DAMNATION DE FAUST
Légende dramatique en quatre parties.
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Livret de Hector BERLIOZ, Almire GANDONNIÈRE.
Musique de Hector BERLIOZ.
Première représentation : 6 Décembre 1846, Paris.
Personnages:
MARGUERITE |
mezzo-soprano |
FAUST |
ténor |
MÉPHISTOPHÉLÈS |
baryton |
BRANDER |
basse |
Paysans, Étudiants, Bourgeois, Soldats, Gnomes, Sylphes, Follets,
Voisins et voisines, Démon et damnés, Esprit célestes, Anges.
Plaine de Hongrie, Nord de l’Allemagne, Bosquets et prairies du bord de l’Elbe,
Chambre de Marguerite, Forêts, cavernes, Plaines, montagnes et vallées,
Enfer, Sur la terre, Dans le ciel.
Note
La page de titre du manuscrit autographe de la partition porte la note suivante de la main de Berlioz: "Les paroles du récitatif de Méphistophélès dans la cave de Leipzig, de la chanson latine des étudiants, du récitatif qui précède la danse des follets, du Final de la 3ème partie, de toute la 4ème (à l’exception de la Romance de Marguerite) et de l’Epilogue, sont de m. H. Berlioz."
Avant-propos
Le titre seul de cet ouvrage indique qu'il n'est pas basé sur l'idée principale du Faust de Goethe, puisque, dans l'illustre poème, Faust est sauvé. L'auteur de la Damnation de Faust a seulement emprunté à Goethe un certain nombre de scènes qui pouvaient entrer dans le plan qu'il s'était tracé, scènes dont la séduction sur son esprit était irrésistible. Mais fût-il resté fidèle à la pensée de Goethe, il n'en eût pas moins encouru le reproche, que plusieurs personnes lui ont déjà adressé (quelques-unes avec amertume), d'avoir mutilé un monument.
En effet, on sait qu'il est absolument impraticable de mettre en musique un poëme de quelque étendue, qui ne fut pas écrit pour être chanté, sans lui faire subir une foule de modifications. Et de tous les poëmes dramatiquea existants, Faust, sans aucun doute, est le plus impossible à chanter intégralement d'un bout à l'autre. Or si, tout en conservant la donnée du Faust de Goethe, il faut, pour en faire le sujet d'une composition nmusicale, modifier le chef-d'œuvre de cent façons diverses, le crime de lèse-majesté du génie est tout aussi évident dans ce cas que dans l'autre et mérite une égale réorobation.
Il s'ensuit, alors, qu'il devrait être interdit aux musiciens de choisir pour thèmes de leurs compositions des poëmes illustres. Nous serions ainsi privés de lopéra de Don Juan, de Mozart, pour le livret duquel Da Ponte a modifié le Don Juan de Molière; nous ne posséderions pas non plus son Mariage de Figaro, pour lequel le texte de la comédie de Beaumarchais n'a certes pas été respecté; ni celui du Barber de Séville, de Rossini, par la même raison; ni l'Alceste de Gluck, qui n'est qu'une paraphrase informe de la tragédie d'Euripide; ni son Iphigénie en Aulide, pour laquelle on a inutilement (et ceci est vraiment coupable) gâté des vers de Racine, qui pouvaient parfaitement entrer avec leur pure beauté dans les récitatifs; on n'eût écrit aucun des nombreux opéras qui existent sur des drames de Shakespeare; enfin, m. Spohr serait paut-être condamnable d'avoir produit une œuvre qui porte aussi le nom de Faust, où l'on trouve les personnages de Faust, de Méphistophélès, de Marguerite, une scène de sorcières, et qui pourtant ne ressemble point au poëme de Goethe.
Maintenant, aux observations de détail qui ont été faites sur le livret de la Damnation de Faust, il sera également facile de répondre.
Pourquoi l'auteur, dit-on, a-t-il fait aller son personnage en Hongrie ?
