LE DÉSERTEUR
Drame en trois actes, en prose, mêlé de musique.
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Livret de Michel-Jean SEDAINE.
Musique de Pierre-Alexandre MONSIGNY.
Première représentation: 6 mars 1769, Paris.
Personnages:
LOUISE amante d'Alexis |
soprano |
ALEXIS soldat de milice |
basse |
JEAN-LOUIS père de Louise |
basse |
LA TANTE d'Alexis |
mezzo-soprano |
BERTRAND cousin de Louise |
basse |
JEANNETTE jeune paysanne |
soprano |
MONTAUCIEL dragon |
basse |
COURCHEMIN brigadier de maréchaussée |
basse |
LE GEOLIER |
baryton |
Gardes, Soldats, Peuple.
La scène est proche d'un village situé à quelques lieues des frontières de la Flandre, près desquelle est campée l'armée françoise.
Le théâtre représente un lieu champêtre, dont l'horizon est terminé par une montagne, un hameau dans le lointain, un orme sur le devant de la scène, et sur un des côtés, au pied est un tertre de gazon sur lequel peuvent s'asseoir deux ou trois personnes.
Louise, Jean-Louis.
[N. 1 - Ariette]
LOUISE
Peut-on affliger ce qu'on aime ?
Pourquoi chercher
a le fâcher?
Peut-on affliger ce qu'on aime ?
C'est bien en vouloir à soi-même.
Je l'aime, et pour toute ma vie:
(à cet instant son père entre)
et vous voulez que cette perfidie...
Ah! mon père, je ne saurois:
à sa place, moi, j'en mourrois.
Peut-on affliger ce qu'on aime ?
C'est bien en vouloir à soi-même.
Jean-Louis, Louise, La tante, Jeannette, Bertrand (il a une baguette à la main, dont il niaise).
JEAN-LOUIS
Je le veux, je le veux. Hé bien !
LOUISE
(à part)
Ah! ciel!
LA TANTE
On l'a vu ! on l'a vu !
BERTRAND
Il étoit de l'autre côté de l'eau.
LOUISE
Vous l'avez vu ? Et comment avez-vous fait ?
BERTRAND
En regardant.
LOUISE
(en levant les épaules de pitié)
En regardant !
LA TANTE
J'ai vu l'instant qu'il alloit se jeter à la nage: mais son havresac, son épée, tout cela l'embarrassoit. Il fait le tour.
LOUISE
Il a bien fait.
JEAN-LOUIS
Il a bien fait.
JEANNETTE
Il a bien fait.
BERTRAND
Oui, oui, il a bien fait.
JEAN-LOUIS
Or çà, Louise, il faut que tu fasses ce qu'a recommandé madame la duchesse.
LOUISE
Quelle fantaisie !
JEAN-LOUIS
Elle le veut; et voilà la lettre.
LA TANTE
Elle le veut; et voilà sa lettre.
LOUISE
Vous ne voulez pas nous la lire ?
JEAN-LOUIS
Si, si, si, je vais vous la lire; mais il faut bien m'écouter, et ne pas m'interrompre, comme vous faites les soirs, quand je lis dans mon gros livre.
LOUISE
Lisez donc, mon père.
JEAN-LOUIS
Or ça, écoutez. Mettons-nous là.
LOUISE
Ah! mon père, mettons-nous plutôt sous cet orme.
JEAN-LOUIS
Où tu voudras, je le veux bien. Mettez-vous là, vous, Marguerite, et toi ensuite. Passe là, Jeannette et toi près de moi; tu y es la plus intéressée.
(Quand ils sont tous assis, il tire la lettre.)
Oh çà, écoutez-vous ?
LOUISE
Oui.
LA TANTE
Oui.
JEANNETTE
Oui.
BERTRAND
Ah! que oui.
JEAN-LOUIS
Vous écoutez tous?
LOUISE
Tous.
LA TANTE
Tous.
JEANNETTE
Tous.
BERTRAND
Oui, tous, tous.
JEAN-LOUIS
Ce n'est pas là la lettre que madame la duchesse a écrite à cet officier, c'est la réponse de l'officier à madame la duchesse... Tais-toi, toi.
BERTRAND
(laissant tomber sa baguette)
Hé ! mais, je n'ai pas parlé.
LOUISE
Il n'a pas parlé.
LA TANTE
Il n'a pas parlé.
JEANNETTE
Il n'a pas parlé.
JEAN-LOUIS
J'ai cru qu'il avoit parlé.
(Il lit.)
« Madame, pour répondre à l'honneur que vous m'avez fait de m'écrire... » Brr… br… br...
LOUISE
Nous n'entendons pas.
JEAN-LOUIS
Ah! c'est que tout ceci, ce sont des complimens, qui sont peut-être des secrets que madame la duchesse ne veut pas qu'on sache. Brr... brr... brr...
LOUISE
Mais, mon père, ce n'est pas la peine que nous écoutions.
LA TANTE
Sans doute.
JEAN-LOUIS
Ah! m'y voilà. « Madame, quant à ce qui regarde Alexandre Spinaski, soldat dans mon régiment, il n'est pas de bien que je ne doive en dire » que je ne doive en dire. « Il a toutes les qualités qui font un bon soldat, sage, docile et brave. » Il n'entend pas dire qu'il est brave sur soi, c'est courageux qu'il veut dire.
LOUISE
Après, mon père.
JEAN-LOUIS
« Il est vif, ardent. Mais si trop d'ardeur le fait sortir des bornes, il y rentre aussit-ôt. » Il y rentre aussit-ôt: je ne sais pas trop ce que cela veut dire.
LOUISE
Ensuite, mon père.
JEAN-LOUIS
« Je désire de tout mon cœur qu'il veuille rester avec moi: je le ferois officier dans mon régiment. »
LA TANTE
Dans son régiment !
BERTRAND
Dans son régiment !
LOUISE
Ah ! je ne crois pas qu'il y reste.
JEAN-LOUIS
Paix donc ! « Mais comme ses six ans expirent dans quinze jours, je lui ferai expédier son congé. »
LOUISE
Dans quinze jours !
LA TANTE
Dans quinze jours !
JEAN-LOUIS
Dans quinze jours. « Je l'envoie, madame, à vos ordres, vous présenter mes respects et vous remercier; je lui ai recommandé de ne pas s'écarter, étant si près de l'ennemi et des frontières. Les ordres sont extrêmement rigoureux, et il faut qu'il rejoigne aujourd'hui; car le roi, qui dîne demain à deux lieues de votre château, passe ensuite au camp; et il faudra se mettre sous les armes. » Ah, c'est que quand le roi passe,
(vous ne savez pas ça, vous autres)
c'est que quand le roi passe, on se met sous les armes. Ah ! c'est une belle chose que la guerre.
BERTRAND
Oui, quand on en est revenu.
JEANNETTE
Pourquoi est-ce que les garçons pleurent pour n'y pas aller ?
JEAN-LOUIS
Taisez-vous, ça ne vous regarde pas. (à Louise) Or çà, ma fille, il faut faire ce que madame la duchesse a dit: tu feras comme si tu étois la mariée; et toi tu seras le marié.
BERTRAND
Ah, tant mieux.
JEAN-LOUIS
Il y aura des musettes, des trompettes, des violons; et il croira que tu es mariée d'hier.
(à Jeannette)
Et toi, tu lui viendras compter tout cela: tu feras comme si tu gardois tes moutons ici.
LA TANTE
J'aurois mieux fait qu'elle.
JEAN-LOUIS
Il vous connaît: il ne reconnoîtroit pas sa tante !
LOUISE
Ah! mon père, que je suis fâchée de tout cela: et si on me faisoit un pareil tour, cela me feroit bien de la peine.
JEAN-LOUIS
Il en aura plus de plaisir après.
LA TANTE
Hé, puis cela lui apprendra de t'écrire, qu'il désire te rencontrer sur la route, ne voir que toi, et repartir.
LOUISE
Ce n'est pas tout-à-fait cela qu'il a écrit; mais quand cela seroit, pourquoi m'en punir ?
LA TANTE
Enfin, c'est madame la duchesse qui le veut: elle l'a élevé; elle s'intéresse à lui, que c'est une merveille.
LOUISE
Un bel intérêt, à lui faire du chagrin.
JEAN-LOUIS
Ce n'est que pour un moment.
