BLAISE LE SAVETIER
Opéra-comique.
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Livret de Michel-Jean SEDAINE.
Musique de François-André Danican PHILIDOR.
Première représentation: 9 mars 1759, Paris.
Acteurs:
BLAISE |
ténor |
BLAISINE |
soprano |
M. PINCE |
basse |
M.ME PINCE |
soprano |
PREMIER RECORD |
ténor |
SECOND RECORD |
basse |
NICAISE |
ténor |
BABICHE |
ténor |
LA CRÉMIÈRE |
soprano |
MATHURIN |
basse |
La tante, Autre acteurs.
Une boutique de savetier.
Avertissemente de l'auteur
Si quelqu'un me reproche l'attention avec laquelle j'ai écrit la pantomime de cette farce, qu'il fasse réflexion que le grand defaut de la plûpart des ariettes au théâtre, est de se voir dénuées d'action, soit que ce défaut vienne des paroles et de la situation théâtrale, soit que l'acteurseulement musicien, ne sçache point les revêtir des gestes, et du sentiment, vrais.
Cette petite pièce annobliée par la musique de m. Phillidor sera (je l'espère) représentée en province; l'acteur loin de tout conseil qui lui semble valable, en lisant la pantomime, se trouvera aidé de l'avis de l'auteur; il peut en partant de-là, fixer ses mouvements, étendre son jeu, et arriver à ce point si difficile de rendre la nature sans la forcer: peut-être pourra-t-il trouver mieux que ce que j'indique, mais s'il rencontre plus mal, les conseils qu'il a devant les yeux serviront de pièces au procès que lui fera l'auditeur.
Le théâtre représente une boutique de savetier, une armoire faite en dressoir, c'est-à dire que le haut n'est fermé que d'un fil d'archal avec un rideau en dedans; elle est placée sur un des côtés du théâtre, et de l'autre une table longue sur des tréteaux.
Blaise, Blaisine.
BLAISINE
Que cherche-tu ?
BLAISE
Rien.
BLAISINE
Mais encor.
BLAISE
Mon chapeau.
BLAISINE
Ton chapeau ? tu veux sortir ?
BLAISE
Non, ma femme, non.
BLAISINE
Comment, non !
BLAISE
Non, je vais seulement...
BLAISINE
Hé ! tu ne sors pas !
[Air: C'est la façon de le faire.]
BLAISE
Non, te dis-je, j'ai trop affaire;
je ne sors pas, mais Mathurin,
Mathurin avec son compère
m'attend au cabaret voisin.
Hier ils m'ont payé bouteille
de bon vin,
je veux leur rendre la pareille
ce matin.
BLAISINE
Ce matin !
BLAISE
Oui, ce matin.
BLAISINE
Tu iras ce soir.
BLAISE
Je ne peux pas.
BLAISINE
Pourquoi ?
BLAISE
Ah ! pourquoi, pourquoi ? c'est aujourd'hui le lendemain de la noce de notre cousin Nicaise.
BLAISINE
Hé ! qu'est-ce que ça te fait ? tu sçais que je n'ai pas voulu y aller hier, parce que nous sommes dans la peine, et qu'il auroit fallu payer le lendemain.
BLAISE
Ce n'est que pour compter, ma petite femme; il y a des restes, je veux leur aider à faire le compte.
BLAISINE
Ils ont bien besoin de toi.
BLAISE
La noce doit y venir déjeuner.
[Ariette en duo]
Ensemble
BLAISINE
Helas ! que je suis malheureuse !
En quoi ? en quoi ?
Ta conduite facheuse
nous réduit aux extrémités.
Nous devons de tous les côtés.
La boulangère
et la bouchère,
le corroyeur,
son procureur,
notre hôte,
sans faute,
doit en ce jour nous faire éxécuter,
et peut-être t'arrêter.
Hélas! que je suis malhereuse !
En quoi, en quoi,
ta conduite fâcheuse
nous réduit aux extrémités.
Nous devons de tous les côtés.
BLAISE
Toi ! en quoi ! en quoi !
Ma conduite facheuse.
Quelles sont ces extrémités ?
On nous doit de tous les côtés.
Je ne dois rien au cabaret,
et c'est un fait.
(*)
Toi ! en quoi ? en quoi ?
Ma conduite fâcheuse !
Quelles sont ces extrémités ?
On nous doit de tous les côtés.
(*) Comme dans le cours de ce duo Blaise a moins à dire que Blaisine qui est agitée d'une plus grande passion, il faut que Blaise occupe la scène en faisantt une espèce de toilette. Qu'il mette ses boutons de manche, son col noir. Qu'il ôte son bonnet, mette sa perruque, range sa table, etc.