Parce qu'il avait envie de faire entendre un morceau de musique instrumentale dont le thème est hongrois- Il l'avoue sincérement. Il l'eût mené partout ailleurs, s'il eût trouvé la moindre raison musicale de le faire. Goethe, lui-même, dans le second Faust, n'a-t-il pas conduit son héros à Sparte, dans le palais de Ménélas ?
La légende du docteur Faust peut être traitée de toutes manières: elle est du domaine public; elle avait été dramatisée avant Goethe; elle circulait depuis longtemps sous diverses formes dans le monde littéraire du nord de l'Europe, quand il s'en empara; le Faust de Marlowe jouissait même, en Angleterre, d'une sorte de célébrité, d'une gloire réelle que Goethe a fait pâlir et disparaître.
Quant à ceux des vers allemands, chantés dans la Damnation de Faust, qui sont des vers de Goethe altérés, ils doivent évidemment choquer les oreilles allemandes, comme les vers de Racine, altérés sans raison dan l'Iphigénie de Gluck, choquent les oreilles françaises. Seulement, on ne doit pas oublier que la partition de cet ouvrage fut écrite sur un texte français, qui, dans certaines parties, est lui-même une traduction de l'allemand, et que, pour satisfaire ensuite au désir du compositeur de soumettre son œuvre au jugement du pubblic le plus musical de l'Europe, il a fallu écrire en allemand une traduction de la traduction.
Peut-être ces observations paraîtront-elles puériles à d'excellents esprits qui voient tout de suite le fond des choses et n'aiment pas qu'on s'évertue à leur prouver qu'on est incapable de vouloir mettre à la mair Caspienne ou faire sauter le mont Blanc. M. H. Berlioz n'a pas cru pouvoir s'en dispenser, néanmoins, tant il lui est pènible de se voir accuser d'infidélité à la religion de toute sa vie, et de manquer, même indirectement, de respect au génie.
Plaine de Hongrie.
Faust seul, dans les champs, au lever du soleil.
Le vieil hiver a fait place au printemps;
la nature s’est rajeunie;
des cieux la coupole infinie
laisse pleuvoir mille feux éclatants.
Je sens glisser dans l’air la brise matinale;
de ma poitrine ardente un souffle pur s’exhale.
J’entends autour de moi le réveil des oiseaux,
le long bruissement des plantes et des eaux.
Oh ! qu’il est doux de vivre au fond des solitudes,
loin de la lutte humaine et loin des multitudes !...
Danse des paysans.
[Ronde en chœur]
CHŒUR
Premier couplet.
Les bergers laissent leurs troupeaux;
pour la fête ils se rendent beaux;
rubans et fleurs sont leur parure;
sous les tilleuls, les voilà tous,
dansant, sautant comme des fous.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Landerira !
Suivez donc la mesure !
FAUST
Quels sont ces cris ? quel est ce bruit lointain ?
Ce sont des villageois, au lever du matin,
qui dansent en chantant sur la verte pelouse.
De leurs plaisirs ma misère est jalouse.
CHŒUR
Deuxième couplet.
Ils passaient tous comme l’éclair,
et les robes volaient en l’air;
mais bientôt on fut moins agile:
le rouge leur montait au front;
et l’un sur l’autre dans le rond.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Landerira !
Tous tombaient à la file.
Troisième couplet.
Ne me touchez donc pas ainsi !
~ Paix ! ma femme n’est point ici !
Profitons de la circonstance !
Dehors il l’emmena soudain,
et tout pourtant allait son train.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Landerira !
La musique et la danse.
Une autre partie de la plaine. Une armée qui s’avance.
FAUST
Mais d’un éclat guerrier les campagnes se parent.
Ah ! les fils du Danube aux combats se préparent !
Avec quel air fier et joyeux
ils portent leur armure ! et quel feu dans leurs yeux !
Tout cœur frémit à leur chant de victoire;
le mien seul reste froid, insensible à la gloire.
[Marche hongroise]
(Le thème de cette marche, que m. Berlioz a instrumenté et developpé, est célèbre en Hongrie sous le nom de Rakoczy: il est très-ancien, d'un auteur inconnu; c'est le chant de guerre des Hongrois.)