LOUISE
Il n'en croira rien; car il n'y a pas six jours qu'il a reçu une lettre de moi.
JEAN-LOUIS
Tant mieux, cela sera plus perfide.
LA TANTE
Oui, cela lui fera plus de peine.
JEAN-LOUIS
Allez vous ajuster tous, vous n'avez pas trop de temps;
(à Jeannette)
et toi, reste ici avec moi: voyons si tu feras bien ton rôle.
Jean-Louis, Jeannette.
JEAN-LOUIS
Or çà, feras-tu bien ce que je t'ai dit ?
JEANNETTE
Oh que oui, monsieur Jean-Louis.
JEAN-LOUIS
Voyons, voyons; mets-toi là.
JEANNETTE
Oui.
JEAN-LOUIS
Fais comme si tu filois.
JEANNETTE
(prenant la baguette que Bertrand a laissée tomber)
Venez, prenons que c'est-là ma quenouille.
JEAN-LOUIS
Hé, puis tu chantes.
JEANNETTE
Oui, je chante, quand vous venez de par là.
JEAN-LOUIS
Non, pas moi.
JEANNETTE
Ah j'entends bien, j'entends bien: c'est lui.
JEAN-LOUIS
Hé bien, chante donc.
JEANNETTE
Attendez donc que j'aie mis ma quenouille.
(Pendant ce jeu, la ritournelle.)
[N. 2 - Ariette]
J'avois égaré mon fuseau,
je le cherchois sur la fougère:
Colin, en m'ôtant son chapeau,
me dit: Que cherchez-vous, bergère ?
Un peu d'amour, un peu de soin,
mènent souvent un cœur bien loin.
JEAN-LOUIS
Bonjour, la jeune fille.
(Elle se return.)
Bien, bien: continue.
JEANNETTE
C'est que j'ai perdu mon fuseau,
en passant près de ce grand chêne.
Colin alors prend son couteau,
et coupe une branche de frêne.
Un peu d'amour, un peu de soin,
mènent souvent un cœur bien loin.
JEAN-LOUIS
La jeune fille, écoutez donc. (Elle se return encore.) Bien, bien, fort bien: continue.
JEANNETTE
Il fit tant avec son couteau,
en me regardant d'un air tendre,
que j'eus le fuseau le plus beau,
et que mon cœur se laissa prendre.
Un peu d'amour, un peu de soin,
mènent souvent un cœur bien loin.
JEAN-LOUIS
La jeune fille, vous ne voulez donc pas m'écouter ?
JEANNETTE
Vous me pardonnerez, monsieur Jean- Louis.
JEAN-LOUIS
Monsieur Jean-Louis ! Dis donc monsieur le soldat, et non pas monsieur Jean-Louis.
JEANNETTE
Ah, oui, oui, monsieur le soldat: c'est que je vous regardois.
JEAN-LOUIS
Recommençons ça. La jeune fille, vous ne voulez donc pas m'écouter.
JEANNETTE
Vous me pardonnerez, monsieur le soldat.
JEAN-LOUIS
Bon, bon. La jeune fille, je vous serois bien obligé si vous vouliez bien me dire quelle est cette noce que je viens de voir passer.
JEANNETTE
C'est celle de Louise, fille de Jean-Louis Basset, soldat invalide et fermier de madame la duchesse.
JEAN-LOUIS
Bien, bien, fort bien: tu diras bien, et tu viendras nous rejoindre au château; mais n'oublie pas de dire monsieur le soldat. Tiens, tiens, comme il accourt.
JEANNETTE
Où donc ? Ah, oui.
JEAN-LOUIS
Tiens, comme il grimpe la montagne. Ah, les amoureux n'ont pas la goutte. Je m'en vais: reste. Non, viens vite.
Alexis.
[N. 3 – Ariette]
Ah ! je respire : il faut que je reprenne haleine.
(Il jette à terre son habit, son sabre, son havresac.)
Oui, le voici cet orme heureux,
où Louise a reçu mes vœux.
Je vais la voir, ah, quel plaisir !
La voir, lui parler, être ensemble.
De quel bonheur je vais jouir !
Mais... mais... je frissonne, je tremble.
L'amour... la joie: arrêtons un moment.
Ah ! quel moment: ah ! quel moment charmant !
Mais pourquoi ne l'ai-je pas vue !
Pourquoi sur le chemin n'est-elle pas venue ?
Elle a craint de céder à trop d'empressement:
trop de pudeur l'aura déçue.
Ne sait-on pas que je suis son amant ?
Allons: mais, que dirai-je ? ah, ciel ! ah, quel martyre !
Ils vont tous être là; nous ne saurons que dire:
la tante, les amis, son père, son voisin,
et le grand cousin.
Quelle contrainte ! Quel dommage !
Ah, si quelqu'enfant du village
paroissoit... Quoi, Louise, amour ne te dit pas ?
Vas donc, vas donc: il t'attend. Ah ! je gage
que quelqu'un arrête ses pas.
Je vais la voir, ah, quel plaisir !
Mais, j'entends des musettes, des violons. Voici tout le village, c'est une noce: cachons-nous. Qu'ils sont heureux ceux-là !
Toute la Noce.
Alexis est caché. Des violons en tête, une musette, une cornemuse. La mariée est triste; le reste a une gaieté feinte. Bertrand, qui fait le marié, a l'air sot et niais. Le père donne la main à sa fille.
[N. 4 - Marche de la noce]
JEAN-LOUIS
(à Louise)
Bon, il est caché: ne retourne pas la tête. Il regarde.
LOUISE
Ah ! que cela me fait de peine. Laissez-moi le voir.
JEAN-LOUIS
Tu le verras assez. Bon, bon, courage. Jeannette, reste là.
Alexis, Jeannette (elle a sa quenouille).
ALEXIS
Parlez donc, la jeune fille.
JEANNETTE
(chante)
J'avois égaré mon fuseau,
je le cherchois sur la fougère
ALEXIS
Parlez donc, parlez donc.
(Jeannette veut chanter; mais il la prend par le bras. Elle veut reprendre son couplet; il ne veut pas la laisser continuer.)
JEANNETTE
Laissez-moi donc, laissez-moi donc: je vous répondrai au troisième couplet.
ALEXIS
Répondez-moi tout à l'heure.
JEANNETTE
(à part)
Ah, ciel ! je ne pourrai jamais...
ALEXIS
Hé bien, répondez donc.
JEANNETTE
Ah ! vous me faites peur.
ALEXIS
Ne craignez rien, ma belle enfant. Qu'est-ce que c'est que cette noce qui vient de passer ?
JEANNETTE
Cette noce ?
ALEXIS
Oui.
JEANNETTE
Ce que c'est ?
ALEXIS
Oui.
JEANNETTE
C'est une noce.
ALEXIS
De qui ?
JEANNETTE
J'avois égaré mon fuseau
je le cherchois sur la fougère
ALEXIS
Est-ce que vous vous moquez de moi avec votre chanson ? Je vous prie de me répondre.
JEANNETTE
Hé bien, quoi, dites. Ô ciel ! vous me faites tant de peur, que je ne pourrai jamais...
J'avois é...
ALEXIS
Comment ! encore votre chanson ! Qu'est-ce que c'est cette noce ? Pourquoi, dites, n'y ai-je pas vu... Hé, parbleu, voulez-vous...
JEANNETTE
Hé bien, oui, oui; c'est la noce de Louise, fille de Jean-Louis Basset, soldat invalide, et...
ALEXIS
Jean-Louis se remarie ?
JEANNETTE
Non, sa fille.
ALEXIS
Sa fille ! sa fille !
JEANNETTE
Elle est mariée d'hier; c'est aujourd'hui le lendemain.
ALEXIS
D'hier mariée... Jean-Louis... le lendemain... savez-vous bien ce que vous dites ? le connoissez-vous ?
JEANNETTE
Si je le connois ? sans doute, puisque voilà sa maison: c'est lui qui est le fermier de madame la duchesse. C'est si vrai, qu'elle y est venue ce matin. Elle est mariée à son cousin Bertrand, d'hier, à celui qui est si bon.
[N. 5 - Duo]
Ensemble
ALEXIS
(laisse tomber sa tête sur son estomach)
Seroit-il vrai, puis-je l'entendre ?
Non, cela ne peut se comprendre,
non, non, cela ne se peut pas;
elle auroit voulu mon trépas !