(Blaisine reste rêveuse; Blaise tourne encore dans la chambre, trouve son chapeau sur l'armoire, sa femme le regarde aller et dit:)
BLAISINE
Mais aujourd'hui, malheureux que tu es ! on vient nous enlever nos meubles.
[Ariette. Notée n. 1]
BLAISE
Tiens, ma femme, je t'en prie,
ne me donne point de chagrin.
Jouissons aujourd'hui de la vie,
on peut mourir demain.
BLAISINE
De faim, de faim.
Blaise, Blaisine , un huissier et deux records.
PREMIER RECORD
(parlant du nez)
Nous venons, monsieur, pour vous éxécuter de la part de M. Pince votre hôte.
BLAISINE
Quoi !
BLAISE
(contrefaisantt le record)
Paix: nous venons, monsieur, pour vous présenter...
PREMIER RECORD
(plus haut)
Nous venons, monsieur, pour vous éxécuter de la part de mr. Pince votre hôte, huissier à verge au Châtelet de paris, et propriétaire de cette maison.
(Blaise ici se gratte l'oreille, et Blaisine joint les mains.)
BLAISINE
Hé ! bien, je te l'avois bien dit; que je suis malheureuse !
BLAISE
(frappant du pied)
Morbleu !
[Quatuor]
BLAISINE
Hé ! bien, hé ! bien, es-tu content ?
BLAISE
Non, morbleu, Mathurin m'attend.
PREMIER RECORD
(chantant du nez)
Écrivez, écrivez.
BLAISINE
Es-tu preffé de boire ?
PREMIER RECORD
Écrivez une armoire...
BLAISINE
Peux tu payer, peux tu payer ?
PREMIER RECORD
De bois de noyer.
SECOND RECORD
De bois de noyer.
BLAISINE
Hé ! bien, es-tu pressé de boire ?
BLAISE
Je ne suis plus preſſé de boire ?
BLAISINE
Peux tu payer, peux tu payer ?
BLAISE
Mais que diantre peuvent-ils tant écrire ?
BLAISINE
Hé ! tes meubles.
BLAISE
Ils ne t'écriront pas peut-être.
BLAISINE
Comment ! tu peux rire encor !
BLAISE
Je ris de colère, car je crois que je les assommerois.
Les acteurs précédens. M.me Pince, ton acariâtre, et bavarde.
M.ME PINCE
Ah ! vous ne voulez pas payer
votre loyer,
canailles que vous êtes !
Vous faites
des dettes,
sans travailler:
sur votre porte, à babiller
vous passez tout le jour comme un prince.
PREMIER RECORD
(continuant à dicter)
De bois de noyer.
BLAISINE
Madame Pince.
BLAISE
Madame Pince.
M.ME PINCE
Tout le jour comme un prince.
BLAISINE
Madame Pince.
BLAISE
Madame Pince.
PREMIER RECORD
L'escabeau,
la lampe et le tréteau.
M.ME PINCE
Oui, tout ira sur le carreau.
PREMIER RECORD
Une moitié de rideau.
M.ME PINCE
Comme un prince, comme un prince.
BLAISINE
Madame Pince.
BLAISE
Madame Pince.
BLAISINE
Donnez-nous du tems.
BLAISE
Dans quelques instans.
M.ME PINCE
Non, non de l'argent,
et comptant, et comptant.
Cent écus, c'est la somme
du billet, et le courant:
c'est ce qu'il faut à notre homme.
Le voici qu'il va venir;
vous n'avez qu'à vous bien tenir.
Blaise, Blaisine.
BLAISINE
Ah ! Blaise.
BLAISE
Ah ! Blaisine, ah ! j'enrage.
BLAISINE
Au bout de six mois de ménage,
voir vendre sur le carreau
et mes meubles et mon trousseau !
BLAISE
Ah ! j'enrage.
[Ariette. Notée n. 2]
BLAISINE
Lorsque tu me faisois l'amour,
qu'as-tu promis à ma mère ?
Ma pauvre mère !
Tu lui disois, oui, ma commère,
oui, ma commère,
je vous jure que tout le jour
je resterai dans la boutique
a travailler ,
et votre fille ira chez la pratique
se faire payer.
(*)
C'est au rebours,
tu cours, tu cours:
hélas ! cela me désespère.
Pendant le cours
de nos amours,
qu'as tu promis à ma mère ?