Les troupes passent. Faust s’éloigne.
Nord de l’Allemagne.
Faust, seul dans son cabinet de travail.
Sans regrets j’ai quitté les riantes campagnes
où m’a suivi l’ennui;
sans plaisirs je revois nos altières montagnes;
dans ma vieille cité je reviens avec lui.
Oh ! je souffre ! je souffre ! et la nuit sans étoiles,
qui vient d’étendre au loin son silence et ses voiles,
ajoute encore à mes sombres douleurs.
Ô terre ! pour moi seul tu n’as donc pas de fleurs !
Par le monde, où trouver ce qui manque à ma vie ?
Je chercherais en vain, tout fuit mon âpre envie !
Allons, il faut finir !... Mais je tremble... Pourquoi
trembler devant l’abîme entr’ouvert devant moi ?
Ô coupe trop longtemps à mes désirs ravie,
viens, viens, noble cristal, verse-moi le poison
qui doit illuminer
ou tuer ma raison.
(Il porte la coupe à ses lèvres. Sons des cloches. Chants religieux dans l’église voisine.)
[Hymne de la Fête de Pâques]
CHŒUR
Christ vient de ressusciter !
Quittant du tombeau
le séjour funeste,
au parvis céleste
il monte plus beau.
Vers les gloires immortelles
tandis qu’il s’élance à grands pas,
ses disciples fidèles
languissent ici-bas.
Hélas ! c’est ici qu’il nous laisse
sous les traits brûlants du malheur.
Ô divin maître ! ton bonheur
est cause de notre tristesse.
Maus crayons en sa parole éternelle.
Nous le suivrons un jour
au céleste sejour
où sa voix nous appelle.
Hosanna !
Hosanna !
FAUST
Qu’entends-je ? Ô souvenirs ! Ô mon âme tremblante !
Sur l’aile de ces chants vas-tu voler aux cieux ?...
La foi chancelante
revient, me ramenant la paix des jours pieux,
mon heureuse enfance,
la douceur de prier,
la pure jouissance
d’errer et de rêver
par les vertes prairies,
aux clartés infinies
d’un soleil de printemps !
Ô baiser de l’amour céleste
qui remplissais mon cœur de doux pressentiments
et chassais tout désir funeste !...
Hélas ! doux chants du ciel, pourquoi dans sa poussière
réveiller le maudit ? Hymnes de la prière,
pourquoi soudain venir ébranler mon dessein ?
Vos suaves accords rafraîchissent mon sein.
Chants plus doux que l’aurore
retentissez encore:
mes larmes ont coulé, le ciel m’a reconquis.
Faust et Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Qui donc es-tu, toi dont l’ardent regard
pénètre ainsi que l’éclat d’un poignard,
et qui, comme la flamme,
brûle et dévore l’âme ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Eh bien ! pauvre démon, fais-moi voir tes merveilles !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
J’y consens.
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Ils disparaissent dans les airs.)
La cave d’Auerbach à Leipzig.
Faust, Méphistophélès, Brander, Étudiants, Bourgeois, Soldats.
CHŒUR DE BUVEURS
À boire encor ! du vin
du Rhin !
MÉPHISTOPHÉLÈS
CHŒUR
Oh ! qu’il fait bon, quand le ciel tonne,
rester près d’un bol enflammé,
et se remplir comme une tonne
dans un cabaret enfumé !
J’aime le vin et cette eau blonde
qui fait oublier le chagrin.
Quand ma mère me mit au monde
j’eus un ivrogne pour parrain.
Oh ! qu’il fait bon, quand le ciel tonne,
etc.
QUELQUES BUVEURS
Qui sait quelque plaisante histoire ?
En riant le vin est meilleur.
À toi, Brander !
AUTRES BUVEURS
Il n’a plus de mémoire !
BRANDER
(ivre)
J’en sais une, et j’en suis l’auteur.
TOUS
Eh bien donc, vite !