JEANNETTE
Ah ! comme je sais bien l'entendre:
ah ! comme je sais bien m'y prendre!
Bon, bon, quel plaisir il aura
quand il saura
que ce n'est pas !
ALEXIS
(à Jeannette)
Ma belle enfant; que je vous dise,
répondez bien avec franchise:
écoutez-moi. Répondez-moi.
De bonne foi:
je vous en prie,
je vous en supplie,
JEANNETTE
Hé bien hé bien, avec franchise,
que voulez-vous que je vous dise ?
ALEXIS
Répondez bien avec franchise:
c'est là la noce de Louise,
Ensemble
ALEXIS
la fille de Louis Basset.
JEANNETTE
Oui, c'est la noce de Louise,
JEANNETTE
la fille de Louis Basset;
ALEXIS
C'est elle-même qui passoit
JEANNETTE
c'est elle-même qui passoit
ALEXIS
avec Bertrand son grand cousin;
JEANNETTE
avec Bertrand son grand cousin:
c'est aujourd'hui le lendemain,
ALEXIS
C'est aujourd'hui le lendemain,
JEANNETTE
son père lui donnoit la main.
ALEXIS
son père lui donnoit la main.
Ciel ! c'est vrai, je l'ai reconnu.
JEANNETTE
Oui, oui, vous devez l'avoir vû.
Ensemble
ALEXIS
Il est donc vrai, j'ai pu l'entendre;
dieux ! cela peut-il se comprendre ?
Elle a donc voulu mon trépas!
Ah, ciel ! je ne me soutiens pas.
Je sens un froid, mon cœur s'en va
devois-je m'attendre à cela ?
Je sens un froid, mon cœur s'en va.
JEANNETTE
Ah ! comme je sais bien l'entendre:
ah ! comme je sais bien m'y prendre!
Bon, bon, quel plaisir il aura,
quand il saura que ce n'est pas.
À voir le chagrin, qu'il ressent,
ah ! que son plaisir sera grand.
Mais, mais, comme il semble fâché.
JEANNETTE
Ce que j'ai dit, l'a trop touché
Ensemble
ALEXIS
Ah, ciel ! je ne me soutiens pas.
JEANNETTE
Je vais lui dire, oui, je crains
JEANNETTE
qu'il ne prenne trop de chagrin.
Ensemble
ALEXIS
Ella a donc voulu mon trépas.
Elle a donc voulu mon trépas.
JEANNETTE
Mais, mais, quel plaisir il aura
quand il saura que ce n'est pas.
JEANNETTE
Mais, il me fait de la peine. Ah ! je vais lui dire que cela n'est pas vrai. Monsieur, monsieur, allez au château.
ALEXIS
Oui, je te poignarderois, et de la même main...
JEANNETTE
Ah, bon dieu ! il me tueroit: je m'en vas bien vite. Sauvons-nous.
Alexis
[N. 6 – Récitatif]
Infidèle, que t'ai-je fait ?
Dis-moi, dis quel est le sujet
qui te fait m'arracher la vie ?
Réponds, réponds, toujours chérie...
Dans mon cœur... ah quel trouble affreux...
Réponds, réponds, toujours chérie...
Tu fais bien de baisser les yeux.
Est-il quelqu'un plus malheureux ?
J'accours à sa voix: oui, c'est elle,
c'est ma Louise qui m'appelle:
et pourquoi ? Pour frapper mes yeux,
pour me rendre témoin... ah, dieux !
[N. 7 - Air et Finale]
Fuyons ce lieu que je déteste;
il fut si beau, non, non; reprens,
reprens cette lettre funeste;
(Il montre son habit qui est à terre. Des soldats de maréchaussée paraissent et l'observent.)
je te la rends, je te la rends:
fût-il au centre de la terre,
je m'en vengerai sur ton père;
ne me suis pas, monstre cruel,
que notre adieu soit éternel.
Alexis, des Soldats de Maréchaussée.
LE BRIGADIER
Alte-là, soldat.
ALEXIS
Je m'en vas.
SECOND SOLDAT
Alte-là, soldat.
ALEXIS
Je m'en vas.
TROISIÈME SOLDAT
Où courrez-vous ?
ALEXIS
Oui, je m'en vas.
QUATRIÈME SOLDAT
Où courrez-vous ?
ALEXIS
Oui, je m'en vais;
pour toujours je quitte la France.
LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT
Quoi, vous deésertez.
TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT
Quoi, vous deésertez.
ALEXIS
Pour toujours je quitte la France.
LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT
Quoi, vous deésertez.
TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT
Quoi, vous deésertez.
ALEXIS
Non, non, je ne déserte pas,
pour toujours je quitte la France.
LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT
Mais c'est déserter.
TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT
Mais c'est déserter.
LE BRIGADIER
Comment, il ne déserte pas ?
SECOND SOLDAT
Il dit qu'il veut sortir de France.
TROISIÈME SOLDAT
Comment, il ne déserte pas ?
On diroit qu'il est en démence.
QUATRIÈME SOLDAT
On diroit qu'il est en démence.
Ensemble
ALEXIS
(à part)
II faut mourir, hatons ma perte.
(aux soldats)
Je m'en vas, je déserte.
Oui, oui, c'en est fait, je déserte.
Oui, oui, c'en est fait, je déserte.
N'en doutez pas,
oui je m'en vas.
Que le remors soit ton partage,
mon trépas sera ton ouvrage:
ne me suis pas, monstre cruel,
que notre adieu soit éternel.
LE BRIGADIER, SECOND SOLDAT, TROISIÈME SOLDAT, QUATRIÈME SOLDAT
Suivons ses pas.
Prenez cet habit,
et voyons s'il fuit.
Il l'avoit jeté
pour sa sureté.
Suivons ses pas.
Voyons s'il court vers la frontière.
Voyons, voyons ce qu'il va faire,
voyons, s'il court vers la frontière
Le thèâtre représente une prison, quelques tables de pierre, et des escabeaux.
Le geolier, Alexis.
(Dans le cours de cette scène Le geolier est occupé à differentes choses.)
[N. 8 - Entr'acte]
LE GEOLIER
ALEXIS
Non, non.
LE GEOLIER
ALEXIS
Oui, je voudrois la voir. Oh ciel, oh ciel !
LE GEOLIER
Alexis.
[N. 9 - Ariette]
Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure:
hé, ne faut-il pas que je meure ?
Chaque minute, chaque pas
ne mène-t-il pas
au trépas?
Mais souffrir une perfidie
aussi sanglante, aussi hardie;
y survivre, ah, plutôt mourir !
Ce n'est que cesser de souffrir.
Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure:
hé, ne faut-il pas que je meure ?
Chaque minute, chaque pas
ne mènet-il pas
au trépas ?
Mes jours, je les comptois, je les voyois à toi;
les tiens étoient les miens, ils ne sont plus à moi.
(Il tire une lettre et lit.)
« Viens, cher amant, je ne vivrai
que du jour où je te verrai.
Mon père attend bien du plaisir
de l'instant qui va nous unir;
et moi qui t'aime... » et me trahir !
Et je vivrois; plutôt mourir,
ce n'est que cesser de souffrir.
Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure;
hé, ne faut-il pas que je meure ?
Chaque minute, chaque pas
ne mène-t-il pas
au trépas ?
Montauciel, Alexis. (Montauciel est un peu pris de vin.)
MONTAUCIEL
Camarade, vous me demandez ?
ALEXIS
Moi, non.
MONTAUCIEL
Ah, que si... La maison, hé, la maison: nous allons boire un coup ensemble, nous allons renouer connoissance, si nous nous connoissons; ou nous allons la faire, si nous ne nous connoissons pas: cela revient au même.
ALEXIS
Savez-vous si on peut avoir ici une feuille de papier pour écrire ?
MONTAUCIEL
Ah, que oui, je vous aurai ça. Hé, la maison, la maison. Mais, sarpebleu, vous avez eu un tort, vous avec eu deux torts, vous avez eu trois torts; le premier, c'est de déserter; le second, c'est d'en convenir. Montauciel n'est qu'une bête: mais, à votre place, ç'auroit été mon sergent, mon général, mon caporal, je leur aurois dit: Non, je ne déserte pas: non, sarpebleu, Montauciel ne déserte pas. Hé, la maison.
(Il va, pendant la ritournelle, comme s'il appeloit, et il revient.).