(*) Pendant le cours de cette ariette, Blaise doit paroître sensible aux reproches de sa femme, et cependant désiter d'aller trouver Mathurin; il cherche des moyens et n'en trouve pas, il approche son escabeau, ôte sa perruque, se prépare à l'ouvrage, etc.
BLAISE
C'est vrai, j'ai tort.
BLAISINE
Est-ce au mari à l'avoir ?
BLAISE
Allons, je ne sortirai pas, je vais me mettre à travailler.
BLAISINE
Il est bien tems.
BLAISE
Mais Mathurin.
BLAISINE
Hé bien !
BLAISE
Dis-lui que je n'irai pas.
BLAISINE
Allons , j'y cours.
BLAISE
(après avoir rêvé)
Écoute, écoute, si j'y allois, moi.
BLAISINE
Pour lui dire que tu n'iras pas.
BLAISE
Tu as raison; mais il nous prêteroit peut-être de l'argent.
BLAISINE
Bon ! les amis dé bouteille !
BLAISE
Pourquoi non ?
[Air: J'ai vû de notre roi]
BLAISINE
Tiens, tu me fais pitié,
par ton peu de courage.
Du moins, par amitié,
prends vîte ton ouvrage :
allons,
remets vîte des bouts à ces talons,
et d'aujourd'hui sois sage.
BLAISE
Ma petite femme ne te mets pas en colère, me pardonnes-tu ?
BLAISINE
Il m'est bien force.
BLAISE
Mais que faire ?
BLAISINE
Que devenir ?
BLAISE
Je sçais bien d'où cela vient.
BLAISINE
Et moi aussi.
BLAISE
C'est un tour de madame Pince.
BLAISINE
C'est un tour de monsieur Pince.
BLAISE
De madame.
BLAISINE
De monsieur.
BLAISE
De la femme, je te dis.
BLAISINE
Non, du mari; tu ne sçais pas que monsieur Pince m'a aimée et m'aime encore.
BLAISE
Mais tu ne sçais pas, toi, que madame Pince m'aimoit.
BLAISINE
(frappant des mains)
Toi ?
BLAISE
Oui, et qu'avant leur mariage et le notre...
BLAISINE
Mais moi, pendant deux ans.
BLAISE
Mais moi, pendant six mois.
BLAISINE
Il venoit chez nous.
BLAISE
Elle m'attiroit chez elle: et plus de cent fois...
BLAISINE
Et moi plus de mille; alors il ne m'appelloit pas Blaisine, il m'appelloit mademoiselle Margot, et toujours le chapeau bas. Ah ! il me vient une idée; cache-toi, cache toi: il va venir, je crois que le voici; oui, oui, cache-toi, et laisse-moi faire.
Blaisine, M. Pince, Blaise cachée.
M. Pince dans le fond du théâtre vient lentement appuyé sur une petite canne, tire son portefeuille, ses lunettes: il fait, avec un çrayon, une petite note des meubles: il examine l'armoire, et ne paroît faire qu'une médiocre attention au commencement de l'ariette.
[Ariette. Notée n. 3]
BLAISINE
Ah ! le scélérat !
Il me frappe,
et s'échappe.
Ah ! le scélérat !
Il me bat.
La colère
me suggère
de me venger
d'un mari qui sçait m'outrager.
(*)
Ah ! le scélérat !
Il me frappe,
et s'échappe.
Ah ! le scélérat !
Il me bat.
(*) À la reprise de cette ariette, Blaisine pour varier son jeu, peut s'asseoir sur l'escabeau, un coude sur l'établi, regarder par dessous son bras si M. Pince l'écoute.
M. PINCE
Hé bien !
BLAISINE
Me battre, m'assommer ! et mes meubles vont être vendus !
M. PINCE
Hé bien ! hé bien !
BLAISINE
Ah ! que n'écoutois-je mon ami Pince ? il auroit fait ma fortune; je l'aimerois, il m'auroit aimée.
M. PINCE
Elle parle de moi.
BLAISINE
J'aurois mieux valu que la femme qu'il a.
M. PINCE
C'est vrai, c'est vrai.
BLAISINE
Je l'aimerois tant.
M. PINCE
Elle m'aimeroit ! mademoiselle Margot.
BLAISINE
(faisantt la pleureuse)
Ahi ! ahi ! ahi !
M. PINCE
Mademoiselle Margot.
BLAISINE
Ah ! vous voilà, monsieur, je suis votre servante.
M. PINCE
Qu'avez-vous à pleurer ?
BLAISINE
Je ne pleurois pas; ahi !
M. PINCE
Ah ! vous pluriez, vous pleuriez; qu'avez vous ?