BRANDER
Puis qu’on m’invite,
je vais vous chanter du nouveau.
TOUS
Bravo ! bravo !
[Chanson de Brander]
Premier couplet
BRANDER
Certain rat, dans une cuisine
établi, comme un vrai frater,
s’y traitait si bien que sa mine
eût fait envie au gros Luther.
Mais un beau jour le pauvre diable,
empoisonné, sauta dehors
aussi triste, aussi misérable
que s’il eût eu l’amour au corps !
CHŒUR
Que s’il eût eu l’amour au corps !
Deuxième couplet
BRANDER
Il courait devant et derrière;
il grattait, reniflait, mordait,
parcourait la maison entière;
la rage à ses maux ajoutait,
au point qu’à l’aspect du délire
qui consumait ses vains efforts,
les mauvais plaisants pouvaient dire:
il a, ma foi, l’amour au corps.
CHŒUR
Il a, ma foi, l’amour au corps.
Troisième couplet
BRANDER
Dans le fourneau le pauvre sire
crut pourtant se cacher très bien;
mais il se trompait, et le pire,
c’est qu’on l’y fit rôtir enfin.
La servante, méchante fille,
de son malheur rit bien alors !
Ah ! disait-elle, comme il grille !
Il a vraiment l’amour au corps !
CHŒUR
Il a vraiment l’amour au corps !
Requiescat in pace. Amen.
BRANDER
Pour l’amen une fugue ! une fugue, un choral !
Improvisons un morceau magistral !
MÉPHISTOPHÉLÈS
[Fugue sur le thème de la chanson de Brander]
CHŒUR
Amen. A... men. A... men. Amen.
MÉPHISTOPHÉLÈS
CHŒUR
Ah ça ! mais se moque-t-il de nous ?
Quel est cet homme ?
Oh ! qu’il est pâle, et comme
son poil est roux !
N’importe ! Volontiers ! Autre chanson ! À vous !
[Chanson de Méphistophélès]
MÉPHISTOPHÉLÈS
CHŒUR
Ha ! ha ! Bravo !
Bravissimo !
Écrasons-la soudain !
FAUST
Assez ! fuyons ces lieux, où la parole est vile,
la joie ignoble et le geste brutal !
N’as-tu d’autres plaisirs, un séjour plus tranquille
à me donner, toi, mon guide infernal ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Ils partent à travers les airs sur le manteau de Faust.)
Bosquets et prairies du bord de l’Elbe.
Faust, Méphistophélès, Chœur de gnomes et de sylphes.
Air de Méphistophélès
MÉPHISTOPHÉLÈS
Songe de Faust
CHŒUR DE SYLPHES ET DE GNOMES
Dors, heureux Faust, dors ! Bientôt, sous un voile
d’or et d’azur, tes yeux vont se fermer;
au front des cieux va briller ton étoile.
De sites ravissants
la campagne se couvre,
et notre œil y découvre
des prés, des bois, des champs,
et d’épaisses ramées,
où de tendres amants
promènent leurs pensées.
MÉPHISTOPHÉLÈS, CHŒUR
Une beauté les suit
ingénue et pensive;
à sa paupière luit
une larme furtive.
Faust ! elle t'aimera
bientôt.
FAUST
(endormi)
Margarita !
CHŒUR
À l’entour des montagnes
le lac étend ses flots,
dans les vertes campagnes
il serpente en ruisseaux.
Là, de chants d’allégresse
la rive retentit.
D’autres chœurs là sans cesse
la danse nous ravit.
Les uns gaîment s’avancent
autour des coteaux verts,
de plus hardis s’élancent
au sein des flots amers.
Partout l’oiseau timide,
cherchant l’ombre et le frais,
s’enfuit d’un vol rapide
au milieu des marais.
Tous, pour goûter la vie,
tous cherchent dans les cieux
une étoile chérie
qui s’alluma pour eux.
Dors, dors !
FAUST
(endormi)
Margarita !