[N. 10 - Ariette]
Je ne déserterai jamais,
jamais que pour aller boire,
que pour aller boire à longs traits.
De l'eau du fleuve où l'on perd la mémoire.
Il est permis d'être par fois
infidèle à son inhumaine;
mais c'est blesser toutes les loix
que de l'être à son capitaine.
Je ne déserterai jamais,
jamais que pour aller boire,
que pour aller boire à longs traits.
Montauciel, Le geolier, Alexis.
(Le geolier apporte une pinte et des gobelets d'étain.)
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Oui, c'est pour moi: fais-la venir, elle ne fera pas de trop. Pour en revenir...
(il leve la pinte, et la repose en regardant Louise)
Diable ! elle est gentille.
Alexis, Louise, Montauciel.
ALEXIS
Ciel, que vois-je ? Quoi ! vous voilà.
LOUISE
Oui, moi.
ALEXIS
Vous ?
LOUISE
Vous !
ALEXIS
Oui, vous.
MONTAUCIEL
Camarade, je vous laisse. C'est votre sœur, c'est votre cousine, c'est tout ce que vous voudrez. Mademoiselle, je ne vous offense pas: je m'appelle Montauciel; je sais la politesse qu'il faut... Quand on sait ce que c'est que de vivre dans les prisons... Camarade, elle est jolie: je vais, que je m'en vais, sur le préau. Vous pouvez causer: si quelqu'un... Ah, adieu, adieu.
(Montauciel menage sa sortie, de maniere qu'il ne sort qu'à la fin de la riturnelle du morceau qui suit.)
Alexis, Louise.
[N. 11 - Duo]
Ensemble
ALEXIS
Ô ciel, puis-je ici te voir ?
Ta présence est un outrage;
viens-tu redoubler ma rage,
augmenter mon désespoir.
Ta présence est un outrage;
viens-tu redoubler ma rage.
Est-il rien de plus cruel ?
Venir ici, l'infidèle !
Et de ma douleur mortelle
paroître jouir. Ô ciel !
Comment puis-je ici te voir ?
Ta présence est un outrage;
viens-tu redoubler ma rage,
augmenter mon désespoir ?
Ta présence est un outrage;
viens-tu redoubler ma rage.
LOUISE
Alexis, Alexis, pourquoi ce désespoir ?
Ah ! je ne croyois pas en accourant te voir,
m'exposer au chagrin de te faire un outrage.
Alexis, Alexis, écoute un mot, je gage
que je vais d'un sol mot calmer ton désespoir.
(à part)
Peut-être qu'il finira;
enfin, il s'apaisera.
Un mot, un mot, écoute-moi je gage
que je vais d'un seul mot calmer ton désespoir.
Ah ! je ne croyois pas en accourant te voir
m'exposer au chagrin de te faire un outrage.
(Montauciel rentre à al ritournelle de ce Duo, et prende la pinte.)
Montauciel, Alexis, Louise.
MONTAUCIEL
Que je ne vous dérange pas. Vous ne voulez pas boire? Non, non: adieu.
Alexis, Louise.
ALEXIS
Ah ? ce n'est pas à toi que j'en veux, c'est à ton père.
LOUISE
Il est vrai que mon père...
ALEXIS
Ce vieillard infâme ! Son avarice n'a pu, sans doute, tenir contre un peu d'argent. C'est contre de l'argent qu'il troque le bonheur de deux personnes qui ne se seroient occupées que du sien. Il plonge en des remords, en des tourments affreux... car tu m'aimes encore, et tu m'aimeras toujours. Il fait le malheur de trois personnes, à qui il n'est plus permis d'être heureuses. Pour moi, tout est dit. Mais toi, et ton mari... Ce lâche ! il te permet de venir me voir le surlendemain de ta noce : il te permet de venir voir un soldat qui t'aime, qu'il sait bien que tu as aimé; et dans une prison, que sans toi... Va, je ne t'en veux pas. Ah ! Louise, je t'aime encore: puisses-tu ne te jamais souvenir de moi !
LOUISE
Alexis.
ALEXIS
Mais, avec quel front, avec quelle tranquillité...
LOUISE
Je ne serois pas si tranquille si j'étois coupable.
ALEXIS
Perfide !
LOUISE
Je jouis de ton erreur.
ALEXIS
De mon err...
LOUISE
Je peux t'apaiser d'un mot.
ALEXIS
D'un mot ! Dis-le, si tu l'oses.
LOUISE
Je ne suis pas mariée.
ALEXIS
Tu...
LOUISE
C'est mon père qui a voulu...
ALEXIS
Infâme ! que m'importe toi ou lui ?
LOUISE
Madame la duchesse...
ALEXIS
As-tu oſé paroître devant elle ?
LOUISE
C'est elle qui a ordonné tout ceci.
ALEXIS
Quoi !
LOUISE
Elle a ordonné à mon père de te faire croire que j'étois la mariée.
ALEXIS
Que veux-tu dire ?
LOUISE
Oui, elle a ordonné cette noce, ces instruments, cette fête, ces apprêts. On avoit aposté cette petit fille qui t'a parlé, pour te tromper; et tout cela n'étoit qu'un jeu.
(Alexis tombe accablé sur un escabeau, les mains étendues sur la table.)
ALEXIS
Qu'un jeu !
[N. 12 - Ariette]
LOUISE
Dans quel trouble te plonge
ce que je te dis là ?
Puisque c'est un mensonge,
que t'importe cela ?
Cette ruse cruelle
ne doit plus t'offenser;
toi, me croire infidelle !
Pouvois-tu le penser ?
Vivre et t'aimer sont pour moi même chose;
et quels que soient les devoirs que m'impose
le serment dont j'attends notre félicité,
il n'ajoutera rien à ma fidélité.
Je t'aimerai toute ma vie.
J'en jure par ta main que je presse; je prie
le ciel de nous unir par un même trépas:
ou puissé-je du moins expirer dans tes bras !
Mais ta peine redouble,
et semble s'augmenter.
Que veux dire ce trouble ?
Qui peut te tourmenter ?
Cette ruse cruelle
ne doit plus t'offenser,
toi me croire infidelle !
Louise, Louise infidelle
méchant, méchant, pouvois-tu le penser ?
ALEXIS
Ô ciel !
LOUISE
Est-ce que tu ne me crois pas ?
ALEXIS
Ah ! je te crois.
Louise, Jean-Louis, Alexis.
LOUISE
Mon père, ah! que vous voilà bien arrivé. Demandez-lui donc ce qu'il a... Dites-moi la cause de son chagrin !
JEAN-LOUIS
Bonjour, mon cher Alexis; que je t'embrasse, que je suis charmé de te revoir. Comme te voilà robuste: les troupes font bien un homme. Tu as servi le roi, tu as servi ta patrie: tu n'es plus un paysan. Mon ami, Louise est à toi.
ALEXIS
Jean-Louis...
JEAN-LOUIS
La noce quand tu voudras, quand tu voudras.
ALEXIS
Je t'en prie, Jean-Louis, dis à ta fille d'aller un instant dans le jardin du geôlier.
JEAN-LOUIS
Pourquoi ?
ALEXIS
Dis-le lui seulement.
JEAN-LOUIS
Louise, j'ai quelque chose à dire; sors, et je t'irai reprendre.
ALEXIS
(lui prenant la main)
Louise, nous déjeunerons ensemble aujourd'hui, aujourd'hui. Qu'il y a bien long-temps que je ne t'ai vue !
LOUISE
Et vous me renvoyez !
ALEXIS
Tu vas rentrer.
Jean-Louis, Alexis.
JEAN-LOUIS
J'ai été bien surpris de te savoir en prison: mais on m'a dit que c'est peu de chose. Est-ce que tu t'appelles Montauciel ? C'est ton nom de guerre, apparemment. On m'a dit: voyez, voyez Montauciel, il est là. Mais que je t'embrasse, mon garçon, mon gendre, mon cher ami: madame la duchesse te fera sortir d'ici. Mais tu es triste: je parie que je devine pourquoi tu es ici.
ALEXIS
Je ne le crois pas.