BLAISINE
Il m'a assommé de coups.
M. PINCE
Ah ! le misérable ! si vous vouliez, si vous vouliez m'écouter.
BLAISINE
(pleurant)
Ahi ! ahi !
M. PINCE
Je serois votre bonheur, et vous seriez le mien.
BLAISE
(caché)
Ah! le vieux coquin.
M. PINCE
Hin.
BLAISINE
Hin , hin. Je n'entends pas ce que vous voulez dire.
M. PINCE
Je ferois votre bonheur, et vous feriez le mien.
BLAISINE
Je n'entends pas; ahi ! ahi !
M. PINCE
Vos meubles...
BLAISINE
Hé bien! mes meubles !
M. PINCE
Vos meubles resteroient.
BLAISINE
Voyez mon bras; il est tout noir.
M. PINCE
Ce que vous dites noir, je le vois fort blanc: ah ! qu'il est beau !
(Il veut le baiser.)
BLAISINE
Ah ! ah ! finissez.
M. PINCE
Peut-être le billet...
BLAISINE
(montrant sa main)
Ah ! ah ! voyez un autre coup.
M. PINCE
C'est vrai, cela me paroît gros.
(Il y porte la sienne.)
BLAISINE
Ahi, ahi , vous me faites mal.
M. PINCE
Que d'appas ! tenez, mademoiselle Margot, je vous rends le billet si... (Ici Blaisine le regarde d'un coup d'oeil indécis, qu'il prend pour de la colère.) Ne vous a-t-il fait que cela ? montrez-moi donc tout ce qu'il vous a fait. Je crois appercevoir une marque.
BLAISINE
Oui, j'en dois avoir encore une.
[Ariette]
M. PINCE
Où donc ?
BLAISINE
Au coude.
M. PINCE
Hé bien ! voyons.
BLAISINE
Non, non.
M. PINCE
Pourquoi, Blaifine, ces soupçons ?
Laissez , laissez.
BLAISINE
Non, non. Ah ! c'est sensible.
M. PINCE
Sçavez-vous que Blaise est terrible.
M. PINCE
Tenez, mademoiselle Margot, prenez votre billet: nous sommes seuls, prenez votre billet; je vous demande seulement... seulement que vous ayez pour votre petit serviteur...
BLAISINE
Vous vous moquez de moi, m. Pince: un homme comme vous !
M. PINCE
Pourquoi, pourquoi ?
BLAISINE
Un huissier à verge !
M. PINCE
Oh ! je ne suis pas fier, moi.
BLAISINE
Ah ! vous ne m'avez jamais aimée.
M. PINCE
Quoi ! moi ? ah ! je vais bien vous prouver le contraire, cette affaire d'aujourd'hui, par exemple, j'ai fait souffler l'assignation, j'ai obtenu prise de corps contre votre mari;
(Ici Blaise paroît en colère et le menace du poing: sa femme lui fait signe de se cacher.)
je voulois le mettre en prison; ma femme vouloit que ce fût vous; mais outre que cela ne se peut pas, je ne l'ai pas voulu. Ah ! madame Blaisine ! ah ! mademoiselle Margot ! tenez, voilà le billet, prenez, prenez.
(Il met le billet dans la main de Blaisine qu'il tient.)
BLAISINE
Non, je veux payer.
M. PINCE
Vous êtes la maîtresse du payement.
BLAISINE
Non, non.
M. PINCE
Prenez, je vous en prie, je vous en prie.
BLAISINE
(faisantt la pleureuse)
Votre femme doit revenir... ir... la porte... je vais la fermer... er... les voisins... ins... votre femme... la porte... mon mari... attendez.
[Ariette. Notée n. 4]
M. PINCE
L'argent seul fixe le caprice;
l'argent seul sçait donner la loi.
Ah ! quels momens ! ah ! quel délice !
Ah ! que de plaisir j'entrevoi !
(*)
Hier farouche, aujourd'hui toute à moi.
L'argent seul fixe le caprice ;
l'argent seul sçait donner la loi.
(*) Pendant le cours de cette ariette, M. Pince peut poser sur l'établi sa canne et son chapeau avec distraction, et s'asseoir sur l'escabeau à la reprise de l'air.
BLAISINE
(s'avance pendant le cours de l'ariette, trouve son mari qui vient pour frapper M. Pince; elle le repousse, le force de secacher et s'écrie)
Ô ciel ! voici mon mari; il ne sera ici qu'un instant, il va à deux lieues d'ici chercher de l'argent; mettez-vous dans cette armoire: s'il vous trouve ici, il vous tuera.