CHŒUR
C'est elle
qu’amour te destina. Regarde ! qu'elle est belle !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Ballet des sylphes
(Les esprits de l’air se balancent quelque temps en silence autour de Faust endormi et disparaissent peu à peu.)
FAUST
(s’éveillant)
Quelle céleste image ! Oh ! qu’ai-je vu ! Quel ange
au front mortel !
Où le trouver ? Vers quel autel
traîner à ses pieds ma louange ?...
MÉPHISTOPHÉLÈS
Étudiants, Soldats, marchant vers la ville.
[Final]
SOLDATS
Villes entourées
de murs et remparts,
fillettes sucrées,
aux malins regards,
victoire certaine
près de vous m’attend;
si grande est la peine,
le prix est plus grand.
Au son des trompettes,
les braves soldats
s’élancent aux fêtes
ou bien aux combats;
fillettes et villes
font les difficiles;
bientôt tout se rend.
Si grande est la peine,
le prix est plus grand.
ÉTUDIANTS
Jam nox stellata velamina pandit;
nunc bibendum et amandum est !
Vita brevis fugaxque voluptas.
Gaudeamus igitur, gaudeamus !...
Nobis sub ridente luna, per urbem quaerentes puellas eamus !
ut cras, fortunati Caesares, dicamus:
Veni, vidi, vici ! Gaudeamus igitur ! gaudeamus ! (1)
(1) Déjà la nuit étend ses voiles étoilés; c'est l'heure de boire et d'aimer. La vie est courte et le plaisir fugitif ! Réjoissons-nous donc, réjoissons-nous ! Pendant que la lune nous sourit, aillons par la ville cherchant les jeunes filles, pour que demain, heureux Césars, nous disions: Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ! Réjoissons-nous donc, réjoissons-nous !
Ensemble
SOLDATS
Villes entourées
etc.
ÉTUDIANTS, FAUST, MÉPHISTOPHÉLÈS
Jam nox stellata velamina pandit
etc.
Des tambours et des trompettes sonnant au loin la retraite.
Faust, le soir, dans la chambre de Marguerite
FAUST
Merci, doux crépuscule ! Oh ! sois le bienvenu !
Éclaire enfin ces lieux, sanctuaire inconnu,
où je sens à mon front glisser comme un beau rêve,
comme le frais baiser d’un matin qui se lève.
C’est de l’amour, j’espère... Oh ! comme on sent ici
s’envoler le souci !
Que j’aime ce silence, et comme je respire
un air pur !... Ô seigneur,
après ce long martyre,
que de bonheur !
Ô jeune fille ! ô ma charmante !
Ô ma trop idéale amante !
Quel sentiment j’éprouve en ce moment fatal !
Que j’aime à contempler ton chevet virginal !
Quel air pur je respire !
Seigneur ! Seigneur !
Après ce long martyre,
que de bonheur !
(Faust, marchant lentement, examine avec une curiosité passionnée l’intérieur de la chambre de Marguerite.)
Méphistophélès, Faust.
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Dieu ! mon cœur se brise dans la joie !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Oh ! calme-toi, mon âme !
Marguerite, Faust.
MARGUERITE
(entrant, une lampe à la main)
Que l’air est étouffant !
J’ai peur comme une enfant;
c’est mon rêve d’hier qui m’a toute troublée...
En songe je l’ai vu... lui... mon futur amant.
Qu’il était beau ! Dieu ! j’étais tant aimée !
Et combien je l’aimais !
Nous verrons-nous jamais
dans cette vie ?...
Folie !...
(Elle chante en tressant ses cheveux.)
[Le roi de Thulé – Chanson gothique]
Premier couplet
Autrefois un roi de Thulé,
qui jusqu’au tombeau fut fidèle,
reçut, à la mort de sa belle,
une coupe d’or ciselé.
Comme elle ne le quittait guère,
dans les festins les plus joyeux,
toujours une larme légère
à sa vue humectait ses yeux.
Deuxième couplet
Ce prince, à la fin de sa vie,
lègue ses villes et son or,
excepté la coupe chérie
qu’à la main il conserve encor.