JEAN-LOUIS
Si, si. Quand on revient de l'armée, quelque aventure, quelque boisson, quelque fille dans une auberge... Mais on t'a vu le long du village, et puis on ne t'a plus vu. On vouloit te jouer un tour; mais ton aventure en a empêché. Conte-moi ça, conte-moi ça, tu le peux: j'ai servi, je sais ce que c'est qu'un soldat. Ne vas-tu pas être mon gendre ? et je n'en dirai rien à Louise. Et puis une misère, quelques coups, quelques tapes.
ALEXIS
Jean-Louis, promets-moi que tu feras tout ce que je te dirai.
JEAN-LOUIS
Oui, à moins que cela ne soit trop difficile.
ALEXIS
Non... Nous allons déjeuner, toi, ta fille et moi.
JEAN-LOUIS
Cela est aisé: ensuite.
ALEXIS
Je te prie, je te supplie d'emmener ta fille aussi-tôt après; vous partirez ensemble: nous nous quitterons... nous nous quitterons Je lui dirai que je suis forcé de rejoindre.
JEAN-LOUIS
Je le sais: le roi arrive au camp.
ALEXIS
Vous vous en retournerez... vous vous en retournerez au village... et toi, dans deux jours, tu reviendras ici: tu demanderas un soldat nommé Montauciel; il te remettra une lettre pour toi... et pour moi, je n'y serai plus.
JEAN-LOUIS
Non; tu seras au camp; mais dans quinze jours tu auras ton congé.
ALEXIS
Auras-tu assez de force sur ton esprit pour ne rien faire paraître devant ta fille de ce que je vais te dire?
JEAN-LOUIS
Sans doute.
ALEXIS
Je crains qu'elle ne rentre.
JEAN-LOUIS
Non, non.
ALEXIS
Hier, cette noce...
JEAN-LOUIS
C'est moi qui ai conduit cela.
ALEXIS
Le désespoir m'a pris...
JEAN-LOUIS
Bon, bon, tant mieux; j'en étois sûr.
ALEXIS
Et dans ma fureur...
JEAN-LOUIS
Tu as été furieux ? ah, que c'est bon.
Louise, Jean-Louis, Alexis.
LOUISE
Ah, mon père ! ah, malheur ! Cette noce l'a mis au désespoir; il a déserté; il est condamné: il va mourir.
JEAN-LOUIS
Qoi ?
ALEXIS
Elle le sait. Que je suis malheureux !
JEAN-LOUIS
Déserté ! déserté ! condamné ! Alexis, Alexis, seroit-il vrai ce qu'elle dit là ?
ALEXIS
Cela n'est que trop vrai. Oui, Jean-Louis.
JEAN-LOUIS
Ah ciel !
[N. 13 - Trio]
ALEXIS
Console-toi, ma tendre amie,
mon sort te prouve mon amour;
tu diras: s'il m'eût moins chérie,
il n'auroit pas perdu le jour.
Ensemble
LOUISE
Mon père, ah ! quel sera mon sort ?
Ah, que je suis infortunée !
Que le moment où je suis née
ne fût-il celui de ma mort.
JEAN-LOUIS
Quoi, mon ami, voilà ton sort !
Maudite, ah, maudite journée !
Ce sera là ta destinée ?
C'est moi qui mérite la mort.
Ensemble
LOUISE
Quoi, c'est moi, qui te tue !
J'etois au comble du bonheur;
mon père, vous m'avez perdue...
Vous obéir fut mon malheur.
Non, non, je ne saurois plus vivre:
qoi ! je ne peurrois plus te voir ?
Il ne reste à mon désespoir,
que la ressource de te suivre.
ALEXIS
Ne viens point porter des alarmes
dans mon cœur prêt à s'attendrir;
ne pleure pas, sèche tes larmes,
garde-les pour mon souvenir.
Et toi pour un autre moi-même,
conserve-toi pour cet objet chéri;
dans ta fille aime ton ami,
je meurs content, ta fille m'aime.
Ensemble
LOUISE
Je suis au désespoir.
ALEXIS
Calme ton désespoir.
JEAN-LOUIS
Je suis au désespoir.
Le geolier, les acteurs précédents
LE GEOLIER
ALEXIS
Qui ?
LE GEOLIER
ALEXIS
Adieu, adieu.
LOUISE
Comment ? adieu.
ALEXIS
Non, Louise, ne t'effraie pas. Je crois que je vais revenir.
LOUISE
Ah ! mon père.
Louise, Jean-Louis, Le geolier.
LOUISE
Ô ciel ! Monsieur, où va-t-il ?
LE GEOLIER
LOUISE
Monsieur, monsieur, ce ne seroit pas...
LE GEOLIER
LOUISE
Ah, ciel !
JEAN-LOUIS
Non, ma fille, il n'est pas possible: je vais trouver madame la duchesse; je vais tout lui dire.
LOUISE
Ah, mon père, elle l'a mis dans la peine; elle ne sera pas là pour l'en tirer.
JEAN-LOUIS
Je vais... ô ciel ! Ah, que je suis malheureux ! Viens me rejoindre; j'irai plus vite que toi. Et puis... Non, je cours.
Louise, Le geolier.
LOUISE
Monsieur, je me jette à vos genoux: je vous prie...
LE GEOLIER
LOUISE
Le roi passe au camp.
LE GEOLIER
LOUISE
Monsieur, dites-moi, le roi en pareil cas... Ah, c'est une justice. Le roi peut-il faire justice ou grâce ?
LE GEOLIER
LOUISE
Monsieur, si j'y allois, si je me jetois à ses pieds; si je lui disois que c'est moi qui suis la cause...
LE GEOLIER
LOUISE
Ah ! monsieur, si j'avois de l'argent...
LE GEOLIER
LOUISE
Ce n'est pas cela que je voulois dire... c'est pour vous, monsieur.
LE GEOLIER
LOUISE
C'est pour vous remercier... c'est pour vous prier... Voici, monsieur, ma croix d'or que je vous donne: faites retarder jusqu'à demain.
LE GEOLIER
LOUISE
Ah, que je suis malheureuse !
Le geolier.
Montauciel, Le geolier, Bertrand
Montauciel tient d'une main une pinte de vin, une feuille de papier sous son bras; de l'autre main il tient Bertrand par le poignet.
MONTAUCIEL
Hé, entrez donc. Est-ce que vous avez peur ?
(Au geôlier.)
Tenez, voilà un jeune homme qui demande ce soldat. Où est-il donc ? Et cette jeune fille ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Et lui ?
LE GEOLIER
BERTRAND
Je vais aller avec monsieur.
Montauciel, Bertrand
MONTAUCIEL
Non, non, restez: vous allez boire un coup en attendant. Voilà une feuille de papier que je lui apportois.
BERTRAND
Mais êtes-vous bien sûr que c'est mon cousin Alexis ?
MONTAUCIEL
Oui, oui, c'est lui: un soldat.
BERTRAND
Oui.
MONTAUCIEL
Mettez-vous là. Il est votre cousin ?
BERTRAND
Oui, monsieur.
MONTAUCIEL
Mettez-vous là.
BERTRAND
Mais, monsieur...
MONTAUCIEL
Mettez-vous là, vous dis-je. Sarpejeu, mettez-vous donc là; buvons un coup, il va revenir.
BERTRAND
Monsieur, je vous remercie; on ne boit pas comme ça sans connoître.
MONTAUCIEL
Est-ce que je vous connois, moi ? Et ça ne m'empêche pas de boire avec vous. Il est bon: buvez, buvez donc.
(Bertrand boit.)
Et vous dites que...
BERTRAND
Moi, je ne dis rien.
MONTAUCIEL
Si vous ne dites rien, chantez, chantez.
BERTRAND
Ah ! monsieur, nous sommes dans le chagrin.
MONTAUCIEL
C'est à cause de cela: c'est dans le chagrin qu'il faut chanter, cela dissipe. Allons, chantez.
MONTAUCIEL
Toujours chanter et toujours boire,
c'est la devise de Grégoire.
MONTAUCIEL
Chantez donc.
BERTRAND
Mais je ne sais pas chanter.
MONTAUCIEL
Chantez toujours, voulez-vous donc chanter, quand on vous en prie. Sarpebleu vous chanterez.
BERTRAND
Mais, attendez donc.
(Il chante.)
[N. 14 - Couplets]
Tous les hommes sont bons;
on ne voit que gens francs,
à leurs intérêts près.
Nous aimons la bonté,
l'exacte probité
dans les autres.
Faire le bien est si doux,
pour ne rendre heureux que nous
et les nôtres.