M. PINCE
Où ! où ! mais, si...
BLAISINE
Hé ! vîte, hé ! vîte.
M. PINCE
(revenant pour prendre sa canne et son chapeau)
Mais, mais...
(Blaisine l'enferme.)
Blaise, Blaisine, M. Pince dans l'armoire.
BLAISE
Va vite chercher sa femme
BLAISINE
Mais...
BLAISE
Ne t'embarrasse pas.
(Blaisine va pour sortir et revient sur ses pas pour répondre à Blaise qui dit :)
Pourquoi es tu si longtems à m'ouvrir ?
BLAISINE
Je ne m'attendois pas à vous voir revenir.
(Blaise commence l'ariette suivante en lui faisantt signe de s'en aller: elle reste dans le fond du
théātre jusqu'à « réponds, réponds: non, mon ami; » pour lors elle comprend la ruse de Blaise et sort en riant.)
[Ariette. Notée n. 5]
BLAISE
Cet air interdit
me dit,
coquine,
que dans ces lieux, à la sourdine,
en l'absence de ton mari,
tu reçois un favori,
à la sourdine.
Réponds, réponds: non, mon ami.
(Blaisine sort.)
Blaise, et M. Pince dans l'armoire.
BLAISE
Non, comment ! non. Non, mon ami !
Tiens, voilà pour ton démenti:
hi, hi, hi.
(*)
N'est il point caché sous ce lit ?
Hi, hi.
Si je le trouve dans mon dépit,
je veux l'écraser sur la place,
point de grace.
N'est-il point là, n'est-il point ici ?
Hi, hi.
On ne peut m'en faire accroire:
donne-moi la clé de l'armoire.
(plus fort)
Hi, hi, hi.
Je me moque de tes larmes;
tes pleurs ont des charmes
pour moi.
Quoi !
Tu voudrois m'en faire accrôire !
Donne-moi la clé de l'armoire.
Je ne l'ai pas, je ne l'ai pas.
Tu ne l'as pas, tu ne l'as pas !
Tu voudrois m'en faire accroire.
Donne moi la clé de l'armoire :
mais c'est trop balancer,
et pour l'enfoncer,
je vais là-haut chercher une massue;
si tu sors d'ici, je te tue.
(*) Il imite le bruit du soufflet qu'il paroît lui donner.
Blaise fait semblant de sortir, frappe à la porte de l'armoire, et contre faisantt sa voix.
BLAISE
Monsieur Pince, monsieur Pince, je ne sçais que devenir; il va descendre.
M. PINCE
Ouvrez-moi, madame Blaisine, ouvrez-moi.
BLAISE
J'ai jetté la clé derriere le coffre, vous n'avez qu'une chose à faire.
M. PINCE
Hé quoi ! dites donc, dites donc.
BLAISE
De vous recommander au ciel.
M. PINCE
Ô ciel ! ô ciel ! maudite armoire ! ah ! si j'eusse...
BLAISE
Paix, paix: le voilà qui revient avec sa massue.
Blaise, Blaisine, et M. Pince dans l'armoire.
BLAISINE
Elle me fuit.
BLAISE
Oh ! tu ne veux pas me donner la clé de cet te armoire où est caché ton favori. Enfonçons, enfonçons.
BLAISINE
Hé, mon ami ! hé, mon ami ! je vais vous dire la vérité.
BLAISE
La vérité ?
BLAISINE
La vérité.
BLAISE
Mais prends garde à la vérité que tu vas me dire.
BLAISINE
Oui, mon cher ami. Monsieur Pince...
BLAISE
Monsieur Pince, hé bien ?
BLAISINE
Hé bien ! cet honnête homme qui faisoit vendre nos meubles est venu; il a trouvé que je pleurois.
BLAISE
Hé bien ?
BLAISINE
Hé bien ! il m'a parlé, il m'a parlé; il m'a dit comme ça que... il ne vouloit avoir affaire qu'à moi: les femmes sont plus douces et moins trompeuses.
BLAISE
Hé bien ?
BLAISINE
Hé bien ! je l'ai payé.
BLAISE
Payé, comment payé ?
BLAISINE
De tes épargnes, et voilà notre billet.
BLAISE
C'est bon, c'est bon; et cet homme qui est dans cette armoire ?
BLAISINE
Ce n'est pas moi qui l'y ai mis.
BLAISE
Il y en a donc un ?
BLAISINE
Oui, mon ami; je sçavois que vous vouliez vendre cette armoire.
BLAISE
Hé bien ?
BLAISINE
Hé bien ! je l'ai proposée à monsieur Pince qui s'est enfermé dedans pour voir si elle fermoit bien.