Il fait, à sa table royale,
asseoir ses barons et ses pairs,
au milieu de l’antique salle
d’un château que baignaient les mers.
Troisième couplet
Le buveur se lève et s’avance
auprès d’un vieux balcon doré;
il boit, et soudain sa main lance
dans les flots le vase sacré.
Le vase tombe; l’eau bouillonne,
puis se calme aussitôt après.
Le vieillard pâlit et frissonne:
il ne boira plus désormais.
Autrefois un roi de Thulé...
Jusqu’au tombeau... fut fidèle...
(Profond soupir.)
Ah !...
Une place devant la maison de Marguerite.
Méphistophélès, Follets.
[Évocation]
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Les follets exécutent des évolutions et des danses bizarres autour de la maison de Marguerite.)
[Ballet]
[Sérénade de Méphistophélès avec Chœur de follets]
CHŒUR
Il te tend les bras
etc.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Chambre de Marguerite.
Faust, Marguerite.
MARGUERITE
(apercevant Faust)
Grands dieux !
Que vois-je ! est-ce bien lui ? dois-je en croire mes yeux ?...
FAUST
Ange adoré dont la céleste image
avant de te connaître illuminait mon cœur,
enfin je t’aperçois, et du jaloux nuage
qui te cachait encor mon amour est vainqueur.
Marguerite, je t’aime !
MARGUERITE
Tu sais mon nom ? Moi-même
j’ai souvent dit le tien:
Faust !...
FAUST
Ce nom est le mien;
un autre le sera, s’il te plaît davantage.
MARGUERITE
En songe je t’ai vu tel que je te revois.
FAUST
En songe !... tu m’as vu !...
MARGUERITE
Je reconnais ta voix,
tes traits, ton doux langage...
FAUST
Et tu m’aimais ?
MARGUERITE
Je... t’attendais.
FAUST
Marguerite adorée !
MARGUERITE
Ma tendresse inspirée
était d’avance à toi.
FAUST
Marguerite est à moi !
Ensemble
MARGUERITE
Mon bien-aimé, ta noble et douce image
avant de te connaître illuminait mon cœur,
enfin je t’aperçois, et du jaloux nuage
qui te cachait encor mon amour est vainqueur.
FAUST
Ange adoré dont la céleste image
avant de te connaître illuminait mon cœur,
enfin je t’aperçois, et du jaloux nuage
qui te cachait encor mon amour est vainqueur.
Ensemble
FAUST
(avec élan)
Marguerite ! ô tendresse !
Cède à l’ardente ivresse
qui vers toi m’a conduit.
MARGUERITE
Je ne sais quelle ivresse,
brûlante enchanteresse,
dans ses bras me conduit.
MARGUERITE
Quelle langueur s’empare de mon être !...
FAUST
Au vrai bonheur dans mes bras tu vas naître.
Viens...
MARGUERITE
Dans mes yeux des pleurs...
Tout s’efface... Je meurs...
Faust, Marguerite, Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
MARGUERITE
Quel est cet homme ?
FAUST
Un sot.
MÉPHISTOPHÉLÈS
MARGUERITE
Son regard
me déchire le cœur.
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Qui t’a permis d’entrer ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Que faire ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Damnation !
MÉPHISTOPHÉLÈS
MARGUERITE
Oui, demain, bien-aimé ! Dans la chambre prochaîne
déjà j’entends du bruit.
FAUST
Adieu donc, belle nuit
à peine commencée ! Adieu, festin d’amour
que je m’étais promis !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Te reverrai-je encor, heure trop fugitive,
où mon âme au bonheur allait enfin s’ouvrir !
MÉPHISTOPHÉLÈS
CHŒUR DE VOISINS ET VOISINES
(dans la rue)
Holà ! mère Oppenheim, vois ce que fait ta fille !
L'avis n'est pas hors de saison:
un galant est dans ta maison,
et tu verras dans peu s'accroître ta famille.
MARGUERITE
Ciel ! entends-tu ces cris ? Devant dieu, je suis morte
si l’on te trouve ici !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Ô fureur !
