 - Air]

ALEXIS

Adieu, chère Louise, adieu,

ma vie étoit à toi... je la perds, vis heureuse:

c'est là mon dernier vœu.

Que je te plains... que ta peine est affreuse.

Pourqoi ne meurt-on pas d'amour et de douleurs ?

Çeseroit à tes pieds... Qu'un jour le ciel propice...

Je ne peux retenir mes pleur.

(Aux Soldats.)

Amis, terminez mon supplice,

que je meure en soldat, abandonnons ce lieu:

adieu, chère Louise, adieu.

Adieu, chère Louise, adieu.

Scène onzième

Louise.

[N. 22 - Récitatif et Chœur]

(revenant à elle par degrés)

Où suis-je ? ô ciel ! j'ai les pieds nus;

qui m'a mise en ce lieu ? pourquoi m'ont-ils quittée ?

Et ces soldats, que sont-ils devenus ?

Mon cœur... ah ciel ! que je suis agitée !

Le Roi l'a dit, il va venir.

Ah, je ne peux me soutenir.

Oui, la grâce est accordée:

mais... je n'ai plus nulle idée;

arreêtez , arrêtez donc.

Mais c'etoit ici la prison.

Je me rappelle ses accents;

il me parloit... quel bruit j'entends !

(On entend derrière le théâtre un cri de vive le roi. Louise voit dans son sein le papier sur lequel est écrit qu'Alexis a sa grace.)

Ce papier ? dieu ! il n'est plus temps.

(Elle sort du côté opposé à l'entrée da La tante et de Jean-Louis.)

Scène douzième

La tante, Jean-Louis

LA TANTE

Louise, Louise. Il a sa grace.

JEAN-LOUIS

Il a sa grace, il a sa grace;

ah, ma fille, il a sa grace !

(Ils s'embrassent, et sautent de joie.)

Scène treizième

Le théâtre change, il représente une place publique. On voit des soldats sous les armes. Alexis est au milieu d'un groupe de personnes qu'il desire séparer. Il est soutenu par deux soldats; et faisant, pour marcher, des efforts inutiles, il dit:

[N. 23 - Ensemble final]

ALEXIS

Hélas, n'arrêtez mes pas;

courez, courez, elle étoit expirante !

J'ai lassssé Louise mourante.

Hélas, n'arrêtez mes pas.

Cependant le tambour bat , et les troupes défilent dans le fond du théâtre. Le Peuple crie: vive le roi.

Scène quatorzième

Jean-Louis, La tante, Alexis

JEAN-LOUIS

(lui sautant au col)

Mon ami, que je t'embrasse.

LA TANTE

Mon neveu, que je t'embrasse.

ALEXIS

Hélas, n'arrêtez mes pas.

Courez, elle étoit expirante.

JEAN-LOUIS, LA TANTE ET LE PEUPLE

La voici, la voici.

Scène dernier

Louise, Alexis, Bertrand, Montauciel, Jeannette, La tante, Le peuple, et les troupes qui défilent.

ALEXIS

Ah, Louise !

LOUISE

Alexis !

(Il se tiennent embrassés, on les soutent.)

LE PEUPLE

Oubliez jusqu'à la trace

d'un malheur peu fait pour vous:

quel bonheur ! il a sa grâce,

c'est nous la donner à tous.

Vive le roi ! vive à jamais, vive !

BERTRAND

Où sont ils ? Rangez-vous,

laissez-nous.

(Il embrasse Alexis)

MONTAUCIEL

Où sont-ils ? Rangez-vous,

laissez-nous.

(Il embrasse Alexis)

JEANNETTE

Pardonnez-moi, je vous prie,

si j'ai fait tous vos malheurs,

je n'oublierai de ma vie

combien j'ai causé de pleurs.

LE PEUPLE

Oubliez jusqu'à la trace

d'un malheur peu fait pour vous:

quel bonheur ! il a sa grâce,

c'est nous la donner à tous.

JEAN-LOUIS

Ma fille étoit trop chérie,

et nous faisions ton malheur.

LA TANTE

Tous les jours de notre vie,

sont bien dus à ton bonheur !

LE CHŒUR

Oubliez jusqu'à la trace

d'un malheur peu fait pour vous:

quel bonheur ! il a sa grâce,

c'est nous la donner à tous.

ALEXIS

(à Louise)

Qu'ai je besoin de la vie,

si ce n'est pour ton bonheur ?

LOUISE

(à Alexis)

Hélas j'étois si chérie,

et je faisois ton malheur.

MONTAUCIEL

(à Alexis)

Et ta maîtresse ! et la vie !

Et tu soutiens ton bonheur !

Ami je te porte envie,

on ne peut avoir plus de cœur.

LE CHŒUR

Oubliez jusqu'à la trace

d'un malheur peu fait pour vous:

quel bonheur ! il a sa grâce,

c'est nous la donner à tous.

Ensemble

ALEXIS

Oublions jusqu'à la trace

d'un malheur peu fait pour nous;

l'amour a fait ma disgrâce,

il n'en sera que plus doux.

LOUISE

Oublions jusqu'à la trace

d'un malheur peu fait pour nous;

l'amour a fait ta disgrâce,

il n'en sera que plus doux.

LE CHŒUR

Quel bonheur ! il a sa grâce ,

c'est nous la donner a tous.

Vive le roi ! vive à jamais, vive !

Fin.

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte deuxième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième Scène douzième Scène treizième Scène quatorzième Scène quinzième Scène seizième Scène dix-septième Acte troisième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième Scène douzième Scène treizième Scène quatorzième Scène dernier