BLAISE
Est-ce là la vérité ?
BLAISINE
Oui, mon ami; demandez plutôt.
M. PINCE
Oui, mon cher monsieur Blaise, oui c'est la la pure vérité.
BLAISE
Je te pardonne donc en faveur de la pure vérité. Vous pouvez sortir, monsieur Pince, ne craignez rien.
M. PINCE
Je le voudrois bien, c'est que...
BLAISE
Quoi ?
[Ariette en dialogue]
M. PINCE
Le ressort est, je crois, mêlé.
BLAISINE
Mon fils, le ressort est mêlé.
BLAISE
Par ici passez-moi la clé.
M. PINCE
La clé ?
BLAISINE
La clé.
BLAISE
La clé.
M. PINCE
La clé ?
BLAISE
Hé ! oui , la clé, morbleu , la clé, la clé.
M. PINCE
Je ne l'ai pas.
BLAISE
Ô ciel !
BLAISINE
Je tremble !
BLAISE
Ah ! vous vous entendez ensemble.
BLAISE
Ah ! coquine, tu m'as trompé; je sçavois bien qu'il y avoit quelque chose là-dessous; je veux t'écraser sur la place. (tout bas) Fuis-t'en, voici madame Pince.
Blaise, M. Pince, M.me Pince.
M. PINCE
Mon cher monsieur Blaise, je vous dirai que...
(il se cache dans l'armoire, sitôt qu'il entend sa femme, qui parle)
M.ME PINCE
Hé ! bien, vous voulez donc payer ?
BLAISE
(à part)
Cette glorieuse !
M.ME PINCE
Je n'ai pû trouver mon mari.
BLAISE
Et quand je te fais caresse, c'est à toi d'y répondre.
M.ME PINCE
Blaise, maître Blaise.
BLAISE
Oui, à toi, à toi, trop d'honneur. Ah ! madame, bon jour; vous le sçavez, madame Pince, que je pouvois épouser des femmes qui valoient cent fois mieux qu'elle; mais il faut être discret, et ne jamais nommer personne.
M.ME PINCE
Ah ! c'est vrai. Enfin m. Blaise vous voulez donc terminer ?
BLAISE
Oui, madame, j'ai payé à votre mari; et voilà mon billet. Cette coquine !
M.ME PINCE
Tredame, maître Blaise, vous êtes donc bien riche. C'est bien, c'est bien.
BLAISE
Que diriez-vous d'une femme ?... ah ! madame Pince, j'ai bien du chagrin.
M.ME PINCE
En quoi ?
BLAISE
Du dépit.
M.ME PINCE
Pourquoi ?
BLAISE
Du regret.
M.ME PINCE
Hé ! de quoi s'agit-il, mon pauvre Blaise ?
BLAISE
Vous m'avez autrefois témoigné de la bonne volonté; enfin n'en parlons plus. Je souhaite que vous soyez heureuse avec votre mari; j'en suis bien puni. Que diriez vous d'une femme ?...
M.ME PINCE
De la vôtre ?
BLAISE
Hé ! de qui donc ?
M.ME PINCE
Hé! que vous a-t-elle fait ?
BLAISE
Dites ce qu'elle ne me fait pas. Madame Pince, on est jeune, on est caressant; je suis toujours à lui faire mille'amitiés; si je me croyois, je lui en ferois toute la journée. À l'instant même... mais elle me rebute, elle me repousse, elle m'envoye promener; c'est bien chagrinant, madame Pince, et je suis bien sûr que vous ne faites pas comme cela avec m. Pince.
[Ariette. Notée n. 6]
M.ME PINCE
Lui ! ah ! le pauvre homme !
Il n'a pas son semblable à Paris.
Sa froideur m'assomme
c'est le plus sot des maris.
Ah ! le pauvre homme,
quand je m'approche,
il me reproche
que je suis toujours près de lui.
(*)
Il me repousse,
et puis il tousse.
Je ne puis mourir que d'ennui.
Ah ! le pauvre homme !
quand je m'approche,
il me reproche
que je suis toujours près de lui.
(*) Pendant cette ariette Blaise attire madame Pince du côté de l'armoire, et M.me Pince, qui se trompe dans ses idées, ramène Blaise sur le devant du théâtre; il répète avec elle, « Ah ! le pauvre bomme ! » en regardant l'armoire.
BLAISE
Comme j'aimerois une femme comme vous ! ah ! si votre mari mouroit...
M.ME PINCE
Il ne peut pas vivre longtems; il a un asthme.