MONTAUCIEL
Sarpedié, votre chanson est bonne à porter le diable en terre. Ecoutez-moi.
[N. 15 - Couplets]
Vive le vin, vive l'amour;
amant et buveur tour à tour,
je nargue la mélancolie:
jamais les peines de la vie
ne me coutèrent de soupirs;
avec l'amour, je les change en plaisirs,
avec le vin je les oublie.
Voilà une chanson, ça. Chantons ensemble.
BERTRAND
Hé mais, et mon cousin...
MONTAUCIEL
Il ne peut pas tarder. Allons, chantons ensemble à présent.
BERTRAND
Ensemble ?
MONTAUCIEL
Oui, ensemble, c'est plus gai.
BERTRAND
Mais je ne sais pas votre chanson.
MONTAUCIEL
Qu'est-ce qui vous dit de chanter ma chanson ? Dites la vôtre, et moi la mienne, c'est plus gai.
BERTRAND
Hé mais...
MONTAUCIEL
Allons, morbleu, chantez. (Il verse un verre de vin et boit.) Buvez et chantez.
[N. 16 - Duo]
Ensemble
BERTRAND
Tous les hommes sont bons:
on ne voit que gens francs,
à leurs intérêts près.
Nous aimons la bonté,
l'exacte probité
dans les autres.
Faire le bien est si doux,
pour ne remire heureux que nous
et les nôtres.
MONTAUCIEL
Vive le vin, vive l'amour;
amant et buveur tour à tour,
je nargue la mélancolie:
jamais les peines de la vie
ne m'ont couté quelques soupirs:
avec l'amour je les change en plaisirs.
Avec le vin je les oublie.
(À la fin du Duo, Bertrand s'en fuit, et Montauciel court après.)
Fin du second acte.
La tante, Jeannette, Bertrand.
[N. 17 - Entr'acte]
LA TANTE
Oui, c'est ta faute; oui, c'est ta faute: sitôt que tu l'as vu si fâché, que ne lui as-tu dit que cela n'étoit pas vrai ?
JEANNETTE
Est-ce qu'on ne m'avoit pas défendu de le dire ?
LA TANTE
Oui, mais ensuite, ensuite.
JEANNETTE
Il ne m'a seulement pas laissé commencer la chanson.
LA TANTE
Hé bien, il falloit toujours lui dire.
BERTRAND
C'est vous qui avez voulu tout cela. Oui, c'est vous qui êtes la cause de sa mort.
LA TANTE
La cause de sa mort ! Ah, ciel ! peux-tu dire une pareille chose ? La cause de sa mort !
BERTRAND
Oui, il est bien temps.
LA TANTE
Et toi, grand lâche, grand misérable que tu es, quand on te dit de courir après lui, tu fais semblant d'y aller.
BERTRAND
C'est moi qui étais le marié: est-ce que je pouvais quitter ?
LA TANTE
Ah ! fusses-tu à sa place.
BERTRAND
A sa place ! ah, je n'aurois pas fait comme lui: je me serois bien informé à tout le monde.
LA TANTE
Ah, ciel ! ah ! je le pleurerai, je le pleurerai toute ma vie, oui, toute ma vie... Quoi ! ce pauvre Alexis...
JEANNETTE
Hé ! ma marraine, ne pleurez donc pas comme ça.
BERTRAND
Ah ! le voici.
LA TANTE
Comme il est changé !
BERTRAND
Comme il est triste !
La tante, Alexis, Bertrand, Jeannette.
LA TANTE
Ah ! mon cher Alexis, je suis au désespoir...
ALEXIS
Bonjour, ma tante, bonjour.
LA TANTE
Je te demande pardon: c'est nous, c'est moi qui suis la cause de tout ça.
BERTRAND
C'est moi qui étois le marié.
JEANNETTE
J'ai voulu vous le dire: n'est-il pas vrai que vous m'avez dit que vous me tueriez ?
ALEXIS
Ne parlons plus de cela, c'est un malheur. Où est Louise ? et pourquoi son père n'est-il pas ici ?
LA TANTE
Ah, son père ! son père ? le voilà qui arrive dans le village. Il étoit en pleurs, il se jetoit par terre, il se frappoit la tête; il ne veut pas se relever: nous sommes tous à gémir. Si on pouvoit te racheter avec de l'argent, nous donnerions tout, jusqu'à nos hardes.
BERTRAND
Tien, moi, je donnerois tout ce que j'ai.
ALEXIS
Et madame la duchesse sait-elle cela ?
LA TANTE
Nous y avons tous couru; elle n'est pas au château.
BERTRAND
Ah, au château ! la belle noce qu'elle te préparoit !
ALEXIS
Et Louise, l'avez-vous vue ?
LA TANTE
Non.
BERTRAND
On ne sait où elle est.
ALEXIS
Quoi ? personne... quoi ? personne n'est avec elle ? Ah ! il lui sera arrivé quelque malheur.
JEANNETTE
Non, je l'ai vue courir: je l'ai appelée, elle ne m'a pas répondu.
ALEXIS
Ah ! ma tante, consolez-la, ne la quittez pas: vous ne pouvez plus me rendre aucun service. Vous perdez votre neveu.
LA TANTE
Je te perds, ah, quel malheur !
ALEXIS
Qu'elle soit votre nièce, je vous en prie. Elle devoit l'être.
LA TANTE
Je te le promets.
ALEXIS
Hé, comment a-t-elle pu consentir à ce cruel badinage ?
LA TANTE
Elle ne le vouloit pas; elle s'écrioit, moi, à sa place, j'en mourrois. Mais madame la duchesse l'avoit ordonné, et son père et moi nous l'y avons forcée.
JEANNETTE
Hé, puis elle disoit comme ça: il ne le croira pas, il ne le croira pas.
ALEXIS
C'est vrai, je ne devois pas le croire.
BERTRAND
Oui, oui, c'est bien vrai, tu ne devois pas le croire.
ALEXIS
Partez, ma tante, partez; tâchez de m'envoyer Jean-Louis. Si Louise... si Louise veut me voir encore, venez avec elle, et ne la quittez pas.
LA TANTE
Oui, mon cher Alexis
ALEXIS
Promettez-le moi.
LA TANTE
Je te le jure... Ah, ciel !
JEANNETTE
(à Bertrand, à part)
Est-ce que c'est pour aujourd'hui ?
BERTRAND
(à part)
On dit comme ça que c'est pour quatre heures.
ALEXIS
Adieu, ma tante, adieu Bertrand, adieu, la jeune enfant. De qui est-elle fille ?
LA TANTE
De Simonneau.
ALEXIS
Quoi ? cette petite fille que j'ai vue... Elle est bien grande. Bien mes amitiés à ton père, je t'en prie. Adieu ma tante.
BERTRAND
Adieu donc.
Le Geolier, Alexis
LE GEOLIER
ALEXIS
Voilà un petit écu.
LE GEOLIER
Montauciel, Alexis.
MONTAUCIEL
Soit, me voilà prêt. Ah, ah, vous allez écrire; vous êtes bien heureux, vous savez écrire, vous. Ah, déluge ! ah, mort ! ah, sang ! ah, que je suis un grand malheureux !
ALEXIS
Qu'avez-vous ?
MONTAUCIEL
Ce que j'ai ? le diable, le diable, puisqu'il faut vous le dire. Que diriez-vous d'un misérable, d'un coquin comme moi, brave homme d'ailleurs ? Comment, morbleu, il y a cinq ans que j'aurois eu la brigade, si j'avois sçu lire. A la compagnie on est dérangé: on boit avec l'un, on boit avec l'autre. Je me fais mettre en prison, afin d'avoir un quart-d'heure à moi pour apprendre; et d'aujourd'hui, d'aujourd'hui, morbleu, Montauciel n'a pas étudié. Ah, malheureux ! ah, coquin ! ah, scélérat !
ALEXIS
Hé bien, étudiez.
MONTAUCIEL
Vous avez raison. Voilà de l'écriture qu'un de mes camarades m'a faite; car je suis déjà avancé: j'épelle mes lettres.
[N. 18 - Ariette]
V, o, u, s, e, t, et te,
trompette, trompette !
B, l, a, n, c, b, e, c,
blessé, trompette blessé,
maudit l'infernal
faiseur de grimoire,
dont l'esprit fatal
mit dans sa mémoire
tout ce bacchanale.