MÉPHISTOPHÉLÈS
MARGUERITE
Adieu, adieu, par le jardin
vous pouvez échapper.
FAUST
Ô mon ange ! à demain !
MÉPHISTOPHÉLÈS
Ensemble
FAUST
Je connais donc enfin tout le prix de la vie,
le bonheur m’apparaît, il m’appelle et je vais le saisir.
L’amour s’est emparé de mon âme ravie,
il comblera bientôt mon dévorant désir.
MARGUERITE
Ô mon Faust bien-aimé, je te donne ma vie !
Pourrai-je te charmer au gré de mon désir ?...
L'amour s'est emparé de mon âme ravie.
Il m'entraîne vers toi: te perdre, c'est mourir.
MÉPHISTOPHÉLÈS
CHŒUR
(au dehors)
Holà ! mère Oppenheim, vois ce que fait ta fille
etc.
Chambre de Marguerite.
Marguerite, seul.
[Romance]
I
D’amour l’ardente flamme
consume mes beaux jours.
Ah ! la paix de mon âme
a donc fui pour toujours !
II
Son départ, son absence
sont pour moi le cercueil,
et loin de sa présence
tout me paraît en deuil.
III
Alors ma pauvre tête
se dérange bientôt,
mon faible cœur s’arrête,
puis se glace aussitôt.
IV
Sa marche que j’admire,
son port si gracieux,
sa bouche au doux sourire,
le charme de ses yeux,
V
sa voix enchanteresse,
dont il sait m’embraser,
de sa main la caresse,
hélas ! et son baiser,
VI
d’une amoureuse flamme,
consument mes beaux jours.
Ah ! le paix de mon âme
a donc fui pour toujours !
VII
Je suis à ma fenêtre,
ou dehors, tout le jour:
c’est pour le voir paraître,
ou hâter son retour.
VIII
Mon cœur bat et se presse
dès qu’il le sent venir;
au gré de ma tendresse
puis-je le retenir !
IX
Ô caresses de flamme !
Que je voudrais un jour
voir s’exhaler mon âme
dans ses baisers d’amour !
(Tambours et trompettes sonnant la retraite. Chœur de soldats et d’étudiants qui se font entendre dans le lointain.)
CHŒUR
Villes entourées
de murs et remparts,
fillettes parées,
aux malins regards,
victoire certaine
près de vous m’attend !
Si grande est la peine,
le prix est plus grand.
MARGUERITE
Bientôt la ville entière au repos va se rendre;
clairons, tambours du soir déjà se font entendre
avec des chants joyeux,
comme au soir où l’amour offrit Faust à mes yeux.
CHŒUR
Jam nox stellata velamina pandit.
Per urbem quaerentes puellas eamus.
MARGUERITE
Il ne vient pas !
Hélas !
Forêts, cavernes.
Faust seul.
[Invocation à la nature]
Nature immense, impénétrable et fière,
toi seule donnes trêve à mon ennui sans fin.
Sur ton sein tout-puissant je sens moins ma misère,
je retrouve ma force, et je crois vivre enfin.
Oui, soufflez, ouragans ! Criez, forêts profondes !
Croulez, rochers ! Torrents, précipitez vos ondes !
À vos bruits souverains ma voix aime à s’unir.
Forêts, rochers, torrents, je vous adore ! Mondes
qui scintillez, vers vous s’élance le désir
d’un cœur trop vaste et d’une âme altérée
d’un bonheur qui la fuit.
Méphistophélès.
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Tais-toi !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Quoi !
(J’entends des chasseurs qui parcourent les bois.)
FAUST
Achève, qu’as-tu dit ? Marguerite en prison ?...
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Feux et tonnerre !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Sauve-la,
sauve-la, misérable !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Qu’exiges-tu ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Eh ! que me fait demain quand je souffre à cette heure ?
Donne !
(Il signe.)
Voilà mon nom ! Vers sa sombre demeure
volons donc maintenant ! Ô douleur insensée !
Marguerite, j’accours !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Ils partent.)