BLAISE
Il a un asthme ! ah ! s'il mouroit.
M.ME PINCE
Hé ! bien, mon pauvre Blaise !
BLAISE
Comme je vous épouserois.
M.ME PINCE
Et ta femme ?
BLAISE
Ah! elle mourroit aussi; je la connois.
M.ME PINCE
Tu m'épouſerois ?
BLAISE
Et vous, madame Pince ?
M.ME PINCE
Ah ! ne t'ai-je pas toujours aimé; je t'aime encor. Quelle certitude en veux-tu, mon cher Blaise ?
M. Pince, Blaise, M.me Pince, Blaisine.
(M. Pince donne un coup de pied dans l'armoire, et en sort.)
M.ME PINCE, BLAISE
Oh ! ciel !
[Quatuor]
Ensemble
M. PINCE
(à sa femme)
Ah ! grands dieux ! puit-je le croire ?
Blaiſe a pour toi des appas,
tu desires mon trépas.
Âme noire,
cette armoire
me vange de ce tracas.
BLAISE
(riant)
Ah ! ah ! ah ! grands dieux!
puis-je le croire ?
ma femme a quelques appas,
sans attendre mon trépas.
Âme noire
dans l'armoire
tu méditois tes ébats.uve ton maudit tracas.
M.ME PINCE
(à Blaise)
Ah ! grands dieux ! puis-je le croire ?
Peut-tu me tendre un appas ,
oui, je voudrois
(et à son mari)
ton trépas.
Âme noire,
cette armoire
prouve ton maudit tracas.
BLAISINE
Ah ! grands dieux ! puis-je le croire ?
Blaise a pour toi des appas !
Tu desires mon trépas.
Âme noire,
cette armoire
me venge de ce tracas.
(Blaise et Blaisine mettent M. Pince et M.me Pince à la porte. Ils sortent en se menaçant l'un l'autre.)
Un garçon de cabaret, Blaise et Blaisine.
LE GARÇON
Sçavez vous que Mathurin s'impatiente, et que si vous ne venez pas, il va venir lui et toute la noce.
BLAISE
Nous y allons.
BLAISINE
À l'instant.
(Ils s'embrassent.)
[Duo]
BLAISE ET BLAISINE
Dans le plus paisible ménage,
souvent pour un oui, pour un non,
il arrive quelque tapage.
L'homme et la femme haussent le ton,
grand bruit alors dans la maison.
Mais quand l'amour dit qu'on se taise,
le bruit s'appaise.
L'homme et la femme baissent le ton,
tout se remet à l'unisson.
Mathurin, Blaise, Blaisine.
MATHURIN
Est-ce-que tu te moques de nous, de nous faire attendre ?
BLAISE
(riant)
Ah ! ah ! ah ! nous allons passer la journée ensemble.
MATHURIN
Tant mieux.
BLAISINE
Hé ! bien, hé ! bien, ne voilà-t-il pas toute la noce ?
MATHURIN
Je te l'avois bien dit.
BLAISE
Vive la joie. Tiens ma femme, c'est aujourd'hui la notre aussi.
BLAISINE
Soit.
Les acteurs précédens, Nicaise et Babiche, et quelques personnes de la noce qui apportent des pintes et des verres.
NICAISE
Bon jour , mon parein.
BABICHE
Bon jour ma cousine.
BLAISINE
Bon jour, Babiche; bon jour, ma fille.
BLAISE
Bon jour, mon garçon.
NICAISE
Mon garçon , c'étoit bon hier; je suis un homme à présent.
(La mariée Babiche ricane.)
Hin , hin.
BLAISINE
Bon jour, madame la mariée; êtes-vous bien contente ?
BABICHE
Hin, hin.
BLAISE
Ça vaut-il mieux que d'être fille ?
BABICHE
Hin, hin, hin.
NICAISE
Tais toi donc, tu la ferois rire toute la journée.
[Air: Si votre femme vous chagrine.]
BLAISE
Imite-nous, mon cher Nicaise,
aime ta moitié,
de bonne amitié.
BLAISINE
Lorsque je suis auprès de Blaise,
un Cresus
près de ses écus
est moins que moi bien aise.
BLAISE
Je me crois
Blaisine, avec toi,
plus heureux qu'un roi.
BLAISINE
(à Babiche)
Si quelqu'un t'apporte quittance,
et veut t'en conter,
feins de l'écouter,
et plume-le moi d'importance.
Ces muguets
qui, pour nous flatter,
nous parlent de finance,
ne sont faits
que pour régaler,
et pour s'en aller.