Sans cette écriture
et sans la lecture
ne peut-on, morbleu,
manger, rire et boire,
marcher à la gloire
et courir au feu ?
ALEXIS
Camarade, ne pouvez-vous étudier plus bas ?
MONTAUCIEL
Non, car je ne m'entendrois pas; mais je m'en vais plus loin.
(Il se retire au fond du théâtre.)
ALEXIS
En vous remerciant.
MONTAUCIEL
Pourriez-vous , sans vous déranger s'entend, après que vous aurez fait votre affaire: pourriez-vous me ranger là une autre file d'écriture ? II n'y en a là qu'une; et je crois que je la fais bientôt: sans vous déranger cependant.
ALEXIS
Avec plaisir: quand vous reviendrez.
MONTAUCIEL
Ah, vous avez le temps.
[N. 19 - Ariette]
ALEXIS
(écrit, et s'interromp quelquefois)
Il m'eût été si doux de t'embrasser
avant l'instant que je vois s'avancer.
Ta présence eût mis quelques charmes
dans l'horreur qui vient m'oppresser.
Mais je ne verrai pas tes larmes:
il m'est plus doux de m'en passer.
Parmi mes spectateurs, dans cette foule errante
qui vient s'amuser du malheur,
mes yeux te chercheront, je verrai ta douleur;
ton nom sera dans ma bouche mourante:
que le mien quelquefois revive dans ton cœur.
Aime ton père, et que jamais reproche
à mon sujet ne sorte de ton sein.
Mais... mais... tu ne viens pas, et mon heure s'approche:
si ton père en est cause, étoit-ce son dessein ?
Tu ne viens pas et mon heure s'approche;
il m'eût été si doux de t'embrasser
avant l'instant que je vois s'avancer.
MONTAUCIEL
Camarade, vous qui savez lire, pourriez-vous me dire comme il y a là ?
ALEXIS
(regarde le papier et le rend)
Vous êtes un blanc bec.
MONTAUCIEL
Un blanc bec. Qu'est-ce qu'un blanc bec ? C'est vous qui en êtes un, sarpeguié, et je vous donnerai mon poing sur le visage.
Montauciel lui porte le poing sous le nez; Alexis se leve, lui donne un coup dans l'estomac: il tombe du coup à la renverse. Le geôlier arrive au premier cris: il apporte du vin.
ALEXIS
Les hommes sont bien terribles; il y a de cruelles gens.
Le Geolier, Montauciel
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
(s'essuyant le nez)
Ah, morbleu; tu me le payeras. Montauciel un blanc bec: sacre, mort, un blanc-bec !
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Il ne sera pas toujours en prison: je veux lui faire mettre l'épée à la main. Un blanc bec, un blanc bec ! morbleu, quand il sera hors d'ici, l'épée à la main, mon ami, ou je te coupe le visage.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Tu m'en défies. Pourquoi m'en défier ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Ah, je ne m'en souvenois plus: je ne m'étonne pas.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
J'ai été honnête avec lui, parce qu'il est savant, il sait lire et écrire. J'ai été me fourrer dans ce coin-là pendant toutes ses écritures. Je lui ai apporté un papier que voilà; et je l'ai prié de me dire comment il y avoit, à un endroit que je n'ai pu lire. Il m'a dit: Allez, vous n'êtes qu'un blanc bec; et il m'a jeté mon papier au nez.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
(en cet instant, ramasse le papier)
Hé bien, comment y a-t-il là ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Vous êtes...
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Il y a là-dessus: vous êtes un blanc bec ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Un blanc bec. B, l, a, n, c.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
B, e, c.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Comment, il n'y a pas là trompette blessé ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Il n'a donc pas tant de tort de m'avoir donné un coup de poing. Étoit-ce un coup de poing ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Hé, voilà Courchemin...
Le Geolier, Courchemin, Montauciel.
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Hé, bonjour Crik, bonjour Montauciel: ouf. Ah, que j'ai bon besoin d'un verre de vin.
MONTAUCIEL
Le voilà!... Hé d'où viens-tu comme ça ?
COURCHEMIN
(après avoir bu)
En te remerciant... je suis venu au grand galop, ventre à terre: on me l'avoit commandé. Mais j'ai vu, j'ai vu... sarpebleu, que j'ai chaud,
(il s'essuie)
j'ai vu une fille qui couroit à pied, en tenant ses souliers à la main ! Ah ! je n'ai jamais vu aller de cette vitesse là: elle sautoit les fossés, elle coupoit les vignes, les haies, les sentiers; elle avoit plus d'un affaire.
LE GEOLIER
COURCHEMIN
J'ai remis un paquet au grand-prévôt.
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Oui.
MONTAUCIEL
Tête, mort, ventre.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Comment, le roi est venu au camp, et Montauciel n'y étoit pas !
COURCHEMIN
Tu es donc aussi fou qu'à l'ordinaire.
MONTAUCIEL
Le roi est venu au camp, et Montauciel n'y étoit pas ? Mille bombes ! je n'ai pas vu le roi. Je n'étudierai de ma vie.
(Il déchire son papier.)
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
(à part)
Morbleu !
COURCHEMIN
Tais-toi donc. Il y a l'histoire d'une jeune fille.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
D'une fille ? dis donc, dis donc.
COURCHEMIN
Attendez donc, que je me rappelle.
[N. 20 - Ariette]
Le roi passoit, et le tambour
battoit au champ: une fille bien faite
perce la file; elle crie, elle court,
tombe à genoux en pleurs; le roi s'arrête,
le roi l'écoute; on ignoroit pourquoi;
alors on a fait un silence,
puis aussi-tôt un même cri s'élance,
vive à jamais, vive, vive le roi !
On m'a conté qu'elle disoit: « Ah, sire,
c'est mon amant, et s'il faut qu'il expire,
que j'éprouve le même sort !
Mais non, qu'il vive, et commandez, oui, sire,
plutôt qu'à lui, qu'on me donne la mort.
Que suis-je, moi ? moins que rien sur la terre:
trop faible, hélas, pour travailler aux champs;
et mon amant pourroit aider mon père
dans ses travaux au déclin de ses ans. »
De vieux soldats pleuroient, même des courtisans,
le roi pourtant ne pleroit pas; la grace
est accordée, on ne sait ce que c'est.
MONTAUCIEL
Ensuite?
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Je te l'ai dit.
MONTAUCIEL
Après?
COURCHEMIN
Je te l'ai dit, au milieu de la place,
le roi passoit, et le tambour
battoit aux champs: une fille bien faite
perce la file; elle crie, elle court,
tombe à genoux en pleurs; le roi s'arrête,
le roi l'écoute; on ignoroit pourquoi;
alors on a fait un silence,
puis tout à coup un même cri s'élance:
vive à jamais, vive, vive le roi !
MONTAUCIEL
Et le tambour battoit aux champs !
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Bon, en prison: on croit que la grâce est accordée; car on lui a donné un papier.
MONTAUCIEL
Qu'est-ce que c'est que ce papier ?
COURCHEMIN
Est-ce que je sais ? Mais il y avoit la des seigneurs, des grands seigneurs, qui lui ont dit de tendre son tablier; et ils lui ont jeté beaucoup d'or, beaucoup d'argent.
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Savez-vous ce qu'elle a fait ?
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Elle a jeté tout l'or, tout par terre: elle a dit que cela l'empêcheroit de marcher.
MONTAUCIEL
C'étoit donc bien lourd ?
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Oui.
LE GEOLIER
COURCHEMIN
Et si c'étoit la grâce de ce déserteur que nous avons arrêté hier ?
MONTAUCIEL
J'en serois charmé, j'en serois charmé: nous nous couperions la gorge ensemble.
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Sans doute.
LE GEOLIER
(On entend un roulement de tambour.)
COURCHEMIN
Qu'est-ce que j'entends ?
LE GEOLIER
MONTAUCIEL
Voyons.
Alexis entre du côté opposé à la sortie des précèdents.
On s'empresse, on me regarde;
j'ai vu s'avancer la garde:
les malheureux n'ont point d'amis,
je crains d'interroger; juste ciel, je frémis !
Mes yeux vont se fermer sans avoir vu Louise,
sans l'avoir vue ! ô ciel ! non, non;
quelque chose que je me dise,
mon cœur ne peut souffrir ce cruel abandon.