Plaines, montagnes et vallées.
Faust, Méphistophélès galopant sur deux chevaux noirs, Paysans.
[La course à l’abîme]
FAUST
Dans mon cœur retentit sa voix désespérée...
Ô pauvre abandonnée !
CHŒUR DES PAYSANS
(agenouillés devant une croix champêtre)
Sancta Maria, ora pro nobis.
Sancta Magdalena, ora pro nobis.
FAUST
Prends garde à ces enfants, à ces femmes priant
au pied de cette croix.
MÉPHISTOPHÉLÈS
CHŒUR
Sancta Margarita, ora pro... ~ Ah ! ! !
(Cris d'effroi. Le chœur se disperse en tumulte. Les cavaliers passent.)
FAUST
Dieux ! un monstre hideux en hurlant nous poursuit !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Quel essaim de grands oiseaux de nuit !
Quels cris affreux !... ils me frappent de l’aile !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Ils s’arrêtent.)
FAUST
Non, je l’entends, courons !
(Les chevaux redoublent de vitesse.)
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Regarde, autour de nous, cette ligne infinie
de squelettes dansant !
Avec quel rire horrible ils saluent !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
(de plus en plus épouvanté, et haletant)
Nos chevaux frémissent,
leurs crins se hérissent,
ils brisent leurs mors !
Je vois onduler
devant nous la terre;
j’entends le tonnerre
sous nos pieds rouler !
Il pleut du sang ! ! !
MÉPHISTOPHÉLÈS
FAUST
Horreur !
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Ils tombent dans un gouffre.)
L'enfer.
Faust est livré aux flammes.
[Pandæmonium - Chœur en langue inconnu]
Cette langue est celle que Swedenborg appelait la langue infernale, et qu'il croyait en usage parmi les démons et les damnés.
CHŒUR DE DÉMONS ET DAMNÉS
Has ! Irimiru Karabrao !
LES PRINCES DES TÉNÈBRES
(à Méphistophélès)
De cette âme si fière
à jamais es-tu maître et vainqueur, Méphisto ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
LES PRINCES DES TÉNÈBRES
Faust a donc librement
signé l’acte fatal qui le livre à la flamme ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
(Orgie infernale. Triomphe de Méphistophélès.)
CHŒUR
Tradioun marexil fir trudinxé burrudixé !
Fory my dinkorlitz Hor meak omévixe !
Uraraiké !
Muraraiké !
Diff ! Diff ! merondor mit aysko !
Has ! Has ! Satan, Belphégor, Méphisto.
Has ! Has ! Kroïx, Astaroth, Belzébuth.
Sat, satrayk irkimour.
Has ! Has ! Méphisto !
Has ! Has ! Has ! Has !
Irimiru Karabrao !
Sur la terre.
QUELQUES VOIX
Alors l’enfer se tut.
L’affreux bouillonnement de ces grands lacs de flammes,
les grincements de dents de ses tourmenteurs d’âmes,
se firent seuls entendre; et dans ses profondeurs,
un mystère d’horreur s’accomplit.
CHŒUR
Ô terreurs !...
Dans le ciel.
(Séraphins inclinés devant le très-haut)
CHŒUR D’ESPRITS CÉLESTES
Laus !... Hosanna !
Elle a beaucoup aimé, seigneur !...
(Silence... Murmure harmonieux.)
UNE VOIX DANS LES HAUTEURS DES CIEUX
Margarita ! ! !...
[Apothéose de Marguerite]
CHŒUR D'ANGES
Remonte au ciel, âme naïve
que l’amour égara;
viens revêtir ta beauté primitive
qu’une erreur altéra.
Viens, les vierges divines,
tes sœurs, les séraphines,
sauront tarir les pleurs
que t’arrachent encor les terrestres douleurs.
L'eternel te pardonne, et sa vaste clémence
un jour sur Faust aussi peut-être s'étendira.
Conserve l'espérance
et souris au bonheur. Viens, viens, Margarita !
Fin du livret.
Generazione pagina: 13/02/2016
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