BABICHE
Je ne sçais pas ce que vous voulez dire.
BLAISE
On nous entend bien.
(Ici Mathurin qui est une espece de la Tulipe qui fume sa pipe, fait signe à Blaise et à Blaisine de venir boire un coup à une table dressée sur un des côtés du théâtre. Il entre une femme mise en harengère qui se joint à eux; ensuite vient une petite crémière. Ils boivent aussi un coup avec eux. La crémière vient se joindre à Nicaise à la fin de ses couplets, et La harengere à la fin de celui de La crémière.)
[Air: Achetez de mes bagatelles.]
NICAISE
Moi, je n'aim' que ma petit' Babiche.
BABICHE
Je n'veux qu'Nicais' pour mon mari.
NICAISE
D'amitié je n's'erai jamais chiche.
BABICHE
Toujours d' moi tu t'verras cheri;
car quand j'te vois j'saut'comme une biche.
NICAISE
Moi, je danse comme un cabri;
car je n'aim'que ma petit'Babiche.
BABICHE
Je n'veux qu'Nicais' pour mon mari.
Si jamais Nicaise me triche,
mon cœur en sera bien marri.
NICAISE
Ce s'eroit dommag'd'l'aisser en friche
un jardin si beau, si fleuri;
mais j'n'aim' que ma petit'Babiche.
BABICHE
Je n'veux qu'Nicais' pour mon mari.
NICAISE
Ne crains pas qu'd'ici l'on t'déniche.
BABICHE
Ne crains pas qu'j'aye un favori.
NICAISE
Ah ! bon dieu, que j's'rois bientôt riche !
si dans Paris
l'amour avoit un prix !
car j'n'aim' que ma petit'Babiche.
BABICHE
Je n'veux qu'Nicais'pour mon mari.
LA CRÉMIÈRE
Oh ! comme c'est tendre ! mais comme dit la chanson;
Ça n'dur'ra pas toujours,
ça n'dur'ra pas toujours.
NICAISE
Sçavez-vous, mam'selle, que vous pourriez bien vous alter promener avec votre chanson ?
LA CRÉMIÈRE
Hé ! mais, c'est qu'c'est dans le vrai, mon pauvr'Nicaise.
LA MARIÉE
Vous êtes bien heureuse, ma cousine, d'être parente de la noce; entendez-vous.
NICAISE
Oui, sans doute; car vous n'seriez pas du repas.
LA CRÉMIÈRE
Hé ! mais, je n'fais de mal à personne.
LA HARENGÈRE
Hé ! mais vraiment, madame j'ordonne; toutes vérités, ne sont pas bonnes à dire: n'faut rien pour dégoûter des jeunes gens, et ils n'ont pas besoin de ça, entendez-vous ?
MATHURIN
(en ôtant sa pipe)
Allons, allons, dansons, donnez-moi la main, la petite crémière.
(Il se met pour danser; La tante se met à gauche.)
Mais je ne peux pas danser avec vous deux.
LA HARENGÈRE
Monsieur apparemment n'sçait pas que j'suis la tante.
MATHURIN
Hé ! bien, dansez donc, madame la tante.
LA HARENGÈRE
Sans doute, et il faut que la mariée danse aussi la première.
LA MARIÉE
Hé ! mais, ma tante.
LA HARENGÈRE
(ôte son bonnet, prend un chapeau, le met sur sa tête)
Allons, allons, je serai l'homme
BLAISE
Sçais-tu que ta tante est une drôle de femme ?
NICAISE
Ah ! si j'n'en héritions pas.
LA TANTE
(La harengère.)
Allons, monsieur, un menuët, et un beau.
(Après le menuët qui est fort court.)
Ma nièce, vous ne le faites pas long, vous ne gagnerez pas d'entorse.
(La mariée prie le marié.)
NICAISE
Ah ! si j'avois mon habit noir d'hier, je danserois mieux.
BLAISE
Que ne le mettois tu ?
NICAISE
Oh ! ma tante dit que ce n'est pas la politesse, et qu'on est le lendamain autrement que l'jour.
(Le menuët fini, il entre d'autres danseurs. Pendant ce temps on ôte la table et l'armoire. Blaise ordonne, et fait ranger les meubles avec Blaisine. Ils ôtent l'escabeau. Blaisine veut donner un coup de balai.)
BLAISE
C'est bon, c'est bon, notre bourgeoise.
NICAISE
Allons plutôt joindre la noce, la salle est plus grande.
Ensuite un ballet général dans lequel il y aura une entrée d'Ivrognes, et la pièce finit par le ballet.
Fin du livret.
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