Hier, avec quelle joie
j'accourois, je courois à la mort:
de quels tourments suis-je la proie ?
Ai-je donc mérité mon sort ?
Mes yeux vont se fermer sans avoir vu Louise;
sans l'avoir vue ! ô ciel ! non, non;
quelque chose que je me dise,
mon cœur ne peut souffrir ce cruel abandon.
Montauciel, Alexis.
(Montauciel entre, une bouteille de vin et un gobelet à la main.)
MONTAUCIEL
Ah, te voilà, te voilà; je te cherchois, c'est à présent qu'il faut du cœur.
ALEXIS
Quoi, Montauciel ?
MONTAUCIEL
On vient te chercher. Bois cela, bois cela, te dis-je; c'est le cœur du soldat. J'ai cru que tu avois ta grâce, mais non.
ALEXIS
On vient me chercher ?
MONTAUCIEL
Oui, bois cela.
ALEXIS
Je te remercie. Ah, Louise !
MONTAUCIEL
Tu sais bien cette querelle de tantôt ? Hé bien, je te le pardonne, meurs en paix; c'est moi qui ai tort. Bois donc cela, je t'en prie, je t'en supplie: ne me refuse pas. C'est le dernier coup de vin que tu boiras.
(Alexis prend le gobelet, le présente à Montauciel, qui verse: il boit.)
ALEXIS
Donne: en te remerciant.
MONTAUCIEL
Pauvre garçon ! Un second, je t'en prie.
ALEXIS
Je te remercie... Montauciel, fais-moi un plaisir.
MONTAUCIEL
Quoi ?
ALEXIS
Puis-je compter sur toi ?
MONTAUCIEL
À la mort et à la vie.
ALEXIS
Promets-moi de rendre cette lettre.
MONTAUCIEL
Où ? j'y vais.
ALEXIS
Tu ne peux pas; tu es en prison.
MONTAUCIEL
C'est vrai; mais je sors aujourd'hui.
ALEXIS
Il viendra un paysan, nommé Jean-Louis. Tu lui rendras cette lettre, ou tu la feras rendre à son adresse.
MONTAUCIEL
Que je meure à l'instant si j'y manque. Ah ! les voilà, les chiens, les enragés, les... Morbleu, je crois que j'irois à sa place.
ALEXIS
Adieu, Montauciel.
MONTAUCIEL
Que je t'embrasse !
ALEXIS
Si cette jeune fille de ce matin vient ici, dis-lui que j'ai pensé à elle jusqu'au dernier moment.
MONTAUCIEL
Brave garçon ! brave garçon ! Mes amis, mes camarades, ne le manquez pas.
Alexis, Montauciel, Des soldats, la baïonnette au bout du fusil.
ALEXIS
Vous venez me chercher... Si quelqu'un... Ciel ! c'est elle.
Louise, Les précédents.
Louise entre ses souliers à la main, ses cheveux en désordre. Elle ne dit que: « Alexis, ta... » et tombe évanouie entre les bras d'Alexis, qui l'approche d'un siège, sur lequel elle reste sans connoissance.
[N. 21 - Air]
ALEXIS
Adieu, chère Louise, adieu,
ma vie étoit à toi... je la perds, vis heureuse:
c'est là mon dernier vœu.
Que je te plains... que ta peine est affreuse.
Pourqoi ne meurt-on pas d'amour et de douleurs ?
Çeseroit à tes pieds... Qu'un jour le ciel propice...
Je ne peux retenir mes pleur.
(Aux Soldats.)
Amis, terminez mon supplice,
que je meure en soldat, abandonnons ce lieu:
adieu, chère Louise, adieu.
Adieu, chère Louise, adieu.
Louise.
[N. 22 - Récitatif et Chœur]
(revenant à elle par degrés)
Où suis-je ? ô ciel ! j'ai les pieds nus;
qui m'a mise en ce lieu ? pourquoi m'ont-ils quittée ?
Et ces soldats, que sont-ils devenus ?
Mon cœur... ah ciel ! que je suis agitée !
Le Roi l'a dit, il va venir.
Ah, je ne peux me soutenir.
Oui, la grâce est accordée:
mais... je n'ai plus nulle idée;
arreêtez , arrêtez donc.
Mais c'etoit ici la prison.
Je me rappelle ses accents;
il me parloit... quel bruit j'entends !
(On entend derrière le théâtre un cri de vive le roi. Louise voit dans son sein le papier sur lequel est écrit qu'Alexis a sa grace.)
Ce papier ? dieu ! il n'est plus temps.
(Elle sort du côté opposé à l'entrée da La tante et de Jean-Louis.)
La tante, Jean-Louis
LA TANTE
Louise, Louise. Il a sa grace.
JEAN-LOUIS
Il a sa grace, il a sa grace;
ah, ma fille, il a sa grace !
(Ils s'embrassent, et sautent de joie.)
Le théâtre change, il représente une place publique. On voit des soldats sous les armes. Alexis est au milieu d'un groupe de personnes qu'il desire séparer. Il est soutenu par deux soldats; et faisant, pour marcher, des efforts inutiles, il dit:
[N. 23 - Ensemble final]
ALEXIS
Hélas, n'arrêtez mes pas;
courez, courez, elle étoit expirante !
J'ai lassssé Louise mourante.
Hélas, n'arrêtez mes pas.
Cependant le tambour bat , et les troupes défilent dans le fond du théâtre. Le Peuple crie: vive le roi.
Jean-Louis, La tante, Alexis
JEAN-LOUIS
(lui sautant au col)
Mon ami, que je t'embrasse.
LA TANTE
Mon neveu, que je t'embrasse.
ALEXIS
Hélas, n'arrêtez mes pas.
Courez, elle étoit expirante.
JEAN-LOUIS, LA TANTE ET LE PEUPLE
La voici, la voici.
Louise, Alexis, Bertrand, Montauciel, Jeannette, La tante, Le peuple, et les troupes qui défilent.
ALEXIS
Ah, Louise !
LOUISE
Alexis !
(Il se tiennent embrassés, on les soutent.)
LE PEUPLE
Oubliez jusqu'à la trace
d'un malheur peu fait pour vous:
quel bonheur ! il a sa grâce,
c'est nous la donner à tous.
Vive le roi ! vive à jamais, vive !
BERTRAND
Où sont ils ? Rangez-vous,
laissez-nous.
(Il embrasse Alexis)
MONTAUCIEL
Où sont-ils ? Rangez-vous,
laissez-nous.
(Il embrasse Alexis)
JEANNETTE
Pardonnez-moi, je vous prie,
si j'ai fait tous vos malheurs,
je n'oublierai de ma vie
combien j'ai causé de pleurs.
LE PEUPLE
Oubliez jusqu'à la trace
d'un malheur peu fait pour vous:
quel bonheur ! il a sa grâce,
c'est nous la donner à tous.
JEAN-LOUIS
Ma fille étoit trop chérie,
et nous faisions ton malheur.
LA TANTE
Tous les jours de notre vie,
sont bien dus à ton bonheur !
LE CHŒUR
Oubliez jusqu'à la trace
d'un malheur peu fait pour vous:
quel bonheur ! il a sa grâce,
c'est nous la donner à tous.
ALEXIS
(à Louise)
Qu'ai je besoin de la vie,
si ce n'est pour ton bonheur ?
LOUISE
(à Alexis)
Hélas j'étois si chérie,
et je faisois ton malheur.
MONTAUCIEL
(à Alexis)
Et ta maîtresse ! et la vie !
Et tu soutiens ton bonheur !
Ami je te porte envie,
on ne peut avoir plus de cœur.
LE CHŒUR
Oubliez jusqu'à la trace
d'un malheur peu fait pour vous:
quel bonheur ! il a sa grâce,
c'est nous la donner à tous.
Ensemble
ALEXIS
Oublions jusqu'à la trace
d'un malheur peu fait pour nous;
l'amour a fait ma disgrâce,
il n'en sera que plus doux.
LOUISE
Oublions jusqu'à la trace
d'un malheur peu fait pour nous;
l'amour a fait ta disgrâce,
il n'en sera que plus doux.
LE CHŒUR
Quel bonheur ! il a sa grâce ,
c'est nous la donner a tous.
Vive le roi ! vive à jamais, vive !
Fin.
Fin du livret.
Generazione pagina: 26/11/2017
Pagina: ridotto, rid
Versione H: 3.00.40
(D)